Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur les droits des enfants maltraités, le projet de loi sur les infractions sexuelles et la protection des mineurs, le programme de lutte contre la violence scolaire et la maltraitance intra-familiale, Paris le 20 novembre 1997.

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Circonstance : Journée nationale des droits de l'enfant à l'UNESCO, Paris le 20 novembre 1997

Texte intégral

« Regarder l’avenir le change » disait René Char dans un bel aphorisme d’espoir.

C’est le sens je crois de cette « Convention des droits de l’enfant » qui fut adoptée il y a tout juste 8 ans par l’Assemblée générale des Nations unies dans une ambivalence troublante faite de ferveur enthousiaste et de scepticisme narquois.

Peut-être ces sentiments mêlés étaient-ils justifiés alors.

Ils le sont, en tous cas, certainement aujourd’hui.

Je me dois, Monsieur le directeur général, de souligner en cette enceinte internationale, les progrès réels qu’a permis la convention, au cours de ces dernières années.

Oui :
- le droit à la vie et à la santé ;
- à l’égalité des chances et à l’éducation ;
- à la protection contre l’exploitation sexuelle et la maltraitance ;
- à l’expression.

Ont progressé, parmi les autres.

Mais vous le savez aussi, le chemin est encore long.

Tous les pays n’ont pas encore ratifié le texte, y compris parmi les plus grands.

Parfois même faisons-nous brutalement marche arrière.

Comme en Afghanistan, par exemple, ou les titres sont désormais privées d’accès à l’éducation et aux soins.

Où plus près de nous, tout près de nous, comme en Algérie.

Dans une lettre écrite à propos de Sarajevo, mais dont l’écho algérien sonne terriblement à nos oreilles aujourd’hui, des enfants écrivaient.

Non aux larmes de souffrances.

Non aux enfants qui meurent sous les coups.

Arrêtez-ça.

Aimez-vous vraiment les enfants ?

Alors réagissez.

Nous sommes en colère.

Ils ont raison d’être en colère.

Ils ont raison de nous interpeller sur notre impuissance.

C’est pourquoi je salue les initiatives, existantes ou naissantes, qui visent à atténuer les douleurs des enfants d’Algérie, pourvu qu’elles sachent préserver les règles éthiques et déontologiques.

Mais en France aussi, il reste du chemin à parcourir, même si le droit à la protection contre les mauvais traitements qui figure en bonne place dans la convention a avancé à grand pas grâce à la « Grande cause nationale ».

Nous en dressons ensemble le bilan plus prévis tout à l’heure.

Mais le forum autour de cette salle témoigne déjà de la vitalité de la campagne d’information et de sensibilisation qui a été menée.

Beaucoup reste à faire, disais-je, et c’est pourquoi le gouvernement s’est engagé, dès son arrivée, sur ce sujet.

En premier lieu, pour ce qui concerne les abus sexuels, qui, je le sais, ne résument pas l’ensemble des situations de maltraitance, nous avons décidé de renforcer le dispositif législatif existant.

C’est le sens du projet de loi présenté par Élisabeth Guigou relatif aux infractions sexuelles et la protection des mineurs, qui a pour double finalité :

- de mieux protéger les mineurs en créant un véritable statut juridique ;
- et de réduire les risques de récidive en instituant une mesure de suivi socio-judiciaire.

Un projet du Garde des Sceaux, auquel j’ai apporté ma pierre, afin de la loi intègre autant les préoccupations d’ordre sanitaire que judiciaire, contrairement à ce qu’avait envisagé le précédent gouvernement.

Par ailleurs, pour répondre au désarroi de la communauté éducative qui est souvent en première ligne dans ce domaine, Claude Allègre et Ségolène Royal viennent de faire parvenir une circulaire à tous les responsables de l’éducation nationale pour leur préciser, de manière détaillée, la conduite à tenir lorsqu’est repérée ou soupçonnée une situation de violences sexuelles sur un enfant.

Je veux citer aussi le programme gouvernemental de lutte contre la violence scolaire.

En effet, qu’en est-il des droits de l’enfant quand un climat de terreur s’est instauré dans une classe ou dans un établissement scolaire ?

Par ailleurs, Martine Aubry et moi-même sommes particulièrement attentif à la situation des enfants dans les institutions sociales et médico-sociales. Dans la période récente, nous avons été informés, souvent d’ailleurs avec retard, d’affaires de sévices à enfants dans ces institutions.

C’est inacceptable, et nous ne l’accepterons pas.

C’est pourquoi, Martine Aubry a demandé récemment aux préfets d’être extrêmement vigilant dans ce domaine.

Mais une nouvelle loi, une circulaire, une directive, ne peuvent évidemment tout résoudre.

C’est pourquoi nous avons également décidé de promouvoir des expériences pilotes qui ont pour but de donner une plus grande place aux spécialistes de la santé de l’enfant – pédiatres, pédopsychiatres… – auprès des victimes mineures.

Nous travaillons avec Élisabeth Guigou, mais aussi Jean-Pierre Chevènement, Alain Richard, Ségolène Royal au développement conjoint avec des associations et des collectivités locales, de projets pilotes dont l’objectif est aussi simple qu’ambitieux.

Considérer l’enfant victime d’abus sexuel comme un « enfant souffrant » avant d’être un « enfant plaignant ».

