Texte intégral
L'Évènement du jeudi – 17 septembre 1998
L'Évènement du jeudi : Certains ont cru que le gouvernement avait reculé, que le pacte civil de solidarité ne verrait pas le jour. Et, finalement, vous le faites.
Élisabeth Guigou : J'avais dit, dès mon arrivée au ministère de la justice, que nous le ferions. Une proposition de loi parlementaire est prête. Le gouvernement, pour sa part, a défini sa position. Le travail interministériel se termine. Le PACS devrait être effectif d'ici à la fin de l'année. Mais attention : on ne s'en prend ni à la famille ni au mariage.
L'Évènement du jeudi : De quoi s'agit-il exactement ?
Élisabeth Guigou : Le PACS est un contrat qui vise à offrir une sécurité juridique à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se marier. Il s'adresse à des gens unis par des liens affectifs, et souvent sexuels, qui ont choisi de vivre ensemble. À la différence du concubinage qui est le constat d'un état, le PACS est une démarche volontaire.
L'Évènement du jeudi : Vos adversaires ont affirmé que les couples homosexuels allaient pouvoir se marier ?
Élisabeth Guigou : C'est justement ce que nous refusons. Nous ne voulons pas d'un mariage pour homosexuels qui ouvrirait aussitôt le débat sur la filiation. La société ne peut accepter que des homosexuels puissent avoir des enfants. Certaines associations ont cependant profité du flou qui régnait au début pour agiter le chiffon rouge. C'est le propre de cette affaire : on n'est pas seulement dans la réalité, on est dans le symbole. On touche à l'imaginaire.
L'Évènement du jeudi : On a également entendu dire que ces contrats seraient finalisés devant le maire.
Élisabeth Guigou : Le gouvernement ne le souhaite pas. Certains maires s'arrogeraient le droit de dire « non », de rejeter les demandes. D'autres toléreraient des parodies de mariage. Je crois qu'un accord pourrait se faire sur une déclaration auprès du greffe du tribunal de grande instance, solution proposée par le gouvernement.
L'Évènement du jeudi : Avez-vous toujours été soutenue par les élus de la majorité ?
Élisabeth Guigou : Il y a quelques mois, je me suis interrogée sur le silence de certains de mes collègues à propos du PACS. J'ai aussi observé que certains députés socialistes se posaient des questions. Je crois qu'ils redoutaient que nous mettions au point un mariage pour les homosexuels. Avec ce projet, nous n'avons aucune raison de raser les murs.
L'Évènement du jeudi : Selon vous, quelle sera l'attitude de la droite face à votre projet ?
Élisabeth Guigou : Je m'attends à une discussion serrée. Je crois aussi deviner que les plus intégristes à droite voudraient tenir le haut du pavé. On le verra dès le 9 octobre, lors de la première lecture devant l'Assemblée.
L'Évènement du jeudi : Quelle sera l'attitude de Jacques Chirac ?
Élisabeth Guigou : Lors d'un déplacement en Corrèze, le président a dit : « attention à la famille. » Le projet ne touche pas à la famille.
L'Évènement du jeudi : Selon vous, quelle sera la principale critique ?
Élisabeth Guigou : On va me dire : vous fragilisez le mariage. Mais le PACS n'est pas un mariage bis. Dans le texte, il ne sera fait aucune référence au mariage. Et le texte ne sera pas inscrit dans le code civil au livre premier qui traite de l'état des personnes.
L'Évènement du jeudi : On a parlé d'une pétition contre ce projet, signée par 13 000 maires de toute la France…
Élisabeth Guigou : Il a aussi été dit que les responsables de cette pétition m'avaient rencontrée. Ce n'est pas exact. D'ailleurs, personne ici n'a jamais vu ces signatures.
L'Évènement du jeudi : Craignez-vous d'être attaquée sur votre gauche par les associations qui défendent les intérêts des homosexuels ?
Élisabeth Guigou : Ces associations veulent des textes. Le nôtre peut leur paraître insuffisant, mais il a le mérite d'exister.
