Texte intégral
Convention pour l'Europe les 5 et 6 octobre 1998
Mes Chers Compagnons,
Je me réjouis que notre Mouvement et son Président aient décidé d'organiser un échange de vues approfondie sur l'Europe, son avenir, et l'importance que revêt cet enjeu pour la France. Il n'est pas, en cette fin de siècle qu'on présente souvent comme ayant mis fin aux idéologies, de sujet plus important que nous.
La France est en Europe, mais elle est aussi dans le monde ; elle ne peut pas rester en marge, elle ne peut pas résoudre seule les immenses problèmes économiques, sociaux, culturels, les problèmes de puissance et d'influence extérieurs qui se posent à elle ; elle a intérêt à la coopération internationale ; elle y a intérêt, tout simplement, qu'on me permettre l'expression par, par égoïsme.
C'est dire qu'elle a intérêt à l'Europe. Quelle serait aujourd'hui sa situation si elle ne s'était pas, depuis 1945, engagée dans la voie de sa construction, si elle n'en avait pas été le pionnier ? Quel destin aurait été le sien si elle n'avait pas associé son sort à celui de ses voisins, si elle n'avait pas proposé et mis en oeuvre la réconciliation avec l'Allemagne entreprise par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer ? Quel serait son destin aujourd'hui s'il n'y avait pas eu de Marché Commun, ni de politiques communes, à commencer par la politique agricole, ni d'organisation monétaire qui, avec bien des insuffisances, a contribué à atténuer jusqu'à présent les grandes secousses financières ?
Comment pourrait-elle aujourd'hui espérer régler seule les graves difficultés qu'elle risque de rencontrer, du fait de la crise financière qui secoue le monde et qui menace sa prospérité et sa croissance ? Tout est lié, l'instabilité monétaire, le niveau des taux d'intérêt, la perturbation des échanges mondiaux, la crise boursière, l'incapacité des institutions internationales à empêcher le désordre comme l'affaissement des systèmes bancaires de nombreux pays, le niveau de la production, celui du chômage. Beaucoup dépend de nous, mais rien ne dépend de nous seuls.
La France a intérêt à une Union Européenne mieux organisée. Elle a tout à y gagner comme elle y a tant gagné depuis qu'en 1958 le Général de Gaulle décida, avec lucidité, d'engager résolument notre pays dans cette aventure sans précédent. Qu'il ait fallu pour cela abandonner une part de notre souveraineté, ou plutôt la partager, c'est évident. Mais de toute manière, la souveraineté, c'est-à-dire la liberté de décider seul pour nous-mêmes et en tous domaines, et de décider efficacement, dans les faits l'avions-nous encore ?
Grâce à l'Europe, la France est plus forte pour nous affirmer davantage et consolider notre liberté collective, il faut aller plus loin.
Résoudre tout d'abord un problème à court terme et ratifier le Traité d'Amsterdam. J'y suis favorable, même si ce traité n'est pas un modèle de clarté, tant s'en faut, même s'il est, notamment sur le plan institutionnel, tout à fait insuffisant. Tel qu'il est, il attribue à l'Union Européenne de nouvelles compétences en matière de contrôle des frontières, de droit d'asile et de politique d'immigration. Observons que ces compétences seront exercées à l'unanimité pendant une période de cinq ans, que c'est à l'unanimité que les États devront décider ou non du passage à la règle de la majorité qualifiée sans y être obligatoirement tenus ; observons également que, comme pour toutes les matières relevant d'une décision à la majorité qualifiée, le compromis de Luxembourg – toujours valide – permettrait à un pays qui verrait ses intérêts vitaux menacés, de s'opposer à la décision projetée et d'empêcher qu'elle n'intervienne.
Ces précautions prises, acceptons l'idée que l'Europe ne pourrait pas constituer un espace économique, monétaire, fiscal, douanier commun, si dans le même temps elle ne constituait pas un espace humain, avec des règles identiques pour le contrôle des frontières. J'ajoute que la réglementation de la plupart de nos partenaires étant plutôt plus sévère que la nôtre, nous avons tout intérêt à cette harmonisation, afin d'éviter des mouvements de population préjudiciables à l'équilibre de nos sociétés.
