Texte intégral
Congrès de l’Association des maires de France - 18 novembre 1997
Mesdames et Messieurs les maires,
Je suis particulièrement heureuse d'être aujourd'hui devant vous et d'intervenir devant votre congrès. J'ai déjà rencontré vos représentants à plusieurs reprises depuis le mois de juin, en particulier durant l'été dans le cadre de la préparation du projet pour l'emploi des jeunes.
Je voudrais profiter de ma présence pour exprimer le souhait que s'établissent, entre mon ministère et vos collectivités, les plus étroites collaborations. Nous avons en effet beaucoup de préoccupations communes touchant directement aux attentes et aux besoins de nos concitoyens. À cet égard, j'aimerais vous parler de l'emploi, des questions de santé et de la politique de la ville.
En premier lieu, l'emploi. C'est la préoccupation majeure du gouvernement. Je sais qu'elle est aussi celle de l'ensemble des élus.
À la tête de vos collectivités, vous êtes les premiers interlocuteurs de nos concitoyens, ceux en qui l'on fait confiance, souvent en dernier ressort, pour trouver des solutions qui pourtant ne relèvent pas nécessairement de vos responsabilités directes.
Par votre place au cœur de la cité, vous êtes les témoins des traumatismes de notre société.
Cette relation privilégiée qu'entretiennent les Français avec leurs élus est donc déterminante. Elle illustre la réussite des politiques de décentralisation et souligne également l'essor de la démocratie locale.
Ignorer cette réalité serait oublier que nous ne parviendrons ensemble à combattre le chômage sans appuyer notre politique en faveur de l'emploi sur des dynamiques de développement local.
C'est la conviction du gouvernement et elle s'est incarnée dans l'élaboration et la mise en œuvre de la loi pour le développement d'activités pour l'emploi des jeunes.
Je connais le poids des responsabilités locales. Je connais ces moments de désarroi face aux situations parfois inextricables et toujours dramatiques auxquelles chaque élu est confronté face à la misère et l'exclusion. Je connais les difficultés financières des communes.
Durant l'été et les premiers mois de l'automne, j'ai associé les élus et leurs associations à la préparation de ce programme en faveur de la création d'activités nouvelles.
J'ai voulu initier une nouvelle forme d'action publique. Mon cabinet et moi-même nous sommes déplacés dans les 22 régions métropolitaines et les DOM, pour nourrir notre réflexion des réactions et des remarques des élus. Nous avons tenu plus d'une centaine de réunions locales, pas seulement pour informer a posteriori sur ce programme, mais pour enrichir l'élaboration de ce texte de vos expériences et de ces initiatives.
Si le programme « nouveaux services nouveaux emplois » rencontre une telle adhésion sur le terrain, c'est aussi parce qu'il est le produit d'une réflexion collective à laquelle vous avez contribué de manière déterminante.
Lutter contre le chômage exige de nous que nous soyons côte à côte plutôt que face à face. C'est ce que j'ai voulu concrètement appliquer avec cette loi.
Le gouvernement a mis tout en œuvre pour réussir. Les moyens financiers, la mobilisation des services de l'État et a tout fait pour que la loi soit rapidement appliquée. Elle a été définitivement votée par le Parlement le 13 octobre. Le 24 octobre, 11 jours après, la loi et le décret d'application avaient déjà été publiés au JO et la circulaire d'application envoyée aux préfets.
Mais nous avons besoin de tous et en particulier des élus locaux pour réussir.
L'attente des jeunes est immense. Nous avons le devoir de leur donner le droit à un avenir en leur proposant une insertion professionnelle durable. L'objectif est de créer 350 000 emplois pour les jeunes en trois ans. Ces emplois naîtront des projets et des initiatives locales que vous susciterez en créant de nouvelles activités.
La somme des besoins non satisfaits est considérable. Les déséquilibres de notre société proviennent très largement du délitement du lien social. Ce programme y répond par une démarche volontariste et souple, en même temps qu'il reposera sur un appel permanent à projets. L'animation même du programme est assurée par des équipes locales de projet dont j'ai souhaité que vous soyez, dans la plupart des cas, les pilotes.
L'enjeu dès maintenant réside dans notre capacité à pérenniser ces activités, donc ces emplois.
Leur création part de l'identification de besoins essentiels non satisfaits par le marché ou l'action publique. Dans bien des cas ces besoins sont susceptibles de se transformer en demande solvable.
Si je sais que beaucoup d'entre vous s'inquiètent de la pérennisation de ces activités au-delà de 5 ans, je sais aussi que ce programme soulève votre intérêt et l'enthousiasme de nombreux acteurs associatifs.
Je voudrais aussi souligner que ces emplois ne sont pas réservés aux zones urbaines. Bien au contraire. C'est un atout, c'est un levier extraordinaire pour le monde rural, c'est un outil pour l'aménagement du territoire et le développement rural : tourisme, services aux personnes, culture... C'est pour permettre aux petites communes d'utiliser des emplois jeunes que l’on a inscrit dans la loi la possibilité pour un jeune d'avoir plusieurs employeurs ainsi que la création de groupement d'employeurs entre plusieurs communes.
Alors, ne bridons pas notre imagination ! Ne bridons pas l'initiative. Sachons collectivement prendre nos responsabilités et parier sur l'avenir.
Nous venons d'ouvrir un nouvel espace d'intervention aux élus et aux acteurs associatifs de terrain pour créer de nouvelles activités et des emplois. Il vous revient maintenant de vous approprier ce dispositif et de le faire vivre. Un formidable espoir est né. Je sais pouvoir compter sur vous pour y répondre.
J'entends bien élargir cette méthode de travail à l'ensemble des sujets qui s'y prêtent au sein de mon ministère : l'avenir de l'hôpital en est un.
L'adaptation de notre système hospitalier doit être guidée par la recherche de l'efficience des structures de soins. Nous savons tous que d'importantes disparités existent en ce domaine.
Certains hôpitaux sont fortement contraints, souvent les plus dynamiques, d'autres bénéficient de plus de facilités.
Enfin, notre système hospitalier doit s'adapter pour mieux répondre aux besoins. Les techniques évoluent, les exigences de sécurité augmentent légitimement, les aspirations des patients se modifient, les caractéristiques des populations prises en charge changent.
Il nous faut donc mieux appréhender les besoins et partir d'une connaissance plus précise de l'état de santé des populations mais également des comportements en matière de consommation, de déplacements. Il nous faut également disposer d'un état des lieux plus précis sur l'état actuel des structures de soins, sur les manières dont les besoins de santé sont actuellement pris en compte.
