Texte intégral
L'histoire multiséculaire de notre pays est celle d'une unité construite par la centralisation. Aussi, le recul nous manque sans doute encore pour prendre la mesure de la véritable révolution silencieuse provoquée par les lois, de décentralisation adoptées par mon gouvernement en 1982 et poursuivies depuis lors. La droite a combattu ce mouvement pour finalement s'y rallier Et, sur le terrain, la décentralisation est un véritable succès. Elle a ouvert un droit à l'initiative, à l'imagination et au développement, Elle a rapproché le pouvoir des citoyens. Et nul ne peut sérieusement penser qu'elle n'a pas une grande part dans le développement des villes ou le renouveau des conseils généraux auxquels nous avons assisté ces dernières années. Mais nul n'a pu non plus penser que l'on en est quitte pour autant. Au contraire ! La décentralisation appelle des approfondissements, des corrections et des compléments Tel aurait dû être l'objet du projet de loi sur le développement du territoire.
Le débat avait été précédé d'une très forte mobilisation, à l'initiative du gouvernement ; la DATAR a présenté des propositions ambitieuses ; Charles Pasqua a parcouru toutes les régions, quelquefois même en compagnie du premier ministre ; une campagne de publicité a été lancée ; une session extraordinaire a été convoquée ; la démission du ministre de l'intérieur a été jetée dans la balance. Bref, rien n'a été négligé pour témoigner de l'importance accordée à ce texte.
Au risque d'étonner, je ne vais pas critiquer cette mobilisation au seul prétexte que les socialistes font aujourd'hui partie de l'opposition. Non ! Cette mobilisation était normale si l'on prend en compte les ambitions du gouvernement. Elle était même légitime si l'on mesure les enjeux.
La majorité a donc engagé le débat. Mais le contenu de ce texte ne peut que susciter la déception tant, à chaque étape, il a été édulcoré, au gré des résistances rencontrées. Le gouvernement lui-même a été loin de suivre toutes les propositions de la commission spéciale du Sénat. La loi devait fixer des orientations fortes Elle se contente de commander de nouveaux rapports et de renvoyer a des lois ultérieures.
Une véritable retraite du gouvernement
De reculs en replis, le constat s'impose : le gouvernement a organisé une véritable retraite. Une annexe accompagnait le projet de loi, dessinant un schéma national du territoire à l'horizon 2015. Elle a été retirer ! L'idée d'un emprunt national, destiné à fournir les moyens sans lesquels il ne peut y avoir de grande politique, a été avancée. Elle a été abandonnée. Des objectifs ambitieux – « la croissance au service de l'emploi », « la France au cœur de l'Europe » – avaient été fixés. Ils ont été oubliés. Mais, au-delà même de ce que le texte ne traite pas, bien des désaccords subsistent sur ce que le texte évoque.
Le gouvernement annonce la naissance d’un nouveau concept : le « pays ». Fort bien ! Mais il se refuse à définir ce qu'est « un pays » : un nouvel échelon territorial ? une réorganisation territoriale de l'État visant à redécouvrir les arrondissements ? Nul ne le sait encore aujourd'hui. Et, pis encore, le gouvernement se refuse à tirer les conséquences de ce concept. Plus ambitieux les socialistes ont proposé, dès la reconnaissance d'un « pays », la tenue d'une conférence des élus et la création d'un comité permanent de développement regroupant élus locaux et acteurs de terrain. Bref, les socialistes ont tenté de créer une dynamique. En vain.
De même, les socialistes ont proposé que les structures intercommunales qui lèvent l'impôt puissent être élues au suffrage universel direct et que les conseils de quartier puissent être généralisés dans les villes de plus de vingt mille habitants : existe une réelle demande pour ouvrir de nouveaux espaces de démocratie, vain également. La France compte 36 000 communes. Les Français y sont attachés. Il est dès lors essentiel d'encourager leur regroupement sur des espaces plus vastes pour préparer ensemble l'avenir. Les communautés urbaines constituent la forme la plus achevée de cette coopération et il serait positif de renforcer leur légitimité. Le Sénat a adopté un amendement visant à ce que chaque commune, quelle que soit sa taille, soit a présentée au sein Conseil de la communauté. C'est un objectif qui peut paraître logique. Soyons toutefois conscient qu'il y a aujourd'hui des communautés urbaines qui comptent quasiment autant de communes que de conseiller communautaires. Dès lors, sauf à accepter que l'équilibre démographique et donc la démocratie elle-même – ne soit pas respecté, cela obligera à augmenter sensiblement le nombre de conseillers communautaires.
De même encore, en ce qui concerne la solidarité financière entre les collectivités locales thème central s'il en est pour un développement équilibré des territoires – le gouvernement restait silencieux. La commission spéciale du Sénat, s'inspirant du système existant en Allemagne, a proposé, avec notre soutien, le principe d'une péréquation entre les espaces régionaux les plus riches et les espaces régionaux les plus pauvres. Les dotations de l'État seraient donc modulées en fonction des besoins de chacun. Le gouvernement n'a pu s'opposer à l'adoption de ce principe… espérant sans doute entraver son application dans quelques années ! Les socialistes ont proposé une réforme de la fiscalité locale, et notamment de la taxe professionnelle, afin de dégager les moyens nécessaires à cette péréquation. En vain encore. En vain toujours, car la teneur des débats a en réalité permis de mettre au jour la philosophie réelle du gouvernement : « jusqu’ici… mais pas plus loin ». C'est-à-dire pas bien loin quand, par nature, le gouvernement déclare toute proposition concrète « prématurée ».
Le seul domaine dans lequel le gouvernement n'est pas resté dans le flou concerne l'urbanisme. C'est sans doute là que les incidences sur la vie quotidienne sont les plus importantes et la volonté des Français d’être consultés directement la plus forte. C'est d'ailleurs ce que les lois de décentralisation avaient engagé. Au lieu de quoi le gouvernement a choisi de recentraliser. Le gouvernement – et pas même le Parlement – pourra donc édicter des « directives territoriales d'aménagement » qui s’imposeront à tous. C'est la régression la plus inquiétante d'une loi qui est finalement l'histoire d'une occasion manquée.
Le gouvernement n'a eu ni le courtage ni l'audace d'aller au bout de ses ambitions et a été plus velléitaire que volontaire. On retrouve d'ailleurs ainsi la technique de gouvernement du premier ministre la stratégie de l'évite nient et du contournement.
Il y a un siècle, sur un autre registre, Bismarck affirmait : « Vous pouvez administrer vingt-cinq coups de bâton à tout Français pourvu que vous lui fassiez un beau discours sur la liberté et la dignité humaine ». Pour l'aménagement du territoire comme pour le reste, les beaux discours du gouvernement montrent leurs limites. Il faut espérer que l'élection présidentielle qui approche permettra de porter devant le pays ce qui ne l'a pas été devant le Parlement. Le débat sur le développement du territoire concerne à la fois l'emploi, la solidarité, la démocratie, les institutions et l'Europe. Souhaitons pour la France, et peut-être davantage encore pour les Français, que des réponses à la hauteur de ces enjeux soient enfin apportées. L'aménagement du territoire reste à l'ordre du jour.