L'Évènement du jeudi : Et l'église, comment réagit-elle ?
Élisabeth Guigou : Je suis très attentive aux réactions des responsables religieux. Notre projet n'affaiblit ni la famille, ni le mariage, ni ce qui est, me semble-t-il, au coeur de leurs préoccupations.
L'Évènement du jeudi : D'où vient votre volonté de vous attaquer à ce dossier ?
Élisabeth Guigou : Quand nous étions dans l'opposition, Lionel Jospin a fait des questions de société l'un de nos principaux thèmes de réflexion. J'étais moi-même en charge des affaires sociales. Jack Lang a joué ensuite un rôle moteur pour faire avancer le dossier. C'est devenu l'un de nos engagements, lors de la campagne électorale.
L'Évènement du jeudi : Personnellement, qu'est-ce qui vous pousse à vous engager ?
Élisabeth Guigou : La volonté de mettre à la disposition de tous ceux qui le veulent un cadre juridique correspondant à l'évolution des moeurs. Par exemple, la situation de certains couples homosexuels confrontés au sida, avec des familles rejetant le partenaire du malade, m'a révoltée. C'est humainement insupportable.
L'Évènement du jeudi : Concrètement, quel genre de droits et de devoirs donnera le PACS ?
Élisabeth Guigou : Le PACS donnera des droits aux deux contractants. Il donnera un droit au bail, il permettra à l'un de bénéficier de la sécurité sociale de l'autre, il pourra ouvrir la porte à l'imposition commune. Ce contrat pourra être dissous à l'amiable, dans le respect du plus fragile des deux partenaires, qui sera protégé, notamment pour le maintien dans son logement.
L'Évènement du jeudi : Un homme ou une femme marié(e) pourra-t-il (elle) signer un PACS avec une autre personne ?
Élisabeth Guigou : Non. De même, personne ne pourra signer deux PACS en même temps. Il y aura un registre où les contrats seront inscrits.
L'Évènement du jeudi : Combien de personnes sont-elles concernées ?
Élisabeth Guigou : Le champ est vaste, puisque plus de deux millions de couples vivent hors mariage. Nous nous attendons à plusieurs dizaines de milliers de demandes.
L'Évènement du jeudi : D'autres pays européens pratiquent-ils déjà quelque chose qui ressemble au PACS ?
Élisabeth Guigou : Plusieurs pays nordiques ont des formules similaires. Mais nous sommes le premier pays latin à poser le problème.
L'Évènement du jeudi : Le droit peut-il faire évoluer les mentalités ?
Élisabeth Guigou : Le droit est chargé d'exprimer le consensus d'une société. Il fait rarement évoluer le débat. Regardez ce qui se passe avec le racisme. Les associations ont demandé que la loi soit modifiée, alors qu'elle n'était pas mauvaise. En attendant, on se dispense trop souvent de lutter sur le terrain contre la discrimination. On fétichise un peu trop la loi. Dans le domaine de la famille, c'est autre chose : il faut mettre le droit en conformité avec la réalité. J'ai confié le soin à une commission composée d'universitaires et de professionnels de me faire des propositions, pour le mois de juillet 1999. 40 % des enfants naissent aujourd'hui hors mariage. Le droit assure-t-il à ces enfants la stabilité du lien avec les deux parents ? Faut-il par ailleurs légiférer sur l'accouchement sous X ? Je ne sais pas encore. Je ne vais pas me précipiter.
L'Évènement du jeudi : La gauche investit un champ dont elle se tenait à l'écart…
Élisabeth Guigou : La gauche a eu tort à une certaine époque d'abandonner à la droit la sécurité et la famille. La famille, c'est la sécurité de base pour chacun. Il y a cependant une différence entre gauche et droite : la gauche n'idéalise pas une seule forme de famille. Nous pensons qu'elle peut prendre plusieurs formes, sans que cela débouche sur une remise en cause de ses fonctions fondamentales, notamment celle qui consiste à inscrire l'enfant dans une généalogie. Cette réflexion a longtemps été confisquée par la droite, laquelle n'a pas forcément vu que la famille avait profondément évolué sous l'effet du changement de statut de la femme.
