Texte intégral
LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ - 7 décembre 1998.
Q - Deux mois après votre élection à la présidence du Sénat, avez-vous le sentiment que les turbulences qui l'ont accompagnée sont oubliées ?
- « Je constate aujourd'hui, et je m'en réjouis, que mes relations avec l'ensemble des sénateurs sont excellentes. Lorsque le Président de la République a reçu le bureau du Sénat qui comprend toutes les sensibilités représentées, nous avons eu un dialogue très ouvert et très franc. Ce qui prouve bien ma volonté de faire en sorte que je sois le président de tous les sénateurs. »
Q - Le Sénat souffre d'une image un peu ringarde. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
- « C'est vrai que son image est un peu dégradée, un peu brouillée. Partant de ce constat, je souhaite mieux le faire connaître. Car le Sénat n'est pas très bien appréhendé dans ses missions, dans son rôle au sein de la vie démocratique française. Il y a une défaillance quelque part. Est-ce qu'on enseigne bien à nos concitoyens ce qu'est vraiment le Sénat ? Ce n'est pas sûr. Deuxièmement, je vois à travers les médias que les Français sont davantage braqués sur ce qui se passe à l'Assemblée nationale… »
Q - N'est-ce pas dû au fait qu'en matière législative, l'Assemblée nationale a toujours le dernier mot ?
- « Oui, peut-être. Mais je vais vous faire observer une chose qui n'a pas été suffisamment relevée. Lorsque notre pays est confronté à de très grandes difficultés, qu'un besoin de réformes importantes s'impose - elles ne se font d'ailleurs que dans les grandes tornades -, les Français, à ce moment-là, se souviennent que le Sénat existe. Face aux grands évènements, il est en quelque sorte le garde-fou qui évite les dérapages, qui imprègne toutes les décisions de sérénité et de sagesse. C'est aussi pour cela qu'il est indispensable. »
Q - Vous êtes donc un ardent défenseur du bicamérisme ?
- « Bien sûr. Je me réjouis d'ailleurs que de nombreux pays qui n'ont qu'une assemblée, réfléchissent et viennent à en instaurer une deuxième. La Pologne a créé un Sénat. Le Maroc aussi. Le président de la Knesset m'a confié récemment qu'Israël ressentait aujourd'hui le même besoin alors que cela semblait impensable il y a une dizaine d'années. Et quand j'ai reçu le président de l'assemblée de Hongrie, il m'a dit lui aussi qu'une deuxième assemblée s'imposait dans son pays pour que les minorités ethniques puissent être représentées et s'exprimer. »
Q - En quoi le Sénat est-il plus représentatif que l'Assemblée nationale ?
- « La Constitution donne un bonus au Sénat quand elle précise qu'il est la Haute assemblée des collectivités territoriales. Nous avons la responsabilité de veiller à leur bon fonctionnement. De plus, nos compatriotes qui travaillent à l'étranger sont représentés au Sénat. Avec la durée de son mandat, la stabilité qui en résulte, le Sénat dispose d'une sérénité qui lui permet de délibérer avec une très grande sagesse. Nous ne sommes pas sous l'influence momentanée de mouvements d'opinions. »
Q - Lors de votre discours d'investiture, vous avez néanmoins manifesté le souhait de moderniser l'institution. Comment allez-vous procéder ?
- « Premier point, le Sénat doit exercer une mission de contrôle du fonctionnement de l'État et du Gouvernement. J'ai commencé cette action lorsque j'étais président de la commission des Finances en exigeant que des rapporteurs spéciaux aillent sur place et sur pièces vérifier la bonne utilisation des crédits, relever les insuffisances éventuelles et demander aux ministres de s'expliquer. Si on avait fait ce travail plus tôt, peut-être que nous ne serions pas aujourd'hui en présence de ce qu'on appelle le mammouth… C'est pourquoi nous venons de créer une commission d'enquête sur l'Éducation nationale. Pour voir ce qui ne va pas. Monsieur Allègre dénonce le mammouth. Je crois qu'il est de bonne volonté. Mais il n'arrive pas à résoudre un certain nombre de difficultés. On verra bien à l'issue de cette mission ce que nous devons en conclure et quelles propositions nous pouvons formuler. »
Q - Vous souhaitez presque devenir les gendarmes du Gouvernement ?
- « Nous voulons contrôler l'ensemble des institutions. Mais nous souhaitons aussi être une force de proposition. »
Q - De quelle manière ?