Élus, vous êtes parmi les premiers confrontés à ces nouvelles exigences. J'ai l'intention de solliciter votre avis sur cette importante réforme. L'hôpital, c'est bien sûr la santé, c'est aussi l'emploi. Je n'entends pas déconnecter les choix politiques nécessaires en matière de révision des schémas régionaux d'organisation sanitaire de ses conséquences sur l'emploi et le développement local.
La recomposition de notre tissu hospitalier ne peut être le produit de décisions technocratiques, aussi éclairées soient-elles. L'hôpital est au centre de la vie locale, c'est le lieu où l'on accouche, où l'on est accueilli, où l'on est soigné pour des maladies graves. C'est aussi l'employeur principal et un élément essentiel d'aménagement du territoire. Chacun est donc concerné.
Je fais en ce domaine comme pour l'emploi des jeunes le pari de la démocratie. Je suis certaine qu'à partir d'un diagnostic partagé, le dialogue seul est à même de favoriser les évolutions nécessaires. Ainsi, ces choix nécessaires pour l'avenir de notre système de soins seront choisis et non subis.
Les états généraux de la santé prévus au printemps seront une étape importante de ce grand débat national sur l'avenir de l'hôpital dans notre pays, auxquels je souhaite que vous soyez partie prenante, au même titre que les professionnels de la santé et bien sûr des usagers.
Cette concertation véritable, ce lien entre l'État et les maires sera, également, au cœur de la nouvelle politique de la ville que j'entends mettre en œuvre.
Nous avons besoin d'y voir clair en ce domaine. Nous avons besoin de plus de souplesse mais aussi de plus d'homogénéité et de concertation entre l'intervention de l'État et des différentes collectivités publiques. En tant que 1re adjointe de Pierre Mauroy à Lille, je sais les difficultés que nous rencontrons pour mettre en œuvre des dispositifs qui se sont empilés depuis une dizaine d'années.
Le programme emplois-jeunes contribuera à l'émergence d'activités nouvelles de nature à restaurer la cohésion sociale dans nos villes et à permettre aux habitants des quartiers difficiles notamment d'apprendre progressivement à mieux vivre ensemble.
Mais la politique de la ville se situe aujourd'hui à un tournant. Les politiques passées ont conduit à segmenter les quartiers par fonction (logement, travail, commerce), créant ainsi des phénomènes de marginalisation et de ghettoïsation. Nous devons donc reconstruire nos villes autour d'un double objectif : la mixité sociale et la mixité fonctionnelle.
Du développement social des quartiers aux contrats de ville, les 15 dernières années ont vu se succéder plusieurs types d'actions en faveur des quartiers défavorisés. Celles-ci se sont traduites par un fort développement d'initiatives de la part tant des habitants que des professionnels, des collectivités locales et des services de l'État.
Tous ces efforts n'ont hélas pas suffi à enrayer les processus d'exclusion et de ségrégation spatiale et sociale dont sont victimes de nombreux quartiers de nos villes et leurs habitants.
De nouvelles perspectives doivent être dessinées. Les contours de cette nouvelle politique, pour laquelle j'ai confié une mission à Jean-Pierre Sueur, le maire d'Orléans, devront faire en sorte que tous les quartiers et communes qui composent nos agglomérations, y compris les plus défavorisés, soient acteurs et bénéficiaires du développement et constituent des villes où la mixité sociale et les différentes fonctions soient représentées de manière équilibrée.
Au-delà de la reconquête des centres villes ou de la rénovation de certains quartiers, la question essentielle qui est posée est de savoir quelle forme auront nos villes au XXIe siècle. Comment en partant de l'existant, aller vers des villes équilibrées, harmonieuses, à dimension humaine, tournées vers le futur et l'innovation, accueillantes aux formations, aux activités et aux emplois de demain.
Sans ignorer l'urgence des problèmes posés et j'ai entendu quelques inquiétudes de votre part à ce sujet, je ne veux pas non plus fonder ma politique sur la précipitation. C'est pourquoi Jean-Pierre Sueur, maire d'Orléans, me remettra un rapport en janvier prochain, nourri des propositions concrètes à partir des orientations que je viens de vous livrer.
Ce chantier est immense, il concoure de façon majeure à l'avenir de notre démocratie. J'entends m'appuyer sur les élus locaux, mais aussi les responsables du monde associatif et du développement économique.
Pour cela, le Conseil national de la ville comme le Conseil national des missions locales sont des instances avec lesquelles je veux construire un partenariat permanent fondé sur le dialogue et la coresponsabilité.
J'attends du CNV qu'il dispense ses conseils et fasse des propositions afin d'éclairer les choix du gouvernement.
Je crois sincèrement à la nécessité d'un dialogue et d'un partenariat rénovés entre les élus locaux et l'État.
Mon action au sein du gouvernement entend se mettre au diapason des actions et des réflexions des maires et des élus locaux en général. Il s'agit, je crois, d’une véritable rupture dans la conception de l'action publique.
J'espère pouvoir compter sur vous pour être les partenaires de cette nouvelle forme d'intervention du politique dans la cité.
Je peux vous dire, ici, que vous pouvez compter sur moi.
Congrès du 4 décembre 1997 de l’Association des maires des villes et des banlieues de France
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le préfet, je dois vous dire que je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui au congrès de l’Association villes et banlieues . Il est vrai que l’actualité, votre président vient de le rappeler, incite à travailler sur ce sujet. Je sais le travail que fait votre association depuis quatorze ans autour, notamment, de Pierre Bourguignon et de son équipe. Je sais aussi les efforts que vous déployez dans vos villes, afin d’y rendre la vie moins difficile, par des initiatives, par du travail avec les habitants et les acteurs des quartiers. C’est vrai, votre président l’a rappelé, que nous nous sommes vus depuis que j’ai été nommée ministre de l’Emploi et de la Solidarité à la fois pour parler de la politique de la ville, et nous allons y revenir dans quelques minutes, mais aussi, par exemple, pour parler du dossier des emplois-jeunes. À cet égard, je puis vous dire que la position exprimée par votre bureau et votre président a eu un poids important dans un certain nombre de décisions que nous avons prises sur cette loi emplois-jeunes.