L'Évènement du jeudi : Dans un autre domaine, vous présentez un texte sur la présomption d'innocence. Quel est l'objectif ?
Élisabeth Guigou : Il s'agit d'abord de renforcer les droits de la défense. Sauf dans les affaires de terrorisme, de stupéfiants et pour les associations de malfaiteurs, la personne mise en garde à vue aura droit à un avocat dès la première heure. Mais la principale innovation consiste à raccourcir les délais des enquêtes. Le juge devra donner une indication sur la durée de son instruction. L'avocat pourra contester. La chambre d'accusation tranchera.
L'Évènement du jeudi : Les juges d'instruction risquent de prendre cette mesure comme une volonté d'interférer dans leurs dossiers…
Élisabeth Guigou : Non, en aucun cas. Mais le justiciable a le droit de connaître les délais prévisibles. Le courrier reçu à la chancellerie est rempli de lettres de gens qui se plaignent des lenteurs de la justice. Il faut d'abord y remédier en y mettant les moyens nécessaires. Nous prenons des mesures pour faciliter la tâche des juges. Il y a la création des pôles financiers, avec de gros moyens, en informatique et en personnel, le recrutement de nouveaux magistrats… sans oublier le soin que nous mettons à faciliter les liaisons entre les magistrats français et leurs homologues européens. J'ai moi-même décidé d'envoyer en Belgique les documents réclamés sur le dossier Dassault, après avoir consulté un expert au ministère de la défense pour m'assurer qu'il n'y avait rien qui relève du secret-défense. Vous voyez, loin d'empêcher les juges de faire leur enquête, nous essayons de leur donner les moyens d'être encore plus efficaces. Mais je veux aussi conforter les droits de la défense : l'avocat sera davantage pris en compte. Il pourra accompagner le juge d'instruction pour assister aux expertises qu'il a demandées, même ne l'absence de son client.
L'Évènement du jeudi : Globalement, vous ne transformez pas le rôle du juge d'instruction ?
Élisabeth Guigou : Non, je me refuse à aller vers le système américain qui ne fonctionne que pour ceux qui peuvent se payer un ou plusieurs bons avocats.
L'Évènement du jeudi : Le texte sur la présomption d'innocence va-t-il réduire les marges de manoeuvre de la presse ?
Élisabeth Guigou : On va introduire des « fenêtres » de publicité au moment de la détention provisoire. Le débat sera public, si le juge donne son accord. Par ailleurs, nous avons réfléchi à l'usage des menottes. L'escorteur devra faire en sorte que la personne ne soit pas exposée aux regards. Quant à la presse, elle ne devra plus diffuser d'images de personnes menottées : c'est une atteinte à la dignité, comme on a pu le voir avec les images du guide de montagne arrêté après la mort de plusieurs enfants dans une avalanche. Des sanctions financières seront prévues en cas d'entorse à la loi.
L'Évènement du jeudi : La presse sera donc encore libre de publier les noms des personnes mises en cause ?
Élisabeth Guigou : Oui, ce serait irréaliste de vouloir l'interdire. De plus, cela pourrait être détourné.
L'Évènement du jeudi : Vous avez dit que le président de la République pouvait être inquiété par une affaire judiciaire.
Élisabeth Guigou : Je ne reviendrai pas là-dessus.
L'Évènement du jeudi : Certains regrettent que la chancellerie ne contrôle plus les juges…
Élisabeth Guigou : Nous avons besoin d'une justice indépendante. J'ai vu en Corse des magistrats qui avaient besoin que l'on restaure leur dignité. C'est-à-dire simplement qu'on les laisse appliquer la loi. Je n'ai pas l'intention de revenir sur ce nouvel équilibre. Je suis également fière de mon budget, qui augmente de 5,6 % quand le budget de l'État grimpe de 2,2 %. Il y a un tel retard que cet effort devra se poursuivre.
