Interview de Mme Élisabeth Guigou, ministre de la justice, sur France 2 le 9 novembre 1997, sur le conflit des routiers, la journée d'action des avocats contre le manque de moyens de la justice et le projet de loi sur la nationalité.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

M. Cotta. – Bonjour. Un gardien de la paix grièvement blessé après un rodéo automobile à Montreuil samedi dernier. Le véhicule qu’il tentait d’arrêter avait été volé par trois jeunes de moins de 18 ans. Quatre mineurs, dont une jeune fille, placés en garde à vue après les saccages de Pont-à-Mousson vendredi dernier. Deux jeunes gens de moins de 17 ans placés sous mandat de dépôt à Créteil lundi après la destruction partielle d’une galerie commerciale. En une semaine seulement, trois faits divers mettent en cause des mineurs. Que faire des jeunes délinquants ? Les punir ou les aider ? Sévir ou comprendre ? Nous en parlerons dans la deuxième partie de cette émission. Tout de suite, notre invitée est Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, ministre de la Justice que nous allons interviewer avec Paul Guilbert du Figaro, Élisabeth Guigou, bonjour.

É. Guigou. – Bonjour.

M. Cotta. – Deux mots si vous le voulez bien sur l’actualité immédiate. Le conflit des routiers s’est achevé hier, qu’est-ce vous en retenez ? Vous en retenez que dans un État de droit une poignée d’individus peut bloquer le fonctionnement de la machine, paralyser tout un territoire ou bien le fait que l’État soit toujours obligé d’intervenir même dans un conflit qui ne le concerne pas directement ?

É. Guigou (garde des Sceaux, ministre de la Justice). – D’abord, ce n’était pas une poignée. Ensuite, je crois que ce sont les partenaires sociaux qui ont abouti à cet accord. Ça, il faut le dire. Et dans des conditions difficiles parce que c’est vrai qu’il y a des conditions de travail qui sont particulièrement difficiles dans cette profession avec des horaires extrêmement lourds et souvent un SMIC horaire… des rémunérations qui sont inférieures au SMIC horaire. Et puis pour les entreprises, des situations très difficiles parce qu’il y a une concurrence accrue et que les entreprises sont souvent très petites. Donc ça c’est une toile de fond, si vous voulez, qui est extrêmement difficile et du côté des salariés et du côté des chefs d’entreprise. Et ce qu’a fait le gouvernement, c’est qu’il a cherché à favoriser le dialogue social à la fois en incitant d’abord à la négociation, ensuite en mettant sur la table des aides financières pour les entreprises, la baisse de la taxe professionnelle par camion et puis aussi en faisant en sorte que… en se portant garant du respect de la parole donnée car on ne peut pas…

M. Cotta. – C’est-à-dire que l’État en France doit intervenir même quand c’est un conflit entre des partenaires privés.

E. Guigou. – Eh bien, il n’aurait pas eu à intervenir… il n’aurait pas eu à intervenir si après le conflit de l’an dernier – dont je vous rappelle qu’il avait duré 12 jours – les accords qui avaient été passés avaient été respectés. Or, cela n’a pas été le cas et donc je crois qu’en effet, là, il fallait que l’État soit là, mais non pas pour se substituer aux partenaires sociaux, encore une fois, ce sont les partenaires sociaux qui ont réalisé cet accord, mais pour permettre que la négociation se noue et aboutisse. Il est vrai qu’il faut garantir la liberté de circulation et la meilleure façon de faire c’était d’aboutir à une solution.

P. Guilbert (Le Figaro). – Alors quand l’État de droit est ouvertement bafoué, objectivement en tout cas, que fait le garde des Sceaux dans ce cas-là ? Vous avez donné des instructions aux procureurs pour uniformiser les procédures ou quoi ?

É. Guigou. – J’ai dès le début du conflit envoyé une directive générale aux procureurs en anticipant sur ma réforme dans laquelle je demandais aux procureurs généraux, les 33 procureurs généraux auprès des cours d’appel, je leur demandais de m’informer très précisément de ce qui se passait dans le ressort de leur cour d’appel et de suivre attentivement en effet, d’être raccordé à une cellule d’urgence que j’avais constituée au ministère.