À l'occasion de cette ratification seront débattus un certain nombre d'amendements constitutionnels ayant pour objet de permettre la mise en vigueur efficace du Traité d'Amsterdam. Il s'agira tout d'abord de l'extension de l'Art. 88-4 de la Constitution Française ; il appartiendra aux autorités nationales, législatives ou gouvernementales, d'y veiller avec plus d'attention qu'aujourd'hui.
Il est inexact d'affirmer que le Traité d'Amsterdam prévoit la supériorité du droit communautaire dérivé (directives et règlements) sur la Constitution. En fait, cela résulte d'une décision de la Cour de justice des communautés européennes intervenue il y a plus de dix ans et qui, à ce jour, n'a pas reçu d'application en France. La question qui se pose est de savoir s'il y a lieu de prendre dans la Constitution Française, à l'occasion de la ratification du Traité d'Amsterdam, des dispositions faisant obstacle à cette jurisprudence. Je le crois souhaitable.
L'étape de la ratification du Traité d'Amsterdam étant franchie, il restera à définir le projet français pour l'Europe dans les dix années qui viennent. C'est ce à quoi nous devons désormais nous attacher. C'est à mes yeux l'enjeu des élections européennes l'année prochaine.
Il s'agira tout d'abord d'une Europe ayant une seule monnaie. Comme j'ai eu l'occasion de le dire à maintes reprises ces dernières années, le succès de cette entreprise dépendra, en premier lieu, de la valeur de l'euro par rapport aux autres grandes monnaies du monde. – Prenons garde que les États-Unis, confrontés aux troubles financiers d'aujourd'hui, ne cèdent une nouvelle fois à la tentation de laisser le dollar se déprécier, ce qui aurait pour effet d'asphyxier les économies des pays membres de l'euro.
En deuxième lieu, ne relâchons pas nos efforts pour obtenir que le Conseil de l'euro détienne effectivement les attributions qui ne sauraient être exercées par aucune autre autorité qu'un organe politique ; le taux de change souhaitable, qui conditionne pour une bonne part le dynamisme de l'économie et la santé des finances publiques, c'est à l'autorité politique de le choisir, comme c'est le cas dans tous les pays, même dans ceux où la banque centrale est indépendante.
Enfin, il faudra aussi prévoir toutes les conséquences de la monnaie unique en matière d'harmonisation fiscale, budgétaire et sociale. Nous voulons éviter que la France ne soit affaiblie au sein de cette Europe, notre participation à la monnaie unique, dont, dans la crise actuelle, chacun peut constater les vertus, doit être accompagnée de la réforme de notre société afin de la rendre moins étatique, moins contraignante, moins lourde, plus souple, plus décentralisée, plus libre. Il faut, le plus qu'on peut, substituer le contrat à la contrainte. C'est une immense tâche de réforme qui est devant nous.
L'Europe que nous voulons doit être une Europe qui ait un contenu économique et monétaire, mais aussi un contenu social, car tous ensemble nous devons préserver un modèle de société plus humaine et plus protectrice, à condition d'accepter les changements rendus indispensables par la concurrence internationale et par notre affaiblissement démographique.
Cette Europe de l'avenir devra être une Europe élargie, c'est notre devoir moral et politique. Le drame que vit la Russie rend plus nécessaire encore de stabiliser la situation des pays d'Europe Centrale qui sont ses voisins et qui frappent à sa porte ; nous devons les aider à accéder à une société plus libre, génératrice de plus de progrès. Il n'y a pas d'alternative à l'élargissement de l'Europe, sauf à accepter que règnent à nos frontières la pauvreté, l'instabilité, le désordre et, à terme, le retour à des systèmes autoritaires de pouvoir politique qui redeviendraient menaçants.
L'Europe doit être efficace ; or ses institutions sont réputées pour leur lenteur, leur confusion, leur obscurité, leur lourdeur. Il faut absolument y voir plus claire et organiser des institutions européennes à la fois plus efficaces et plus démocratiques.
