Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, sur les moyens financiers, les acteurs (collectivités locales, Etat, associations) et les objectifs de la politique de la ville (la lutte contre l'exclusion et le rétablissement de l'égalité des chances), à l'Assemblée nationale le 10 mai 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Simone Veil - ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Communication sur la politique de la ville à l'Assemblée nationale, le 10 mai 1994

Texte intégral

Dès sa prise de fonction, le Gouvernement a marqué sa détermination de poursuivre une politique de la ville propre à favoriser l'égalité des chances en renforçant la lutte contre l'exclusion.

Il a tenu à associer immédiatement les élus de la nation à sa réflexion. Le débat parlementaire du 22 avril 1993 a montré leur forte implication dans cette politique dont tous ont reconnu qu'elle était indispensable, qu'elle devait être conduite en partenariat entre l'État et les collectivités locales, qu'elle devait privilégier les actions de proximité et soutenir les initiatives locales.

Les premières décisions opérationnelles ont été prises lors du Comité Interministériel des Villes du 29 juillet 1993 : le principe des Grands Projets Urbains pour une dizaine de sites cumulant les difficultés et la liste des 185 agglomérations auxquelles un contrat de ville serait proposé.

Financé par le grand emprunt, un Plan de Relance pour la Ville de 5 milliards de francs a été décidé. A 85 % les crédits sont aujourd'hui affectés et délégués. Seules n'ont pas été lancées quelques opérations lourdes dont les études préalables ne sont pas achevées.

Les chantiers de plus du tiers des opérations du Plan de Relance sont maintenant ouverts. Voulez-vous des exemples ? Une maison de quartier à Lorient ; une salle polyvalente à Bourges, un commissariat à Tourcoing, les bureaux d'accueil pour les immigrés des préfectures de Cergy et d'Évry.

Je rappelle que l'État a marqué, à travers ce plan, sa volonté de renforcer, dans les quartiers, la présence des services publics. Là aussi quelques exemples :

– 48 centres sociaux sont en cours de réhabilitation et 7 en cours de construction,
– 10 commissariats de police créés ou totalement restructurés,
– 6 agences nouvelles de l'ANPE,
– 20 bureaux de poste supplémentaires,
– 11 lieux d'accueil sanitaires,
– 10 équipements culturels et 6 points d'accueil pour les jeunes.

Aucun des gouvernements précédents n'a consenti un effort de cette ampleur. Il s'agit sur deux ans d'un doublement des crédits d'investissement de la politique de la Ville par rapport aux cinq années qui précèdent.

Le renforcement de la présence des services publics dans les quartiers n'est pas seulement lié aux équipements et mon collègue André Rossinot a déjà pris les dispositions permettant de garantir la présence de fonctionnaires de qualité dans les sites de la politique de la Ville :

– les dispositions relatives à la nouvelle bonification indiciaire ont été largement mobilisées au profit de la ville.
– le projet de loi accordant une priorité de mutation aux agents ayant effectué plusieurs années de service dans les quartiers difficiles sera examiné, demain, au Conseil des Ministres.

Plus des trois quarts des contrats de ville proposés seront signés avant le 1er juin. Les derniers devraient l'être dans les semaines suivantes. Si ce processus n'a pas été plus rapide c'est qu'il dépendait largement des délais de signature des contrats de plan ; or, à ce jour, seulement 11 contrats de plan sur 21 ont été signés.

Au cours de nombreux déplacements à Toulouse, au Val-Fourré, à Vaulx-en-Velin, à Reims et Épernay, à Garges-lès-Gonesse après les incidents graves qu'a connu cette ville, mais aussi dans bien d'autres régions, j'ai pu constater que la politique de la ville se traduit sur le terrain par des réalisations bien tangibles. Maisons de l'Enfance, locaux associatifs, quartiers réhabilités, centre commerciaux rénovés, entreprises d'insertion par l'économique, plates-formes regroupant plusieurs services justice ; autant d'exemples concrets des réalisations de ces derniers mois.

Je sais l'importance des crédits des fonctionnaires particulièrement indispensables pour assurer la pérennité des actions de terrain conduites par les associations et je m'irrite contre vous des délais excessifs que les procédures administratives nous imposent encore cette année. La dernière ; je pense, compte tenu des décisions de simplification déjà prise pour l'an prochain. Aujourd'hui ; néanmoins, tous les Préfets disposent, au titre du ministère de la ville, d'importants crédits disponibles pour procéder au versement des subventions aux associations dès lors que les communes ont approuvé leur contrat de ville.

Je rappelle que pour 1994, le Gouvernement consacre plus de 600 MF au soutien d'initiatives locales et d'actions associatives, soit 40 % de plus qu'en 1993.

En outre, j'ai relancé avec M. Bayrou et Mme Alliot-Marie, l'Opération École Ouverte, et les Opérations de Prévention Été qui concernent plus de 500 0000 jeunes, pour lesquelles les crédits sont en augmentation de 25 % et dont le champ d'application a été étendu cette année à 7 nouveaux départements.

Nous avons signé, avec la Caisse des Dépôts et le soutien du Ministère de l'Économie un Protocole permettant de financer des opérations de rénovation urbaine, le logement des plus démunis et les projets de créateurs d'entreprises. Le montant des prêts consentis est de 1,4 milliard de francs par an.