P. Guilbert. – Pour ne pas poursuivre en aucun cas…

É. Guigou. – Je n’ai pas donné d’indications sur le fond. J’ai simplement demandé à ce que l’on m’informe sur ce qui pouvait se passer de façon à m’assurer, car je suis garante de l’égalité de tous sur le territoire, qu’effectivement, il y ait des attitudes…

P. Guilbert. – L’égalité – excusez-moi ! – l’égalité de ne rien faire…

É. Guigou. – Non, non, non ! Ce n’est pas exact. Je crois que ce qui était important, le gouvernement a pris ses responsabilités… D’abord, on a fait en sorte par des opérations ciblées qu’on dégage le passage aux frontières parce que c’est vrai qu’il n’est pas normal que nos partenaires européens pâtissent de cette situation. Ensuite, il a favorisé la négociation et je crois que tout le monde s’est montré très responsable, à la fois les magistrats qui ont compris que l’on était dans un processus de négociation, les forces de police qui sont intervenues de façon extrêmement ciblée, bien entendu les partenaires sociaux qui ont fini par aboutir à un accord comme on ne peut pas laisser perdurer et le gouvernement encore une fois. Ce qui est très important c’est que le Premier ministre s’est porté dès le début garant de la parole donnée… il ne peut pas…

P. Guilbert. – Et la prochaine fois, qu’est-ce que vous allez faire la prochaine fois ?

É. Guigou. – Et à partir de ce moment-là… à partir de ce moment-là, à partir du moment où dès… avant-hier, vendredi, un décret est intervenu, nous soumettons… nous allons examiner demain en Conseil des ministres un projet de loi pour permettre de garantir l’application de la réglementation. Alors, à ce moment-là, nous avons l’espoir que le dialogue social qui ne peut réussir que si la parole donnée est respectée, que ce dialogue social puisse aboutir. En tout cas, le Premier ministre s’en est porté garant.

M. Cotta. – Alors le dialogue social, ceci étant, il y a eu de graves divergences de vue – c’est le moins que l’on puisse dire – entre la CFDT et FO et la CGT de l’autre côté, alors, le dialogue social, c’est le dialogue avec la CFDT seulement ?

É. Guigou. – Il me semble que le dialogue a concerné toutes les centrales syndicales…

M. Cotta. – Oui, mais le texte n’a pas été signé par toutes. Nicole Notat vous a donné quand même un vrai coup de main non ?

É. Guigou. – Les partenaires sociaux ont abouti à un accord et je crois que c’est l’essentiel. Alors, naturellement, il est très, très important que tout le monde se sente concerné. C’est-à-dire que les engagements qui ont été pris, on conçoit qu’il puisse y avoir un certain scepticisme de la part de certains syndicats ou même de la part de la base à partir du moment où les accords précédents n’avaient pas été respectés et où le gouvernement n’avait pas fait en sorte qu’ils le soient. Alors, ce que nous disons…

M. Cotta. – Marc Blondel dit : « recommencera ! »

É. Guigou. – Ce que nous disons c’est que les accords qui ont été pris là seront respectés.

P. Guilbert. – On a assisté à l’intrusion de l’Europe dans ce conflit, c’était extrêmement clair. Alors, vous êtes militante européenne depuis longtemps je crois, alors qu’est-ce que vous attendez en matière d’harmonisation sociale du prochain sommet de Luxembourg qui a lieu dans 15 jours ?

É. Guigou. – Ce que… ce conflit a montré c’est que l’on ne peut pas avoir une Europe qui soit simplement un grand marché dans lequel il y ait l’ouverture des frontières. Il faut qu’il y ait aussi des règles communes. Pour que cela marche, il faut des règles communes. Il faut des règles communes sur la fiscalité, il faut des règles communes sur les charges sociales, il faut des règles communes sur l’organisation du travail et là, nous en sommes loin. Et, c’est la raison pour laquelle, moi ça fait des années, des années, quand j’étais au gouvernement, quand j’étais député européen j’ai travaillé là-dessus et maintenant, nous avons – grâce à l’initiative prise par le gouvernement – ce sommet social à la fin novembre. Alors, je ne dis pas que nous allons avoir toutes les réponses au moment de ce sommet social mais au moins, c’est la première fois, qu’au niveau de l’Union européenne nous posons enfin, nous arrivons à avoir une réunion uniquement consacrée au plus haut niveau des chefs d’État et de gouvernement à ces questions-là.

M. Cotta. – Donc cette semaine, cette semaine les avocats… parce qu’on en arrive peut-être à votre secteur gouvernemental, les avocats se sont mobilisés contre les lenteurs de la justice et contre le trop faible nombre des magistrats. Alors, est-ce que vous leur dites qu’il y a un plan d’urgence ? Est-ce que vous avez les moyens de votre plan d’urgence, les moyens financiers, est-ce qu’ils vous sont garantis ? Et est-ce que vous pensez que ce n’est pas cela la première… le premier acte de réforme de la justice ?

