Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur la simplification du cadre institutionnel de l'intercommunalité, et sur les nouvelles orientations du projet de loi concernant la taxe professionnelle d'agglomération et la DGF, Paris le 2 octobre 1997.

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Circonstance : 8ème session de l'Assemblée des districts et des communautés de France (ADCF), Paris le 2 octobre 1997

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

J’ai le plaisir d’intervenir dans la dernière partie des travaux de votre assemblée des districts et communautés de France, qui a acquis une large audience et aussi une grande expérience.

Vous êtes aujourd’hui un interlocuteur de tout premier plan, qui a su faire des propositions et avec lequel je compte bien poursuivre la concertation, tant il est vrai que l’intercommunalité constitue probablement aujourd’hui une des réponses les plus judicieuses aux problèmes d’aménagement ou de gestion des services qui nécessitent une mobilisation de ressources importantes et une approche de plus en plus large des solidarités locales.

Notre organisation administrative est complexe et surtout son émiettement peut apparaître comme un handicap au développement.

Pourtant la commune reste l’échelon de base de la démocratie locale auquel nos concitoyens demeurent très attachés.

Au demeurant, les tentatives de regroupements autoritaires ont échoué, à tel point qu’aujourd’hui encore le nombre de nos communes tend à s’accroître sous l’effet de demandes de scission ou d’abandon de fusion.

Aussi me paraît-il plus judicieux de s’attacher aux conditions d’exercice des compétences locales, plutôt que de s’acharner à je ne sais quelle recomposition de notre organisation administrative locale, aussi souhaitable pourrait-elle apparaître.

L’intercommunalité est le levier le plus puissant de cette réorganisation progressive de l’exercice des compétences.

I. – L’intercommunalité : une évolution ancienne qui prend de nouvelles formes

L’intercommunalité est le résultat d’un cheminement législatif et d’une pratique engagée il y a plus d’un siècle.

Très attachées à leur identité, les communes se sont rapidement associées pour réaliser des équipements ou gérer des services qui s’accommodaient mal de frontières communales.

Les syndicats se sont ainsi développés. On en compte aujourd’hui 17000.

La nécessité de mieux prendre en compte les exigences de l’aménagement, du développement économique, de mieux intégrer aussi une vision à plus long terme des projets, a favorisé, à la fin des années 50, l’émergence de formules plus intégrées comme les districts.

Les objectifs d’aménagement du territoire ont suscité dans les années 60 et 70 la création des communautés urbaines et des villes nouvelles dont le statut a été modernisé depuis.

Mais c’est bien sûr la loi du 6 février 1992, d’orientation pour l’administration territoriale de la République, qui a donné une nouvelle impulsion à l’intercommunalité, en favorisant la création d’établissements publics de coopération plus intégrés, accessibles aux communes de toutes tailles, disposant de ressources fiscales propres et dotés de compétences plus conformes aux exigences actuelles : le développement économique, l’aménagement du territoire, l’environnement, le logement, la voirie, la culture.

Cette évolution du cadre législatif, accompagnée de mesures incitatives fortes, s’est traduite par de nombreuses nouvelles créations.

On compte aujourd’hui 1446 groupements à fiscalité propre, regroupant 16200 communes et la moitié de la population.

À ce rythme, dans quelques années, l’ensemble du territoire national pourrait être concerné par l’intercommunalité à fiscalité propre.

Pour autant, ce développement rapide dont je me félicite ne doit pas masquer un certain nombre d’imperfections.

Le diagnostic est connu et vous avez largement participé à l’établir avec beaucoup de lucidité. Je ne m’y attarderai donc pas longuement.

II. –Des imperfections parfaitement diagnostiquées

D’abord, le nombre de catégories est important. On ne dénombre, en effet, pas moins de huit grandes catégories de formes d’établissement public de coopération intercommunale entre les syndicats à vocation unique ou multiple ou mixtes. Encore faudrait-il distinguer dans cette catégorie les mixtes ouverts et les mixtes fermés, les districts, les communautés de communes, les communautés de villes, les syndicats d’agglomération nouvelle, les communautés urbaines, avec des modes de désignation des délégués différents et des règles de fonctionnement non homogènes.

L’intégration elle-même des établissements publics à fiscalité propre n’est pas parfaitement appréciée et recouvre des réalités diverses. Le coefficient d’intégration fiscale dont la valeur est pourtant déterminante dans l’attribution des dotations est un indicateur parfois un peu galvaudé de l’intégration réelle.

On sait aussi que le développement de l’intercommunalité s’est accompagné de chevauchements parfois excessifs – heureusement très limités –  de périmètres, voire dans certains cas, de définition de périmètres qui ne sont pas toujours très pertinents au regard de l’exercice de solidarités locales fortes.

