Interviews de M.Christian Sautter, secrétaire d’État au budget, dans "L'Hebdo des socialistes" du 19 septembre 1997 et à Europe 1 le 26, sur les priorités du projet de budget pour 1998 et le calendrier de la réforme fiscale.

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Circonstance : Présentation du projet de budget 1998 en conseil des ministres le 24 septembre 1997

Média : Europe 1 - L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Date : 19 septembre 1997
Source : L’Hebdo des Socialistes

L’Hebdo des Socialistes : Quelle sera la contribution du budget 1998 à la reprise économique ?

Christian Sautter : La reprise économique commence à s’affermir. Après une croissance de 1,5 % en 1996, on peut espérer 2,2 à 2,3 % en 1997. Les mesures prises dès le 10 juillet pour préparer la rentrée en quadruplant l’allocation de rentrée scolaire, en assurant un repas à la cantine pour tous les enfants, en relançant la réhabilitation des logements sociaux, en revalorisant l’aide personnalisée au logement, ont soutenu la consommation et donc l’expansion. Les mesures de correction prises le 21 juillet après que l’audit des finances publiques ait montré que les déficits avaient dérapé au premier semestre, n’ont porté que sur les grandes entreprises dont l’épargne financière est abondante, puisque leurs profits dépassent les investissements qu’elles prévoient de financer. Ces mesures n’ont donc pas pesé sur les investissements.

Pour 1998, la logique est la même : réduire le déficit de l’État sans décourager la consommation ni handicaper l’investissement. On peut donc espérer que la croissance aura trois moteurs en 1998 : l’exportation comme en 1997, mais, en plus une consommation plus vive et un investissement moins languissant. Le contraste est total avec la politique d’Alain Juppé qui, en 1995, avait sabordé la croissance renaissante en imposant un matraquage fiscal de 114 milliards qui avait principalement touché les ménages, surtout les plus modestes, frappées de plein fouet par la hausse de deux points de la TVA.

L’Hebdo des Socialistes : Quelles sont les priorités du projet de budget pour 1998 ?

Christian Sautter : Le projet de loi de finances pour 1998, selon l’expression consacrée, sera examiné par le conseil des ministres le 24 septembre. La progression des dépenses sera modérée, de l’ordre de 1,4 %, soit à peu près la hausse des prix. Ceci résulte de la double nécessité de réduire le déficit pour être à 3 % du PIB en 1998 d’une part et de ne pas accroître les prélèvements dits obligatoires d’autre part.

Ce qui distingue le budget de 1998 de ses prédécesseurs, c’est que les priorités pour lesquelles les électeurs ont voté sont clairement soulignées par des progressions relativement rapides des budgets correspondants : emploi, logement social, éducation, recherche, justice, culture, aménagement du territoire.

L’Hebdo des Socialistes : Qu’en est-il de la réforme fiscale ?

Christian Sautter : Rendre notre système fiscal plus juste, ce n’est pas l’affaire d’un budget mais de toute une législature ! Il faut d’abord mettre un terme à une évolution injuste, obstinément poussé par la majorité précédente, celle qui consiste à alléger l’impôt direct progressif et à accroître l’impôt indirect qui, du fait de ses taux uniformes, est en fait inéquitable puisqu’il touche davantage les familles qui consomment beaucoup et épargnent peu, autrement dit les familles les plus modestes.

Il faut ensuite réenclencher le mouvement dans la bonne direction : un impôt plus juste et des impôts sur la consommation moins lourde. L’évasion fiscale est un sport d’élite, qui permet à des contribuables bien conseillés d’échapper en tout ou en partie à l’impôt sur le revenu. Quelques niches fiscales existent qui accordent des avantages sans limite, ce qui est immoral et donc inacceptable. L’idée directrice est de plafonner ces avantages véritablement exceptionnels, comme c’est déjà le cas pour la plupart des réductions d’impôts.

L’Hebdo des Socialistes : En dehors de l’impôt sur le revenu et de la TVA, qu’est-il possible de faire ?

Christian Sautter : La substitution de la CSG à des cotisations de salariés pour l’assurance-maladie sera, dès 1998, un rééquilibrage important des revenus du capital vers les revenus du travail. Cette mesure forte de redistribution de pouvoir d’achat n’est pas dans le budget de l’État mais dans celui de la Sécurité sociale, qui fera l’objet d’un projet de loi spécifique soumis au conseil des ministres du 8 octobre, quinze jours après le budget de l’État.

Sur les impôts qui touchent le patrimoine (ISF, droits de succession, etc.), sur la fiscalité locale, sur la fiscalité écologique, il faudra réfléchir durant les mois qui viennent de façon à en faire les pôles de la réforme fiscale inscrite dans le budget pour 1999. Le principe est de ne pas toucher à tous les impôts tout le temps mais de réformer par étapes successives et fortes les impôts les uns après les autres.