É. Guigou. – Eh bien justement, je suis très contente de pouvoir vous répondre là-dessus parce que c’est vrai que dans la présentation…

M. Cotta. – La grève des avocats nous a aidés, c’est ça ?

É. Guigou. – Dans la présentation de ma réforme qui a été faite la semaine dernière, moi, j’ai dit il y a trois axes fondamentaux. Il y a d’abord et avant tout une justice qui soit plus proche des préoccupations des gens au quotidien, ensuite la garantie des libertés et ensuite l’indépendance des procureurs. On a parlé pratiquement que de l’indépendance du parquet alors je suis très contente…

M. Cotta. – Ici même nous en avons parlé la semaine dernière.

É. Guigou. – Voilà, et c’était très bien d’ailleurs, mais revenons à ce premier axe. D’abord et avant tout, le principal reproche que l’on peut faire à la justice aujourd’hui c’est d’être lente, d’être compliquée et puis d’avoir quelquefois des pratiques vieillottes. Eh bien, face à tout cela, il faut accélérer, il faut simplifier et il faut moderniser.

M. Cotta. – Cela fait quand même des années qu’on dit ça et des années qu’on ne fait pas grand-chose de ce point de vue-là.

É. Guigou. – La différence c’est que maintenant on commence à faire des choses et que moi je présente pour la première fois peut-être depuis 1958 la réforme de Michel Debré, une réforme qui soit globale justement et qui regarde surtout la justice avec les yeux du citoyen et des justiciables et je crois que ça c’est une innovation fondamentale, et d’ailleurs elle a été prise comme telle. Alors, à partir de ce moment-là, qu’est-ce qu’il faut faire ? Je dirais qu’il faut agir sur plusieurs plans à la fois. Il faut d’abord des modifications de texte pour simplifier les procédures. Il faut ensuite des moyens, vous avez raison, là j’ai un projet de budget pour 1998 qui est le meilleur… qui marque bien que la justice est la première priorité du gouvernement et, parce qu’il faut un certain temps toujours pour recruter des magistrats, vous comprenez, il faut deux ans et demi pour les former les magistrats, les greffiers c’est la même chose. Eh bien, j’ai demandé au Premier ministre que nous puissions mettre en place un plan d’urgence pour que dès 1998 nous puissions avoir une arrivée supplémentaire par des recrutements exceptionnels.

P. Guilbert. – Vous allez les trouver où… actuellement là… d’ici quelques mois ?

É. Guigou. – Eh bien d’abord, je ne peux pas dire… il faut savoir que ce ne sera pas immédiat… dès le début de 98. Quand on fait des recrutements exceptionnels dans la magistrature ou de fonctionnaires, cela s’est déjà produit dans le passé, il faut d’abord une loi organique. Dès que l’on touche à la justice, au Conseil constitutionnel…

M. Cotta. – Mais si on veut aller vite justement…

É. Guigou. – Je vais aussi vite qu’il est possible tout en respectant nos lois et nos règles. Par conséquent, j’ai l’accord du Premier ministre. Maintenant, nous allons aller aussi vite que possible. Je vais… il y aura à voir avec les syndicats comment organiser ces recrutements exceptionnels. Il y a à passer devant le Parlement pour avoir cette loi organique. J’espère que nous pourrons avoir un accord là-dessus dès la fin de l’année, début de l’année prochaine pour pouvoir dans le courant de l’année 1998 voir arriver ces recrutements exceptionnels.

M. Cotta. – Combien, combien de recrutements ?

É. Guigou. – Je ne peux pas vous donner de chiffres parce que nous sommes en train…

M. Cotta. – Un ordre de grandeur ?

É. Guigou. – Je ne peux vous donner de chiffres encore aujourd’hui parce que je dois encore regarder le détail.

P. Guilbert. – Et trouver l’argent…

É. Guigou. – J’ai l’accord du Premier ministre là-dessus, encore une fois ce sont des postes souvent qui étaient vacants et qui ne sont pas financés et par conséquent, la décision est prise. Alors, ce que je crois c’est que les fonctionnaires arriveront dès le début de 1998 parce que là, c’est plus facile. Ensuite, nous aurons probablement une arrivée de greffiers et puis des magistrats. Et c’est très important parce que qu’est-ce que j’entends dire moi quand je vais dans les tribunaux ? J’étais à Bobigny jeudi, j’ai passé la matinée au tribunal de Bobigny et j’étais avec les avocats du Barreau de Carpentras et d’Avignon avant-hier. Eh bien, ce qu’ils me disent c’est que souvent il n’y a pas assez de personnel pour faire des photocopies ou pour notifier les jugements. Quand on a un jugement de divorce, si ce n’est pas notifié dans les 6 mois, toute la procédure est remise en cause.