Enfin, la loi de 1992 n’a pas totalement atteint les objectifs ou l’ambition que poursuivait le législateur de faire de l’intercommunalité un vecteur de mutualisation de la principale ressource fiscale, la taxe professionnelle, dont le produit représente la moitié de celui de la fiscalité directe locale (150 milliards sur 300 milliards de francs) et d’unification progressive des taux.

Hormis les syndicats d’agglomération nouvelle dont la taxe professionnelle constitue la ressource fiscale obligatoire, 65 groupements seulement ont opté pour cette ressource communautaire et seulement cinq d’entre eux se sont constitués sous forme de communautés de villes.

Il y a là un relatif échec de l’une des ambitions du législateur de 1992 sur les causes desquelles vous avez déjà réfléchi et qu’il nous faudra tenter de corriger.

III. – Les propositions de l’Assemblée des districts et des communautés de France

J’ai, à cet égard, pris connaissance avec attention de votre enquête et des 25 propositions qui sont issues des travaux que vous avez conduits.

Je ne reprendrai pas chacun des thèmes que vous avez identifiés dans vos travaux, chaque question soulevée nécessitant une analyse que nous reprendrons dans le cadre de la concertation que j’engagerai dès la fin de l’année avec vous-mêmes, les associations d’élus, les parlementaires et le Comité des Finances Locales, au sein duquel siège votre président.

1. – Le premier de ces thèmes touche au statut de l’établissement public de coopération intercommunale et plus particulièrement la recherche d’un objectif d’unification du statut de l’intercommunalité.

Je partage votre objectif de simplification des règles de fonctionnement des EPCI. Je ne suis pas totalement persuadé, au stade de la réflexion actuelle, que nous arriverons à définir un statut unique, ne serait-ce que parce que les régimes fiscaux resteront différents. Mais l’essentiel est de parvenir à plus d’homogénéité des principales règles qui régissent les EPCI à fiscalité propre, qu’il s’agisse de la création, des règles de délégation des attributions, de la durée des mandats des délégués, des mécanismes de représentation-substitution, des procédures de retrait des communes ou de liquidation de l’établissement public.

2. – S’agissant des compétences, je rejoins également votre analyse sur la progressivité nécessaire des délégations de compétences à l’établissement public de coopération intercommunale par les communes. Je crois cependant – et nous ne sommes pas en contradiction sur ce point – que les EPCI doivent avoir dès l’origine des compétences suffisamment étoffées pour conduire un véritable projet et que le degré d’exigence devra être d’autant plus élevé que la ressource fiscale sera mutualisée et les mesures financières incitatives seront conséquentes.

3. – Je souscris également aux orientations de l’association des districts et communautés de France quant au mode de représentation des communes au sein du conseil communautaire. Il faut en effet trouver un équilibre entre la représentation de chaque commun membre et le nombre des habitants concernés, en essayant de ne conférer, sauf cas particulier, à aucune commune la majorité absolue dans le conseil, dispositif qui conduirait ici ou là à l’émergence de périmètres incohérents.

Par ailleurs, le mode de désignation des délégués – eu égard à la place croissante des groupements – doit préserver un lien avec les communes d’une part, et les électeurs d’autre part.

Il faudra bien, un jour ou l’autre, poser la question de la désignation au suffrage universel des délégués mais je sais que poser cette question, c’est aussi s’interroger sur la nature de l’EPCI et de son évolution vers un statut proche de celui d’une collectivité territoriale et, partant, du nombre de niveaux d’administration locale. Ce débat doit être ouvert mais je ne crois pas sa conclusion d’actualité.

Pour autant, nous devons être attentifs à bien ancrer les groupements dans l’exigence de démocratie locale et à tout le moins, comme vous le suggérez, il est indispensable que les délégués soient choisis parmi les conseillers municipaux des communs membres.

Comme vous le voyez, je partage largement les propositions institutionnelles émises par votre assemblée.

C’est dans cet esprit que je procède au réexamen du projet de loi déposé par M. Perben en travaillant sur deux objectifs :
- un développement plus volontariste de la taxe professionnelle en milieu urbain notamment ;
- une meilleure maîtrise de la dotation globale de fonctionnement.

IV. – Les nouvelles orientations

La taxe professionnelle d’agglomération, je l’ai dit tout à l’heure, n’a pas connu tout le succès qu’on attendait d’elle.

Elle constitue pourtant l’une des formes les plus élaborées de mutualisation de la ressource fiscale la plus importante et là moins bien répartie sur notre territoire.

C’est aussi une manière de réformer en douceur la taxe professionnelle, par l’harmonisation progressive des taux pratiqués sur un territoire. Le type d’agglomération est le vecteur d’une plus grande solidarité pour conduire une politique de développement ou d’aménagement.

Elle est économe des deniers publics en ce sens qu’elle évite le morcellement d’équipements dont l’implantation est parfois autant dictée par le produit fiscal attendu que par la rationalité, laquelle devrait être appréciée au regard de critères de desserte, d’environnement, de proximité de services qui, par nature, ne sont pas également répartis dans chaque commune.