L’Hebdo des Socialistes : Comment se sont déroulées les discussions budgétaires au sein du Gouvernement ?

Christian Sautter : La discussion collégiale de l’ensemble du Gouvernement autour du Premier ministre a contrasté avec l’exercice solitaire du pouvoir qu’exerçait Matignon antérieurement. Le projet de budget est l’œuvre commune de l’ensemble du Gouvernement. L’an prochain on fera encore mieux.


Date : vendredi 26 septembre 1997
Source : Europe 1

Jean-Pierre Elkabbach : Vous parlez rarement, Christian Sautter. Avec Dominique Strauss-Kahn, vous êtes l’architecte du budget 1998. Otez-nous un doute. La polémique enfle sur le montant des impôts nouveaux prévus en 1998. Entre vos 14 milliards les 72 milliards de François d’Aubert, les 37 voire 50 milliards de Nicolas Sarkozy, quel est, ce matin, le vrai chiffre ?

Christian Sautter : Il y a deux vrais chiffres. Le premier vrai chiffre, c’est les 14 milliards de mesures nouvelles, c’est-à-dire de changements de barème, de suppressions d’avantages et cela s’ajoute à l’augmentation mécanique des impôts. Il y a plus de TVA lorsqu’il y a plus de croissance, plus d’impôt sur le revenu lorsqu’il y a plus de revenus. L’augmentation mécanique, c’est 38 milliards. Donc, le total des deux, 38 mécaniques plus 14 de mesures nouvelles égale 52 ; 52, c’est moins que la croissance de la production nationale.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous ne tenez pas compte de l’arrêt de la baisse de l’impôt sur le revenu prévu par Alain Juppé pour l’année prochaine, des impôts sur les sociétés fixées en juin ?

Christian Sautter : On ne se réfère pas à une fiction, c’est-à-dire à une annonce qui avait été faite, si je puis dire, gratuitement puisqu’elle était non financée. Je regarde les impôts de 1997 et je regarde les impôts de 1998, les chiffres que je vous donne sont les bons.

Jean-Pierre Elkabbach : Et la CSG ?

Christian Sautter : La CSG va être principalement une opération de redistribution des revenus de l’épargne vers les salaires.

Jean-Pierre Elkabbach : C’est en même temps une ponction, pour beaucoup.

Christian Sautter : Une petite ponction pour rééquilibrer la Sécurité sociale. C’est fondamentalement une opération juste de redistribution.

Jean-Pierre Elkabbach : Un des reproches récurrents qui est fait à ce budget et à toute l’équipe, est que vous avez choisi trois cibles. D’abord, les familles.

Christian Sautter : Ce n’est pas une cible. Nous avons décidé de réduire un certain nombre d’avantages dont profitent certaines familles. L’emploi à domicile : la réduction de 90 000 à 45 000 francs intéresse 5 % des familles. Donc, ce ne sont pas les classes moyennes.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous n’allez pas encourager le travail au noir à nouveau et puis en même temps, vous allez perdre des emplois parce que cela commençait à bien marcher pour certaines familles.

Christian Sautter : Écoutez, il s’agit de 69 000 familles pour être précis. Je ne pense pas que ceci inverse la tendance de l’emploi à domicile.

Jean-Pierre Elkabbach : Certains syndicats et associations, vous le savez bien, menacent de manifester, à cause des allocations familiales, contre la politique familiale. Est-ce que nous n’avez pas l’intention de la rénover, de la réformer une fois pour toutes ? Il y a trop de prestations compliquées qui s’ajoutent et compliquent le système.

Christian Sautter : La politique familiale, comme toutes les politiques en France, est comme un millefeuille, une superposition de mesures successives. Martine Aubry a décidé de remettre à plat le système pour construire une vraie politique de la famille, pour donner à ceux qui en ont le plus besoin.

Jean-Pierre Elkabbach : C’est-à-dire quoi ? Un grand rendez-vous des familles comme vous faites la conférence sur l’emploi ? Et dès 1998, en 1999, en l’an 40 ?

Christian Sautter : C’est la méthode Jospin : on réfléchit, on discute et ensuite, on décide. Et Martine Aubry, sur ce sujet, va réfléchir et discuter durant l’année 1998, et ensuite, on prendra des décisions.

Jean-Pierre Elkabbach : Deuxième cible, les épargnants. Est-ce que vous ne craignez pas qu’ils aillent ailleurs, qu’ils investissent ailleurs, qu’il y ait une sorte d’évasion des capitaux de l’épargne chez Tony Blair ou au Luxembourg ?

