Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers et sur le droit d'asile, à l'Assemblée nationale le 4 décembre 1997.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi présenté par Jean-Pierre Chevènement sur l'entrée et le séjour des étrangers et sur le droit d'asile, à l'Assemblée nationale le 4 décembre 1997.

Texte intégral

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Nous allons débattre de l’entrée et du séjour des étrangers, et du droit d’asile. Mais parler des étrangers, c’est aussi une autre manière de parler de la France. Sur tous ces bancs, nous nous en faisons une certaine idée qui transcende souvent, et c’est heureux, les appartenances politiques.

Le peuple français, parce qu’il a même historiquement des peuples appartenant au Nord et au Sud de l’Europe, des Flamands, des Catalans, des Bretons et des Corses, des Alémaniques et des Languedociens, ne s’est jamais défini par la souche, mais par le bonheur d’être ensemble en donnant sens à son Histoire. La France est une création suprêmement politique et culturelle. Cette diversité naturelle du peuple français, lui-même constitué en entité politique souveraine depuis le 14 juillet 1790, date de la Fête de la Fédération, s’est enrichie depuis le milieu du dix-neuvième siècle de l’apport de presque tous les peuples d’Europe, et même du monde, surtout à travers les sédiments déposés par les pays de l’ancien Empire français d’Afrique et d’Asie. Paris n’est Paris qu’ailleurs que parce qu’elle a su devenir ou rester une des deux grandes métropoles mondiales, où être Persan n’étonne plus personne. Bref, depuis toujours la France marche au mélange, mais elle ne peut le faire qu’autant qu’elle reste fidèle à sa culture, à sa langue, à sa manière d’être au monde, à ce qu’on appelle la République, bref pour autant qu’elle préserve sa capacité à intégrer.

Voilà le vrai sujet : la France croit-elle encore suffisamment à son destin, a-t-elle encore assez de confiance en elle-même, est-elle encore capable de donner sens à son Histoire, pour continuer à intégrer à son être collectif de nouveaux Français ?

Au fond, c’est de cela qu’il s’agit : de l’envie d’être français, de celle que nous avons d’accueillir au sein de la France des jeunes qui portent au visage le signe de leur différence. Mais aussi de l’envie qu’ils éprouvent de rejoindre une communauté de citoyens délivrée de la sombre mythologie des origines. Voilà encore une fois le dilemme historique auquel nous avons déjà été confrontés, entre la République des Lumières qui nous appelle, aujourd’hui comme hier, et une idéologie néo-vichyssoise resurgit de l’abîme où elle voudrait nous entraîner à nouveau. Cette idée d’une communauté française de souche dont nous savons bien qu’elle est entièrement mythique n’est pas nouvelle. Dressée aujourd’hui contre les immigrés, comme elle l’était hier contre les juifs, les métèques et les bolcheviks, dont, soit dit en passant, les gaullistes d’alors n’étaient que les agents du régime de Vichy – c’est toujours la même négation haineuse des idées de 1789.

Le vrai sujet, au-delà de l’immigration, c’est l’intégration, c’est l’accès à la citoyenneté. Certes la machine à intégrer continue à fonctionner : à travers l’École et les mariages mixtes principalement ; mais elle connaît des ratés que révèlent la faiblesse de l’engagement politique et syndical, les discriminations à l’embauche ou sur les lieux de loisirs, les difficultés des banlieues.

On aurait tort de ramener ces difficultés à l’aspect purement économique. Certes, s’il n’y avait pas de chômage, si chacun pouvait vivre du fruit de son travail, on parlerait beaucoup moins de l’immigration dans notre pays. Le retard de certains immigrés à s’adapter à nos us et coutumes traditionnels susciterait moins d’exaspération si la précarité ne bornait pas l’horizon des plus démunis de nos concitoyens. Mais ce qui est en cause plus profondément, c’est le vouloir-vivre national, c’est la capacité de la France à se projeter avec confiance dans le vingt-et-unième siècle.

Or, nous voulons tourner la France vers l’avenir. Nous voulons que se poursuive le processus de construction de la nation française. Ce projet de loi vise donc d’abord à faciliter la vie des étrangers et d’abord de ceux qui sont régulièrement présents sur notre sol, à les déstabiliser, et donc à permettre à ceux qui le veulent, leur intégration à la République ; il rappelle aussi la nécessité de l’accueil, inséparable de la vocation universelle de la France.

Pour autant, l’énoncé de principes éthiques ne saurait suffire à fonder une politique. La France, première destination touristique, quatrième puissance commerciale et scientifique mondiale, pôle de la francophonie, est un pays naturellement ouvert au monde – elle accueille chaque année 85 millions de visiteurs – mais elle doit maîtriser cette ouverture ; il faut tenir les deux bouts de la chaîne. L’angélisme qui voudrait ignorer les déséquilibres démographiques, économiques et politiques d’un monde où la principale menace est l’anomie, c’est-à-dire l’absence de règles, et les difficultés sociales et politiques que la République rencontre et rencontrera dans les temps à venir ne peut faire une politique. Il n’en est point qui vaille en dehors des réalités.

Aucune force démocratique représentée à l’Assemblée nationale ne conteste d’ailleurs le principe d’une maîtrise des flux migratoires. Refuser le principe d’une limitation de l’immigration en France ne remédierait d’ailleurs en aucune manière aux maux qui accablent les pays d’origine. Comme le disait, il y a plus de vingt ans, André Postel-Vinay : « Nous en péririons sans les soulager ».

La vocation universelle de la France ne peut plus s’exprimer aujourd’hui comme hier dans des guerres de conquête et d’expansion qui ont suscité un retour des nationalismes anti-français. Elle s’exprime aujourd’hui de deux manières : d’abord par une définition ouverte de la nation conçue comme communauté de citoyens en dehors de toute distinction d’origine. En second lieu, la France, si elle n’exporte plus la Révolution, entend favoriser partout à travers le monde, la construction d’États autant que possible de droits, sans lesquels il n’est pas de développement ni économique, ni politique concevable.

Les problèmes qui se posent au Sud doivent d’abord au Sud leur solution : prenons quelques exemples ; si les Kurdes irakiens sont aujourd’hui les plus nombreux parmi les étrangers qui se pressent à nos frontières (53%), la solution est moins dans l’octroi d’un titre de séjour que dans la réintégration de l’Irak dans la communauté internationale et dans la restauration parallèle de la paix au Kurdistan. De même l’exode en France de l’intelligentsia algérienne ne serait pas un service rendu à l’avenir de l’Algérie, qui a besoin d’elle pour trouver l’identité moderne qui lui permettra de mobiliser les atouts de son peuple, qui sont grands.

L’accueil de réfugiés n’a de sens que s’il reste une réponse provisoire à une situation d’urgence. Nous devons concevoir les rapports Nord-Sud dans la perspective du co-développement, et non sous la forme d’un apartheid à l’échelle mondiale, entre pays riches et pays pauvres.

La politique d’immigration ne peut méconnaître non plus les intérêts de notre pays. Bon an mal an, si on s’en tient à la moyenne des dix dernières années, la France accorde le droit au séjour à environ 100 000 étrangers par an. Et le nombre de ceux qu’elle accueille dans la nationalité française est à peu près équivalent, de sorte que le nombre de étrangers régulièrement présents notre sol est à peu près stable (environ 4 millions). Si l’on compare avec les pays voisins, le premier chiffre – celui des admissions au séjour – est plutôt faible, et le second – relatif à l’acquisition de la nationalité – plutôt élevé. Cette différence qui est à notre honneur tient à la définition citoyenne de la nation française. Le processus de l’intégration qui est au cœur de la constitution et de la conception même du peuple français se poursuit. Notre législation doit être fixée de telle manière que ce processus puisse continuer. Il s’agit de caréner la République pour les décennies à venir. Ce projet de loi implique donc en équilibre entre l’ouverture et la maîtrise. C’est ce juste équilibre que le gouvernement a recherché.

Toute politique définie à l’aune des valeurs et des intérêts de la République obéit à la pensée de Pascal : « La justice sans la force est impuissance. La force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble de la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste doit fort ou que ce qui est fort soit juste ».