P. Guilbert. – C’est énorme ce que vous décrivez ! En dehors du recrutement, est-ce que nous iriez jusqu’à faire verser des primes aux magistrats qui vont vite par exemple ?

É. Guigou. – Écoutez, c’est une idée qui circule. Ça existe au Conseil d’État, je crois que dans une réforme comme cela…

M. Cotta. – Plus on prend de dossiers, plus on est payé ?

É. Guigou. – Je crois que dans une réforme comme cela, à partir du moment où elle est globale et où elle cherche au fond à faire en sorte que l’on ait un équilibre, c’est-à-dire que finalement chacun apporte, chacun balaie devant sa porte et chacun y mette du sien. Bon, alors moi qu’est-ce que je dis ? L’État y met du sien et l’État balaie devant sa porte. Nous allons faire cette réforme et des textes et avec des moyens supplémentaires, j’ai l’engagement du Premier ministre et le Premier ministre est un homme de parole, il vient de le prouver dans le secteur des routiers, il l’a prouvé déjà ici.

M. Cotta. – Vous ne parlez que du Premier ministre mais le président de la République aussi il vous a demandé d’aller plus loin ?

É. Guigou. – Attendez, là, c’est autre chose, on y reviendra dans un instant, deuxièmement…

M. Cotta. – Il existe aussi quoi…

É. Guigou. – Deuxièmement, il y a des réformes à faire qui ne coûteront pas un centime. C’est l’organisation du travail, et là aussi, il faut que… et les magistrats et les avocats discutent entre eux, souvent il n’y a pas assez de dialogue vous savez, avec les fonctionnaires aussi, magistrats et greffiers. Combien de fois est-ce que j’ai entendu de la part des fonctionnaires le fait que… bon, donc, qu’on se mette ensemble et qu’on discute. Comment est-ce que l’on peut établir des contrats de procédure, se fixer des délais pour y arriver ? Comment peut-on faire pour que justement les magistrats acceptent d’inscrire des rendez-vous que l’on tient sur des agendas, en contrepartie que les avocats eux-mêmes acceptent aussi ces procédures de médiation qui évitent, qui résolvent les conflits sans aller devant les tribunaux. Donc, c’est un équilibre. Moi, je discuterai et je travaillerai avec les professions parce que je pense que l’on ne peut pas imposer comme cela une réforme d’en haut. J’ai des idées, j’écoute beaucoup, je vais sur le terrain, et à partir de là, nous nous donnerons le temps qu’il faut, quelques mois, quelques semaines pour les réformes les plus urgentes et quelquefois un an ou deux.

P. Guilbert. – En dehors du fonctionnement justement, sur le plan des principes, vous allez avoir bientôt l’indépendance du parquet, enfin c’est l’objet de la loi, de la prochaine loi, le président de la République vous a demandé d’aller plus loin, dans quel sens il vous a demandé cela ?

É. Guigou. – Moi, j’ai compris que le président de la République approuvait les orientations, ce sont des orientations que j’ai données en conseil des ministres, mais qu’il souhaitait naturellement que cela soit suivi par des textes et des mesures précises bien entendu. Deuxièmement, il m’a semblé que le président de la République était très attaché à l’idée que dès lors qu’il y a une indépendance plus grande des magistrats du parquet il y ait aussi une plus grande responsabilité des magistrats, vous vous souvenez qu’il s’est exprimé là-dessus le 14 juillet.

M. Cotta. – Ça, ça vous paraît une bonne idée ?

É. Guigou. – Bien sûr. D’ailleurs, c’est dans ma réforme, cela fait partie de mes propositions. Cela reste à préciser dans les textes. C’est une réforme gigantesque ! Il va y avoir une réforme de la Constitution, il y aura donc des lois constitutionnelles, des lois organiques, des lois simples, des décrets et, encore une fois, n’oublions pas, parce qu’en France on a toujours le défaut qui consiste à croire que quand on a fait des textes on a tout résolu, l’organisation du travail.

P. Guilbert. – Vous allez encore être en scène à propos du projet sur la nationalité. Alors là, il y a une certaine division dans le Parti socialiste, dans votre propre camp. Alors, le droit du sol, vous allez l’établir… Faut-il l’établir à la naissance pour les enfants d’immigrés à 16 ans ou à 18 ans ? C’est quoi votre idée directrice ?

É. Guigou. – Le projet que je présente consiste à modifier radicalement la loi Méhaignerie de 1993. Désormais, tout enfant de parent étranger né en France, tout enfant né en France deviendra automatiquement français à l’âge de 18 ans. Il pourra récuser la nationalité entre l’âge de 17 ans et demi et 18 ans, mais il deviendra automatiquement français.