- « En étant un laboratoire d'idées. Face à l'importance grandissante de l'Europe, j'ai par exemple proposé qu'il ait une antenne permanente à Bruxelles.
Mais je peux vous donner une autre illustration de cette volonté. Quand Monsieur Jospin a présenté son budget il y a un an, nous avons présenté un budget alternatif avec pour objectifs la réduction des déficits mais aussi des prélèvements obligatoires pour favoriser l'emploi. Le Sénat n'est pas là pour dire selon les époques oui à tout ou non à tout. Il faut juger avec objectivité avec pour ligne de conduite l'intérêt général.
Concernant le Pacs, nous pensons ainsi qu'il valait mieux aménager la loi de Finances plutôt que de présenter un texte mal préparé. Il faut que le Sénat soit présent pour débattre et faire ses propositions sur tous les grands sujets de société comme les retraites, la drogue, la sécurité etc… »
Q - Cela va demander beaucoup de travail…
- « C'est le rôle du Sénat mais ce n'est pas le seul. J'ai ouvert un grand débat sur la décentralisation qui est au milieu du gué. C'est ce qui va me conduire à lancer les états généraux locaux. Je vais aller dans les régions à la rencontre des élus, des maires, des conseillers généraux, régionaux, et leur poser la question : « Comment fonctionnez-vous ? Qu'est-ce qui ne va pas ? » Et j'entends bien que cela débouche sur des projets de lois très concrets. »
Q - C'est l'objet de votre visite aujourd'hui dans le Vaucluse ?
- « C'est la première réunion que l'on fait. C'est encore expérimental. Le Vaucluse est un département qui a une palette de représentants divers. Je vais pouvoir entendre le point de vue des diverses sensibilités. »
Q - Pensez-vous que dans la donne politique actuelle, le Sénat doit intervenir en tant que seule force de l'opposition ?
- « Le Sénat est majoritairement dans l'opposition. Je suis RPR et par conséquent ma démarche n'est pas une démarche socialiste. Mais nous ne pratiquerons pas l'opposition pour l'opposition. En revanche, chaque fois qu'un projet nous paraîtra ne pas satisfaire l'intérêt général, nous manifesterons notre hostilité. »
Q - Quel est votre position sur le cumul des mandats ?
- « Je pense qu'un élu ne peut-être déconnecté de la vie locale sous peine de perdre le sens des réalités. C'est pourquoi je souhaite que l'on puisse exercer en même temps un mandat parlementaire et un mandat exécutif local quel qu'il soit. Je défendrai cette position. »
Q - Vous étiez défavorable à la cohabitation. Comment ressentez-vous celle qui se déroule en ce moment ?
- « La cohabitation, c'est la recherche permanente d'un compromis. Elle peut fonctionner, mais elle n'est pas bonne pour le pays car les réformes sont mal préparées, amputées, retardées… »
Q - Est-ce que vous vous sentez derrière le Président de la République ?
- « Oui, je suis pour ma part en communion avec le Président de la République.
LA TRIBUNE - 15 décembre 1998
La Tribune : Est-ce que l'aménagement du territoire est toujours une priorité en France ?
Christian Poncelet : « L'aménagement du territoire est actuellement une démarche pour le moins hésitante. Il était prévu, dans le cadre de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire de Charles Pasqua, un schéma national intégrant de grandes infrastructures, routières, ferroviaires, etc… Dès son installation, le Gouvernement, sans consultation du Parlement ni des élus locaux, a rayé d'un trait de plume certaines grandes infrastructures. En disant cela, j'ai présent à l'esprit la liaison Rhin-Rhône. Puis il a remis en cause le schéma autoroutier. Là encore, sans aucune consultation. On peut être surpris qu'un Gouvernement qui se gargarise des mots de démocratie et de concertation agisse de la sorte. »
La Tribune : Est-ce la raison qui vous conduit à organiser, jeudi dernier, un débat sur l'aménagement du territoire ?
- « Cet automne, j'avais demandé que deux débats soient inscrits à l'ordre du jour du Sénat, l'un sur la décentralisation et l'autre sur l'aménagement du territoire, pour, en quelque sorte, connaître les intentions du Gouvernement, ses orientations et ses propositions. Je dois avouer qu'après avoir entendu M. Queyranne, ministre de l'Intérieur par intérim, et M. Zuccarelli, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation, je n'ai pas recueilli d'informations très précises en matière de décentralisation. Je le regrette. S'agissant de l'aménagement du territoire, c'est Mme Voynet elle-même qui le dit, la politique n'est pas encore bien définie. »
La Tribune : Estimez-vous que la relance de l'aménagement du territoire passe par un approfondissement de la décentralisation ?