Par ailleurs, je suis très heureuse d’être ici à Saint-Denis dont je salue le maire, M. Braouzec, qui va partir à Marseille pour le tirage au sort de la Coupe du monde de football, un évènement qui va permettre de voir arriver ici à Saint-Denis des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de personnes dans ce magnifique stade. Je voudrais en profiter pour saluer le travail de M. Braouzec et de son équipe dans une ville qui connaît des difficultés, car celui-ci n’a jamais baissé les bras et essaie toujours de trouver des solutions innovantes dans divers domaines, que ce soit l’insertion des jeunes, les problèmes de sécurité, les problèmes économiques. Vous le savez, l’attention que je porte, depuis plusieurs années, à ces quartiers en difficulté et le travail que j’ai effectué dans un certain nombre de quartiers avec ma fondation et en tant qu’élue à Lille – comme vous le faites d’ailleurs quotidiennement dans vos villes – sont l’expression de mes engagements en général et de mes engagements politiques en particulier. J’ai la conviction profonde qu’il y a dans ces quartiers à la fois énormément de difficultés et même aujourd’hui une misère physique et morale, mais aussi des ressources considérables, une énergie que nous ne retrouvons pas toujours ailleurs, des gestes de solidarité, des actions innovantes engagées bien sûr par les associations mais aussi par les habitants eux-mêmes. Et l’ensemble de la société aurait souvent intérêt à s’en inspirer.
Une fréquentation quotidienne de ces quartiers nous apprend que le temps de la ville est long. Lorsque l’on propose, comme je m’y suis engagée, de repenser la politique de la ville, il convient donc de partir de ce constat, de raisonner dans la durée, dans la continuité, et de faire preuve de persévérance. Je crois, en effet, que rien n’est pire que d’annoncer tous les jours de nouveaux slogans, de nouvelles idées sans lendemain, car nous cassons quelque chose en faisant naître des frustrations. C’est pourquoi je suis profondément convaincue que les choses doivent être changées avec détermination mais aussi avec justesse. Cela impose de prendre le temps, non seulement le temps de la réflexion mais aussi le temps de la confrontation et le temps de l’écoute, y compris des habitants. C’est dans cet esprit qu’il convient, selon moi, de repenser la politique de la ville et de réfléchir à ce que doivent être nos villes au XXIe siècle. Je suis en effet persuadée que, dans les 500 quartiers – peut-être davantage – où les choses vont mal et où sont concentrés beaucoup des problèmes de la ville, se joue l’avenir de notre pays. Ou bien nous serons capables de récréer une véritable cohésion, non seulement sociale mais aussi spatiale, c’est-à-dire entre les quartiers et le reste de la société, ou bien nous rentrerons dans une période de relégation et d’exclusion et les bases mêmes de notre système républicain risquent d’être mises en cause avec le risque du communautarisme d’un côté et de l’extrémisme de l’autre, et avec la montée de la violence. Reconstruire ce paysage urbain me paraît donc essentiel, c’est même sans doute le chantier majeur des dix prochaines années. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité prendre le temps de la réflexion collective, sans pour autant laisser en friche la politique de la ville.
Je voudrais d’abord dire quelques mots à propos de ces quartiers, de la manière dont je les perçois. Actuellement, nous savons tous que les difficultés de la société sont concentrées. Je ne rappelle pas les taux de chômage dans ces quartiers, le nombre de familles qui vivent essentiellement de l’assistance et dans lesquelles la valeur même du travail a parfois disparu, le nombre de jeunes désespérés, convaincus que la société ne veut pas leur faire de place et qui trouvent les moyens de vivre mais aussi d’exister dans d’autres voies, en dehors des règles de cette société – que ce soit la délinquance, la drogue ou le deal. On trouve aussi dans ces quartiers des jeunes de la deuxième génération de l’exclusion, dont les problèmes sont encore beaucoup plus lourds et dont on parle beaucoup aujourd’hui à travers ces phénomènes de violence urbaine. Malheureusement, le fait que la presse en parle beaucoup trop valorise bien évidemment ces actes. Ces enfants de la deuxième génération de l’exclusion, qui peuvent être considérés comme quasiment sacrifiés si nous ne faisons rien, sont aujourd’hui totalement déstructurés. Ils ont huit, douze ans, nous les connaissons bien mais nous n’arrivons pas à comprendre quels sont les ressorts qui les font agir, qui les font vivre. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que ces enfants, qui ont vécu dans des familles touchées par l’exclusion, ont souvent des parents qui ne sont plus capables de jouer leur rôle de parents, y compris dans la relation affective dont tout enfant a besoin pour se construire. Ces enfants-là, ceux dont on parle très souvent aujourd’hui, sont parfois même incapables de définir le lien qui les unit aux adultes avec lesquels ils vivent. Est-ce mon père ? Est-ce ma mère ? Finalement, on n’en sait rien.
Pour avoir manqué de cette affection nécessaire à la construction d'un individu, ils sont aujourd'hui perdus et incapables de se projeter dans l'avenir, y compris le plus immédiat. Ils sont aussi incapables d'arrêter un certain nombre de leurs pulsions, incapables d'arrêter le désir de la violence, le passage à l'acte. Voici les réalités de deux ou trois générations d'exclus. Et je crois fortement que, si nous n'y prenons garde, si nous continuons à penser qu'il faut plus de coercition et non un soutien médical voire psychiatrique, nous ne saurons pas intégrer ces enfants plus tard dans la société. Et si je dis ça aujourd'hui, c'est parce que je crois que l'on mélange un peu tout aujourd'hui, on nous parle de délinquance, on nous parle des dealers, on nous parle de ces enfants violents. Mais je crois qu'il ne s'agit pas de la même chose, je pense que leurs grands frères ou la génération du dessus est totalement structurée. Ces jeunes qui dealent, qui vivent de la délinquance, ont l'impression que la société ne leur fait pas de place et que le seul moyen de s'en sortir, c'est de travailler, comme ils le disent, en marge. Ils disent d'ailleurs eux-mêmes que c'est du travail. Et c'est vrai que, parfois, c'est eux qui permettent de financer les études des plus petits ou de payer le loyer de la famille. Mais ceux dont on parle-là, les plus jeunes, c'est beaucoup plus grave, car, eux, ne sont pas structurés, eux ont besoin d’abord qu'on les aide à retrouver ce dont tout enfant a besoin pour pouvoir exister, pour pouvoir se construire demain en tant qu’adulte. Je voutais insister sur ce point aujourd'hui parce que je suis toujours frappée, notamment ces jours-ci, d'entendre dire qu'il suffirait de leur taper sur les doigts, qu’il suffirait de demander aux familles plus de responsabilités. Bien sûr, je suis pour que les familles soient mises face à leurs responsabilités, mais quelles familles ? Est-ce que tout le monde est capable aujourd’hui de prendre des responsabilités ? J’entends dire également qu’il suffirait d’un peu moins de violence à la télévision pour arrêter tout ça. Je suis convaincue que c’est beaucoup plus grave et que si nous ne sommes pas capables d’avoir une vue plus claire de ce qui se passe chez les jeunes et de les accompagner y compris par des soutiens, je crois que l’on passera à côté du problème et que nous en ferons par la suite des jeunes incapables de s’insérer dans cette société contrairement à leurs aînés. Je tenais à le dire parce que je pense que l’on n’en parle pas assez.