Si on le veut vraiment, on doit en tirer les conséquences :
– Il faut élaborer un code des réglementations européennes et énoncer précisément le contenu du principe de subsidiarité afin que soit enfin clarifiée la répartition des compétences entre les États et l'Union ; la compétence nationale doit, dans le silence des textes, être la règle et la compétence européenne une compétence d'attribution expressément prévue ;
– Il faut que la Commission, déjà bien nombreuse et où la répartition des attributions de chaque commissaire n'est ni facile ni claire, ne comporte pas plus de vingt membres quel que soit le nombre des États adhérents à l'Union européenne ;
– Il faut rééquilibrer la pondération des voix attribuées à chaque État au Conseil Européen, comme au Conseil des Ministres, afin qu'elle soit plus conforme aux réalités démographiques et économiques, ce qui signifie que les grands États, dont la France, doivent y avoir un plus grand poids ;
– Il faut étendre le domaine du vote à la majorité qualifiée qui a permis la politique agricole commune et qui permettra, entre autres, des politiques budgétaires, fiscales ou de la recherche plus cohérente. À terme, le vote majorité qualifiée comprendra l'ensemble du champ économique et social mais assorti du droit pour chaque État de défendre ses intérêts vitaux lorsqu'il les juge menacés par un projet de décision commune, ainsi que nous l'avons fait, non sans succès, à l'occasion de la ratification des accords du GATT ;
– Cette Europe sera respectueuse de la personnalité des nations grâce aux précautions constitutionnelles prises lors de la ratification du Traité de Maastricht et qu'il faut renouveler à l'occasion de la ratification du Traité d'Amsterdam ;
– Enfin, cette Europe devra être plus démocratique qu'elle ne l'est. Les Parlements Nationaux devront être associés à l'élaboration des normes européennes, par exemple sous la forme d'un Sénat européen au sein duquel ils éliraient leurs représentants.
En outre, le gouvernement comme le Parlement devront se montrer plus vigilants et se doter des moyens d'intervenir à temps afin d'éviter des décisions qui seraient contraires aux intérêts nationaux.
En effet, on fait bien souvent porter aux institutions européennes des responsabilités qui ne sont pas les leurs ; si les peuples ont parfois le sentiment d'être mis devant le fait accompli par une autorité lointaine et technocratique, c'est que leurs représentants au sein des Conseils des ministres comme au sein du Parlement de Strasbourg n'ont pas rempli leur tâche avec suffisamment de diligence.
Faut-il élargir l'Europe d'abord ou faut-il d'abord réformer les institutions ? J'avoue mon hésitation. Cependant je comprends que poser la réforme des institutions comme préalable à l'élargissement, c'est le meilleur moyen d'obtenir celle-là, si nombreux sont les États attachés à celui-ci. L'on ne pourra attendre indéfiniment, il faut en être conscient. La situation de la Russie rend plus urgente que jamais la décision d'élargir l'Europe aux pays d'Europe Centrale qui sont déjà prêts à la retrouver.
Le réaménagement des institutions n'est pas tout. Il faut décider à quoi elles serviront et quel sera le champ de compétences nouvelles. Si des progrès décisifs ont été accomplis en une quarantaine d'années dans le domaine commercial, économique et monétaire, il nous reste, pour affirmer la personnalité de l'Europe sur le continent et dans le monde, à donner à celle-ci de nouvelles compétences en matière de politique étrangère et de défense. Là commencent de plus grandes difficultés. Il est évident qu'en la matière l'on peut se départir de la règle de l'unanimité, tant il est vrai qu'on ne peut contraindre un État à envoyer ses soldats là où il estime qu'ils n'ont que faire. Et puis, comment ne pas le rappeler ? Les conceptions des pays européens ne sont pas les mêmes ni sur l'Alliance Atlantique et son organisation, ni sur les relations avec les États-Unis d'Amérique. Ce n'est pas le trouble profond que connaît aujourd'hui la Russie avec les dangers de toutes sortes que ce trouble peut entraîner, notamment en matière militaire, qui est fait pour conduire nos partenaires à affirmer le rôle de l'Europe face aux États-Unis, en tout cas à court terme.