Avant de vous présenter le projet de loi lui-même, j’aimerais le situer d’abord dans son contexte ; à travers un rappel historique, ensuite à travers l’intention qui a été celle du gouvernement, et enfin par l’explication de la méthode choisie.

I. – Le contexte dans lequel s’inscrit le projet de loi

A)  Le contexte historique

Le droit au séjour des étrangers est fixé par l’ordonnance du 2 novembre 1945. Ce texte porte la marque d’une inspiration progressiste fondamentale : il a permis l’arrivée en France de centaines de milliers d’immigrants qui étaient nécessaires au pays pour se reconstruire et pour mener à bien les transformations qui, en trente ans, en ont fait la quatrième puissance ethnique et de toute discrimination sociale entre les étrangers établis régulièrement et les citoyen français, accès aux garanties de l’État de droit y compris pour ceux qui ne remplissent pas les conditions d’un séjour régulier, restent valables aujourd’hui.

Ce texte de base mérite d’être conservé, car il permet en fait, quel que soit le contexte, de conduire une politique de l’immigration conforme aux intérêts du pays. Depuis 1974, l’explosion du chômage a entraîné le quasi arrêt de l’immigration de travail. Comme l’a cependant montré M. Patrick Weil dans un livre de 1995 : « La France et ses étrangers », préfacé par M. Marceau Long, les principes consensuels d’une politique française de l’immigration existent de manière plus ou moins explicite : c’est à l’unanimité que l’Assemblée nationale a ainsi approuvé l’octroi de la carte de résidant de dix ans. Il est vrai que c’était en mai 1984, un mois avant qu’un parti d’extrême-droite ne fasse irruption sur la scène politique française. Reste que toutes les familles politiques ont ainsi approuvé la présence durable d’une immigration étrangère régulièrement établie sur notre sol. Et même la loi Méhaignerie de 1993 sur la nationalité a admis que le destin normal des enfants nés en France de l’immigration était de se fondre dans le peuple français, dès lors qu’ils souscrivaient, à l’âge de dix-huit ans, à une manifestation de volonté. Je dis cela pour ne pas grossir inutilement nos différents pour réels qu’ils soient. Car cette restriction a abouti à laisser trop de jeunes, non informés de leurs droits, sur le bord du chemin, ainsi voués à rester étrangers sans le savoir dans le pays où ils sont nés et où ils ont grandi. Laisser 25%, voire 10% des jeunes issus de l’immigration dans une sorte de no man’s land juridique, ni Algériens ni Français, serait, qui ne le voit ? Une source de graves problèmes pour l’avenir. Quelles qu’aient été les intentions initiales, il fallait remédier à des carences d’ores et déjà évidentes.

Je note, cependant, qu’au-delà des divergences qui se sont exprimées sur la nationalité, c’est dans son principe la même perspective d’intégration qui a été affirmée par les uns et par les autres. Je suis convaincu que le débat est souvent d’autant plus vif dans cette Assemblée qu’en réalité il porte moins sur des principes que sur des modalités d’application. Qui donc, en effet, oserait remettre en cause le droit d’asile inscrit dans notre Constitution ? Ou la protection sociale apportée aux réfugiés et aux malades que le renvoi dans leur pays d’origine exposerait à des risques vitaux ? Qui donc contesterait à son fils le droit d’épouser une Péruvienne et ne se réjouirait à l’idée de les voir fonder une famille en France ? Quel Français digne de ce nom voudrait séparer les conjoints, empêcher un enfant de rejoindre son père ou sa mère ? Le droit a une vie familiale normale fait partie, comme la protection des réfugiés, des obligations internationales souscrites par la France. Lequel de nos concitoyens ne verrait pas l’avantage d’accueillir dans nos laboratoires d’électronique ou de recherche médicale des chercheurs américains, russes, chinois, indiens ou japonais ?

Et inversement rares sont ceux qui contesteront qu’un étranger dépourvu d’attaches familiales en France ayant commis de sang-froid un crime grave n’a plus à être admis au séjour régulier sur le territoire national.

Les Français sont en réalité beaucoup plus d’accord qu’ils ne le croient souvent et qu’ils pourraient le croire au spectacle de nos débats sur les principes qui doivent fonder une politique d’immigration digne et conforme aux intérêts du pays. Car c’est l’intérêt de la France que de faire respecter sur son sol les droits fondamentaux de la personne humaine. Il y va de son image et de son prestige dans le monde.

En défendant les libertés, on défend aussi l’intérêt national. Quand on ne les respecte pas, on porte atteinte à l’intérêt national. Les querelles entre la gauche et la droite républicaines portent plus en fait sur des modalités d’application et quelquefois aussi – hélas – sur des procès d’intention que sur les principes. L’origine de ces querelles n’est malheureusement que trop évidente : c’est la pesée de l’extrême-droite depuis près de quinze ans dans le paysage politique de notre pays.

B) Le contexte politique : le but recherché par le gouvernement

L’intention du gouvernement a été justement de tenter de soustraire l’immigré à ce rôle de punching-ball dans le débat droite-gauche. Le sommeil de la raison enfante des monstres. Le gouvernement a choisi de parler le langage de la raison et non celui des passions.

La volonté du gouvernement a été formulée de la manière la plus claire ici même par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin dernier.

En l’absence d’un programme commun de gouvernement, la déclaration de politique générale du Premier ministre constitue le fondement du pacte majoritaire. Je le cite : « La France doit définir une politique d’immigration ferme et digne, sans renier ses valeurs, sans compromettre son équilibre social (…) L’immigration est une réalité économique, sociale et humaine qu’il faut organiser, contrôler et maîtriser au mieux, en affirmant les intérêts de la nation et en respectant les droits de la personne (…) La République accueille ses hôtes selon ses lois qui doivent être claires et précises. L’immigration irrégulière et le travail clandestin – dont je sais qu’il n’est pas le seul fait des étrangers – doivent être combattus sans défaillance parce que l’un et l’autre compromettent l’intégration (…) La politique de coopération avec les États d’immigration prendra en compte l’objectif de la maîtrise des flux migratoires. « Les engagements pris en matière de droit du sol, de droit d’asile, de droit à une vie familiale normale sont rigoureusement tenus.

Nous devions d’abord régler les problèmes laissés pendants, des situations humaines difficiles, celles des étrangers dits « irrégularisables et inexpulsables » dans un contexte passionnel suscité et entretenu par un projet de loi dont M. Jean-Louis Debré a lui-même reconnu qu’il répondait davantage à des considérations dictées par la conjoncture politique qu’à un réel souci d’efficacité (« En mon for intérieur », Jean-Claude Lattès). M. Jean-Louis Debré s’est lui-même targué, à la veille de la dissolution, d’avoir réussi à déplacer le champ du débat politique.

J’ai signé dès le 24 juin, soit cinq jours après la déclaration de politique générale du Premier ministre, une circulaire visant au réexamen de la situation de certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière, sur la base de critères définis, avant les élections législatives, par le collège des médiateurs et précisés définis par la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme). Ces critères tirent toutes les conséquences du droit de vivre en famille affirmé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme signée par la France en 1950. La circulaire prend aussi en compte les risques que couraient des malades atteints de pathologies graves ou des réfugiés exposés à un risque vital, s’ils étaient renvoyés dans leur pays, catégories en principe protégées. Ainsi se trouveront réglés les cas des étrangers irrégularisables et inexpulsables du fait de la législation antérieure.

J’ai donné de directives précises pour que chaque demandeur puisse bénéficier d’entretien personnalisé. Inévitablement, une telle consigne ralentit quelque peu le rythme des réexamens. Compte tenu de la surcharge de travail occasionnée aux services « étrangers » des préfectures auxquels je tiens à rendre hommage pour l’effort qu’ils réalisent, le processus de réexamen devrait pouvoir s’achever le 30 avril 1998, au moment où paraîtront les décrets d’application de la loi dont le Parlement débat aujourd’hui. Les critères, qui étaient bons hier, ne sont pas devenus mauvais aujourd’hui.

