Déclarations de M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État chargé de l'action humanitaire d'urgence, sur la lutte contre les violences infligées aux enfants notamment l'exploitation sexuelle des enfants, Paris les 16 mai, 22 octobre et 20 novembre 1996, Stockholm le 27 août et Avon le 30 septembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Xavier Emmanuelli - Secrétaire d’État chargé de l'action humanitaire d'urgence

Texte intégral

50e anniversaire de l’UNICEF : 16 mai 1996

Monsieur le président,
Messieurs, Mesdames,

Nous sommes conviés aujourd’hui à une journée de célébration, je souhaiterais toutefois commencer mon intervention en évoquant une image forte, difficile à soutenir, qui, pour moi est un symbole de faillite de l’homme. Il s’agit de celle des milliers d’enfants morts à Goma dans l’épidémie de choléra qui a sévi parmi les centaines de milliers de réfugiés ayant fui le Rwanda. Celle aussi des milliers d’orphelins qui erraient parmi les vivants et les morts dans ce camp.

Cette image, qui fait écho à bien d’autres situations limites connues par l’humanité depuis la Deuxième guerre mondiale, est ici pour nous confronter à notre responsabilité et nous ramener à une grande humilité, nous dont la mission est d’intervenir pendant les crises qui atteignent les enfants, tant Goma illustre l’impuissance des agences d’aide internationales à enrayer la crise. Elle est également ici pour nous rappeler la nécessité brûlante de notre action. À côté des enfants, beaucoup d’hommes et de femmes adultes ont péri à Gama dans ces conditions atroces, cependant la mort des enfants, innocents d’un conflit si complexe dans ses racines, met l’accent sur la défaillance et l’incapacité du système international de l’aide, sur notre défaillance.

Mais, le drame de Goma met également en lumière la vocation irremplaçable de L’UNICEF, l’organisation qui a le plus œuvré en faveur de l’enfance depuis sa création en 1946, et dont nous fêtons aujourd’hui le cinquantenaire.

L’histoire de l’UNICEF est jalonnée par des événements marquants et par de spectaculaires réalisations. Pour reprendre quelques-unes des étapes de cette histoire, il me semble qu’on peut retenir trois grandes orientations de l’action de l’UNICEF :
    - son engagement sur le terrain en faveur des mères et des enfants les plus démunis à travers des programmes aussi ambitieux dans leurs objectifs que réalistes dans leur mise en œuvre ;
    - sa contribution à l’évolution du droit international sur la protection de l’enfance ;
    - son exceptionnelle capacité à mobiliser l’opinion publique internationale.

Je souhaiterais rendre ici un hommage appuyé à l’action de James Grant, directeur de l’UNICEF de 1980 à 1995, qui a profondément modelé l’esprit de l’organisation et son image dans le public. La priorité donnée sous son impulsion à la diffusion de techniques de santé primaire simples et peu coûteuses, parmi lesquelles la réhydratation orale, l’encouragement de l’allaitement au sein, la vaccination contre les six maladies les plus meurtrières pour la petite enfance, techniques connues sous le nom de « révolution pour la survie et le développement des enfants » a sauvé la vie de millions d’enfants.

Cette « révolution » a coïncidé dans le temps avec une période très dure pour les enfants, autant à cause des conflits locaux qui se multipliaient alors que du fait du fardeau de la dette et des programmes d’ajustements structurels imposés par les institutions financières aux pays en voie de développement.

Cette double présence dans les crises et face aux problèmes de développement constitue, à mon sens, une des grandes originalités de L’UNICEF. Il s’agit en effet d’un des rares acteurs de l’aide internationale à être naturellement présent sur deux fronts : celui de l’aide d’urgence et celui de l’aide au développement.

On sait que près du quart du budget de l’UNICEF est consacré à l’action humanitaire d’urgence, à l’intervention dans les crises. À côté de cette présence dans les phases de grande instabilité, l’UNICEF poursuit des actions qui s’inscrivent dans la continuité, à l’échelon des communautés locales, et qui visent à rendre les populations aptes à améliorer elles-mêmes leurs conditions de vie et celles de leurs enfants.

Par là-même, l’UNICEF se situe à la charnière des situations de crises et du retour à la stabilité, et est appelé à jouer un rôle clé dans la zone grise de la reconstruction dans laquelle se trouvent aujourd’hui, entre autres, la Bosnie et le Rwanda.

À côté de sa présence sur le terrain, l’UNICEF s’est fait le plus actif promoteur de la reconnaissance des droits de l’enfant au plan international. La Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies en 1989 fournit une base juridique solide pour protéger les enfants contre le trafic, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants.

Il s’agit du premier traité international en matière de droits de l’homme à associer les droits civils et politiques avec des droits d’ordre économiques sociaux et culturels. Fait sans précédent, ce texte a été ratifié par pratiquement tous les États de la planète.

Enfin, j’aimerais saluer l’énergie et le talent qu’a su déployer l’UNICEF pour mobiliser l’opinion publique internationale, à tous les niveaux. Cela a été un grand souci de James Grant que de sensibiliser les dirigeants politiques de chaque État « bénéficiaire » aux objectifs de l’UNICEF. Cette démarche a abouti en 1990 au le « Sommet des chefs d’état en faveur de l’enfance » qui a réuni 71 chefs d’État et de Gouvernement et a adopté 27 objectifs à mettre en oeuvre jusqu’à l’an 2000 dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la protection des enfants. Treize de ces objectifs sont en passe d’être atteints, notamment l’éradication universelle de la poliomyélite.