À côté de cette relégation sociale, nous savons tous par ailleurs que ces quartiers sont des lieux, où toutes les fonctions de l’homme ne sont pas représentées. Si les constructions des années 60-70 ont apporté en plus en donnant à chacun confort et hygiène – et c’était un progrès à l’époque –, on a en même temps avancé l’idée que l’homme devait être coupé en tranches, l’homme qui dort et qui vit dans ces grands quartiers de logements, l’homme qui travaille dans les zones industrielles, l’homme qui consomme dans les centres commerciaux. Cette logique de Le Corbusier a conduit à des excès tout à fait considérables. On le voit bien aujourd’hui dans ces quartiers, où l’activité économique n’existe quasiment plus, où les services publics ont déserté sauf l’école – et on ne rappellera jamais assez l’importance de l’école et des enseignants dans ces quartiers, puisqu’ils portent l’ensemble des problèmes de la société. Ces quartiers en difficulté sont donc des lieux qui n’ont pas d’autres services publics sauf peut-être quelques établissements sportifs, culturels financés par la politique de la ville, mais tout ceci ne fait pas une ville à part entière bien évidemment. Il ne s’agit donc pas de vraies villes. Il s’agit de ce qu’on appelait déjà dans les années 70 des cités-dortoirs mais qui, aujourd’hui, sont en passe de devenir des villes-ghettos, même si heureusement nous n’en sommes pas encore là.
Je pense que l'on ne réglera pas les problèmes de ces quartiers en difficulté uniquement en travaillant sur ces quartiers. Il nous faut repenser la ville dans son entier, car ce que j'ai dit là sur ces quartiers en difficulté ne fait que traduire le mouvement général de la ville. La spécialisation fonctionnelle s'est en effet développée très rapidement ces dernières années. Il y a aujourd'hui des communes où l'on vit, des communes où l'on travaille, des zones industrielles et des quartiers d'affaires, des lieux où l’on commerce, des lieux où l'on se distrait. Les derniers-nés de ces grands espaces de loisirs, les complexes cinématographiques, montrent d'ailleurs bien que nos villes partent vers cette fonctionnalisation très éclatée. Je crois que les conséquences sont lourdes pour les quartiers, pour les villes, banlieues dont nous parlons et je crois qu'elles sont lourdes aussi pour les villes dans leurs entiers. Et c'est bien pour cela qu'il faut repenser l'ensemble de la ville. Aujourd'hui, beaucoup de nos centres villes, y compris dans les villes moyennes ou grandes, deviennent des centres villes musées où les commerces disparaissent peu à peu, en raison d'une forte densité de grandes surfaces dans notre pays. Mais, je viens de le dire, même les espaces de loisirs se font plus rares. Et quand il n'y a plus de commerces, de loisirs, il n’y a plus non plus de lieux de convivialité, que ce soit les cafés, les restaurants, les brasseries, etc., tout ce qui fait la vie, tout ce qui fait que l’on se rencontre dans une ville. Il y a donc ce problème des centres villes de plus en plus désertés, mais il y a aussi les problèmes des entrées de villes qui, là aussi, traduisent cet éclatement. On retrouve partout les mêmes volumes, les mêmes enseignes, les mêmes couleurs autour d’une route nationale. Est-ce vraiment ça la ville que nous voulons laisser à nos enfants ? Quand les routes nationales rentrent aujourd’hui dans les villes et continent à se comporter comme des routes nationales à grande vitesse au lieu d’être des grands boulevards urbains autour desquels il est possible de construire une façon de vivre ensemble, on voit bien les problèmes que cela entraîne. Si j’ai voulu parler de cela, c’est pour dire que je ne crois pas que l’on puisse réfléchir aujourd’hui sur la politique de la ville au sens d’une politique se solidarité envers les quartiers en difficulté sans parler de politique de la ville avec un grand V, c’est-à-dire sans mener une réflexion plus large sur la ville. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de porter la réflexion sur la politique de la ville dans ce cadre beaucoup plus général. Bien sûr, il ne s’agit pas pour moi d’avoir la nostalgie des villes d’hier, ou d’avant-hier, encore que les villes de la renaissance italienne règnent toujours dans mon esprit. Quand les patrons étaient sur la rue et les ouvriers dans l’arrière-cour, ils se rencontraient et parlaient. Quand les artistes et les artisans étaient à proximité de ceux qui avaient de l’argent, on avait du mécénat. Tout cela doit être intégré aujourd'hui dans nos réflexions sur ces villes du XXIe siècle. En fait, sans nostalgie pour le passé, il faut peut-être que nous soyons capables de retrouver dans des nouveaux espaces urbains certaines des valeurs qui ont organisé la ville alors même que les urbanistes n’existaient pas. Il faut être capables de recréer des liaisons, des interconnexions, de la mixité et de retrouver de la cohésion. C’est donc bien dans cette perception globale que je compte inscrire ce que l’on appelle publiquement la politique de la ville. Ma conviction profonde est que si nous ne nous attaquons pas au chantier global de la ville, nous ne réglerons pas ces problèmes d’exclusion et ces problèmes de ghettoïsation. Si nous voulons effectivement agir à ce niveau, vous comprendrez qu’il est nécessaire de prendre du temps.
Je reviens maintenant à la politique de la ville stricto sensu. Après l’ère des pionniers que furent celles d’Hubert Dudebout ou de Gilbert Bonnemaison, après les opérations de développement social des quartiers, après la mise en œuvre des grands projets urbains, après la signature des contrats de villes, il faut quand même se rendre compte que les difficultés demeurent. La ségrégation sociale n’a jamais été aussi forte dans notre pays, et je dirai qu’elle l’est d’autant plus aujourd’hui que toute une partie de la population ne connaît même pas la façon dont d’autres vivent. Et ce qui est généralement dit sur les responsables de ce pays peut aussi être dit sur la jeunesse, car les jeunes vivent de plus en plus dans de bons ou de mauvais lycées, dans de bons ou mauvais quartiers et effectivement vivent les uns à côté des autres tout en s’ignorant. Alors, comment faire passer la solidarité, comment la faire accepter quand on ne connaît même pas la réalité de ce que vivent les autres ?