Par la place faite au droit de vivre en famille et à la protection des réfugiés, le projet de loi qui vous est soumis prolonge l’esprit de la circulaire du 24 juin 1997. La création d’une carte de séjour temporaire « vie personnelle et familiale » mettra définitivement un terme aux situations insupportables dont nous avions hérité. Certains font valoir qu’il restera en France des étrangers en situation irrégulière, mais jamais le gouvernement n’a pris l’engagement de donner des papiers à tous. Un tel engagement n’aurait pas été responsable car donner aujourd’hui des papiers à tous signifierait que demain, plus tard, toujours, quiconque, présent en France en situation irrégulière, demanderait des papiers finirait par les obtenir. Or, telle n’a jamais été l’intention du gouvernement car tel n’est pas l’intérêt du pays. Un monde sans papiers serait d’ailleurs un monde sans règles ni protection, livré à une exploitation sans frein.

De même le gouvernement a-t-il rempli ses engagements en présentant au Parlement deux projets de loi, l’un sur la nationalité, présenté par Madame le Garde des Sceaux, destiné à éviter qu’un enfant né en France puisse devenir étranger sans le savoir à dix-huit ans, et que vous avez adopté lundi, l’autre, celui que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.

Ce faisant, l’intention du gouvernement n’est nullement de réveiller une polémique néfaste pour les immigrés installés de longue date dans notre pays, et nuisible à l’image, au rayonnement et aux intérêts de la France dans le monde. Non, ; l’intention du gouvernement est avant tout de servir l’intérêt général, de mette notre pays en règle avec les engagements internationaux qu’il a souscrits, de construire un consensus républicain dans le pays sur la base de principes dans lesquels puisse se reconnaître une majorité de nos concitoyens, même si ces principes ont été délibérément occultés depuis quinze ans par les polémiques. Le courage c’est de chercher la vérité et de se dire. Osons dire que sur la base de quelques principes simples : le droit d’asile, le droit de vivre en famille, la suppression des tracasseries inutiles, la conception citoyenne de la nation, la défense de notre langue partout dans le monde, une coopération privilégiée avec les pays de l’espace francophone, il y a une large base d’accord, au-delà de la gauche et de la droite, entre toutes les femmes et les hommes de bonne foi de notre pays.

Certes il peut y avoir place pour des débats légitimes sur telle ou telle disposition technique, les uns se montrant plus attachés au respect strict des garanties individuelles, les autres plus soucieux de la maîtrise globale des flux, mais évitons de réveiller les vieux démons et de nourrir des fantasmes : traitons nos concitoyens en adultes.

En tous cas, tel a été le parti choisi dès le départ par le gouvernement. Dès le 1er juillet, le Premier ministre adressait à M. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, une lettre de mission en vue de définir une politique d’immigration ferme et digne dans une double perspective d’intégration à la république des étrangers qui le souhaitent et qui en remplissent les conditions, et de co-développement avec les pays d’origine.

Le but du gouvernement a été, pour sortir d’un débat politique piégé, de partir des réalités. Patrick Weil a beaucoup consulté. Tous les avis ont pu s’exprimer. Bien évidemment prendre des avis ne signifie pas automatiquement qu’on les suive, surtout s’ils reposent sur des principes erronés.

M. Patrick Weil et les membres de sa mission ont ainsi formulé 130 propositions d’actions tantôt législatives, tantôt réglementaires, tantôt simplement administratives. Je tiens à rendre solennellement hommage à ce travail remarquable effectué en quelques semaines, il est vrai sur la base de quinze ans de recherches, travail marqué par un constant souci d’objectivité et répondant parfaitement à ce mélange d’idéal et de pragmatisme, de confiance en l’homme et de respect de la loi qui fonde l’esprit de la République. Ce projet de loi reprend une quarantaine des 130 propositions du rapport Weil : celles qui sont de nature législative.

A ce que je devine à l’annonce des motions de procédure et au nombre d’amendements déposés, le souci du gouvernement d’élever le débat ne semble pas devoir être payé de retour, mais je suis convaincu que nos concitoyens, dans leur grande masse, lui sauront gré de n’avoir travaillé qu’en vue de l’intérêt général.

L’opposition, au fond d’elle-même, est-elle bien convaincue de mener un bon combat ?

Comment M. Jean-Louis Debré par exemple peut-il expliquer que, prêt à voter, le 29 août, le projet de loi gouvernemental qui venait d’être rendu public sous la forme d’un document de travail, il puisse y discerner aujourd’hui des dangers si menaçants qu’ils lui avaient complètement échappé il y a trois mois, et cela alors même qu’il n’a subi aucune modification sinon la réduction de la durée de la rétention administrative de quatorze à douze jours à la demande du Conseil d’État ?

Le gouvernement n’a pas cherché une inutile polémique. Certains nous reprochent de ne pas avoir purement et simplement abrogé les lois Pasqua et Debré. Mais justement nous n’avons pas voulu diaboliser les personnes mais rester à la fois fermes sur nos principes et pragmatismes dans leur application. Les lois Pasqua et Debré ne sont elles-mêmes que des amendements de l’ordonnance de 1945, elle-même déjà amendée. L’expérience de l’abrogation pure et simple a déjà été faite. Elle ne s’est pas avérée concluante. Pour réaliser les avancées que le projet de loi comporte, il n’eût d’ailleurs pas suffi d’abroger.

Nous disposons aujourd’hui d’assez de recul : point n’est besoin de mettre bas une loi par une autre. Il suffit de modifier sur des points essentiels les dispositions antérieures pour concrétiser les avancées que nous estimons souhaitables. La loi sur la nationalité comble la brèche ouverte par la loi Méhaignerie en rétablissant l’automaticité du droit du sol tout en maintenant un élément de volonté individuelle donnant ainsi toute sa force à la conception française de la Nation, fondée sur le vouloir-vivre en commun des citoyens.

Des dispositions nouvelles se substituent à celles des lois Pasqua et Debré ou s’y ajoutent pour assouplir les conditions du regroupement familial, donner toute sa force au droit de vivre en famille, mieux garantir l’asile, supprimer les tracasseries inutiles, rendre plus facile l’octroi des visas à certaines catégories de personnes, l’accueil en France des scientifiques ou le retour des retraités dans leur pays d’origine.

Le certificat d’hébergement qui était devenu, au fil des ans, un outil de discrimination et dont M. Debré avait fait dans l’article premier de son fameux projet de loi l’utilisation que l’on sait, va sans doute céder la place à une simple attestation d’accueil authentifiée, si l’Assemblée Nationale suit l’avis de votre rapporteur, M. Gérard Gouze, dont je salue le remarquable travail. Je tiens d’ailleurs à cette occasion à remercier la Commission des Lois et sa Présidente, Madame Catherine Tasca, pour la qualité de leur contribution.

Le gouvernement entend non pas seulement modifier les textes existants mais rompre avec l’esprit suspicieux et frileux dans lequel les lois de la République ont été appliquées par les gouvernements précédents.

L’immigration a été diabolisée comme étant la source de tous les maux, au mépris de considérations de simple humanité.

Le nombre des visas est passé de 2,6 millions en 1992 à 1,8 millions en 1996. De 1992 à 1995, les admissions au séjour au titre du regroupement familial passent de 32 665 à 14 360. Certes le quasi arrêt de l’immigration de travail l’explique en partie, mais seulement en partie. Le nombre des étudiants accueillis passe de 18 000à 15 000 et celui des étudiants africains inscrits dans nos universités diminue de 20 000.

Le nombre de réfugiés reconnus par l’PFPRA passe, toujours de 1992 à 1995, de 10 266 à 4 742 et celui des demandeurs d’asile de 28 872 à 20 415.

Il n’est pas jusqu’au nombre de conjoints et d’enfants de Français dont on ne voit diminuer le nombre : il passe de 23 047 à 16 458.

Il y a là la marque d’un esprit excessivement frileux qui doit tout à l’application restrictive des textes. Il suffit de comparer le nombre des entrées en France et dans les pays voisins.

En 1995, nous avons accordé 125 000 premiers titres de séjours à des étrangers nés hors de France dont 78 000 d’au moins un an.

En Allemagne il a presque constamment approché le million par an depuis 1992, soit dix fois plus qu’en France.

Au Pays-Bas, toujours en 1993, 87 000 et en Belgique 53 000. En Suède 54 000, En Suisse 104 000, soit de trois à huit fois plus qu’en France à raison de la population.

