Interviews de Mme Élisabeth Guigou, ministre de la justice, dans "Le Parisien" du 26 novembre et "Le Dauphiné libéré" du 4 décembre 1997, sur le projet de loi sur la nationalité française et sur la politique judiciaire.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat en première lecture sur le projet de loi sur la nationalité française à l'Assemblée nationale du 26 au 28 novembre et adoption le 1er décembre 1997

Média : Le Dauphiné libéré - Le Parisien

Texte intégral

Date : 26 novembre 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : 13 ans, n’est-ce pas un peu jeune pour manifester une volonté citoyenne ?

Élisabeth Guigou : Le gouvernement avait proposé que l’âge de 16 ans soit reconnu pour anticiper l’acquisition de la nationalité. La commission des lois propose 13 ans. Le gouvernement accepte, car cela correspond dans notre droit au commencement de la responsabilité. À cet âge, les enfants encourent des sanctions pénales pour certains délits et ont également le droit de choisir le domicile du parent avec lequel ils souhaitent habiter en cas de divorce.

Le Parisien : De la naissance à l’âge de 13 ans, le statut de ces enfants sera pour le moins flou. Ce flou ne nuira-t-il pas à leur intégration ?

Élisabeth Guigou : Il y avait effectivement un vrai risque. Notre réponse sera la suivante : jusqu’à l’acquisition de la nationalité, au plus tard à 18 ans, nous ferons en sorte que ces enfants n’aient aucune difficulté dans la vie de tous les jours. La commission des lois propose que l’on donne aux enfants qui ont vocation à devenir français un titre spécifique. Le gouvernement accepte cette suggestion. Ce document aura deux vocations. Très concrètement, il leur servira à entrer et sortir du territoire et à partir, par exemple, en voyage d’études avec leur classe. Sur un plan plus symbolique, ce sera un message envoyé à ces enfants, leur expliquant qu’ils ont vocation à devenir membres de la communauté nationale. Cette période d’attente ne devrait donc pas être préjudiciable à l’intégration.

Le Parisien : Croyez-vous que les deux projets – le vôtre et celui de Jean-Pierre Chevènement – seront bien compris par l’opinion ?

Élisabeth Guigou : Il n’est jamais simple de faire passer deux messages en même temps. Pourtant, je pense que notre philosophie est claire. Premièrement : les étrangers présents régulièrement sur notre sol ont droit à la considération et à une vie normale. En ce sens, nous faciliterons le regroupement familial et permettrons aux enfants de ces étrangers qui naîtront en France de devenir français. Mais, deuxièmement, il est clair que nous serons plus sévères sur l’immigration clandestine. C’est pourquoi nous faciliterons les reconduites aux frontières en donnant plus de temps à l’administration pour établir les formalités de reconduction, et en engageant la lutte contre les filières et les réseaux clandestins.


Date : jeudi 4 décembre 1997
Source : Le Dauphiné Libéré

Le Dauphiné Libéré : Était-il nécessaire de légiférer ?

Élisabeth Guigou : Oui. Dans le système instauré par la loi de 1993, et qui prévoyait une déclaration solennelle de tout jeune âgé de 13 à 21 ans, il y avait un très grand risque, celui que beaucoup de jeunes restent au bord de la route, soit parce qu’ils n’étaient pas au courant des dispositions législatives, soit parce qu’ils pensaient de bonne foi être Français. À quel destin ces jeunes ainsi exclus étaient-ils promis ? À leur égard nous avions un devoir d’intégration, que nous remplissons avec la loi sur la nationalité.

Le Dauphiné Libéré : Mais ne risque-t-on pas d’encourager l’immigration ?