C'est dire que je ne suis pas extraordinairement optimiste sur la possibilité d'une politique étrangère et de sécurité qui soit, dès le départ, efficace et dynamique. Mais il ne faut pas se décourager. On doit en décider le principe, prévoir ses mécanismes, commencer à la mettre en application. Il y aura des déceptions, mais aussi des succès, j'en suis sûr, d'autant que l'euro fera davantage prendre conscience à nos partenaires des intérêts communs que nous avons à défendre et de la solidarité qui nous unit. Il a fallu quarante ans à l'Europe pour progresser dans le domaine économique et encore n'est-elle pas au bout du chemin ! C'est un effort très long également qu'elle a à faire pour progresser dans le domaine politique et militaire. Nous devons le commencer sans tarder, afin d'affirmer le rôle de l'Europe dans le monde.
De tout cela il résulte que, grâce à l'Europe, la France peut, si elle accepte de partager une souveraineté qui, dans bien des domaines, est devenue théorique, avoir une influence et un rôle infiniment plus efficace que si elle demeurait seule.
Mais cela ne peut être obtenu à n'importe quel prix : tout d'abord, l'Europe doit être animée d'une volonté d'indépendance, c'est-à-dire de la volonté d'exister face à ses grands partenaires dans le monde, aussi amicaux soient-ils. Ce n'est pas pour la mettre sous la tutelle de qui que ce soit que nous voulons bâtir l'Europe, mais pour la rendre véritablement indépendante. En outre, pour être efficace et vécue comme un espoir et non pas comme une amputation, l'Europe doit respecter la personnalité des nations. L'équilibre de ses institutions doit y concourir, j'ai tenté de le montrer.
Une ère nouvelle s'ouvre devant nous : L'Allemagne est réunifiée, sa capitale va être transférée à Berlin ; la grande majorité des quinze nations membres de l'Union Européenne sont désormais gouvernées par des équipes social-démocrate, l'instabilité de la Russie rend nécessaire aux yeux de nos partenaires le maintien d'une alliance atlantique étroitement liée aux États-Unis ; la mondialisation des échanges et des mouvements de capitaux, à laquelle il nous est impossible d'échapper, nécessite que nous ayons la capacité, entre Européens d'abord, et dans le monde ensuite, d'organiser cette liberté et la soumettre à une règle du jeu, et pourquoi ne pas le dire, à des contraintes et à des sanctions qui obligent chacun à respecter cette règle du jeu. À cet égard, les semaines qui viennent seront décisives ; il faut absolument que la communauté internationale soit en mesure d'ordonner la liberté économique, de la soumettre à des règles qui nous permettent de sortir de la crise actuelle et d'éviter d'y retomber. Le libéralisme, ce ne doit pas être l'anarchie.
La période qui s'ouvre est essentielle pour le contenu de l'idée européenne. Elle est essentielle pour l'avenir de la liberté économique. Elle est essentielle pour le maintien d'une relation étroite avec l'Allemagne, moteur irremplaçable du progrès européen. Je souhaite que notre pays sache saisir l'occasion que lui offrent les circonstances actuelles pour imprimer un nouvel élan à la coopération franco-allemande. Si la France et l'Allemagne décidaient de proposer à leurs partenaires européens des initiatives nouvelles, par exemple dans le domaine de la régularisation des marchés de capitaux et en matière de réforme des institutions européennes, la construction européenne prendrait un nouveau départ et l'influence de l'Europe et de notre pays dans le monde en serait renforcée.
Voilà pourquoi nous devons dire oui à l'Europe sans réticence, sans peur, sans réserve, mais avec lucidité. J'ai parlé récemment de la fin du nationalisme. Cela ne signifie pas la fin de la nation. Cela veut dire qu'une nation, même parmi les plus puissantes, ne peut plus résoudre seule les problèmes de son existence, comme si elle n'avait pas à tenir compte de ce qui se passe à l'extérieur. En ce sens, l'Europe est la condition de l'épanouissement de notre nation.
Cette conception, je souhaite que nous la défendions lors de la ratification du Traité d'Amsterdam. Je souhaite qu'elle soit aussi celle qui nous inspirera lors de la prochaine campagne européenne, campagne qui sera difficile pour nous en raison du mode de scrutin, la représentation proportionnelle nationale, qui est le plus dangereux qui soit. Nous y parviendrons d'autant mieux qu'à cette occasion nous affirmerons l'existence de l'Alliance qui ne peut pas ne pas avoir pour signification l'existence d'une liste commune au RPR, à l'UDF, et à Démocratie Libérale.