Il n’y a guère que la Grande-Bretagne qui se soit montrée moins accueillante avec 55 000 admissions au séjour seulement.

Est-ce vraiment l’intérêt de la France que de voir les étudiants africains poursuivre leurs études en Belgique, au Canada ou aux États-Unis ? En vous proposant des mesures simples et pratiques qui permettent parfaitement la maîtrise des flux, le gouvernement vous propose simplement de rompre avec une attitude revêche qui dessert l’image et les intérêts de la France dans le monde.

C) La méthode choisie

Notre démarche n’a rien d’idéologie elle est une démarche de principe et pratique à la fois.

C’est pourquoi les propositions du rapport Weil ne sont pas pour la plupart, du domaine de la loi. Le gouvernement s’en est néanmoins très largement inspiré pour modifier les réglementations en vigueur. Plusieurs réunions interministérielles se sont d’ores et déjà tenues pour planifier la mise en œuvre de ces modifications.

Les ministres concernés se sont mis au travail :

Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères engage une nouvelle politique des visas. Celle-ci a trois objectifs : faciliter la libre circulation, encourager la venue en France des personnes qui contribuent à la vitalité de nos relations bilatérales et au développement de nos échanges par exemple par la délivrance systématique aux titulaires d’un visa de long séjour, d’un visa Schengen de court séjour à entrées multiples -. Le troisième objectif est de redresser l’image de notre pays en améliorant les conditions d’accueil du public, notamment par une meilleure formation des personnels consulaires et par la publication des instructions concernant les visas. Parallèlement une mission interministérielle animée par M. Sami Vair travaille en étroite liaison avec tous les ministères intéressés à réorienter notre politique de coopération dans le sens du co-développement, car les flux migratoires dès lors qu’ils comportent une formation et visent à la réinsertion dans le pays d’origine, sont porteurs d’une dynamique positive. Le dispositif et les aides de l’Office des migrations internationales, la réorientation de la coopération décentralisée entre des collectivités locales, l’ouverture de centre d’accueil et d’information à Paris et dans les régions, le soutien aux projets de créations d’entreprises dans les pays d’origine, constituent les premiers moyens d’une politique qui doit trouver son sens et son essor dans la durée.

Madame la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité travaille à l’amélioration du dispositif d’accueil et du regroupement familial, et met en œuvre l’aide médicale hospitalière pour tous et le droit au travail à mi-temps des étudiants. C’est à ses services également qu’incombe la tâche de tarir les sources de l’immigration clandestine de travail, en réformant la législation du travail dans des secteurs tel que le bâtiment, le tourisme, l’agriculture, la confession.

Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale, Recherche et de la Technologie organise une plus grande ouverture de nos établissements d’enseignement supérieur aux étudiants étrangers, tout en apportant une plus grande attention aux conditions de recrutement des étudiants et au choix de nos partenaires scientifiques.

Madame le Garde des Sceaux prépare une instruction aux Parquets. Les procureurs seront notamment invités, comme ils l’ont déjà été dans un passé récent, à ne poursuivre qu’à titre exceptionnel un étranger en situation irrégulière sur le fondement de cette seule infraction. En effet, un étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit à la frontière par mesure administrative et non à être condamné.

Pour ma part, je cherche à faciliter les démarches incombant aux étrangers demandeurs d’un titre de séjour, par exemple en diffusant un document retraçant l’ensemble des titres existants et leurs conditions de délivrance. De même, je m’efforce d’alléger les contraintes administratives pesant sur les ressortissants communautaires en leur délivrant un premier titre de séjour d’une durée de dix ans au lieu de cinq actuellement.

Une nouvelle politique de l’immigration, à la fois généreuse et ferme, se met ainsi progressivement en place. Le projet de loi soumis à votre discussion n’est qu’un des moyens de cette nouvelle politique.

C’est au projet de loi lui-même que j’en viens maintenant.

II. – Le projet de loi

Le projet de loi soumis à votre délibération donc la suite donnée aux propositions législatives du rapport Weil

Le projet de loi vise trois objectifs :
- d’abord stabiliser les étrangers en situation irrégulière et les intégrer, s’ils veulent, à la République ;
- ensuite, affirmer l’ouverture de la France au monde, dans le souci de l’intérêt national même ;
- ensuite, maîtriser les flux migratoires, dans le respect des droits des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou non.

A) Premier objectif : stabiliser les étrangers en situation régulière et les intégrer, s’ils le veulent, à la République

Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, la carte de résident de dix-ans renouvelable est l’outil juridique adéquat pour rendre stable la situation des étrangers durablement installés sur notre sol. Mise en place, par un vote unanime du Parlement, En 1984, elle a besoin d’être confortée. Aussi, le gouvernement n’a-t-il pas souhaité étendre d’emblée à d’autres catégories de personnes le bénéfice de ce titre, même si les bénéficiaires des nouvelles cartes de séjour temporaire peuvent pour la plupart y prétendre ultérieurement.

La création d’un titre spécifique pour les retraités est encore une manifestation de cette volonté de stabilisation. Il s’agit de fournir aux travailleurs retraités un cadre légal pour retourner vivre complètement dans leur pays d’origine en leur permettant d’y percevoir sans difficulté leur retraite. Ils pourront conserver la couverture sociale à laquelle ils ont droit de par leur vie de travail pour soigner en France d’éventuelles maladies graves et d’y revenir quand ils le souhaitent.

Mais la véritable innovation réside dans la carte de séjour temporaire, mention « situation personnelle et familiale ». La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950, dispose en son article 8 que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…) ». La France est tenue d’appliquer cette disposition qui, aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg et du Conseil d’État, est d’application directe, c’est-à-dire applicable comme engagement international sans avoir besoin de transcription législative. Les mesures d’éloignement prises à l’encontre des étrangers ne peuvent donc méconnaître le droit de ceux-ci au respect de leur vie privée et familiale. Les personnes concernées ne peuvent donc être reconduites à la frontière. Si elles n’avaient pas droit à un titre de séjour, elles se trouveraient dans la situation absurde de n’être « ni régularisables, ni expulsables ». La circulaire du 24 juin ne peut constituer qu’une réponse temporaire. Il est nécessaire de disposer d’une base législative solide et cohérente pour l’avenir. C’est pourquoi le projet de loi reconnaît aux personnes concernées, dans le cadre d’une carte de séjour temporaire mention « situation personnelle et familiale », notion qui recouvre la même réalité que « vie privée et familiale » le droit au séjour. Il n’est pas exact, comme je l’ai entendu affirmer, que cette notion serait floue et ouvrirait la voie à je ne sais quels débordements. Le Conseil d’État, par sa jurisprudence, a défini, tant pour la vie familiale que pour la situation personnelle, des critères stricts, d’appréciation. Ainsi la carte de séjour « vie personnelle et familiale » régularisera la situation des étrangers qui ne peuvent pas être reconduit à la frontière, ni plus, ni moins.

L’objectif de stabilité et d’intégration s’exprime aussi dans les dispositions relatives au mariage. Les étranges conjoints de Français pourront accéder dès leur mariage à la carte de séjour temporaire. La condition d’entrée régulière est supprimée : il est, en effet, absurde de répondre à quelqu’un qui vient de se marier qu’il ne peut séjourner en France qu’en retournant dans son pays faire une demande de visa, qu’on ne pourra pas lui refuser. ; c’est une question de bon sens. Le code civil est également modifié pour éviter l’opposition éventuelle du procureur dans les dix jours qui précèdent le mariage. Je rappelle que cette possibilité n’est utilisée que quelques dizaines de fois dans l’année.

Les règles relatives au regroupement familial doivent s’appliquer avec le même souci d’humanité. La condition de ressources hors prestations familiales reste indispensable, mais une souplesse sera donnée aux préfets pour apprécier la situation lorsque les ressources sont temporairement inférieures au SMIC. L’exigence d’un logement adapté devra être appréciée au moment où le regroupement deviendra effectif et non au moment de la demande : il est absurde d’exiger d’un travailleur immigré la disposition d’un appartement de cinq pièces pendant les six mois que dure le traitement de sa demande, alors qu’il sera seul à l’habiter pendant cette période. Lorsque les conditions sont remplies au moment de la demande, le regroupement ne pourra plus être remis en cause. Les enfants d’un premier lit pourront être admis au regroupement si leur autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ce qui exclut toute concession à la polygamie. Comme vous le voyez, ces dispositions simples et pratiques maintiennent les critères nécessaires du regroupement familial en les rendant simplement plus humains.