Elle mérite donc d’être encouragée, notamment en milieu urbain. C’est cette orientation – déjà contenue dans votre réflexion –  que je souhaite approfondir avec vous.

Je n’ignore pas les obstacles qui subsistent pour promouvoir un développement de cette taxe professionnelle d’agglomération. L’assouplissement de la règle qui lie les différents taux d’impôts et la possibilité d’instaurer une fiscalité mixte me paraissent de nature à atténuer ces difficultés, à condition cependant qu’elles n’aboutissent pas à augmenter la pression fiscale globale.

Je sais aussi que la taxe professionnelle d’agglomération ne constitue pas toujours le choix le plus pertinent lorsque son produit est manifestement trop faible pour conduire efficacement et longtemps un projet réellement communautaire.

Dans ces situations, il est certainement beaucoup plus judicieux de s’orienter vers l’instauration d’une taxe professionnelle de zone, comme plusieurs groupements l’ont déjà fait.

Ces considérations me conduisent à penser que la TP d’agglomération mérite d’être encouragée quand elle opère une réelle péréquation locale au travers de l’exercice de compétences suffisamment étoffées.

Peut-être conviendra-t-il à cet égard de prolonger les réflexions jusqu’à présent menées, en examinant l’opportunité de créer un établissement public intercommunal à taxe professionnelle d’agglomération, accompagné de mesures plus incitatives qu’aujourd’hui et doté obligatoirement de compétences plus larges que celles exigées pour d’autres établissements publics de coopération intercommunale comme les districts ou les communautés de communes.

Un tel établissement pourrait avoir un champ de compétences dans les domaines de l’aménagement, du droit des sols, du développement économique et de la gestion des services. Faut-il imposer en cinq ans ce type d’établissement ou laisser la place au volontariat ? Certaines formes de coopération ont besoin d’une intégration progressive des compétences pour réussir. Mais la détermination des périmètres, dans les agglomérations, devra rechercher la plus grande cohérence possible.

Nous aurons, Monsieur le président, l’occasion de nous rencontrer de nouveau sur cet aspect de l’intercommunalité pour en discuter de manière plus approfondie.

Ma deuxième préoccupation concerne la maîtrise de la dotation globale de fonctionnement.

L’attribution d’une DGF aux groupements constitue une mesure incitative au développement de l’intercommunalité qui n’est pas nouvelle, mais la multiplication du nombre de groupements a naturellement pesé sur la DGF puisque, aussi bien, la dotation réservée aux groupements qui s’établissait à 2,7 milliards de francs en 1992 s’élève aujourd’hui à 5 MdF.

Ces dernières années, la croissance de l’intercommunalité a mobilisé en moyenne quelque 400 MF supplémentaires par an. Ce mouvement est intervenu alors que depuis 1993, la DGF a enregistré une évolution beaucoup plus faible que celle du début des années 1990, évolution d’abord limitée aux seuls prix en 1993 et 1994, puis indexée sur les prix et la moitié du PIB depuis 1995.

Néanmoins, malgré ce retour du PIB dans l’indexation, les indices réels sont restés confinés à des niveaux modestes. En 1997, la croissance de la DGF n’a été que de 1,26%.

Dans ces conditions, l’arbitrage entre la dotation forfaitaire, le financement des groupements, les dotations de péréquation, c’est-à-dire la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale, a été très délicat.

Ainsi, la dotation de solidarité urbaine n’a progressé que d’à peine plus de 2% l’an dernier.

Même si les indices se redressent, il est peu probable que l’on retrouve à brève échéance des taux d’évolution permettant à la fois d’assurer une croissance satisfaisante de la dotation des groupements qui permette une progression significative des dotations individuelles et de dégager des marges de péréquation larges en direction des villes en difficulté et des communes rurales.

Une enveloppe des groupements qui serait autonome permettrait de résoudre ces difficultés. Je sais que c’est aussi votre diagnostic. Encore faudra-t-il que nous sachions faire évoluer cette enveloppe pour absorber le financement exigé par la création de nouveaux groupements, sans peser sur la DGF des communes.

Bien entendu, une telle approche rend encore plus indispensable la mise à l’écart des groupements de circonstance, de l’intercommunalité d’aubaine, heureusement limitée.

C’est une préoccupation que, je le sais, vous partagez.

Telles sont, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, les principales réflexions dont je souhaitais vous faire part.

Vous voyez, j’ai fait mon profit de l’analyse minutieuse à laquelle vous vous êtes livrés et les orientations nouvelles que je vous propose d’étudier ne sont pas éloignées de vos propres suggestions.

C’est pourquoi, je souhaite reprendre avant la fin de l’année une concertation étroite sur la base des propositions techniques que j’ai demandé à mes services d’élaborer en vue de présenter un texte au Parlement dès le printemps prochain.

Je sais pouvoir compter sur l’expérience de l’ADCF pour conduire cette tâche et je vous en remercie par avance.