Je suis sûr que sur cette base nous pourrons entraîner nos concitoyens, les convaincre d'adhérer aux changements indispensables, les convaincre que nous-mêmes, loin de les refuser, nous sommes tous prêts à les proposer et à les mettre en oeuvre.
C'est sur l'Europe que pour une grande part nous jouons notre crédibilité et notre avenir, non seulement en tant que nation, ce qui est le plus important, mais aussi en tant qu'organisation politique responsable.
Europe 1 : mardi 6 octobre 1998
Q - Chaque fois que le RPR traite de l'Europe, décidément, ça barde ! Et vous, est-ce que vous réclamez, aussi, un référendum sur l'Europe ?
– « Non. Je suis favorable à la ratification du Traité de Maastricht, pardon, d'Amsterdam – j'étais aussi favorable à celle de Maastricht d'ailleurs –, parce que cela organise une bonne coordination en matière de politique d'immigration et de contrôle aux frontières. »
Q - La France ne perd pas sa souveraineté, son indépendance ?
– « Absolument pas, d'autant que les décisions, pendant cinq ans, sont prises à l'unanimité. »
Q - Donc C. Pasqua se trompe ?
– « Je ne sais pas s'il se trompe. Je ne suis pas de son avis sur ce sujet-là. Donc je ratifierai le Traité d'Amsterdam, pour ce qui me concerne. Et si on veut faire un référendum qu'on le fasse. Mais si ne veut pas le faire, ça ne changera en rien ma position. »
Q - Et vous dites, de toutes les façons, comme P. Séguin, que la décision appartient au président de la République ....
– « Bien entendu. »
Q - C'est de sa compétence exclusive ?
– « Bien entendu. »
Q - Et si C. Pasqua, qui est un des fondateurs du RPR, faisait sécession, ce serait grave pour le RPR ?
– « Sans doute, mais je ne crois pas que nous en arriverons là. »
Q - Cette convention RPR sur l'Europe devait être une cérémonie d'initiation des gaullistes à l'Europe, telle qu'elle est, et de réconciliation. C'est raté ?
– « Non, pas du tout. Je trouve qu'au contraire, les gens se sont exprimés très librement, et c'est bien ainsi. Et aujourd'hui, nous allons continuer à en débattre. Le problème est le suivant : si on est attaché, à la France, à la force de la France, eh bien je dirais qu'il faut être européen, car la France ne peut pas rester seule. C'est la raison de mon engagement pour l'Europe. »
Q - Vous pensez que P. Séguin est désormais un converti sincère à l'Europe ?
– « Je ne sais pas s'il faut dire un converti. Il défend sur ces problèmes-là, la position que je défends moi-même. »
Q - Donc il est bien ?
« Ce serait présomptueux de le dire. »
Q - C'est un bon européen puisque le critère de référence ce serait E. Balladur ?
– « Non, ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire. »
Q - Mais ça peut être compris comme cela. P. Séguin devrait décider, me dit-on, ce soir ou demain, s'il reste ou s'il renonce à la présidence du RPR. Vous voulez qu'il reste ?
– « Je pense que la logique voudrait qu'il fût candidat à la présidence du RPR, compte tenu du travail qu'il a accompli depuis maintenant 15 mois. »
Q - Pourrait-il conduire, lui, la liste européenne de l'Alliance ou vous pensez qu'elle doit être laissée à des plus européens, par tradition, que vous. C'est-à-dire l'UDF ?
– « Écoutez, on en discutera. Je ne vois pas pourquoi on se mettrait – comment vous dire ? – à opposer, des fins de non-recevoir à tel ou untel, en fonction de positions qu'il a prises il y a cinq ans, il y a dix ans, il y a quinze ans. Soyons un peu plus réalistes. L'Europe se bâtit, c'est l'intérêt de la France ; plus nombreux sont ceux qui se rallient à l'Europe, mieux c'est. Et ne nous livrons pas à des sortes de guerres de religion posthumes, si j'ose dire. »
Q - Donc le rallié, P. Séguin, pourrait conduire une liste d'Alliance ?
– « Bien entendu. Mais j'espère que nous aurons l'occasion de parler de l'Alliance et de son avenir. »
Q - On peut le faire tout de suite.
– "Eh bien faisons-le !"
Q - Alors l'Alliance, c'est une chose qui existe ?