France Inter – vendredi 9 octobre 1998
France Inter : La maturité et l'ouverture d'esprit des citoyens seront-elle un modèle pour le débat politique qui s'ouvre aujourd'hui à l'Assemblée nationale autour du PACS ? Le sondage BVA, publié cette semaine, relatif à ce projet de loi, indique que 57 % des Français y sont favorables et que pour un tiers d'entre eux, le PACS correspond à l'évolution de la société. Pour justifier leurs réponses, les Français interrogés invoquent la justice sociale et la reconnaissance juridique de l'homosexualité. Le fait homosexuel a toujours existé dans toutes les sociétés du monde. Le voilà donc qui pourrait officiellement être pris en compte. Un autre sondage, de l'IFOP cette fois, donne l'indication de presque un Français sur deux, 49 % favorables au PACS pour les homosexuels, et 67 % pour les hétérosexuels. Mais aucun des Français interrogés ne confond le PACS avec le mariage, ni avec une nouvelle définition de la famille. Le débat politique l'évitera-t-il aussi ?
La reconnaissance du fait homosexuel, vous considérez que c'est le point central du PACS ?
Élisabeth Guigou : En tout cas, c'est grâce aux homosexuels que la question du PACS comme reconnaissance juridique de droits à des personnes qui vivent ensemble sans être mariés, a été posée, à cause du sida et de cette situation dramatique dans laquelle se trouvait un membre d'un couple homosexuel lorsque son compagnon était décédé ; il était souvent expulsé du logement par une famille qui ne s'était occupée de rien, sans même pouvoir emporter une brosse à dents.
Mais ce sont des situations absolument humainement insupportables, mais qui sont aussi vécues par des couples hétérosexuels. Des personnes qui ont divorcé, qui ne souhaitent pas se remarier, qui vivent ensemble, qui ne prennent pas de précaution et puis, par le décès de l'un ou de l'autre, qui se trouvent aussi expulsées de leur logement. Ces personnes, aujourd'hui, il y en a 5 millions, à peu près. Elles sont ignorées par le droit. Et moi, je crois que la responsabilité d'un État laïc, républicain, c'est justement d'abord de dire : eh bien, ces personnes ont le droit à un minimum de sécurité juridique pour organiser leur vie commune et elles ont le droit, aussi, qu'on les aide à mieux vivre.
France Inter : Cela, c'est évident, mais le débat, on a l'impression – en tout cas du côté des politiques – qu'il a tendance à se perdre un peu dans toutes sortes de méandres. La question importante, aujourd'hui – et c'est ce qui me trouble dans les sondages – c'est l'extraordinaire maturité des citoyens français, notamment sur cette question, parce qu'elle me paraît importante, de la reconnaissance du fait homosexuel. Presqu'un Français sur deux qui dit : oui, parlons-en. C'est énorme.
Élisabeth Guigou : Et je trouve que les Françaises et les Français font preuve d'une maturité extraordinaire par rapport à ce sujet, qui est un très grand sujet de société, qui mérite autre chose, évidemment, que des guerres de religions ou des querelles politiciennes, ou encore qu'on travestisse la réalité, qu'on dise ou qu'on veuille faire dire au PACS ce qu'il ne fait pas. Je crois que c'est un sujet qui mérite un débat serein, un débat profond. Cela pose de vraies questions, parce que cela pose la question de la place du couple, de ce qu'est la famille aujourd'hui. Donc, débattons de ces questions. Mais nous avons, en effet, la responsabilité – moi en tout cas, j'estime que j'ai la responsabilité – de faire évoluer le droit avec la société.
France Inter : L'enjeu est tellement important, certains parlent même d'une sorte de révolution sociale. Certains vont vous faire valoir que le PACS donne des droits, mais qu'on peut facilement défaire le PACS. Et que, par conséquent, c'est une sorte de sous-mariage au fond, et que beaucoup vont se réfugier là-dedans en disant : on aura les avantages du mariage sans les inconvénients.