Il y a moins de mixité aujourd’hui, plus de ségrégation qu’il y a vingt ans ou même dix ans, mais ces constats ne doivent pas disqualifier la politique de la ville. Je pense au contraire qu’il faut plus de politique de la ville, une politique de la ville repensée, une politique de la ville rénovée. Cette force d’innovation nécessaire à cette rénovation de la politique de la ville, je l’espère d’ailleurs aussi forte que celle que l’on trouve dans ces quartiers en difficulté. On y trouve en effet beaucoup d’innovations. Je ne donnerai que quelques exemples : la façon dont nos enfants s’habillent, la culture musicale viennent de ces quartiers ; la solidarité, j’en ai déjà parlé, est beaucoup plus intense grâce aux réseaux associatifs mais aussi, tout simplement, à des gestes quotidiens que l’on ne voit pas ailleurs, par exemple, quand nous détournons nos yeux pour ne pas regarder un SDF. Je le disais donc, il faut davantage de politique de la ville, une politique de la ville reconstruite. C’est ce à quoi nous travaillons en profitant de cette année et demie de transition, puisque les contrats villes vont se terminer fin 1998 et puisque nous sommes dans la première année d’application du pacte de relance pour la ville dont la loi prévoit un bilan l’été prochain.
J’entends consacrer cette période à la réflexion, qui je l’espère, amènera une refondation de la politique de la ville avec un grand V, avec toujours bien sûr une action pointée sur ceux qui souffrent le plus. Mais la poursuite des contrats de villes et du pacte de relance signifient que l’on ne va pas réfléchir en ne faisant rien pendant six mois. Certains ont l’air de considérer qu’il est étonnant de poursuivre des contrats de ville, qui ont été conclus jusqu’à la fin 98 et qu’il est étonnant d’appliquer une loi qui a été votée par le Parlement. Je fais partie, peut-être bêtement, de cette tradition républicaine qui fait que, quand des accords ont été signés par l’État, je les applique jusqu’au bout. Quand une loi a été votée par la représentation nationale, je fais en sorte qu’elle fonctionne, même si je n’en partageais pas alors l’ensemble des idées. C’est la raison pour laquelle nous faisons en sorte que l’État puisse remplir les engagements qui ont été les siens dans le cadre des contrats de villes. D’ailleurs, le budget ville a augmenté d’un milliard de francs par rapport à l’année dernière : 15 milliards contre 14 milliards. Que l’on ne nous dise pas que cette politique de la ville est sacrifiée.
Nous essayons également de faire fonctionner le pacte de relance pour la ville en regardant ce qui se passe sur le terrain et en corrigeant les aberrations de périmètre aux frontières des zones, car les limites ont parfois été fixées de manière très étonnante. Ce qui montre bien les limites du zonage pour ce type de problème. Pour ma part, je suis convaincue aujourd’hui que si les zones franches ont permis effectivement de ramener de l’activité dans un certain nombre de quartiers de nos villes, nous n’avons pas été assez sévères – et je dis nous parce que c’est la loi votée par la majorité et donc par la représentation nationale – sur les conditions d’implantation de ces entreprises afin d’éviter les effets d’aubaines. Nous n’avons pas non plus été assez contraignants sur le critère d’embauche des habitants du quartier. Je ne donnerai qu’un seul exemple. À Lille, comme les terrains appartiennent à la ville, nous avions décidé de refuser toute implantation d’entreprises qui ne créeraient pas d’emplois, et nous avions fixé à 50 % le pourcentage d’effectifs à embaucher parmi les résidents des quartiers. Nous sommes actuellement à 70 % ; ce qui veut dire que si on souhaite le faire on peut tout à fait le faire.
Mais, au-delà des aspects liés à l’application des contrats de villes et du pacte de relance pour la ville, au-delà d’un budget dont j’ai dit qu’il était cette année plus important que l’année dernière, le gouvernement n’est pas resté inactif pendant ces six mois et a pris un certain nombre de mesures qui ont des effets directs sur la ville et sur la politique de la ville. Il faudrait mentionner ici l’action de Claude Allègre pour relancer les zones d’éducation prioritaire. Nous avons travaillé tous les deux pour que l’on soit capable de rouvrir des classes à la rentrée en prenant deux critères majeurs : la difficulté des quartiers et des zones rurales désertifiées. C'est bien sur ces critères que des classes ont été aujourd'hui réouvertes et que des moyens ont été engagés pour lutter contre la violence scolaire ou pour aider les parents à payer la cantine scolaire – ce qui bien évidemment est surtout le cas dans ces quartiers. Il faut aussi mentionner le plan de réforme pour la justice présentée par Élisabeth Guigou, qui contient des adaptations fondamentales pour constituer une justice de proximité afin que l’État de droit ne s’arrête pas aux portes des quartiers et que la justice soit capable d’aller à la rencontre de ces habitants qui souvent vivent à côté du droit aussi parce qu’ils ne connaissent pas leur propre droit. Je souhaite rappeler aussi l’action de Louis Besson pour favoriser la construction de logements sociaux, pour faire en sorte que le droit au logement devienne une réalité. Vous verrez que, dans la loi de lutte contre les exclusions que nous préparons pour le printemps prochain, l’aspect à la fois mixité sociale mais aussi l’aspect peuplement des logements sociaux ne sera pas négligé. La réforme des financements de ces logements permettra aux quartiers et aux villes qui comptent beaucoup de logements sociaux de disposer de moyens complémentaires.