Enfin la volonté d’une complète intégration des étrangers résidant régulièrement en France m’amène à vous proposer de parfaire l’égalité des droits sociaux entre ceux-ci et les citoyens français ; les derniers droits sociaux dont ils ne bénéficiaient pas – l’allocation aux adultes handicapés et les prestations du Fonds National de Solidarité leur seront désormais acquis.

B) Affirmer l’ouverture de la France au monde dans le respect de ses intérêts bien compris

Le régime des visas, tel qu’il fonctionne actuellement, est vu à l’étranger comme un signe de fermeture de la France. Le Président de la République a récemment, lors du sommet de la francophonie à Hanoï, réaffirmé la nécessité de l’assouplir. J’en suis fortement partisan. Un certain nombre de mesures sont préparées en ce sens par M. Védrine, Ministre des Affaires Étrangères, sous formes de décrets et d’instructions à nos postes consulaires. Deux dispositions sont de nature législative. Il s’agit tout d’abord de la motivation des refus de visas. Cette obligation de motivation concerne les membres de famille et plus généralement les personnes qui bénéficient du droit au séjour. Dans de tels cas l’octroi du visa doit être la règle, le refus de l’exception.

Il s’agit, bien sûr aussi, du régime du certificat d’hébergement. Par ce document, un hébergeant déclare accueillir chez lui un étranger pour une visite privée. Celui-ci a ainsi la possibilité de justifier de ressources moindres pour obtenir un visa. Ce document est visé par le maire. Mais les refus systématiques de certains maires, en nombre limité d’ailleurs, posent un grave problème au regard de l’égalité entre les citoyens. Comment expliquer que l’on peut recevoir beaucoup plus facilement des amis étrangers lorsqu’on habite une commune plutôt qu’une autre ?

Cette question avait fait l’objet d’un débat difficile dans le pays il y a un an : il s’agissait, on s’en souvient, pour le gouvernement de l’époque d’exiger de l’hébergeant qu’il renseigne l’administration sur le départ de l’hébergé. Devant l’émotion suscité par ce projet, un compromis honorable avait été trouvé, grâce à l’intelligence de parlementaires de l’actuelle opposition. Ce compromis transférait au préfet le visa des certificats d’hébergement. Mais un tel transfert pose d’importants problèmes : il créerait une charge de travail accrue pour les services des étrangers des préfectures, que j’essaie au contraire de réduire.

En outre, le préfet ne peut faire qu’un examen très formel des conditions d’hébergement, que seul le maire, par la connaissance qu’il a de sa ville, peut réellement apprécier. Un compromis avait d’ailleurs été étudié par l’association des maires de France et l’association du corps préfectoral, qui visait à faire instruire la demande par le maire et à la transmettre au préfet, qui se fierait alors à l’avis du maire. Mais alors, pourquoi transférer le pouvoir au préfet ? Le projet de loi envisage donc un retour au pouvoir du maire, avec possibilité d’un recours auprès du préfet. Le but est d’assurer une égalité de traitement entre tous les demandeurs. Mais, comme je vous l’ai déjà indiqué, j’ai demandé aux responsables de nos services de police si ces certificats, une fois visés, faisaient l’objet d’une exploitation quelconque. Ils m’ont répondu négativement. Il suffit d’ailleurs de comparer le nombre de certificats d’hébergements délivrés en 1996 : 158 000 pour 4 800 refus et de mettre en regard le nombre de visas 1,8 million pour aboutir à la même conclusion. Alors, je laisse à la sagesse du Parlement le soin d’apprécier qu’il ne faut pas, purement et simplement, supprimer le certificat d’hébergement. Pour éviter que cette suppression ne se traduise par une plus grande discrimination par l’argent lors de l’octroi du visa, j’envisage de le remplacer par une simple attestation d’accueil, dont la signature par l’hébergeant serait authentifiée par une autorité publique. Je vous en laisse juges. Par ailleurs le projet de loi propose de supprimer des formalités tracassières qui constituent des obstacles autant à la libre circulation des étrangers en général qu’une gêne pour ceux qui vivent régulièrement dans notre pays ; je pense à la déclaration d’entrée sur le territoire et au visa de sortie, documents dont l’utilité en termes de contrôle des flux migratoires est nulle.

Le développement des échanges intellectuels est dans l’intérêt bien compris de la France, de son rayonnement à l’étranger et des pays avec lesquels ont lieu ces échanges. L’avenir de la francophonie en dépend. Le nombre d’étudiants africains en France, qui a sensiblement diminué ces dernières années, devrait pouvoir augmenter à nouveau dans des proportions notables. La venue des chercheurs étrangers dans les laboratoires français, doit être aussi encouragée : « c’est le sens de la création d’une carte de séjour temporaire, mention « scientifique », dont les conditions d’obtention seront considérablement allégées, dès lors qu’un organisme de recherche attestera de l’utilité de cette venue.

L’ouverture de la France au monde doit se traduire aussi dans le droit d’asile, engagement international conforme à notre conception des droits de l’homme. Le titre II du projet de loi a été préparé en concertation étroite avec mon collègue Hubert Védrine, Ministre des Affaires Étrangères, responsable de ces questions, le statut de réfugié est accordé par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides). Les décisions de cet organisme peuvent faire l’objet du recours devant la commission de recours de réfugiés et en cassation devant le Conseil d’État. Il vous est d’abord proposé de regrouper les dispositions relatives à l’asile dans la loi du 25 juillet 1952 relative à l’OFPRA, qui deviendrait ainsi la grande « loi relative au droit d’asile ». Il vous est ensuite proposé de traduire dans la loi l’asile constitutionnel reconnu par le Préambule de la Constitution de 1946 à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté. » Il va de soi que ce combat pour la liberté concerne la liberté républicaine telle que nous le concevons qui lie indissociablement la liberté individuelle et la liberté politique permettant l’exercice de la citoyenneté. Cette définition est stricte mais hélas le nombre de persécuteurs est grand. Or, actuellement, la jurisprudence limite l’accès au statut de réfugié aux personnes persécutées par un État. C’est une interprétation restrictive, qui exclut notamment les personnes menacées par des forces non étatiques, par exemple le GIA en Algérie. Cette interprétation restrictive n’est pas celle de nos principaux voisins européens. Ce qui vous est proposé permettra de reconnaître le statut de réfugié à ceux d’entre eux qui sont menacés par de telles autorités non étatiques. C’est une même procédure qui permettra de reconnaître le réfugié au titre de la Convention de Genève et le réfugié au titre de la Constitution de 1946. Mais il nous faut aussi ne pas encombrer l’OFPRA et la commission des recours de demandes manifestement infondées. C’est le sens de la procédure d’examen des demandes dite « prioritaire », c’est-à-dire accélérée. Elle concernera les ressortissants des pays à l’égard desquels est mise en œuvre la clause dite de cessation prévue par la Convention de Genève, c’est-à-dire des pays devenus ou redevenus démocratiques. C’est le cas, par exemple, dans la période récente, de la Roumanie d’où proviennent plus de 20% des demandes d’asile. Enfin, il vous est proposé de traduire également dans la loi l’asile territorial (c’est-à-dire l’octroi d’une carte de séjour temporaire), mis en œuvre depuis quelques années par mes prédécesseurs. Il s’agit, pour le gouvernement, d’une faculté qu’il exercera dans des conditions compatibles avec les intérêts du pays. Elle pourra concerner les personnes soumises à des traitements inhumains ou dégradants ou à des risques majeurs pour leur sûreté personnelle. Grâce au droit d’asile ainsi complété, la France renouera avec sa vocation d’ouverture à l’universel, affirmée par la révolution de 1789.