M. Cotta. – Et qu’est-ce qu’il est entre 0 et 18 ans ?

É. Guigou. – Avant l’âge de 18 ans, il pourra sur une base volontaire dès l’âge de 16 ans demander la nationalité française. Ce ne sera pas une condition d’acquisition de la nationalité comme cela l’est actuellement, ce qui présente d’énorme défauts parce que tous les enfants ne sont pas avertis, il y en a certains dans certaines familles qui peuvent demander la nationalité et pas d’autres. On m’a même cité le cas dans le nord de la France d’une même famille dans laquelle vous aviez plusieurs enfants qui demandaient la nationalité, il y en avait un qui était handicapé, il ne pouvait pas s’exprimer et on lui disait « vous ne pouvez pas vous exprimer, vous n’êtes pas français ». Bon. Alors, on arrive à des absurdités, donc nous voulons changer ce système. On est automatiquement français mais on peut demander la nationalité à partir de 16 ans, qu’est-ce qui se passe…

M. Cotta. – C’est un droit du sol décliné autrement. On n’est pas français à la naissance, on est français à 18 ans.

É. Guigou. – Mais jamais dans notre législation…

P. Guilbert. – Certains le demandent dans votre parti…

É. Guigou. – Mais jamais on a été automatiquement français sans qu’il y ait des conditions. Il y a toujours eu des conditions de résidence. Ce qui est vrai, c’est qu’il faut s’occuper particulièrement de ces enfants qui ont vocation à devenir français et qui ne le sont pas encore de façon à ce qu’ils ne soient pas discriminés par exemple à l’école, qu’ils puissent voyager. Si une classe va en Espagne ou en Italie ou en Angleterre, que ces enfants puissent avoir des papiers, que les consulats, les ambassades de leurs pays d’origine ne leur refusent pas… de façon à ce qu’ils puissent voyager comme les autres enfants… Alors ça, j’ai obtenu l’assurance de mes collègues Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, qu’il y aurait des discussions et des négociations avec les ambassades et les consulats pour que ces enfants puissent avoir leurs papiers sans aucune espèce de difficulté.

M. Cotta. – Élisabeth Guigou, peut-être un dernier mot sur la délinquance des mineurs qui vient. Vous vous êtes beaucoup penchée là-dessus, vous vous êtes aussi penchée sur la violence à l’école avec Ségolène Royale et avec les bizutages. Est-ce que vous pensez qu’il faut de ce point de vue là aussi modifier et moderniser la justice avant que l’on donne la parole à nos autres interlocuteurs ?

É. Guigou. – Moi, je crois que la délinquance des mineurs est un phénomène très grave et qui s’aggrave parce que l’on voit de plus en plus de jeunes de plus en plus jeunes commettre des actes de plus en plus graves. Il se trouve que j’étais en Seine-Saint-Denis jeudi et c’est là que ce jeune officier de police, Olivier Champeau (phon), a été très grièvement blessé. Donc, c’est quelque chose, je veux dire… on ne peut pas… Alors, qu’est-ce qui se passe avec ces enfants ? Quand un jeune passe devant un juge pour enfants, il est souvent – si vous voulez, c’est souvent un enfant qui est d’une famille disloquée, quelquefois avec des femmes seules qui sont débordées par des enfants adolescents, en échec scolaire avec des familles qui sont au chômage. Et par conséquent, il faut à la fois avoir un dialogue avec ces enfants, chercher à les réinsérer, si vous voulez, dans la société et en même temps réprimer, qu’il y ait une sanction à chaque acte, c’est-à-dire que dès qu’il y a une incivilité, dès qu’il y a une infraction, il puisse y avoir une sanction. Alors, il y a beaucoup d’innovations, il y a certains juges qui procèdent comme cela.

M. Cotta. – On va en parler si vous voulez bien dans la deuxième partie de cette émission. Donc, les jeunes de moins de 18 ans sont de plus en plus nombreux à commettre des délits et si je lis les informations telles qu’elles nous sont parvenues la semaine dernière par exemple, donc je trouve un tribunal pour enfants de Versailles qui a condamné jeudi à 4 ans de prison une collégienne qui avait blessé une rivale d’un coup de couteau, le policier agressé il y a quelques jours, trois jeunes sous mandat de dépôt à Créteil, des mineurs à Pont-à-Mousson… Alors pour cette criminalité, quels remèdes ? Faut-il éloigner les jeunes de leur milieu familial ? Faut-il punir ? Faut-il comprendre ? Le point de Jean-Michel Mercurol sur un reportage d’Agnès Varamian.