Je souhaite aussi insister sur les engagements à effets immédiats qui ont été pris par le Premier ministre lors du colloque de Villepinte « Des villes sûres pour des citoyens libres », organisé par Jean-Pierre Chevènement : par exemple, la création d’un conseil de sécurité intérieur qui vient d’être installé le 19 novembre et qui est beaucoup plus qu’une instance de concertation, puisque le ministre de l’Intérieur, de la Justice et de la Ville se rencontrent pour définir de manière très concrète les mesures que nous devons prendre, les moyens que nous devons engager pour répondre à un certain nombre de problèmes, non pas seulement des problèmes structurels mais des problèmes concrets qui peuvent se poser dans telle ou telle ville à un moment donné. Je dois dire à cet égard qu’une mission interministérielle a été confiée à deux députés, Mme Lazerges et M. Balduyck, sur la délinquance des mineurs à laquelle bien sûr nous travaillons tous, justice, intérieur et ville. C’est également dans ce registre qu’il faut situer la circulaire mettant en place les contrats locaux de sécurité – certains existent déjà et ont d’ailleurs fait leurs preuves. Je viens de signer cette circulaire le 28 octobre avec le ministre de l’Intérieur, de la Justice, de la Défense et de l’Éducation nationale. Celle-ci doit permettre d’assurer l’articulation avec les conseils communaux de la prévention de la délinquance, dont il conviendra de faire le bilan des activités. Mais sans attendre, je souhaite donner à ces conseils un nouveau souffle en incitant les maires à en créer là où ils n’existent pas encore, en les rendant plus performants et plus novateurs dans leurs pratiques. Nous sommes en train de recenser celles qui sont les plus intéressantes pour pouvoir effectivement les faire partager.
Bien sûr, je ne peux pas ne pas dire un mot sur les emplois-jeunes, d’abord parce que nous en avons parlé avec votre association. Il est inutile de dire le rôle de l’emploi dans ces quartiers et l’importance de ramener l’espoir notamment auprès de ces jeunes qui, de non qualifiés à qualifiés, ont pour beaucoup une grande énergie et d’abord une volonté de travailler. Je voudrais redire ici que les emplois-jeunes ne sont pas destinés à des jeunes en grande difficulté, dans l’incapacité de tenir un emploi classique. Nous allons recadrer les contrats emplois solidarité et j’envoie une circulaire dans quelques heures aux préfets pour leur dire que je souhaite qu’on sorte du dévoiement des contrats emploi solidarité pour les recibler vers les publics qui en ont besoin, ces jeunes, ces adultes qui sont dans l’incapacité aujourd’hui de faire une formation qualifiante et de tenir un emploi classique : des jeunes et des adultes en grande difficulté donc, et pas seulement des jeunes qui recherchent un emploi ou des adultes qui recherchent un emploi depuis un certain temps. De la même manière, j’ai tenu à ce que les entreprises d’insertion par l’économie voient leur budget fortement augmenté l’année prochaine : + 6 %, 750 postes en plus, et surtout avec une première partie de la subvention versée dès les premières semaines de l’année et la deuxième avant l’été, ce qui changera quand même des pratiques de ces dernières années. Tout ça pour dire que ces jeunes en grande difficulté doivent être guidés vers d’autres dispositifs, des dispositifs d’insertion. Et les emplois-jeunes, eux, s’adressent à des jeunes qualifiés ou non qualifiés mais qui sont en parfaite santé physique et morale, c’est-à-dire capables de travailler dans un emploi normal, ordinaire. J’ai demandé dans la circulaire adressée aux préfets que les jeunes des quartiers en difficultés soient prioritaires et que les collectivités qui font un effort particulier pour ces jeunes soient favorisées par rapport aux autres. Malgré une insistance dans la circulaire, je n’ai pas été sûre, à la lecture de quelques premiers contrats, que ce message fût bien compris. Bien sûr, ce n’est pas le cas ici, car nous avons un préfet particulièrement attentif aux quartiers en difficulté. J’ai été amenée la semaine dernière à réenvoyer un fax assez rapide qui rappelait tout simplement sous forme d’un télégramme : « Priorité aux quartiers en difficulté. Stop. Appliquez avec détermination. Stop ». C’était à peu près cela. Mais j’espère que le message, clair et précis, sera appliqué car je crois que l’espoir est encore plus fort dans ces quartiers qu’ailleurs et je crois que les emplois-jeunes, par rapport aux emplois-villes, permettent à ces jeunes d’être non seulement parmi les prioritaires mais aussi de sortir de leur quartier. L’important est en effet de ne pas les ghettoïser au sein de leur quartier, mais de leur donner accès à l’ensemble de la ville. J’ajoute qu’il s’agit là de nouveaux métiers, de nouveaux besoins et que c’est une chance de les faire porter par ces jeunes dont l’énergie est manifeste. J’ajoute enfin qu’à la demande de votre association et de son président, j’ai écrit à chacun des ministres pour leur demander d’examiner comment nous pouvons envisager des délocalisations d’établissements publics dans ces quartiers en difficulté. J’essaierai de voir tous les ministres afin d’obtenir des résultats. C’est la seule chose que je peux promettre pour l’instant car il faudra beaucoup de ténacité pour y arriver.
Enfin, au-delà de la poursuite des dispositifs, j’ai engagé une réforme d’ensemble sur la ville, que j’ai confiée à Jean-Pierre Sueur. Celle-ci est une mission autour de trois axes.
Le premier axe est justement : quelle ville voulons-nous demain ? Après le diagnostic que j’ai rapidement fait tout à l’heure et que nous partageons, je crois, sur ces quartiers, sur l’éclatement de nos villes en diverses fonctions et sur les problèmes de ségrégation. Nous devons aujourd’hui nous poser un certain nombre de questions. Et il faut y répondre si nous souhaitons reconstruire les villes de demain, reconstruire un tissu urbain où on arrive à vivre mieux. Quel est aujourd’hui le niveau pertinent auquel nous devons reconstruire ces espaces urbains ? J’ai la conviction, en ce qui me concerne, que c’est celui de l’agglomération pour la majorité des cas. Ce qui pose d’ailleurs de multiples questions. Comment organiser la démocratie locale à ce niveau ? Quelle fiscalité locale mettre en place pour accroître la solidarité et maintenir néanmoins l’existence des communes qui sont sans doute l’élément de proximité qui rattache le plus les habitants de notre pays à la démocratie et peut-être même à la société ? Comment néanmoins organiser cette démocratie ? Comment avoir une fiscalité locale qui permette d’accroître la solidarité au sein de ces agglomérations et d’agglomération à agglomération ? C’est tout le problème de la réforme de la fiscalité locale sur lequel nous travaillons actuellement sous l’égide de Dominique Strauss-Kahn. Il s’agit de la réforme de la DGF et la DSU sur laquelle, d’ailleurs, Jean-Pierre Sueur va peut-être faire un certain nombre de propositions. D’après ce qu’il m’a dit, il s’est largement inspiré des travaux de votre association qui me semble d’ailleurs l’avoir influencé sur beaucoup de sujets à la lecture du pré-rapport qu’il vient de me remettre il y a quelques jours. Comment ensuite reconstruire des centres d’urbanisme à ce niveau ? Quel rôle donner aux transports, aux équipements structurants ? Voilà les questions que nous devons nous poser et qui se posent à vous car, encore une fois, c’est l’ensemble de nos villes qu’il convient de reconstruire. Sur ce terrain-là, sur ce premier axe de réflexion, Jean-Pierre Sueur s’est entouré d’urbanistes, d’architectes, de sociologues, d’historiens, d’élus, d’acteurs de terrain, qui nous aident à repenser ces villes du XXIe siècle. Et si j’ai souhaité cette mission c’est parce que je pense que rien ne serait pire que de considérer que nous pouvons avoir, autour d’un ministre, quelques experts qui décideraient au nom de tous. On reproche peut-être aujourd’hui de trop réfléchir, mais je pense que des villes du XXIe siècle valent bien une réflexion de 6 mois avec des hommes et des femmes qui regardent notre société autrement que nous et puis confronter leurs opinions à des élus, à des habitants, à des acteurs de quartier. C’est ce que nous faisons.