Mais leur mise en œuvre est complexe, car le recours renforcé aux spécialistes de la santé de l’enfant doit se faire sans engendrer de risque de nullités de procédure.

Mais pour être prudents, nous ne devons pas moins être déterminés.

Le discours souvent terrible d’une enfant condamné – j’emploie le terme sciemment – à vivre et revivre le traumatisme de l’abus, a cours d’une procédure traumatisante peut et doit être simplifié, allégé, accompagné.

Doit-on, notamment, continuer à accepter des situations où accueil et expertises des enfants abusés se font en l’absence de pédiatres et/ou de pédopsychiatres, et dans un cadre totalement inadapté, comme c’est encore souvent le cas, y compris à Paris ? Je ne le crois pas.

Le respect des droits de l’enfant impose de faire évoluer dispositifs et mentalités dans ce domaine.

C’est à ce type de réflexion que j’inviterai les pôles régionaux de références sur la prise en charge des abus sexuels qui ont été désormais identifiés et que je convierai à une journée de travail dès le début de l’année prochaine.

Je souhaite également qui soit réactivée la réflexion associant les ministères concernés, et tout particulièrement la justice, sur la mise en place d’un médiateur des enfants, à l’instar de ce qui existe dans la plupart des pays européens et conformément à une recommandation du Conseil de l’Europe de janvier 1996.

Enfin, nous avons décidé de lancer début 1998 un ambitieux programme d’évaluation des mesures mises en œuvre ans toute la France afin d’asseoir les orientations futures sur la connaissance effective de l’efficacité sur le terrain des différentes politiques suivies depuis dix ans.

Vous le voyez, le gouvernement s’engage en faveur de la protection de l’enfance maltraitée.

Mais pour agir sur les racines de la maltraitance, c’est bien sûr de politique familiale qu’il faut parler.

Il faut rappeler ici une évidence : les mauvais traitements à enfants se déroulent le plus souvent dans la sphère familiale.

Comme vous le savez, Martine AUBRY a demandé qu’une réflexion d’ensemble sur la famille soit menée rapidement.

Mais, il est déjà clair que notre politique familiale devra se préoccuper plus qu’aujourd’hui de toutes les actions susceptibles de soutenir le lien familial en termes d’accompagnement de la parentalité, d’éducation parentale, de médiation familiale.

L’État agit donc.

Mais l’État ne peut faire face seul, sans une mobilisation des collectivités locales, des associations, mais également de chacun d’entre nous.

Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer.

Par l’importance des sommes qu’elles engagent en faveur de la protection de l’enfant, bien sûr.

Mais aussi par leur capacité d’innovation liées à leur proximité avec les réalités de terrain.

Certaines ont su magnifiquement l’utiliser pour développer des programmes dont devraient s’inspirer celles qui restent à mobiliser.

Les associations, également, doivent être au cœur de cette mobilisation commune.

Vous qui êtes ici, aujourd’hui, les savez bien.

La place centrale qu’à terme, tout au long de cette année le collectif des associations, est une excellente illustration de leur contribution inestimable.

Je tiens ici à leur rendre hommage.

Le capital que représente désormais cet espace d’échange et de réflexion ne doit pas disparaître, une fois, le 20 novembre passé. Je m’y engage.

Comme je m’engage plus largement avec Martine Aubry à faire fructifier le travail coordonné avec l’énergie et la passion que l’on connaît par Marceline Gabel.

Car cette date butoir du 20 novembre n’a pas de signification pour les enfants concernés.

Mais au-delà du rôle que peut jouer telle ou telle institution, telle ou telle organisation, c’est à l’implication de chacun d’entre nous qu’il faut faire appel – que je veux faire appel.

D’abord pour nous rappeler que nous sommes tous à risque de devenir maltraitant : que si la maltraitance traverse tous les groupes sociaux, la précarisation peut abaisser notre seuil de tolérance.

Mais aussi et surtout parce qu’une véritable prévention de la maltraitance passe par une redynamisation des solidarités communautaires. Prévenir la maltraitance, c’est avant tout retrouver la voie de l’échange, du dialogue, l’écoute et du partage avec ceux qui nous entourent.

C’est pouvoir et savoir être là quand un accident de la vie, quand l’usure d’une précarisation croissante rend plus vulnérable, moins à même de pouvoir bien aimer un enfant, de savoir le « bien-traiter ».

Comment ne pas souligner, ici, à l’UNESCO, une fois encore, combien nous avons à apprendre d’autres cultures, d’autres pays, qui ont su souvent préserver et faire s’épanouir ces gestes de solidarités du quotidien.

Des gestes qui peuvent préserver de passages à l’acte qui ne sont souvent les terribles exutoires de souffrances non apaisées ou partagées.

Je dois vous faire à ce stage une confidence.

Je n’avais pas été ébloui, lorsque je l’avais découvert, par la pertinence du slogan de la Grande Cause : « Si tout le monde bouge, ça bougera ».

Je dois reconnaître que j’en mesure mieux aujourd’hui l’intérêt.

C’est bien de notre action et mobilisation collective que naîtra l’espoir.

Si vous pensez en saisons, semez les céréales.

Si vous pensez en années, plantez des arbres.

Si vous pensez à l’avenir, éduquez vos enfants.

… et respectez-les aurait pu ajouter l’auteur de ce beau chinois.

À nous tous, ensemble, de permettre à chacun de pouvoir vivre le quotidien et penser à l’avenir.