Texte intégral
Le Monde
- Le Conseil supérieur de la fonction publique et un comité interministériel pour la réforme de l'État se réunissent mardi 13 juillet. Ce rendez-vous permettra-t-il au gouvernement de sortir des vœux pieux sur la réforme de l'État ?
Emile Zuccarelli
- Ce rendez-vous est effectivement important. Il doit témoigner que le gouvernement ne procède pas par incantations : nous mettons obstinément en œuvre la charte élaborée à l'automne 1997. Notre volonté est de placer l'usager au cœur du projet de modernisation des services publics. C'est cette ambition qui doit maintenant trouver des applications concrètes.
La première impulsion que nous voulons donner porte sur l’évaluation des politiques publiques. Quatre mois après sa création, le Conseil national de l’évaluation a proposé au Premier ministre une première série de thèmes sur laquelle il pourrait engager ses investigations : cela va de la politique de prévention et de traitement du sida jusqu'aux dispositifs d'aide à l'emploi dans le secteur non marchand, en passant par la gestion des ressources en eau potable. Je souhaite que ces études aboutissent dans un délai d'environ un an.
Le Monde
- II reste que la réforme de l'État n'a, dans l'immédiat, guère de traduction concrète...
Emile Zuccarelli
- C'est inexact. Nous allons engager précisément, maintenant, la réorganisation des administrations territoriales de l'État, qui concentrent plus de 95 % des fonctionnaires. L'objectif est de rendre ces services plus efficaces et plus proches des citoyens. Le levier essentiel va être la mise en place de projets territoriaux. Ce document pluriannuel devra être établi de façon collégiale, par tous les chefs des services déconcentrés, sous l'autorité du préfet. Des expérimentations en cours dans six départements – le Cantal, le Doubs, l'Indre-et-Loire, le Lot-et-Garonne, la Meuse et le Val-d'Oise – devraient permettre de généraliser cette démarche d'ici à la fin de l’an 2000.
Le Monde
- Quels changements faut-il en attendre ?
Emile Zuccarelli
- D'une part la traduction sur le terrain, adaptée à la diversité des situations locales, des politiques publiques. D'autre part, la mise en œuvre d'une coordination horizontale des services aux échelons déconcentrés. Ainsi, l'organisation de l'État sur le terrain sera placée sous la responsabilité du préfet. Dans le respect des spécificités normales de certaines administrations (action éducatrice, assiette de l'impôt), ce dernier pourra, par arrêté, procéder à la mise en place de délégations interservices, ou, après décret en conseil d'État, à des fusions totales ou partielles des services déconcentrés.
Le Monde
- Cela passe-t-il par un renforcement du pouvoir des préfets ?
Emile Zuccarelli
- Leur formation et leur recrutement doivent être adaptés à cette tâche. Un des objectifs du gouvernement, sur proposition de mon collègue Jean-Pierre Chevènement, est de pouvoir puiser dans le vivier des chefs de services déconcentrés ; c'est le sens du projet de décret sur le statut des sous-préfets, soumis, mardi, au conseil supérieur de la fonction publique. En outre, le rôle des préfets doit être renforcé : si certains services publics, sur un même territoire, sont menacés de fermeture ou de redéploiement, il est souhaitable que les préfets disposent du droit de demander que cette décision soit réexaminée et que, dans l'intervalle, la mesure soit suspendue. Le CIAT (comité interministériel pour l'aménagement du territoire) du 15 décembre 1998 en avait arrêté le principe, le conseil interministériel de mardi va le mettre en œuvre.
Le Monde
- L'efficacité des services de l'État ne passe-t-elle pas, aussi, par une plus grande transparence des procédures financières ?
Emile Zuccarelli
- Deux dispositions doivent, effectivement, y contribuer. D'abord, il faut assouplir les règles budgétaires qui imposent aux administrations de consommés l'ensemble de leurs crédits au cours de l'année ; à cette fin, le gouvernement prévoit d'autoriser le report d’une année sur l'autre des crédits de fonctionnement non consommés, notamment dans le cadre d'une politique de contractualisation des moyens. En outre, la rémunération de l'ingénierie publique – c'est-à-dire les honoraires des directions de l’équipement ou de l'agriculture, par exemple – va, dès la loi de finances pour 2000, être budgétisée.
Le Monde
- Vous soulignez souvent que l'on ne fera pas la réforme de l'État sans les fonctionnaires. Que prévoyez-vous pour eux ?
Emile Zuccarelli
- II est indispensable de dynamiser la gestion des ressources humaines, c'est-à-dire de dépasser la simple gestion administrative des effectifs et de prendre en compte le parcours individuel de chaque agent. Ainsi, le gouvernement a soumis au conseil supérieur de la fonction publique, mardi, un décret modifiant le statut des administrateurs civils, afin d'assurer davantage de mobilité dans les carrières. De même, nous sommes en train de tirer les enseignements de l'expérience menée au ministère de l’intérieur sur la cotation des postes et l'alignement des échelles de rémunération avant de généraliser de telles procédures.
En outre, sur la base du rapport de Mme Colmou sur la place des femmes dans la fonction publique, le gouvernement a retenu deux mesures immédiates. D’une part, un décret va modifier la composition des jurys pour l'ensemble des concours de la fonction publique, ainsi que des comités techniques paritaires : tous ces organismes devront comprendre au moins un tiers de femmes. En outre, les comités techniques paritaires verront leurs compétences élargies : ils devront se prononcer sur la bonne application de la féminisation de l'administration, prévue dans le cadre de plans triennaux par ministère.
Le Monde
- L’autre gros chantier qui vous attend est celui des 35 heures. Vous semblez, sur ce point, vous hâter lentement...
Emile Zuccarelli
- Le calendrier a été tracé après la publication du rapport Roche, au mois de mars. À l'automne, nous poursuivrons avec les organisations représentatives une discussion permettant de poser le cadre général et, en particulier, de parvenir à un certain nombre de définitions communes de ce que chacun entend par la durée du travail. C'est sur cette base que s'engageront, ensuite, des négociations dans chacune des fonctions publiques et par ministère, puis que l’on pourra avancer vers une mise en œuvre déconcentrée et décentralisée de la réduction du temps de travail.
Le Monde
- Où en est la réforme de l'école nationale d'administration ?
Emile Zuccarelli
- Les conditions d'accès et la scolarité à l'ENA vont être réformées. Conformément aux remarques formulées, en juin, par le conseil d'administration de l’école et les élèves, notre objectif est de favoriser la diversification du recrutement. Ainsi, une épreuve obligatoire de spécialité va être introduite dans le concours externe pour permettre de diversifier l'origine disciplinaire des élèves et de sortir du monopole absolu de Sciences-Po Paris. De même, la scolarité va mieux prendre en compte la formation aux techniques de management et à l'action internationale. Enfin le nombre des épreuves de classement de sortie va être réduit de moitié, pour laisser davantage de place à la formation alternée sur le terrain.