Le deuxième axe de la question de cette mission est clair. Comment faire de la politique de la ville une vraie politique interministérielle ? C’est-à-dire ne pas faire, comme aujourd’hui, en sorte que chaque ministère verse un peu d’argent dans un fonds interministériel et donne à la DIV quelques fonctionnaires mis à disposition – n’est-ce pas monsieur le délégué ? – et se disent, ça y est, j’ai fait mon boulot sur la ville. Je crois que cela, ce n’est pas une vraie détermination, en réalité. Et je suis un ministre qui plaide pour que la politique de la ville soit portée par tous les ministres dans leur champ de compétence. C’est évident dans des tas de domaines, j’allais dire dans presque tous les domaines, dans le domaine du logement, évidemment. Et là, inutile de vous dire qu’il n’y a pas besoin de pousser beaucoup Louis Besson, car il est sans doute celui qui, à la fois dans sa ville et dans les approches qui ont été les siennes précédemment au gouvernement, a le plus prôné pour une réforme qui permette une véritable mixité sociale, qui permette effectivement de reprendre les dispositions de la loi LOV pour les rendre encore plus efficaces et pour réfléchir aussi à la façon de reconstruire ces villes. J’entends beaucoup dire qu’il suffit de démolir. Mais démolir, ce n’est évidemment pas ce qu’il y a de plus dur. Ce qui est plus dur, c’est de repenser ce que l’on va mettre à la place, reconstruire effectivement ces villes avec l’accession à la propriété à côté des logements sociaux, en y remettant à l’intérieur des espaces : des espaces verts, des espaces structurants, des espaces de loisirs, des espaces où l’on vit. La réalité, la voilà. Donc le logement, bien sûr mais aussi les services publics et les services des ministères que cela touche. Moi, là-dessus, j’ai une position extrêmement forte. Je pense que les services publics jouent un rôle majeur, structurant et essentiel. Je pense que nous devons absolument nous dire qu’ils doivent être présents partout sans exception et sans dérogation, même si parfois ils doivent être regroupés pour être présents dans certains quartiers. L’absence de services publics est une des raisons majeures qui fait que ces habitants se sentent abandonnés, perdus. Et pour notre cohésion sociale, les services publics doivent être partout dans notre pays sous des formes qui doivent peut-être évoluer. Il faudra certes réfléchir à une meilleure organisation du travail qui réponde mieux au souhait des usagers. En tout cas, c’est un problème qui touche aujourd’hui tous les ministères. L’insécurité, j’en ai parlé en ce qui concerne les mesures que nous avons déjà prises. Je voudrais dire que là aussi notre souci est de faire en sorte que chaque délit entraîne véritablement une réponse. Une réponse systématique, une réponse qui soit adaptée à tous les actes de délinquance. Paul Leroux l’a très bien montré récemment. Je pense que l’on ne peut plus laisser les actes de délinquance sans réponse, la réponse pouvant être très différente d’un cas à l’autre. Il nous faut repenser ces types de réponses qui, encore une fois, sont un peu plus compliqués que dire : « les parents doivent être responsables » ou « il faut tous les mettre en prison ». Il y a, dans cela, peut-être une part de vérité dans certains cas, mais il y a beaucoup d’autres cas. Je pourrai continuer ainsi sur beaucoup de sujets. L’emploi. Je ne vais pas commencer car je ne sais si je ne m’arrêterai. L’accès à la culture, l’accès aux loisirs, tout doit être présent dans ces quartiers et aujourd’hui avec Catherine Trautmann, nous travaillons sur l’idée que tous les lieux de cultures aidés par l’État devront définir dans leur programme annuel l’accès à la culture aux plus défavorisés. Voilà par exemple un des éléments majeurs sur lequel nous travaillons, sur lequel nous ne faisons pas d’effet d’annonce car encore c’est une politique globale et cohérente qu’il va falloir annoncer et pas simplement des petites annonces les unes après les autres. Deuxième axe, donc, je viens de le dire : intégrer la politique de la ville dans toutes les politiques menées au sein du gouvernement, et là aussi Jean-Pierre Sueur travaille en liaison directe avec les différents ministères.