Élisabeth Guigou : La nationalité est un sujet très distinct de celui de l’immigration, qui couvre la maîtrise de l’entrée et du séjour des étrangers chez nous. Sur ce point, le gouvernement, sans aucune espèce d’ambiguïté, affirme qu’il faut maîtriser les flux migratoires. Nous avons le droit et même le devoir de déclarer qu’en dehors de l’Union européenne, il n’existe pas de libre circulation et de droit à l’immigration sur notre territoire. Surtout en période de crise économique et de chômage. Mais une fois que les étrangers ont été admis chez nous, qu’ils ont eu des enfants, la seule question qui se pose est celle de l’intégration de ces enfants nés chez nous, parce que nous avons accepté l’immigration de leurs parents.

Le Dauphiné Libéré : À vous entendre, le problème paraît simple, et pourtant les débats ont été parfois vifs.

Élisabeth Guigou : Je conçois que les échanges soient vifs, parce que l’on touche à la racine de notre identité. Mais qu’on évite les fantasmes, les amalgames entre immigration et intégration.

Le Dauphiné Libéré : Maintenant que vous avez fait adopter en première lecture votre projet sur la nationalité et celui sur la délinquance sexuelle, quelle va devenir votre priorité ?

Élisabeth Guigou : Elle portera sur la réforme de la justice, qui ne peut être que globale. J’ai la volonté de toucher à tout ce qui ne va pas dans les relations entre la justice et les citoyens. Il s’agit là d’un projet ambitieux.

Le Dauphiné Libéré : Quelle va être votre stratégie ?

Élisabeth Guigou : La première chose à faire, c’est d’arriver à distinguer l’accès au droit et l’accès aux tribunaux. C’est une distinction fondamentale. Le besoin de droit dans notre société est de plus en plus important, parce que les mécanismes traditionnels de règlement des conflits ont disparu. Tout un chacun doit connaître ses droits et avoir accès au droit. Pour cela, je vais généraliser les centres départementaux d’aide juridique, qui ne sont actuellement qu’au nombre de vingt. Je souhaite que l’on essaie de développer des modes de résolution des conflits en amont de l’appel au tribunaux, comme la médiation, la conciliation. Bref, toutes les formules qui permettent d’aboutir à un compromis. Il faut qu’on n’aille devant les tribunaux que lorsqu’il y a un conflit que l’on ne peut dénouer autrement.

Le Dauphiné Libéré : Quelles sont les recettes que vous préconisez ?

Élisabeth Guigou : D’abord, il nous faut arriver à la fois à simplifier les procédures et à réorganiser et à moderniser le travail des tribunaux, et bien entendu, accorder à la justice des moyens supplémentaires. La question des moyens est de la responsabilité de l’État, et je ne l’esquiverai pas. Le Premier ministre m’a donné l’assurance qu’il y aurait des moyens supplémentaires pour la réforme. Une des principales mesures du plan d’urgence que j’ai annoncé – le recrutement exceptionnel de 100 magistrats – a été adopté ce matin en Conseil des ministres, sous forme de projet de loi organique qui sera discuté au Parlement au début de l’année prochaine. Mais un même effort est déjà amorcé pour le recrutement de greffiers (284 postes au total) et de fonctionnaires (545) qui viendront renforcer les juridictions. Enfin, avec Martine Aubry, nous avons donné hier même le coup d’envoi aux emplois-jeunes pour la justice en signant avec trois fédérations des accords-cadres prévoyant la création de 1 550 postes. Toutefois, on ne peut s’en tenir à l’augmentation des moyens, car l’accroissement du contentieux est tel qu’on se trouve devant le tonneau des Danaïdes. Dans la simplification des procédures, il faut examiner en priorité les procédures civiles. C’est en effet sur ce terrain que les Français ont le plus souvent affaire à la justice, à travers le contentieux familial ou le contentieux social.

Le Dauphiné Libéré : C’est dans ce contexte qu’il faut resituer votre intervention sur la simplification du divorce à l’amiable ?