- « Nous sommes au milieu du gué. La décentralisation a seize ans d'existence. Et elle s'essouffle. Elle donne même naissance à quelques dérapages qui conduisent le Gouvernement à transmettre aux collectivités territoriales de plus en plus de compétences nouvelles, sans respecter la loi de décentralisation de 1982, qui précise que tout transfert de compétences doit être accompagné d'un transfert de moyens à due concurrence. Aujourd'hui, on ne sait plus qui fait quoi. Il y a une confusion des compétences. Même lorsque la répartition de celles-ci a été bien définie à l'origine. En matière d'éducation, par exemple, il était clair que l'État conservait ce qui était toujours son domaine depuis la Révolution, à savoir l'enseignement supérieur. A peine la décentralisation était-elle en place que l'État s'est tourné vers les collectivités pour leur dire : « Je veux bien réaliser des structures nouvelles dans le cadre du plan Université 2000, des IUT en particulier, mais il faut que vous apportiez une part du financement ». Je remarque que, pour mettre en place le nouveau plan U3M, l'université du troisième millénaire, le Gouvernement n'a toujours pas précisé quel serait le montant de ses concours financiers. »
La Tribune : A la suite de l'annonce de la réforme de la taxe professionnelle, vous avez jugé que le Gouvernement était animé par une volonté de recentralisation…
- « Même s'il ne l'avoue pas, le Gouvernement suit une démarche qui conduit à recentraliser. Le meilleur exemple en est, effectivement, la réforme de la taxe professionnelle. Certes, cet impôt a toujours été critiqué, bien que personne n'ait jamais proposé un impôt de substitution. Le Gouvernement a dit : « Cet impôt est insupportable pour les entreprises ». Et je partage ce jugement. Mais qu'a t-il fait ? Il a précisé : « Pour le calcul de la taxe professionnelle, nous allons supprimer la base salaires ». Et il a ajouté : « Je vais compenser ce manque à gagner pour les collectivités territoriales ». On pouvait imaginer que cette compensation serait simple. Eh bien non, le Gouvernement a construit une sorte d'usine à gaz conduisant à une compensation qui va aller diminuant et qui au terme de cinq ans va s'intégrer dans la dotation globale de fonctionnement versée aux collectivités locales. Ce qui veut dire qu'il n'y aura plus de compensation personnalisée. Et que beaucoup vont voir là leurs recettes fortement amputées. »
La Tribune : Quel type de compensation préconisez-vous ?
- « Il eût été plus simple de dire que les entreprises seraient dégrevées de la base salaires. Le principe du dégrèvement permettait d'éviter toute perte de recettes pour les collectivités locales. C'est la seule formule qui ne soit pas pénalisante pour les communes. N'ayant pas choisi cette solution, le Gouvernement rend les communes de plus en plus dépendantes de l'État pour leurs ressources. Sans compter qu'à terme c'est la totalité de cet impôt qui va disparaître. Je m'explique. Aujourd'hui, la base salaires va disparaître et la compensation est mal faite. Pour soutenir la croissance, qui va diminuer, on ne manquera pas d'annoncer prochainement qu'il convient de faciliter la consommation des ménages et de relancer l'investissement des entreprises qui se tarit. Les chefs d'entreprise auront beau jeu d'interpeller le Gouvernement et de demander que soit supprimée la taxe professionnelle qui ne reposera plus alors que sur leurs investissements. A terme, les collectivités locales seront encore plus dépendantes des concours de l'État. »
La Tribune : Disant cela, vous apportez de l'eau au moulin de ceux qui réclament une remise à plat de la fiscalité locale…
- « Je crois qu'effectivement nous serons conduits à remettre à plat la fiscalité locale. Pour plusieurs raisons, et notamment pour celle que je viens d'évoquer à l'instant. La seconde, c'est que l'on a révisé les bases de calcul des impôts locaux, il y a quelques années, pour obtenir un calcul plus juste. Mais le parlement a ensuite renoncé, dans sa grande majorité, à mettre en oeuvre cette révision. Nous étions, alors, à la veille d'échéances électorales. Et on sait très bien que cette révision, qui devait se faire a produit constant, va créer, quand on l'appliquera, des tensions. On va alléger les impôts locaux de certaines catégories sociales pour les faire peser sur d'autres. Il y a le risque que certains ménages, et je pense aux cadres moyens, subissent de plein fouet cette réforme des bases cadastrales. »