Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie d'être venus ici pour cette rencontre. J'ai souhaité faire le point sur la préparation de la loi sur l'audiovisuel et les débats dont elle fait légitimement l'objet.
Je sais que plusieurs de vos confrères se trouvent, en ce même moment, soit à Cannes au MIP TV que j'ai inauguré samedi dernier, soit à l'ouverture des Assises européennes sur l'audiovisuel que je dois conclure mercredi prochain. Cette coïncidence est pleine de sens. Ici comme à Cannes ou à Birmingham, l'enjeu est bien le même : quelles chances saurons-nous donner, pour le plus grand bénéfice des téléspectateurs et des citoyens, à un nouvel essor de la production et de l'imagination créatrice en matière de programmes ?
C'est au regard d'un tel enjeu que j'ai suivi, de la manière la plus attentive, les débats des trois tables rondes que j'avais souhaité organiser à partir de la communication adoptée par le gouvernement le 28 janvier dernier. J'ai demandé au SJTI et au CNC ainsi qu'aux trois personnalités éminentes qui ont conduit ces débats - Michèle Cotta, Jean-Noël Jeanneney et Jean Boissonnat - de me rendre compte de la manière la plus précise de la teneur de ces discussions.
Je suis frappée du sens des responsabilités avec lesquels l'ensemble des représentants des producteurs - cinéma et audiovisuel - comme des diffuseurs - publics et privés - recherchent ensemble les aménagements de leurs relations juridiques et économiques qui sont indispensables dans une nouvelle phase de développement des marchés.
Pour le reste, je n'ai, bien sûr, pas ignoré l'écho plus particulier qu'ont pu recevoir les débats de la troisième de ces tables rondes. Réunissant principalement des dirigeants des chaînes privées, elle a été l'occasion pour eux d'exprimer une assez globale hostilité à certaines, au moins, des dispositions de la loi : celles qui visent plus particulièrement à assurer l'indépendance des opérateurs privés et une certaine veille sur les concentrations économiques.
A ce stade, j'ai bien sûr demandé à mes services de prendre en compte au mieux toutes les observations techniques qui ont pu être utilement faites par les professionnels. Je souhaite en effet que les modalités juridiques prévues par la prochaine loi concourent aux objectifs que le gouvernement s'est assignés et évitent d'éventuels effets pervers au regard du fonctionnement des entreprises publiques, ou privées qui sont concernées.
La focalisation un peu artificielle qui s'est opérée sur l'un des aspects seulement du projet de loi a pu cependant susciter une impression générale mettant en doute, non seulement la pertinence de telle ou telle disposition, mais l'opportunité même d'une telle loi, voire la volonté réelle du gouvernement de conduire à son terme la démarche qu'il a engagée.
Tel n'est bien sûr pas mon sentiment. Je suis au contraire convaincue que ce projet est non seulement nécessaire, mais indispensable pour permettre à l'ensemble des acteurs, tant publics que privés, de mieux affronter les défis d'une nouvelle phase de leur développement. Il est aussi et surtout indispensable du point de vue des téléspectateurs qui sont en droit d'attendre de la radio et de la télévision des programmes plus riches, plus divers et plus inventifs ainsi que la meilleure des informations.
C'est cette conviction que j'aimerais vous faire partager en vous indiquant quels sont désormais le calendrier et les axes de travail selon lesquels, au point où nous en sommes, j'entends organiser la préparation du projet de loi.
1 - Je voudrais d'abord souligner qu'une modernisation de la réglementation en vigueur est indispensable pour permettre aux entreprises concernées de développer, en toute sécurité juridique, leur initiatives dans les activités nouvelles liées à la révolution numérique et au multimédia.
Vous savez que la plupart des professionnels et les pouvoirs publics se retrouvent dans les instances internationales pour affirmer que l'on peut s'engager sur la voie de la convergence des technologies sans renoncer à la régulation des contenus. Celle-ci en effet reste indispensable pour assurer un développement des médias respectueux du pluralisme et de la diversité de la création.
Ce combat serait vain si nous ne faisions pas la preuve que la loi, qui je vous le rappelle organise la liberté de la communication, peut offrir une base juridique adaptée à des activités comme le développement des chaînes thématiques, les bouquets satellitaires ou l'essor d'Internet.
Je veux souligner, sur ce point, que cette réforme, dans laquelle certains ont cru déceler une tendance, bien française, à la surréglementation, entend au contraire établir des dispositions allégées pour des activités qui connaissent un développement très concurrentiel et qui ne sont plus soumises à la contrainte de rareté des supports caractérisant le hertzien terrestre.
Pour ne prendre qu'un exemple, alors que le câble restait soumis à un régime d'autorisation et de conventionnement, l'ensemble des chaînes thématiques du câble et du satellite obéiront désormais à un régime unique simplement déclaratif. La régulation souhaitable des contenus prendra la forme de règles simples et connues de tous, édictées par voie de décret.