Christian Sautter : L’épargne en France n’est pas une cible. Je n’aime pas beaucoup cette expression. Nous ne sommes pas à la chasse. Sur l’épargne, le petit prélèvement qui est rajouté à l’épargne fera en sorte que l’épargne sera encore très correctement rémunérée en France et je pense que la crise asiatique récente montre qu’aller mettre son épargne à l’étranger n’est pas forcément une bonne solution. Le bas de laine restera chez nous, dans des établissements sûrs.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous ne croyez pas que vous portez un coup à la consommation que vous ne relancerez pas, même si vous voulez le faire ?

Christian Sautter : La consommation sera principalement soutenue par le fait que les ménages, les familles françaises auront 2 % de pouvoir d’achat l’an prochain, précisément parce qu’il n’y a pas d’impôts nouveaux.

Jean-Pierre Elkabbach : Les entreprises : on entend dire et on sent que vous ne les portez, pas dans votre cœur. Vous les punissez. Il y a toutes sortes de charges. Vous avez moins confiance dans les chefs d’entreprise que dans l’État. L’État partout !

Christian Sautter : Nous ne punissons absolument pas les chefs d’entreprise. La preuve, c’est que, dans les mesures qui sont prises, 80 % des PME sont épargnées. Et il y a des mesures positives dans le budget. Si une entreprise crée des emplois entre 1997 et 1998, elle aura un bonus d’impôt. Elle paiera moins d’impôts. Donc, le Gouvernement aime les entreprises en général et il aime en particulier les entreprises qui créent des emplois.

Jean-Pierre Elkabbach : Les entreprises, mon amour… mais pas le patronat. Le patronat menace de boycotter la conférence sur l’emploi si une loi fixe une date butoir pour les 35 heures. Est-ce que vous cédez ?

Christian : Cette conférence est très importante. Son objectif est l’emploi. Je crois que tout le monde se soucie du chômage des jeunes et personne ne doit poser de préalable avant de se réunir.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous cédez ? Vous dites : on ne fera pas de loi parce que le patronat risque de rompre avec nous, de s’en aller, de ne pas négocier ?

Christian Sautter : J’ai qu’il n’y a pas de préalable. Il y a diverses solutions possibles pour réduire la durée du travail. L’objectif, c’est l’emploi, l’emploi, l’emploi.

Jean-Pierre Elkabbach : Et quand il y aura les 35 heures, ce sera 35 heures payées 35 ?

Christian Sautter : Lorsqu’il y aura les 35 heures, nous avons dit que ce serait 35 heures sans diminution de salaire, progressivement dans le temps.

Jean-Pierre Elkabbach : À quand la vraie réforme fiscale promise par tant de gouvernements de droite et de gauche ? À quand ?

Christian Sautter : Il n’y a pas de grand soir ni de grand matin fiscal ! La réforme fiscale se fait par étapes. Cette année, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur le bénéfice des sociétés. L’an prochain, la fiscalité du patrimoine, la fiscalité locale – la taxe professionnelle est très critiquée – et même la fiscalité écologique, à laquelle il faut réfléchir.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, cela va continuer.

Christian Sautter : Cela va continuer. Il y a une législature. À chaque année, son petit train de mesures fiscales.

Jean-Pierre Elkabbach : En 1998, les déficits vont atteindre les 3 % qui donnent accès à la monnaie unique. Est-ce que, dès 1999 c’est-à-dire une fois l’euro réalisé, les déficits au-delà des 3 % seront lâchés ?

Christian Sautter : Absolument pas ! Pourquoi réduisons-nous les déficits ? Pour deux raisons. Un, l’euro et deuxièmement, pour ne pas laisser une dette considérable à nos enfants. Donc, nous poursuivrons des budgets économes et nous poursuivrons la stabilisation, voire la diminution lente des prélèvements obligatoires.

Jean-Pierre Elkabbach : À la télévision russe, Jacques Chirac déclarait hier qu’en France, il y a trop d’impôts, que ralentir les privatisations était une erreur. Il a raison ?

Christian Sautter : Je trouve d’abord un peu bizarre que le président de la République s’adresse aux Français par le biais de la télévision russe. Il y a de très bons médias en France.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous voulez dire que cela vous choque ?

Christian Sautter : Non, je trouve cela bizarre. C’est une remarque, en passant. Je dis simplement qu’en matière d’impôts, deux mois après l’élection présidentielle, il y a eu 116 milliards de francs de mesures nouvelles d’impôt. C’est un point dont il faut se souvenir.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais ces remontrances, est-ce qu’elles gênent votre action ? On ne peut pas dire qu’elles l’encouragent mais gênent-elles, freinent-elles ?

Christian Sautter : Le président de la République s’exprime, c’est son droit, et le Gouvernement gouverne. C’est la cohabitation.