C) Maîtriser les flux migratoires dans le respect des droits des étrangers qu’ils soient en situation régulière ou non

Ma maîtrise des flux migratoires est reconnue comme une nécessité par tous les groupes politiques de l’Assemblée Nationale. Dans le monde tel qu’il est, une telle maîtrise est indispensable.

Il s’agit en priorité de sanctionner beaucoup plus durement les filières de passeurs. De telles filières organisées et rémunératrices, qui maintiennent des personnes dans une situation de dépendance confinant à l’esclavage, se multiplient, sous une forme maffieuse, avec la mondialisation de l’économie et l’effondrement de l’ancien bloc soviétique. Il vous est proposé de porter cinq à dix ans de prison et de 250 000 francs à 5 millions de francs d’amende les peines encourues lorsqu’il s’agit de « bandes organisées ».

La maîtrise des flux migratoires implique que les lois de la République s’appliquent. Il faut tracer une ligne de partage entre l’étranger en situation irrégulière et l’étranger en situation régulière qui bénéficie du même droit au travail et des mêmes droits sociaux qu’un citoyen français. Il convient de rappeler que les étrangers en situation régulière sont au moins dix fois plus nombreux que les étrangers en situation irrégulière. Ce sont les premiers qu’il faut protéger en priorité. Il faut donc réaffirmer que l’étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit à la frontière, dans le cadre des procédures prévues et donc avec les garanties organisées par la loi. Or, vous le savez, les étrangers qui font l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière transmis par voie postale n’obtempèrent que dans une infime proportion. Quant à ceux qui ont été contrôlés en situation irrégulière sur la voie publique et auxquels un arrêté préfectoral de reconduite a pu être remis en main propre, ils n’ont pu être effectivement reconduits en 1996 qu’à raison de 45% d’entre eux. Plus de la moitié ne le sont pas. Les raisons en sont diverses : problèmes d’identification, difficulté ou réticence des consulats à délivrer un laisser-passer, nécessité de trouver une place d’avion (ou de bateau, ou de train). Ces difficultés viennent de plus en plus souvent de l’obstruction faite par les personnes concernées à leur propre reconduite. Or, je vous rappelle qu’un étranger en situation irrégulière faisant l’objet d’une reconduite à la frontière et placé en rétention administrative peut passer avant d’être éventuellement reconduit devant cinq juges successivement : s’il conteste l’APRF (Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière) devant l tribunal administratif, s’il fait appel de ce jugement devant le Conseil d’État, s’il conteste le pays de destination devant le tribunal administratif, s’il y a prolongation de la rétention demandée au président du tribunal de grande instance, et enfin s’il y a une seconde prolongation dans les mêmes conditions. Il est normal que, dans le respect scrupuleux de droits des personnes, la loi soit appliquée. La tâche des services, à cet égard, est rude. Pour que la loi s’applique, un allongement de la période possible de rétention administrative est nécessaire. J’avais envisagé d’augmenter de deux jours la durée de chacune des deux périodes de prolongation, ce qui aurait porté à quatorze jours la durée maximale sur l’avis du Conseil d’État, j’ai réduit cette période à douze jours. L’augmentation sera donc limitée à deux jours, pour la seconde prolongation éventuelle de la rétention. Celle-ci sera notamment autorisée « lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité, ou de l’obstruction volontaire faite par son éloignement. »

Les étrangers frappés d’une interdiction de territoire français prononcée par le juge, ou d’un arrêté d’expulsion, doivent pouvoir, mieux que par le passé, être effectivement reconduits. Un débat existe sur le principe même de cette interdiction, abusivement qualifiée de double peine. Pour ma part, je considère que les étrangers, qui n’ont pas, comme les citoyens français, la responsabilité de la pérennité de la République, ont comme invités, bénéficiant de l’hospitalité de la France, des responsabilités particulières. S’ils commettent des infractions particulièrement graves, il n’est pas illégitime qu’ils soient renvoyés dans le pays dont ils ont la nationalité. Certes, il est normal, comme le prévoient l’ordonnance du 2 novembre 1945 et le code pénal, que les étrangers qui ont leurs attaches en France, ne puissent pas, sauf crime ou délit particulièrement graves, être reconduits : cela concerne le père ou la mère d’un enfant français, le conjoint de français marié depuis au moins un an, le jeune qui est entré en France avant l’âge de dix ans, la personne qui réside en France depuis plus de quinze, et les accidents du travail. Je vous propose d’ailleurs de rendre identiques les catégories protégées de l’expulsion d’une part, et de l’interdiction du territoire français d’autre part Le juge devra, en outre, ne prononcer d’interdiction du territoire pour une personne appartenant à l’une de ces catégories protégées que par une décision spécialement motivée non seulement au regard de la gravité de l’infraction mais aussi de la situation personnelle et familiale de l’étranger. Le rapport Weil proposait une nouvelle forme de rétention judiciaire, à l’issue de la peine de prison, pour rendre possible la reconduite de l’étranger condamné. Le gouvernement a préféré vous proposer une disposition légale rendant possible la transmission des données nécessaires à la reconduite à la frontière, par l’administration pénitentiaire aux services du ministère de l‘Intérieur.

Ainsi la loi de la République pourra-t-elle s’appliquer mieux, sans que les droits des étrangers soient méconnus bien au contraire : plusieurs dispositions visant à mieux les garantir. C’est ainsi que le délai de recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière notifiée directement sera allongé et porté à quarante-huit heures. De même l’appel du Parquet contre une annulation d’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière n’aura plus d’effet suspensif.

Le projet de loi repose ainsi sur un équilibre :

D’une part, il tend à assouplir le régime des visas, à simplifier la délivrance des titres de séjour, et à mieux reconnaître le droit d’asile, d’autre part à rendre plus effective l’application de la loi concernant le séjour des étrangers sur le territoire national ; ouverture et régularité vont ainsi agir de pair.

En d’autres termes, la règle doit être d’autant mieux appliquée qu’elle est plus juste et plus humaine.

Le gouvernement, s’il est prêt à accepter des amendements à son projet de loi, souhaite que l’équilibre sur lequel il est fondé soit préservé. Il souhaite aussi et surtout que notre débat échappe aux ornières de la facilité, aux simplissimes, aux amalgames grossiers qui ne traduisent pas la réalité de problèmes complexes. C’est ainsi que nous servirons la République.

    III. – L’enjeu

Je sais bien que les partis de l’opposition – pour des raisons qui leur appartiennent – ont préféré faire ce débat, le lieu d’un affrontement. Mais je ne suis pas sûr que la droite vraiment républicaine se reconnaîtra forcément dans certains propos que je devine. Je connais les arguments qui sont exposés par exemple dans la pétition du RPR. Sur neuf assertions, huit sont fausses :

1. « Les retraités étrangers pourront, dites-vous, séjourner en France. » C’est faux, car ils le peuvent déjà. Bien au contraire, il s’agit de leur permettre de retourner dans leur pays.
2. « N’importe quel étranger, dites-vous, pourra s’établir sur notre sur notre sol au titre de la carte « vie personnelle et familiale » ». C’est faux, cette carte correspond à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, appréciée strictement par nos tribunaux.
3. « Les réfugiés, leurs conjoints, leurs enfants, les apatrides sont invités, dites-vous, à rester en France. » Ignorez-vous qu’ils le peuvent déjà aux termes des articles 12 bis et 15 de l’ordonnance actuelle. Il est vrai que la protection que le République accorde aux réfugiés, nous n’envisageons pas qu’elle la leur retire…
4. « Les étrangers malades, dites-vous, bénéficieront d’une carte de séjour. » Ignorez-vous que la loi protège déjà ceux qui sont atteints d’une pathologie grave contre une mesure d’éloignement ? Ils étaient 980 au 31 Décembre 1995 et 1 124 au 31 décembre 1996.
5. J’en viens à votre cinquième assertion : « Les parents n’auront plus à justifier de conditions de ressources et de logement pour le regroupement familial. » C’est faux. Ces conditions seront simplement précisées dans un souci de simple humanité et de moindre formalisme.
6. Seule votre sixième affirmation est exacte : « Un étranger ne se verra plus retirer son titre de séjour si sa famille l’a rejoint dans des conditions qui ne sont pas régulières. » En effet, la mesure d’éloignement qui s’ensuivrait m’a paru tout simplement une sanction disproportionnée.
7. Votre septième affirmation est aussi fantaisiste que les cinq premières : « Il est désormais interdit, dites-vous, d’engager des poursuites contre les membres d’une famille qui auront aidé l’un des leurs à entrer illégalement sur le territoire. Cette immunité familiale existe déjà pour les conjoints, les descendants et les ascendants Elle est simplement étendue aux frères et sœurs et à leurs conjoints. Vous omettez bien sûr de mentionner le renforcement considérable des peines frappant les responsables des filières d’immigration clandestine.
8. Vos huitième et neuvième affirmation sont du même tonneau que les précédentes, quand par exemple on ne mentionne pas que la protection contre l’expulsion des étrangers installés régulièrement en France depuis plus de dix ans résulte des textes tels que modifiés par MM. Pasqua et Debré.