Élisabeth Guigou : D'abord, on est loin d'avoir tous les avantages du mariage, parce qu'autant le PACS organise certains droits, autant il est loin de donner tous les droits auxquels donne lieu le mariage. Tout simplement, parce qu'il n'impose pas non plus les mêmes types d'engagement : pas d'engagement de fidélité… bon. Et d'autre part, le PACS est très différent du mariage pour une autre raison, elle, symbolique, mais qui est très importante, c'est que le PACS n'est pas célébré, c'est un contrat qu'on signe. Le mariage, lui, est une institution qui est célébrée à la mairie. Alors la question de la rupture, c'est un vrai sujet.
France Inter : Qui est aussi celle de la répudiation.
Élisabeth Guigou : Exact. Est-ce que le plus faible ne va pas nécessairement en pâtir ? Moi ce que je dis, c'est qu'évidemment le PACS n'apporte pas de ce point de vue autant de garanties que le divorce dans le mariage, mais ce n'est pas le mariage, mais qu'il apporte plus de garanties que le concubinage ou l'union libre actuellement. Parce que par exemple, le PACS demande aux personnes qui signent d'être solidaires des dettes qu'ils ont contractées ensemble, ce qui n'est pas du tout le cas dans l'union libre. Et d'autre part, si l'un des deux n'est pas d'accord sur la dissolution du PACS, le juge peut intervenir pour régler les conséquences de la dissolution. Donc, sur la rupture, c'est moins de garanties que le divorce, mais parce que ce n'est pas le mariage ; mais c'est plus de garanties que l'union libre.
France Inter : Sur la solidarité des dettes, c'est important, parce que le sondage indique que ce sont notamment les jeunes qui sont le plus majoritairement favorables au PACS. Or tous les jeunes qui se mettent en couple, hétérosexuels ou homosexuels, font comme tout le monde, ils commencent et ils contractent des dettes solidairement.
Élisabeth Guigou : Ils s'installent forcément en s'endettant pour acheter la télé, le réfrigérateur, la voiture, l'appartement, quand ils ont les moyens d'acheter un appartement. Donc l'endettement, cela fait partie de la vie de tout le monde aujourd'hui. Et par conséquent, la solidarité dans les dettes, c'est extrêmement important. Je dis qu'il faut bien voir que le PACS n'est pas destiné à singer le mariage, c'est un contrat qui offre une sécurité juridique à des gens, quand même, qui s'engagent, et plus l'engagement est stable, et plus les droits sont importants. Et donc, c'est à la fois une façon, si vous voulez, de briser la solitude, dans une société qui en produit tellement et en même temps, c'est aussi une façon de favoriser une certaine stabilité des liens affectifs. De ce point de vue-là, moi, je considère que non seulement le PACS est une avancée sociale, mais que c'est aussi une avancée morale, parce que cela permet de consolider des liens entre des personnes, qui le veulent naturellement. On n'impose rien.
France Inter : Mais c'est là que se pose une autre question, très difficile, qui est aussi une question philosophique, c'est la reconnaissance du couple. Et le couple, cela pose la question de la famille. Alors comment réglez-vous cela politiquement ?
Élisabeth Guigou : Moi je crois qu'il faut s'habituer à distinguer, aujourd'hui, dans la société qui est la nôtre, le couple et la famille. Qu'est-ce qui fait la famille ? C'est l'enfant. Aujourd'hui, les couples se font et se défont. On peut le regretter, mais c'est comme cela. Et donc ce qui est important, c'est de garantir à l'enfant, d'abord, le droit pour lui d'avoir pour toute sa vie ses deux parents, son père et sa mère. Et je crois, moi, qu'un enfant ne peut structurer son identité que par rapport à un père et une mère, qui sont un homme et une femme, parce que l'humanité est sexuée. Deuxièmement, il est très important de garantir à cet enfant la stabilité de sa filiation malgré l'instabilité du couple, éventuellement de ses parents. Un enfant a le droit de ne pas changer de nom, de ne pas changer de grands-parents, de ne pas changer d'oncles et de tantes, si sa mère se remarie avec un autre monsieur. Pourquoi ? Il a besoin pour se structurer d'être inscrit dans une chaîne de générations, de savoir que le monde ne commence pas avec lui et ne finira pas après lui. Et puis, je crois que l'enfant a besoin de l'autorité et de la responsabilité à son égard de ses deux parents. Toutes ces questions sont des questions extrêmement profondes. On ne s'est pas beaucoup habitué à regarder le droit de la famille avec le regard de l'enfant, à partir de l'enfant, et c'est cela qu'il faut faire aujourd'hui : malgré l'instabilité des couples, garantir pour l'enfant ce qui fait la permanence fondamentale de la famille.