Quant au régime applicable à des services comme Internet, il se limitera à des mesures permettant, le cas échéant, d'assurer le respect du droit par les initiateurs de ces services.
Vous voyez donc que notre approche dans ce domaine recherche de manière pragmatique, l'équilibre que chacun attend entre la plus grande liberté d'initiative et le respect de l'intérêt général.
J'indiquerai également que le gouvernement a engagé une réflexion sur les perspectives nouvelles qu'ouvre à moyen terme le développement du numérique hertzien terrestre. Le moment venu, le système de régulation devra donc prendre en compte les nouvelles configurations de l'offre audiovisuelle, qui, à l'échelle d'une vingtaine ou d'une trentaine de chaînes nationales, seront, à moyen terme, rendues possibles par cette technique.
2. La loi en préparation répondra à une seconde nécessité impérative : réaffirmer, et même renforcer le rôle spécifique, l'identité propre, le potentiel de développement de la radio et de la télévision publiques.
Les évolutions de la technologie, du marché, des usages culturels conduisent aujourd'hui à une démultiplication des supports de diffusion et de l'offre audiovisuelle. Ce phénomène comporte aussi ses limites ou ses dangers. C'est pourquoi il rend plus que jamais indispensable l'existence d'un service public de l'audiovisuel qui constitue une référence indiscutable en termes d'exemplarité de l'information, de fédération des publics, de qualité et d'invention dans son offre de programmes. Ce potentiel d'offre publique constitue d'ailleurs l'une des sources nécessaires de l'alimentation en programmes des nouveaux supports de diffusion.
Pour retrouver pleinement leur juste place, il est certain que les chaînes de service public ont besoin d'être confirmées dans leurs missions, dans leurs perspectives de développement, mais aussi dans la solidité de leur organisation et dans celle de leurs ressources.
C'est dans ce sens que vont des mesures telles que la fusion de la 5° et de la 7-Arte, la constitution d'une holding entre France 2 et France 3 et l'allongement de 3 à 5 ans du mandat des présidents de chaînes. Bien que la nécessité de telles mesures soit reconnue par tous depuis des années, aucun gouvernement n'avait malheureusement su les faire entrer dans le droit positif. C'est ce que nous allons faire.
De plus, j'entends tirer dans la loi toutes les leçons des « plans stratégiques » que j'ai demandés au président des chaînes d'élaborer et qui me seront remis dès la fin de ce mois. Ces plans fourniront la base de nouveaux contrats entre l’Etat et ces sociétés qui tendront à organiser sur plusieurs années un développement cohérent de leurs objectifs et de leurs moyens.
A cette fin, la loi complétée par la prochaine loi de finances, devrait, pour la première fois, mettre en place un système de financement pluriannuel qui permette à la fois, de garantir la progression nécessaire des ressources publiques des chaînes - le produit de la redevance - et un rééquilibrage à la baisse de la part des recettes publicitaires.
Cet allégement de la pression proprement commerciale constitue, bien évidemment, un préalable indispensable pour que les chaînes publiques, France 2 au premier chef, retrouvent clairement leur identité de chaînes publiques sans rompre l'ambition de rassembler un public aussi large et diversifié que possible. J'entends parfois dire que si France 3, la Cinquième et Arte ont su trouver une place claire et leur légitimité, il n'en irait pas de même pour France 2. Je pense pour ma part qu'à côté de chaînes publiques aux missions spécifiques, nous aurons plus que jamais besoin, à l'heure où l'offre thématique est en plein essor, d'une grande chaîne généraliste qui, sans renier aucune des exigences du service public sache rassembler tous les téléspectateurs.
C'est dans le même esprit, que le gouvernement confirme son intention que les chaînes généralistes publiques soient libérées de toute contrainte d'exclusivité et accessibles aux téléspectateurs sur l'ensemble des réseaux câblés ou bouquets numériques.
Ces pas étant franchis, je suis persuadée que le secteur public comme le secteur privé, dès lors que leur vocation respective sera mieux différenciée, trouveront chacun de nouvelles voies d'épanouissement et de développement et que leur coexistence nécessaire trouvera son meilleur équilibre.
3 - La loi est enfin nécessaire pour que les groupes de communication puissent développer leur initiative dans des conditions qui assurent, sans restriction, l'indépendance de l'information et le pluralisme dans la production de programmes.
A cet égard, aucune des dispositions du projet de loi n'empêchera le renforcement souhaitable de la force concurrentielle des groupes français, dont on sait que le potentiel reste limité à l'échelle internationale.
Comme c'est le cas dans chaque pays, nous devons cependant prendre en compte les caractéristiques propres de l'économie française de l'audiovisuel et veiller à préserver au mieux des équilibres qui sont constitutifs de notre vie démocratique ou de notre potentiel créatif.