– "Qui devrait exister. Je constate – moi d'abord je me réjouis beaucoup de l'élection à la présidence du Sénat de C. Poncelet, qui est un de mes amis –, je constate que ça a été vécu comme un nouvel épisode des divisions de l'opposition – divisions qui exaspèrent nos électeurs ! »
Q - Et vous aussi ?
« Voilà ! Eh bien à partir de là, les choses sont très simples : si on avait désigné le candidat à la présidence du Sénat, en réunissant les quatre groupes de la majorité sénatoriale, tous ensemble, pour le désigner, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Bon. Alors, à partir de là, ça veut dire qu'il faut aller plus loin dans la voie de l'union et de l'Alliance. Et d'ailleurs il n'y a pas d'alternative : ou bien l'Alliance réussira, ou bien nous serons dans l'opposition pour de très très très nombreuses années. »
Q - Et tel que c'est parti ....
– « Voilà. Et si l'Alliance devait échouer, il n'y aurait plus qu'une seule solution. Il faut que tous ceux qui y sont hostiles s'en rendent bien compte. Nos électeurs ne supporteront plus longtemps le spectacle qui est parfois donné par l'opposition. Tous les responsables devraient maintenant s'en rendre compte. »
Q - La situation vous met en colère. Donc l'avenir de l'Alliance, si ça ne marche pas, c'est la fusion ?
– « Oui. Ou alors c'est rester dans la minorité pendant de très longues années. »
Q - Est-ce qu'aujourd'hui l'Alliance est déjà une vraie alternative ?
– « Je le pense. Je le pense d'autant plus ... »
Q - Alternative, je veux dire au Gouvernement socialiste ...
– « J'avais compris, J.-P. Elkabbach, j'avais compris. Je le pense, parce que nous devons nous mettre, maintenant, à faire des propositions aux Français, et ne pas critiquer uniquement ce qui se fait, mais avoir une politique alternative à leur proposer. C'est ce que j'ai suggéré moi-même. J'ai d'ailleurs écrit à tous les dirigeants de l'Alliance pour leur proposer un programme de travail sur dix conventions – puisqu'ils veulent organiser dix conventions. Eh bien je pense qu'il faut s'y mettre le plus tôt possible. »
Q - Mais alors vous dites : l'Alliance c'est encore des signes de division ; l'Alliance ce n'est pas tout à fait ça ; l'Alliance il n'y a pas de programme. Mais vous dites : nous sommes une alternative aux socialistes ?
– « Absolument. Parce que tous les problèmes que vous venez d'énumérer, nous devons et nous pouvons les résoudre, si nous nous mettons au travail et si nous savons nous coordonner, aussi bien à l'Assemblée qu'au Sénat. »
Q - Si je vous ai bien compris, C. Poncelet, président du Sénat, ça vous va ?
– « Oui, tout à fait, c'est un de mes amis, je vous l'ai dit. »
Q - Donc c'est un balladurien, ça va ?
– « Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Je dis que c'est un de mes amis. Je n'ai pas parlé de ses opinions politiques. »
Q - Et l'UDF qui s'estime – on a entendu M. Bayrou – volée dans l'histoire ?
– « Écoutez, c'est un scrutin personnel, n'est-ce pas, qui n'a pas été un scrutin politique. Si C. Poncelet a été élu, c'est que, justement, il a eu plusieurs dizaines de voix venues d'horizons très divers, du Sénat. Personne n'a à faire de commentaires particuliers là-dessus. Mais je le répète : si on voulait éviter ce résultat, il fallait que toute la majorité sénatoriale se réunisse, ensemble, et désigne son candidat. On ne l'a pas voulu, eh bien le résultat a été un spectacle de division supplémentaire. J'espère que ça servira de leçon, aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. »
Q - Nous allons parler de choses sérieuses : la crise monétaire, vous savez, vous, M. Balladur, ce que c'est. À deux reprises, en 1987 et 1993, vous fûtes confronté à des secousses brutales sur les monnaies. Je ne sais pas quel souvenir vous en gardez ? Mauvais ?
– « Un souvenir assez fort quand même. Ce sont des moments intenses, où on se sent responsable. »
Q - À un moment, il y a un sentiment de panique parce qu'on ne contrôle plus les choses ?