Tout ceci représente un effort financier considérable et pourtant il faut faire davantage encore d'actions de terrain, il faut parvenir à mettre en activité ceux qui n'ont plus ni projet ; ni espoir à cause du chômage qui, dans les quartiers, reste le problème majeur.

Comme tous les élus et les populations elles-mêmes, je déplore l'image négative de ces quartiers transmise par les médias à l'occasion des explosions de violence. La plupart des jeunes ne sont pas passifs ; ils souhaitent réaliser des projets, ils restent confiants dans l'avenir. Je tiens à rendre hommage aux nombreux élus et responsables d'associations qui ne comptent ni leur temps ni leurs moyens pour animer ces quartiers.

Beaucoup a été fait, tout ce qui a été fait est important, doit être mieux connu et continué, mais il faut faire plus encore. Certes indispensable, la réhabilitation du cadre de vie ne peut, à elle seule, suffire à régler les problèmes de la ville.

La priorité aujourd'hui est de lutter contre l'inoccupation et le découragement engendrés par le chômage.

Pour répondre à cette préoccupation, un protocole vient d'être signé avec toutes les fédérations du bâtiment, les Organismes d'HLM et l'Association des Maires de France, afin que des engagements d'insertion par l'emploi figurent dans les contrats signés entre les promoteurs de projets « ville » et les entreprises concernées.

Des embauches de ce type sont d'ailleurs déjà intervenues dans un certain nombre de ville.

Je cherche les moyens d'utiliser mieux les outils dont nous disposons, et en particulier les C.E.S., pour créer des emplois d'utilité sociale.

Il reste dans les quartiers des quantités de besoins insatisfaits : entretien des espaces verts, garde des immeubles, travaux d'entretien, sécurité fondée sur une présence humaine dans les transports et aux abords des établissements scolaires. Il y a beaucoup d'Élus qui ont des projets pour créer des emplois de ce type et qui cherchent des financements complémentaires. Avec Michel Giraud nous ferons prochainement, en ce domaine, des propositions au Gouvernement.

J'ai entendu dire ces temps-ci qu'il n'y avait plus de discours sur la politique de la Ville.

Ce n'est un discours mais ce sont des actes et des moyens financiers qu'il faut pour sortir les quartiers de l'exclusion.

Je viens de rappeler l'ampleur de l'effort de l'État et les nombreuses actions, les multiples chantiers engagés depuis 15 mois.

Je voudrais dire encore ceci : la politique de la Ville a pour objectif premier le rétablissement de l'égalité des chances. Elle impose donc le retour à l'ordre public partout où la violence et la délinquance créent de graves perturbations. Mais, elle implique également la satisfaction de besoins essentiels de la vie : travail, logement, santé, éducation, commerce, loisirs. Les quartiers auxquels s'applique la politique de la Ville doivent redevenir des quartiers comme les autres.

Nous disposons déjà aujourd'hui de beaucoup d'outils ; nous nous en servons avec détermination, même s'ils ne sont pas tous nouveaux ou médiatiques. Nous y avons affecté des moyens importants ; ils seront toujours insuffisants face à l'ampleur de l'exclusion et de la misère engendrée par le chômage.

Je crois qu'il faut rester modeste et continuer inlassablement à agir sachant que cette action tenace, persévérante, souvent peu visible a permis de mette en place de véritables réseaux de solidarité. Ce sont, bien souvent, ces réseaux qui évitent que les tensions ne se transforment en débordements. Il est vrai qu'il n'a pas toujours été possible d'éviter les flambées de violence et même de vandalisme que provoquent, dans ce climat tendu, l'évènement dramatique que constitue la mort violente d'un jeune.

La politique de la Ville ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes de société auxquels nous sommes confrontés, elle ne peut pas non plus compenser toutes les diminutions de recettes fiscales des communes, elle ne fera pas de miracles s'agissant du chômage Mais, ce que cette politique, prioritaire pour le Gouvernement, apporte d'exceptionnel, c'est sa capacité à susciter des projets conçus par les habitants des quartiers eux-mêmes, c'est un partenariat qu'elle développe entre l'État, les Élus, les communes et les associations. C'est aussi son caractère interministériel qui permet, dans les quartiers, de renforcer et valoriser l'action de tous les services de l'État. Je pense, plus particulièrement, à l'Éducation Nationale, à la police, et à l'action médico-sociale.

Après un an d'expérience, il m'apparaît que des initiatives nouvelles doivent être prises en direction des femmes qui sont les piliers de l'intégration et qui, soutenues, doivent restaurer l'autorité parentale sur les enfants dès l'âge du collège ; qu'une priorité doit, également, être accordée aux problèmes de santé, notamment de ce qui concerne la Toxicomanie et le SIDA. Enfin, comme je viens de le dire, tout doit être fait pour créer des emplois qu'il s'agisse d'emplois classiques des secteurs industriel et commercial ou d'emplois d'utilité sociale.

La politique de la Ville dont l'enjeu est la cohésion nationale, ne peut être conduite sans les Élus.

Le Conseil National des villes qui, à la demande de ses membres va être profondément rénové doit jouer pleinement son rôle.

J'entends rester à l'écoute de vos suggestions et de vos avis, même critiques, car lorsqu'il s'agit de maintenir la cohésion de notre société, de réussir l'intégration de citoyens d'origines géographiques multiples, de lutter contre le chômage, toutes les énergies doivent être mobilisées. Personne ne peut réussir seul. La politique de la Ville est un enjeu trop important pour la nation toute entière. Elle est l'affaire de tous.