Élisabeth Guigou : En effet, c’est souvent par cette procédure que nos concitoyens font connaissance avec la justice. On ne peut oublier que le divorce, dont le nombre tourne chaque année autour de 170 000, est le dénouement d’un tiers des mariages, et que le tiers des enfants naissent et vivent hors mariage de leurs parents. Mais sur ce sujet délicat, j’entends mener une concertation très large et approfondie, notamment avec les avocats. Je déciderai ensuite.

Le Dauphiné Libéré : Quelles sont les pistes que vous suivez pour le contentieux social ?

Élisabeth Guigou : Le chômage et la crise économique ont posé de façon nouvelle un certain nombre de problèmes. Ainsi, les saisies immobilières s’effectuent aujourd’hui de façon nouvelle un certain nombre de problèmes. Ainsi, les saisies immobilières s’effectuent aujourd’hui de façon très inéquitable. C’est le créancier qui fixe le prix du bien saisi. Ce n’est pas normal, et il devrait y avoir davantage de ventes de gré à gré. Je ne trouve pas normal non plus que quelqu’un dont on saisit le logement ne puisse pas être immédiatement renseigné ou orienté vers les commissions de surendettement, lorsque l’on sait que la perte du logement signifie le début de l’exclusion. Sur les licenciements, je trouve inadmissible qu’un salarié licencié qui porte son affaire devant le Conseil des prud’hommes doive attendre quatre ou cinq ans pour voir son affaire jugée définitivement. Là se pose la question du caractère exécutoire des décisions de première instance.

Le Dauphiné Libéré : À voir les premières réactions des professionnels, il semble que votre projet inquiète le milieu judiciaire.

Élisabeth Guigou : Sur ces problèmes je n’ai pas l’intention de prendre des décisions précipitées. Je veux poser les problèmes tels que je les entends, non seulement chez les justiciables, mais aussi chez les professionnels. Je veux qu’on puisse avoir un vrai débat citoyen, avec l’ensemble des professions de justice. Je suis parfaitement consciente de la nécessité de protéger les équilibres économiques des professionnels comme les avocats. Aussi, pour le divorce, je rappelle que ce n’est pas parce que l’on faciliterait le divorce à l’amiable qu’on mettrait hors-jeu les avocats. C’est le juge qu’on mettrait à part. Je pense d’ailleurs, à ce propos, que l’avocat devra de plus en plus développer son rôle de conseiller juridique par rapport à la plaidoirie devant le tribunal.

Le Dauphiné Libéré : Avez-vous abandonné le projet de votre prédécesseur qui souhaitait créer une juridiction d’appel en matière criminelle ?

Élisabeth Guigou : Je pense qu’il serait bon d’avoir, en effet, un tel système. Et je rejoins sur ce point mon prédécesseur. Si le principe est bon, la réforme qu’il avait mise au point me paraît trop coûteuse. Si on conserve ce projet en l’état, nous savons qu’il ne sera jamais appliqué, parce qu’il y aura toujours plus urgent à régler, comme le problème rencontré par ces millions de justiciables qui se heurtent à l’encombrement des tribunaux. La réforme de la cour d’assises est un problème auquel j’attache de l’importance, mais il nous faut trouver des façons plus simples et moins coûteuses de la mener à bien. Je fais travailler actuellement mes équipes sur cette question. Il faut un nouvel examen, mais pour l’heure ce n’est pas évident. Le nombre de réformes que l’on a annoncées à grand renfort de proclamations solennelles, et qu’on n’a jamais appliquées, est impressionnant. Je me refuse à annoncer des choses que je n’aurais pas les moyens d’appliquer.

Le Dauphiné Libéré : Le président de la République a souhaité que vous alliez plus loin dans la réforme. Qu’envisagez-vous de faire pour lui donner satisfaction ?