France Inter : Que direz-vous à ceux qui vont faire valoir la logique et notamment Jean-Pierre Michel, le rapporteur du projet de loi, qui dans la revue Le Banquet aujourd'hui – elle est parue hier, c'est-à-dire à la veille du débat parlementaire – dit : la prochaine étape, c'est l'adoption. On ne peut pas dire d'un côté, au fond, que la notion de couple est posée et refuser à ce couple la possibilité un jour d'adopter un enfant. Qu'est-ce qu'on répond à cela ?
Élisabeth Guigou : Je viens de vous répondre. Parce qu'un enfant a besoin d'un père et d'une mère qui soit un homme et une femme, je ne pense pas que l'on puisse dire qu'un couple homosexuel puisse avoir ensemble des enfants. Bien sûr, il arrive que des homosexuels aient des enfants, mais ils les ont eus dans le cadre d'un couple hétérosexuel d'abord. Je crois que c'est très important d'établir cette distinction-là. Jean-Pierre Michel a le droit… La liberté d'expression dans notre pays, cela existe pour tout un chacun, pour les journalistes, mais aussi pour chaque citoyen. Mais je note que Jean-Pierre Michel, qui est le rapporteur de la proposition de loi à l'Assemblée – car c'est un texte d'origine parlementaire – ne reprend pas cette disposition au titre du groupe socialiste, c'est-à-dire au titre du collectif. Je voudrais apaiser ceux qui auraient des craintes. Il est faux de dire que si on vote le PACS, on est sûr qu'ensuite, ce serait un premier pas vers l'adoption pour les couples homosexuels. Je dis non, pourquoi ? Parce que ce serait méconnaître la façon dont fonctionne notre démocratie. Pour voter une loi, il faut une majorité. Aujourd'hui, dans ce pays, je ne vois ni un gouvernement, ni une majorité pour voter le mariage homosexuel, ou l'adoption, ou la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels. Voilà. On a le droit d'avoir des opinions personnelles.
France Inter : Arrêtez cela et le reste ? Les fratries ? Les 800 amendements ? Franchement, l'énorme pagaille autour du PACS, ce n'est pas sérieux !
Élisabeth Guigou : Ce n'est pas anormal que vous ayez, dans un débat parlementaire de ce type, beaucoup d'amendements. Cela pose des vraies questions et il va falloir prendre le temps. J'aborde ce débat avec patience et sérénité, parce que je crois qu'il faut s'appesantir sur certaines questions. Mais sur cette question des fratries, j'entendais tout à l'heure Monsieur Sarkozy qui disait n'importe quoi ! Une fois de plus ! Il est hors de question d'autoriser…
France Inter : L'opposition est dans son rôle aussi ! Il faut bien qu'elle oppose des arguments !
Élisabeth Guigou : Attendez, qu'on m'oppose des arguments sur la réalité, oui, mais pas sur des fantasmes ou sur des choses qui sont fausses ! C'est ce que vient de faire Nicolas Sarkozy en prétendant qu'on allait autoriser plusieurs personnes à signer un PACS. Cela, c'est clair qu'il n'en est pas question depuis le début. Pourquoi ? Pour deux raisons fondamentales. La loi ne va pas encourager les sectes, on ne va pas encourager plusieurs personnes à signer des PACS ! Vous comprenez, c'est navrant de voir le débat s'engager comme cela à partir de choses qui n'existent pas… Je dis à Nicolas Sarkozy : un peu de sérieux sur un sujet pareil quand même !