Il faut vraiment que vous soyez à bout d’arguments !

De l’entrée et du séjour des étrangers, le projet de loi traite avec humanité et pragmatisme mais personne ne peut raisonnablement soutenir qu’il va résulter de sa mise en œuvre je ne sais quelle invasion : je mets au défi ceux qui – hélas – se préparent à intervenir dans ce sens, d’apporter la moindre démonstration à l’appui d’une thèse que la proximité des échéances électorales inspire sans doute plus que l’analyse des textes et l’observation rigoureuse des faits.

On peut même soutenir que la mise en œuvre de la Clause de cessation en matière de droit d’asile doit aboutir à tarir certains flux.

« Être grand, disait le général de Gaulle, c’est soutenir une grande querelle ». Or, je ne vois ni vos arguments, ni, encore moins, vos propositions. Je déplorerais une opposition de principe. Tout semble montrer que vous avez choisi de vous opposer pour vous opposer : ce choix opportuniste ne débouche sur aucun projet d’avenir. Il vous amènera naturellement à épouser les procès d’intention et à exciter les fantasmes sur lesquels prospère l’extrême-droite. Il est encore temps de vous distinguer en élevant le débat, en opposant un argument à un autre, sans rechercher un bénéfice électoral à courte vue et sans doute illusoire. Car sur le terrain de l’immigration, les surenchères de l’extrême droite iront toujours plus loin que les vôtres. Vous ne courrez jamais plus vite qu’elle. Et cette fraction de l’électorat qui voit facilement dans l’immigré le bouc émissaire de ses peurs préférera toujours l’original à la copie.

Il y a pour vous une autre voie : celle d’un débat loyal et mesuré qui serait à votre honneur, et j’ajoute, dans l’intérêt de la France, et sans doute même dans votre intérêt bien compris. Gouverner c’est choisir. Mais s’opposer peut aussi consister à choisir un combat rassembleur et porteur d’avenir.

Certains avancent qu’il eût mieux valu ne pas légiférer à nouveau sur ce sujet. Mais auriez-vous donc seul le droit de légiférer ? Les lois Pasqua et Debré seraient-elles des monuments si impérissables qu’on ne pourrait pas en modifier inutilement tracassières ou délibérément provocantes ? Votre bilan est-il si brillant, à l’entrée comme à la sortie ? S’agissant des entrées, j’ai montré tout à l’heure la tendance au recroquevillement.

Quant aux sorties, je me bornerai à citer deux chiffres tous deux relatifs à l’année 1996 : pour la France métropolitaine le taux d’exécution des interdictions judiciaires du territoire, avec 3 152 mesures exécutées seulement, atteint 33,28%. Quant aux arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, ils n’ont été exécutés qu’à 23, 45%, si l’on tient compte des mesures notifiées par voie postale. De votre propre point de vue, il n’y a donc pas de quoi pavoiser.

Je ne cherche pas à diaboliser ni M. Pasqua ni M. Debré mais ce sont les partis de droite qui devraient cesser de diaboliser l’immigration comme si elle était la source de tous les maux.

- Le chômage n’est pas né de l’immigration. Son explosion depuis 1974 trouve sa source dans le système économique lui-même, dans une crise de dérégulation délibérément organisée : flottement des monnaies et abandon du système de Bretton-Woodds, manipulation des prix du pétrole, libéralisation accélérée des mouvements de capitaux, de marchandises et de services, crise des États, chômage de masse permettant un envol mondial sous l’égide d’une seule Superpuissance. Ce n’est pas le petit épicier tunisien ou l’ajusteur algérien qui menacent l’identité de la France aujourd’hui, c’est la mondialisation libérale.
- Pas plus que du chômage, les immigrés ne sont pas responsables de la croissance continue depuis trente ans de la délinquance et de la drogue. Celle-ci constitue un phénomène mondial. Elle exprime une crise profonde de civilisation. Notre société est de plus en plus incapable de transmettre ses valeurs à la jeunesse. Le gouvernement de Lionel Jospin est le premier à avoir fait d’un nouveau pacte républicain cimenté par la morale civique le concept unificateur de sa politique.

La désignation de l’immigré comme bouc émissaire du chômage, de la délinquance et de la drogue ne peut en aucun cas permettre d’éradiquer ces phénomènes. D’un sujet difficile, on peut parler raisonnablement. Encore faut-il que les hommes politiques acceptent de jouer un rôle pédagogique vis-à-vis de l’opinion publique, qu’ils cherchent non pas à l’affoler mais à l’éclairer. Je n’ai pas de conseil à donner à la droite : simplement en restant plus près des faits et plus attentifs au contenu de nos propositions, vous serviriez le pays, vous donneriez confiance à des électeurs qui se sont souvent détournés de vous parce qu’ils attendent de vous une expression claire et surtout distincte. Je tiens à rendre hommage ici à la Présidente du Haut Conseil à l’Intégration, Madame Simone Veil. Le Haut Conseil a bien voulu considérer à l’unanimité que le projet du gouvernement était un projet équilibré qui allait dans le bon sens. Je n’ai pas été insensible non plus aux voix qui se sont élevées au sein d’autres sensibilités. Chez les Gaullistes qui se souviennent que le gaullisme, dès 1940, a été antifascisme ; ou dans une sensibilité chrétienne sociale qui sait que les valeurs de la République sont, pour une bonne part, comme je l’ai dit à Strasbourg le 23 novembre dernier, des valeurs chrétiennes laïcisées.

Vous ne pouvez pas ignorer le grave tort qu’une politique excessivement restrictive ou gesticulatoire en matière de visas et d’immigration peut causer à la France, particulièrement dans l’espace francophone.

Vous êtes devant un choix. Nous vivons la troisième grande crise de la République : la première c’était à la fin du dix-neuvième siècle quand la république n’était pas encore consolidée. De l’affaire Dreyfus, elle sortit victorieuse. La deuxième grande crise cristallisera dans les années trente. L’affaiblissement de la République conduisit au naufrage de 1940. La République a été relevée, mais les stigmates demeurent, car les leçons tirées par le général de Gaulle et par Jean Monnet l’ont été en des sens trop divers et même opposés.

La troisième grande crise de la République ne se confond pas avec la montée de l’extrême-droite qui n’en est qu’un symptôme mais cela pèse sur notre vie politique. La vraie réponse c’est la refondation républicaine. Ce pourrait être entre la gauche et la droite républicaine un fécond terrain d’affrontement. Mais cela voudrait dire que vous soyez assez sûrs de vous-mêmes, de vos valeurs, de votre projet et peut-être de ce que nous avons en commun, pour ne rien faire qui puisse, je ne dis même pas préparer mais seulement favoriser un rapprochement entre l’extrême-droite et vous. Cela impliquerait de votre part hauteur de vues, claire vision de ce que peut être le rôle de la France au vingt-et-unième siècle, une certaine détermination et peut-être un peu de patience.

Mais je ne veux pas vous tendre la perche plus que de raison, même si au fond de moi je souhaiterai que la grande voix de Jaurès vous fût audible :

« La loi de la pesanteur n’agit pas souverainement sur les sociétés humaines et ce n’est pas dans les lieus bas qu’elles trouvent leur équilibre. La République a vaincu parce qu’elle est dans la direction des hauteurs. »

J’ai dit tout à l’heure que le projet de loi était équilibré. C’est ce que lui reprochent d’ailleurs certains députés qui siègent à gauche que je n’ai pas l’ouïe assez atteinte pour ne pas entendre.