Élisabeth Guigou : J’ai noté que le président de la République avait approuvé la communication que j’avais faite au Conseil des ministres. Aller plus loin, cela veut dire bien sûr déposer des textes précis. Il m’a semblé relever que le chef de l’État attachait une attention particulière à la responsabilité des juges. Ce qui est un sujet important, mais qu’il faut traiter sans prendre le risque de déstabiliser les juges, qui ont un besoin d’être protégés, n’exerçant pas un métier facile. Je ne fragiliserai pas les magistrats, je les protégerai. Mais il faut que la magistrature accepte de mieux sanctionner les quelques rares « moutons noirs » de la profession.

Le Dauphiné Libéré : Lorsque vous quitterez la Chancellerie, que souhaiteriez-vous que l’on dise de vous ?

Élisabeth Guigou : J’aimerais que l’on dise d’abord « On a retrouvé confiance dans la justice ». Et si on peut ajouter que j’ai aidé à cela, je serai très heureuse.

Son activité à la tête de la Chancellerie ne fait pas oublier à Élisabeth Guigou les échéances électorales, c’est-à-dire les cantonales et les régionales fixées au mois de mars. Elle espère bien que ces consultations permettront à la gauche de conquérir le Conseil général du Vaucluse.

Cela ne me paraît pas impossible. Pour y parvenir, il nous faudrait garder les cantons que nous avons, et en gagner deux ou trois autres. Nous pouvons notamment espérer gagner les cantons d’Avignon-Sud, de Beaumes-de-Venise et, pourquoi pas, celui d’Orange.

Le Dauphiné Libéré : Seriez-vous prête à prôner un front républicain pour contrecarrer le projet présidentiel à la tête de PACA de Jean-Marie Le Pen ?

Élisabeth Guigou : Non, car je pense que ce serait précisément tomber dans le langage du Front national. Il n’y a aucun risque que le FN prenne la présidence de PACA à partir du moment où la droite ne fait pas alliance avec le Front national. On cherche à se faire peur avec l’image d’un fauteuil présidentiel occupé par M. Le Pen. Je crois à la sincérité de MM. Gaudin et Léotard lorsqu’ils affirment qu’ils ne veulent pas d’alliance avec le FN, parce qu’ils savent qu’un tel rapprochement sera mortel pour la droite. Il faut toutefois surveiller l’attitude de certains élus moins en vue, au RPR et à l’UDF qui sont tentés de faire alliance avec le Front national.

Le Dauphiné Libéré : Comment le PS va-t-il faire campagne ?

Élisabeth Guigou : Du côté des socialistes, nous ne nous laisserons pas enfermer dans ce débat stérile autour de la question du Front national. Nous souhaitons, nous, faire une vraie campagne, une campagne d’équipe avec Michel Vauzelle, Jean-Louis Bianco, Patrick Allemand, Christian Martin et Christian Graglia. Nous mènerons campagne ensemble, et à l’image du gouvernement au plan national, nous proposerons aux citoyens un vrai projet de développement pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un projet qui leur rende leur fierté et leur donne une nouvelle confiance dans l’avenir de leur région.

Le Dauphiné Libéré : Envisagez-vous de prendre une initiative en faveur des Chorégies d’Orange menacées d’asphyxie financière ?

Élisabeth Guigou : Je vais en discuter avec ma collègue de la culture. Je souhaite bien sûr que les Chorégies continuent, mais il faut que les Orangeois se rendent compte qu’élire un maire FN ne va pas sans conséquences.

Le Dauphiné Libéré : Il paraît qu’entre le maire RPR d’Avignon et vous-même, les relations sont inexistantes. À qui la faute ?

Élisabeth Guigou : Je regrette que Mme Roig ait décliné mes invitations et n’ait pas souhaité établir de contacts avec moi afin de coopérer sur des sujets d’intérêt commun, par exemple comme le Grand Avignon ou le plan emploi-jeunes sur lesquels je peux, en raison de ma position, apporter quelque chose. Je me félicite toutefois d’avoir pu établir une telle coopération sur plusieurs dossiers avec le maire du Pontet, M. Cortade, qui ne partage pas mes opinions politiques.