Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la santé, dans "Le Monde" le 21 octobre 1997, sur le dépistage de l'hépatite C, la sécurité transfusionnelle, et la nécessité d'une loi et d'un fonds pour l'indemnisation du risque thérapeutique.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle concernant l'hépatite virale de type C ?

Bernard Kouchner : Il est clair qu'il s'agit là d'un problème majeur de santé publique. Les différentes études épidémiologiques qui ont, ces dernières années, été conduites sur ce thème permettent d'en situer l'ampleur et on peut estimer à plus de 500 000 le nombre de personnes qui sont aujourd'hui infectées par ce virus. On peut être impressionné par le nombre de personnes infectées, mais ce qui me préoccupe le plus, c'est le nombre de celles qui ne connaissent pas leur séropositivité. C'est pourquoi j'ai décidé de lancer de nouvelles campagnes d'incitation au dépistage avec le concours des centres de dépistage anonymes et gratuits.

Il importe également de ne pas oublier les règles de prévention de cette infection qui, on le sait, peut être transmise lors de certains gestes à visée diagnostique et thérapeutique. Ces règles doivent être connues et respectées. Nous nous y emploierons. L'attention ne doit pas non plus être relâchée sur la sécurité transfusionnelle. Les progrès de la science nous permettront, dans les prochaines années, de mettre en évidence les dangers de virus inconnus ou de nouveaux prions. Afin d'assurer au mieux leur détection, afin, de réagir de façon rapide et efficace, la « traçabilité » des produits sanguins doit être parfaite, comme l'impose la loi de sécurité sanitaire. Nous serons ainsi préparés si un risque, aujourd'hui théorique, devait devenir réel demain. J'estime, d'autre part, qu'il serait nécessaire de renverser la charge de la preuve : aux centres de transfusion de prouver qu'ils ne sont pour rien dans l'infection du patient.

Le Monde : L’une des questions majeures qui se pose aujourd'hui est celle de l'indemnisation des personnes contaminées par ce virus après un geste transfusionnel tout comme s'était posée, il y a quelques années, celle de l'indemnisation des personnes contaminées dans les mêmes conditions par le VIH (virus de l'immunodéficience humaine). Estimez-vous nécessaire ici la création d'un fonds spécifique d'indemnisation ?

Bernard Kouchner : Il est clair que les différentes décisions de justice rendues sur ce thème nous imposent de traiter de cette question essentielle dont nos prédécesseurs avaient fait l'économie. Il nous faut, dès maintenant, réfléchir à la création d'un fonds spécifique en sachant que les sommes en jeu sont considérables. Mais il nous faut dans le même temps faire rapidement progresser vers l'adoption d'un texte de loi traitant de l'indemnisation du risque thérapeutique et, plus largement, de la responsabilité médicale. J'avais déjà communiqué, il y a quatre ans, sur ce thème en conseil des ministres et tenté, sans succès, de faire adopter un tel texte. Je vais à nouveau m'y employer.

Le Monde : L'une des difficultés rencontrées tient à la provenance des sommes nécessaires pour assurer de telles indemnisations. On voit ici s'opposer ceux qui estiment que c'est aux assurances de traiter de cette question et ceux qui au contraire souhaiteraient voir agir la sécurité sociale et les mutuelles ? Comment trancher ?

Bernard Kouchner : Le jugement de la cour d'appel de Montpellier, s'il devait être confirmé, démontre que l'indemnisation des patients contaminés se fait, et ce même en l'absence de loi sur l'aléa thérapeutique. Actuellement l'indemnisation est l'aboutissement d'une procédure longue, pénible et parfois humiliante pour les patients, et ce sans que cela coûte moins cher à l'État. C'est pourquoi j'estime indispensable une loi sur le risque thérapeutique.

Une transparence est de toutes manières nécessaire, y compris pour les assurances qui s'alarment devant de tels coûts : potentiellement plusieurs centaines de milliards de francs ! Mais il faut aussi que cette loi sur le risque thérapeutique ne constitue pas une brèche dans notre système d'assurance maladie. »