Troisième axe enfin : la politique spécifique de la ville. Il nous faut reconstruire la ville du XXIe siècle, il nous faut faire en sorte que chacune des composantes de la politique de la ville soit intégrée, mais il faudra bien que demeure un outil spécifique pour ces quartiers en difficulté. Et chacun s’accorde à dire aujourd’hui que si les contrats de villes ont été, à un moment donné, un progrès par rapport aux DSQ, ils sont aujourd’hui le fruit d’une segmentation de mesures diverses. Ils sont trop bureaucratiques. Ils sont trop technocratiques et finalement avec une efficacité qui peut être assez limitée. La DIV réalise actuellement un bilan, je dirai, administratif et technique de ces contrats de villes comme d’ailleurs du pacte de relance pour la ville. Celui-ci donnera lieu l’année prochaine, comme les conclusions du rapport Sueur, à des débats partout dans notre pays et à des confrontations sur le terrain avec les habitants, avec les élus, avec les représentants associatifs, car là aussi je ne pense pas refaire cette politique de la ville sans avoir eu des avis sur les propositions qui sont les nôtres. Il nous faut donc repenser cette politique spécifique de la ville qui restera bien sûr fondée sur la contractualisation. Il faudra là aussi se poser la question du niveau territorial le plus pertinent. L’agglomération n’est-elle pas dans certains cas le bon niveau ? Pas dans tous les cas mais dans certains cas, il faut regarder ça de près. En tout cas, il faut changer l’esprit de la contractualisation. Je suis moi-même allée discuter avec mon sous-préfet à la ville les 286 fiches présentées pour la ville de Lille alors que nous avions essayé pendant un an et demi dans nos six quartiers en difficulté de construire un projet de quartier avec les habitants, essayé de définir une stratégie, des priorités dans le développement économique, dans l’urbanisme, dans la sécurité, dans l’action sociale, dans la vie culturelle. Nous avons été obligés de casser cette logique qui était cohérente pour présenter nos 286 fiches qui ont donné lieu d’ailleurs à des réactions très positives. Mais, s’il n’y avait eu aucune cohérence, aucune stratégie, aucune globalité, nous aurions eu une réaction tout aussi positive. Donc ce qu’il faut aujourd’hui c’est repenser ces contrats de ville, d’agglomération en s’appuyant sur un dialogue clair avec les villes. L’équipe municipale doit être capable de définir une stratégie pour chacun de ces quartiers et doit être capable de dire quelles sont ces priorités sur le moyen terme. On pourra alors accepter la globalisation des crédits, la contractualisation sur le moyen terme, une évaluation et le suivi. Je pense que ce n’est que comme cela que nous sortirons du saupoudrage actuel et de l’absence de cohérence. Ce qui veut dire aussi qu’un élu qui ne sera pas capable de présenter cette cohérence serait évidemment pénalisé par rapport à celui qui aurait une véritable réflexion sur sa ville dans lequel figurent ses quartiers en difficulté. Voilà aussi ce sur quoi nous sommes en train de travailler.
Enfin, je pense que les départements doivent davantage s’impliquer dans la politique de la ville. C’est déjà le cas des régions. Mais l’engagement des conseils généraux en matière d’action sociale demeure très variable d’un département à l’autre. L’attention portée sur les problèmes des quartiers en difficulté est plus ou moins grande, mais plus souvent moins que plus. Nous devons donc intégrer l’action des départements avec celle de l’État, des régions et des communes, car les missions qui leur ont été données par la loi de décentralisation sont importantes.
Enfin, bien évidemment, il faut faire en sorte que l’ensemble des acteurs de la politique de la ville, notamment les associations, puissent aussi se situer sur le moyen terme. Il faut que cela se fasse là aussi autour d’un projet, autour d’objectifs avec des suivis et des évaluations. Mais il faut aussi que les communes et l’État soient capables de payer dans les délais ces associations. Je voudrai vous dire, vous redire ce que j’ai dit tout à l’heure, à savoir que les entreprises d’insertion seraient cette année payées convenablement. Il n’est pas acceptable quand on travaille dans ces quartiers, quand on se bat pour maintenir un minimum de cohésion sociale et ramener un peu d’espoir que l’argent qui nous est dû – puisqu’il y a eu des accords –, ne soit pas payé correctement et que les dirigeants de ces associations passent plus de temps à courir après les banques à payer les agios qu’à réaliser ce pourquoi ils sont faits. Là aussi, je crois qu’il faudra tous, nous les élus et l’État, changer les contrats de villes.
Enfin, il faudra sans doute et nous en avons aussi parlé avec Pierre Bourguignon et votre bureau, repenser les instruments nationaux de la politique de la ville, faire de la DIV un véritable outil interministériel avec des moyens qui lui soient affectés et un positionnement qui lui permette de faire cette politique interministérielle, et faire du Conseil national des villes un vrai outil de débat politique sur ces questions. Je crois qu’un ministre – aussi passionné soit-il – ne peut pas, seul, définir cette politique. Moi, je souhaite qu’à tout moment, ce Conseil national des villes soit auprès de moi, auprès de mon équipe, capable de me dire : « Là, cela ne va pas. Là, nous sommes d’accord. Là, il faut prendre des initiatives. Voilà comment nous devons avancer ». Je crois que c’est comme cela aussi que nous avançons sur des sujets extrêmement complexes où il nous faut des modes d’entrée différents. C’est d’ailleurs pour cela aussi que nous avons associé des historiens, des sociologues, des architectes à nos réflexions. Mais il nous faut aussi faire entrer dans la réflexion des élus de toute tendance, de toute ville. Je dirai que dans ce domaine, ce n’est pas la tendance politique qui compte le plus, c’est la réalité de la ville que l’on représente si on souhaite effectivement pouvoir avancer et c’est ainsi que je souhaite réformer et la DIV et le CNV pour […]
Je tiens à réaffirmer que les conclusions de la mission Sueur comme celles du bilan que nous réalisons actuellement feront l’objet d’une grande concertation avec, bien évidemment, les représentants des villes concernées. Un débat décentralisé sur le terrain sera par ailleurs nécessaire.
Je voulais vous expliquer tout cela de manière un peu longue ce matin parce que je souhaitais revendiquer un peu la pertinence de cette méthode. J’entends tous les jours à l’Assemblée des gens qui disent « il n’y a pas de politique de la ville ». Eh bien, la politique de la ville repose d’abord sur les engagements de l’État. Elle repose sur ce que font quotidiennement l’ensemble des ministres dont je fais partie pour essayer d’apporter des réponses concrètes à ces problèmes. Mais je crois qu’elle est surtout en devenir, dans la façon dont nous allons être capables de construire ensemble ces villes du XXIe siècle. J’ai trop de respect pour les habitants de ces quartiers, pour les acteurs de la politique de la ville pour me contenter d’annonces rapides. Et j’ai trop conscience aussi du formidable chantier qui est devant nous et que les nouveaux instruments de la politique de la ville nous permettront peut-être d’engager dès la fin de 1998 pour me contenter de réponses partielles. Voici donc la méthode que j’ai choisie. J’espère vous avoir montré qu’elle est empreinte d’une grande détermination. Il s’agit ni plus ni moins de savoir dans quel cadre et comment nous allons être capables de vivre au XXIe siècle, ce n’est pas rien, cela mérite quelques mois de réflexion. Cela mérite aussi d’ouvrir cette réflexion à beaucoup d’hommes et de femmes qui ont été à côté jusqu’à présent. C’est aussi je crois l’enjeu de la construction de la société de demain qui est en cause et qui tournera le dos, nous le souhaitons tous, aux relégations, aux exclusions pour faire en sorte finalement que l’on vive ensemble et que chacun retrouve sa place dans notre société. Merci.