Un certain nombre de règles - quotas, obligations de production, compte de soutien… - ont fait la preuve de leur efficacité, en facilitant, face à des diffuseurs puissants, la constitution d'un tissu de producteurs indépendants. Ces règles doivent bien sûr être reprécisées afin de trouver leur pleine efficacité alors que les développements du marché ouvrent de nouvelles « fenêtres » d'exploitation des films ou des programmes, pour les chaînes thématiques notamment. En effet, ces développements peuvent aussi comporter des risques de concentration abusives ou de captation des droits par les diffuseurs les plus appartient donc à la loi, complétée chaque fois que cela sera possible par l'autorégulation ou la négociation professionnelles, de prendre les dispositions les mieux adaptées pour renforcer l'indépendance économique de la production et la fluidité de circulation des œuvres.
C'est dans le même esprit que seront prévues des dispositions simples pour que le Conseil de la concurrence et le CSA puissent, chacun à la place et dans le rôle qui sont les siens, s'assurer que les fusions ou acquisitions d'entreprises concernant le secteur de la communication ne contreviennent ni aux principes de la concurrence ni à ceux du pluralisme des courants d'expression socioculturels et de l'indépendance de l'information. Ces derniers principes relèvent bien sûr de la mission du CSA. Je n'imagine pas que cet objectif puisse être contesté dès lors que toutes les précautions seront prises pour éviter des conflits de procédures.
Enfin, on ne saurait ignorer la particularité tenant à ce que les principaux diffuseurs privés français ont actuellement pour actionnaires des groupes dont une part non négligeable de l'activité dépend économiquement de l’Etat et des collectivité locales. La loi comportera les mesures qui les prémuniront contre tout soupçon d'influence entre leur rôle dans les médias - et leur autres intérêts industriels. Ces mesures sont connues et je n'y reviendrai pas. Un débat de bonne foi devrait permettre, j'en suis sûre, de vérifier qu'elles ne sont ni une entrave au développement économique souhaitable des groupes français, ni dénuées d'efficacité pratique au regard de l'objectif poursuivi : garantir autant que faire se peut l'indépendance éditoriale de l'activité d'information.
Pour l'avenir, ceux qui se réclament de la liberté d'entreprendre et d'un développement concurrentiel, ne sauraient guère contester que la loi veuille permettre, en matière de radio comme de télévision, à de « nouveaux entrants » de se porter, le moment venu, candidats à entrer dans le capital des chaînes ou, pourquoi pas, à assumer à leur tour des responsabilités de diffuseurs. Ils doivent pouvoir le faire à égalité réelle de chances et en bénéficiant d'une période d'amortissement de leur investissement de départ comparable à celle qui a été donnée aux opérateurs en place. C'est en ce sens, que la loi reviendra sur la règle de « reconduction automatique » instaurée par la loi Carignon. Ceci sera fait dans un esprit de responsabilité en redonnant au CSA le pouvoir d'apprécier librement les vertus des diffuseurs en place aussi bien que les projets des nouveaux candidats. C'est ainsi que pourront dans la durée, s'équilibrer les continuités nécessaires et les renouvellements souhaitables d'un paysage audiovisuel en plein développement.
Une régulation ouverte au développement des nouveaux supports et des nouveaux services ; une mission et des moyens tendant à une pleine refondation de l'identité du service public, des règles du jeu modernisées conciliant le renforcement économique des opérateurs privés et le pluralisme de l'information et de la création, tels sont donc les trois objectifs majeurs que nous assignons au projet de loi afin qu'il donne son expression la plus actuelle, à la liberté de la communication. Ce n'est donc en rien une loi de contrainte. C'est une loi de liberté et d'équilibre, une loi de développement et de responsabilité. Elle offrira aux entreprises concernées un cadre clairement établi pour l'épanouissement de leurs activités et aux téléspectateurs et aux citoyens, la meilleure satisfaction de leurs attentes.
J'y vois donc un grand et beau chantier. Et nous allons y travaillons à rythme redoublé. Afin que la loi puisse être adoptée à l'automne, au Parlement, le gouvernement entend en effet que son projet soit arrêté dans l'ensemble de ces dispositions avant le début juillet. L'équilibre de cette loi sera à apprécier dans sa cohérence globale. C'est d'ailleurs pourquoi le gouvernement ne souhaite pas, à l'étape actuelle, que telle ou telle disposition fasse l'objet d'un amendement ou d'un vote distinct.
Dans les trois mois qui viennent, j'entends donc achever la mise en forme juridique de ce texte, et le soumettre aux consultations qui s'imposent en cette matière, au premier chef celles du Conseil d’État et du Conseil supérieur de l'audiovisuel. D'ici là, la concertation engagée devrait se prolonger par une discussion avec les professionnels du secteur de la radio. J'entends également organiser vers la mi-mai, quand les « plans stratégiques » auront pu être examinés, une ultime table ronde portant sur les réformes à l'ordre du jour du service public. Pour le reste, mes collaborateurs sont ouverts à toutes les discussions spécifiques, que souhaiteraient encore les professionnels, concernés. Pour finir, l'élaboration finale de cet important projet trouvera ainsi, j'en suis sûre, sa meilleure efficacité et sa pleine légitimité.