– « Non, non, pas de panique, mais un sentiment, au contraire de volonté de les contrôler. Seulement, parfois, on est un petit peu seul, car un certain nombre de pays de par le monde font régulièrement – aujourd'hui, ce n'est plus le cas – l'apologie du marché comme si véritablement les marchés avaient toujours raison. »
Q - Il n'y a pas de libéralisme total ?
– « Il n'y a pas de libéralisme total ? Je l'ai dit et répété bien souvent : la liberté, ça doit être organisé. Et si nous avons aujourd'hui des mécomptes, c'est parce que nous n'avons pas su l'organiser suffisamment. »
Q - Pourquoi les dirigeants politiques sont-ils, chaque fois, pris de court par une crise qui naît ici ou là, et qui devient contagieuse ?
– « Parce qu'ils ne veulent pas, à temps et à froid, prendre les solutions nécessaires. Aujourd'hui, quelle est la situation ? C'est que le monde entier est menacé. Que faut-il faire ? Il faut prendre des mesures à court terme et d'autres à long terme. A court terme, il faut donner davantage d'argent aux pays qui en ont besoin, à condition qu'ils fassent eux-mêmes des plans de redressement crédibles. Je pense au Brésil, à la Russie ou au Japon. C'est-à-dire qu'il faut que l'Europe – comme les États-Unis – baisse ses taux d'intérêt. »
Q - L'Europe : pas seulement l'Espagne, l'Italie, mais la France et l'Allemagne ?
– « Absolument. »
Q - Vous diriez par exemple, ce matin, à celui qui a été votre collaborateur, M. Trichet, qui est gouverneur de la Banque de France et banquier central européen, vous lui diriez : mon cher Jean-Claude, vous devriez baisser les taux d'intérêt ?
– « Oui, s'il me demandait mon avis, je le lui dirais. Mais je suis ravi de le dire ici devant vous, même s'il ne me le demande pas. Il faut baisser les taux d'intérêt, et il faut faire en sorte qu'il y ait des crédits supplémentaires mis à la disposition de pays qui en ont besoin. Quelle est la situation ? Elle est très claire : l'argent fuit les pays qui en ont besoin pour se reporter vers les pays, tels les États-Unis et l'Europe, qui n'en ont pas besoin. Eh bien, il faut baisser les taux d'intérêt aux États-Unis et en Europe. Et puis, à long terme, vous me dites : on est toujours pris de court. Mais oui, mais c'est parce qu'on ne veut pas mettre sur pied les mesures nécessaires ! »
Q - La faute à qui ? Aux Américains, ou à nous ?
– « À tout le monde. À nous qui ne faisons pas suffisamment pression sur les Américains, à nous Européens qui ne sommes pas suffisamment d'accord entre nous. On ne peut pas s'accommoder du désordre des monnaies dans le monde, à terme, ça produit le désordre de l'économie. On le voit aujourd'hui. »
Q - Cette nouvelle crise finira par être maîtrisée, naturellement, mais en tout cas, elle fait des dégâts, comme disait hier Le Parisien. Quelles conséquences vous prévoyez pour la politique Jospin, pour le comportement des Français ?
– « Je serais surpris que cette crise soit sans effets sur la croissance de l'économie française, encore qu'il faille être très prudent. En 1987, nous avons vécu une crise boursière très grave, et les années 88, 89 et 90 ont été des années de croissance forte – mais enfin, ce n'était pas la même situation. Et dans ces conditions, moi je regrette profondément que le Gouvernement n'ait pas profité de la croissance, depuis dix-huit mois maintenant, pour faire les réformes nécessaires. Le pourra-t-il aujourd'hui ? J'espère que la croissance le permettra, mais j'espère surtout que le Gouvernement s'y décidera. Faute de quoi, nous entamerons le siècle prochain dans une position d'affaiblissement. »
Q - Vous voulez dire que le Gouvernement Jospin a déjà mangé son pain blanc ?
– « On peut dire cela, si vous voulez. Je ne sais pas s'il l'a mangé intégralement. »
Q - Il lui en reste, donc il peut faire encore les réformes qui conviennent ?
– « Espérons pour la France qu'il en reste, et espérons pour la France qu'il fasse les réformes qui conviennent. »