Je leur parlerai avec franchise : je crois qu’ils ne comprennent pas l’intention du gouvernement. Celui-ci vise l’intérêt général, ce qui est aussi la meilleure manière d’être à gauche. On ne peut pas isoler le problème des flux migratoires de questions plus vastes ; celle de l’intégration par exemple ou celle des rapports Nord-Sud. On ne peut pas avoir raison en se plaçant du seul point de vue de l’immigré en situation irrégulière. L’un d’entre eux m’a dit un jour qu’il ne contestait nullement le principe de la maîtrise des flux migratoires, mais je reste sur ma faim ; il ne m’en a toujours pas indiqué les modalités. La République, sur la base de ses principes, doit définir des règles.

Un monde sans règles n’obéirait qu’à la loi de la jungle et ce n’est sûrement pas le modèle de société auquel se réfèrent ceux qui, de gauche, contestent le projet de loi. Ils savent bien, comme Lamennais, que dans un monde inégal, « c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère. » En tout cas le gouvernement n’est pas favorable à la libéralisation des mouvements de main d’œuvre. Définir des règles protectrices, tel est précisément l’objet de ce projet de loi que d’aucuns s’opposent, non sans quelque paradoxe, quand ils défendent l’exception culturelle, dont je tiens à préciser que j’ai toujours été moi-même partisan.

Il me semble que si malentendus il y a, il faut les dissiper. Le premier, le plus fondamental, tient à la nation. Qu’on le veuille ou non ; les hommes se définissent politiquement à travers une appartenance nationale. Ce n’est pas le concept de nation qu’il faut combattre mais ses formes dévoyées ; le nationalisme ethnique par exemple.

Toute distinction n’implique pas discrimination : un citoyen français et un étranger n’ont pas – je l’ai dit – le même rapport à la France. Il ne s’ensuit pas pour eux les mêmes droits ni les mêmes devoirs, même si la France en accordant le séjour régulier à certains étrangers leur reconnaît les mêmes droits sociaux.

Dans un livre récent intitulé « le racisme », Pierre-André Taguieff a fort bien décrit cette corruption idéologique contemporaine de l’antiracisme qu’est le rejet de la nation. Par un déplacement de catégorie du racial au national et par un amalgame polémique, tout ce qui est national est diabolisé, confondu avec la xénophobie, le tribalisme, le retour convulsif de l’archaïque – « C’est, ajoute Taguieff, la conclusion d’une extension immodérée du principe d’abolition des limites, barrières, frontières, etc… ».

Il faut revenir à des notions à la fois plus réalistes plus solides et en définitive beaucoup plus sûres, s’agissant de la défense des libertés fondamentales : les droits de l’Homme ne peuvent être défendus en effet que par des États de droit et par des nations citoyennes. C’est à travers la France que nous sommes responsables du monde. Il ne faut pas laisser celle-ci à Le Pen, qui en donne une image défigurée. Il faut assumer la France républicaine, opposer à la nation ethnique la nation citoyenne. C’est la seule manière de combattre efficacement l’extrême-droite.

Dissipons les malentendus et évitons les faux procès. Le projet de loi n’est pas, comme je l’ai entendu dire, dans une logique de suspicion parce qu’il maintient des contrôles. C’est l’existence même de la règle dont le respect implique qu’elle soit contrôlée. Quand vous prenez le train, vous vous exposez à la vérification de votre billet par le contrôleur de la SNCF. Il n’en va pas différemment pour un titre de séjour.

De même est-ce un procès d’intention assez indécent que d’affirmer que la circulaire visant un réexamen de la situation de certaines catégories d’étrangers aurait été conçue ou même pourrait fonctionner comme « piège » vis-à-vis d’étrangers en situation irrégulière. Aucune perquisition à domicile n’est autorisée par la loi française, sauf réquisition d’un juge. J’envisage d’ailleurs que les dossiers ne soient pas conservés mais transmis à un centre de recherches qui pourrait associer l’IHESI (Institut des Hautes Études de Sécurité Intérieure) et le CNRS en vue d’une meilleure connaissance de l’immigration clandestine.

Les mêmes, prompts à dénoncer « le piège », ont montré le peu de foi qu’il convenait d’apporter à leurs propos, en organisant de véritables ateliers, nullement clandestins, pour remplir dans les derniers jours plusieurs milliers de demandes de régularisation.

Là encore, je voudrais dépassionner – si tant est que cela soit possible – un débat faussé dès le départ par trop d’a priori. Dans un domaine aussi complexe, l’application des textes compte sans doute plus que les textes eux-mêmes. Certains demandent de bonne foi pourquoi on n’a pas procédé à une refonte d’ensemble de la législation. La réponse est simple ; d’une part il y a trop de cas d’espèce et la complexité de la législation reflète la variété des situations juridiques et humaines. D’autre part, la Commission Supérieure de Codification sera saisie en vue d’une réécriture d’ensemble des textes relatifs au droit des étrangers.

Aussi bien tout n’est pas dans les textes législatifs. Dès maintenant j’ai donné des instructions pour que les centres de rétention administrative fassent l’objet d’un statut réglementaire. Dès que la loi sera votée, un programme de formation spécifique sera mis en œuvre à l’intention des personnels de préfecture chargés du service des étrangers, dont je veux, encore une fois, souligner le mérite.

Avec les uns comme avec les autres, il y a place pour un dialogue véritable. Puis-je, ici, en citant Emmanuel Mounier, faire appel à votre réflexion :

« On ne combat pas les démagogues en les insultant mais en leur enlevant cette part de vérité dont ils nourrissent leurs fonds de commerce. »

Comme la représentation nationale peut l’imaginer, j’ai beaucoup réfléchi aux graves questions dont nous allons débattre. J’assume ce texte en sachant que son application à la fois humaine et ferme sera évidemment décisive, mais c’est pour cette raison même que la majorité nouvelle peut l’approuver avec confiance : il vaut mieux en effet que ce soit elle qui l’applique. En votant ce projet de loi à la fois réaliste et républicain, elle répondra à la confiance que nos concitoyens ont placée en elle.

La gauche n’est jamais davantage elle-même que lorsqu’elle confond son combat avec celui de la République. Ce faisant, elle ne renonce en rien -bien au contraire -à son combat pour la justice sociale, car l’avenir n’est pas dans les dérives communautaristes et dans la ghettoïsation des quartiers. Il est dans la citoyenneté et dans l’égalité de tous les citoyens devant l’École, le logement, le travail, bref dans l’accès de tous à une citoyenneté Pleine et entière.

Donner à la République les moyens de maîtriser son avenir, c’est aussi affirmer, à travers une France maîtresse d’elle-même, notre responsabilité vis-à-vis du monde. Pour penser mondial, pour poser justement le problème des relations Nord-Sud, encore faut-il préserver l’existence concrète de la France. Mais celle-ci ne trouve sens que dans l’éternel combat des hommes pour la liberté et pour la justice à l’échelle du monde.

Ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, a pour but de caréner la République afin de lui permette de survivre dans les décennies à venir et surtout de faire vivre ses idéaux, dans un monde troublé. Il prend sens à travers les deux objectifs définis par le Premier ministre ; intégration et co-développement.

J’ai la faiblesse de penser qu’il peut être autre chose qu’un texte de circonstances, une énième mouture de l’ordonnance de 1945. Ce projet de loi procède d’un juste équilibre. De l’instruction civique à la politique de sécurité qui se met en place, de l’accès à la nationalité ouverte à tous les jeunes nés sur notre sol et qui le veulent, aux nouvelles règles d’entrée et séjour des étrangers, c’est la même vision claire de la République qui soutient notre action.

C’est pourquoi, au moment de conclure, je me tourne vers la représentation nationale tout entière pour lui demander de bien peser ses responsabilités ; sur un tel sujet tel que celui-là, elles sont grandes. Elles dépassent l’enjeu d’un texte. De votre vote mais aussi de votre expression, Mesdames et Messieurs les députés, dépendra aussi, demain, le visage de la France que nous aimons.