Au-delà de cette prise de conscience au plus haut niveau politique, l’UNICEF a développé des formes originales d’information et de mobilisation de l’opinion publique internationale, à travers l’implication personnelle de ses ambassadeurs de bonne volonté, les célèbres cartes de vœux et les photos qui ont fait connaître la vocation et les programmes de l’organisation dans tous les milieux. Le professionnalisme apporté à la communication de l’UNICEF, envié et imité par de nombreuses autres agences d’aide internationale, a joué un rôle essentiel dans la prise de conscience par l’opinion publique locale et internationale de nos responsabilités envers les enfants.

La mobilisation des esprits et des énergies est plus que jamais à l’ordre du jour à une époque où le combat que nous menons avec l’UNICEF est malheureusement toujours d’une pertinence brûlante. Les médecins d’urgences, tous ceux qui interviennent dans la phase de secours, savent que dans les circonstances extrêmes, crises, catastrophes naturelles ou conflits armés, ce sont d’abord les femmes et leurs enfants qui souffrent, qui meurent et sont les premières victimes de violence.

Ce sont en effet les groupes les plus vulnérables qui sont les plus éprouvés par les crises, et en particulier par celles qui impliquent des déplacements de population. 85 % des déplacés sont des femmes et des enfants, 80 % à 90 % des groupes familiaux rencontrés dans les camps sont dirigés par des femmes. La grande insécurité qui y règnent exposent particulièrement les jeunes filles et femmes à des risques de violences sexuelles, y compris dans les camps.

Les chiffres sont là pour nous dire combien notre temps est dur pour les enfants et leurs mères. En dix ans, près de deux millions d’enfants ont péri dans les conflits, quatre à cinq millions sont devenus infirmes, plus d’un million ont perdu leurs parents ou en ont été séparés, douze millions ont perdu leur foyer.

Les blessures qui se trouvent derrière les statistiques sont des blessures autant psychologiques que physiques. Le traumatisme des enfants, et je pense particulièrement au Rwanda et à l’ex-Yougoslavie, est un phénomène dont nous mesurons encore mal l’ampleur, mais qui est susceptible d’influer à long terme sur l’avenir des pays qui ont connu les situations humanitaires les plus dramatiques.

Les conflits ne se limitent pas à déraciner, blesser ou tuer les enfants, ils les intègrent parfois au sein des factions combattantes, en faisant de petits tueurs. On estime que plus de 200 000 enfants de moins de 16 ans sont concernés par cette pratique qui a pu prendre des formes extrêmes dans des pays comme le Liberia ou la Sierra Leone.

Il est un type de violence faite aux enfants et aux femmes que je suis personnellement décidé à combattre. Enfants et femmes demeurent, longtemps après la fin des conflits, la proie la plus vulnérable des « sentinelles aveugles » que sont les mines antipersonnel déposées par des combattants au long de conflits qui ont parfois duré des décennies.

Leurs activités traditionnelles de collecte du bois ou de l’eau, leurs jeux, les exposent particulièrement à ces armes qui tuent de façon indiscriminée. Chaque mois, en Bosnie, au Cambodge, en Angola, en Afghanistan, des milliers d’entre eux meurent ou sont mutilés à vie par quelques-unes des 100 millions de mines dispersées sur tous les continents.

Les enfants, en raison de leur plus petite taille, sont atteints plus gravement dans leurs corps que les adultes. Quand ils ont pu être sauvés, il est ensuite plus difficile et plus coûteux de leur fournir un appareillage orthopédique (qui devra changer avec leur croissance).

Au-delà du drame humain que représente ces blessures, les mines causent l’abandon de régions entières des pays touchés, empêchant le retour sur leurs terres de familles déplacées, interdisant la culture de la terre et contraignant les populations à s’agglomérer dans les seules zones sûres.

Le tableau fréquemment apocalyptique de la situation des enfants dans le monde ne doit pas nous faire oublier qu’en France également, les femmes et les enfants sont particulièrement vulnérables à la crise économique.

Au long de mon expérience au CHAPSA de Nanterre et au Samu social, j’ai pris conscience que les femmes, parfois accompagnées d’enfants, connaissent de plus en plus fréquemment des situations de détresse qui peuvent les faire basculer dans l’errance. La FNARS relève ainsi plus de 150 000 accueils d’urgence de femmes par an et 6 500 femmes séjournaient en CHRS en 1994.

Les femmes que l’on trouve dans les hébergements d’urgence, femmes victimes de violences conjugales, mères divorcées et expulsées de leurs logements, jeunes filles issues de l’immigration et en rupture avec leur famille, femmes sortant d’institutions, jeunes mères isolées et adolescentes enceintes etc. sont des femmes de tous âges dont la caractéristique commune est l’isolement, la perte de lien social.

Leur situation renvoie à des problèmes de fond. L’inégalité devant l’emploi en est un : les femmes sont plus touchées par le chômage de longue durée, par l’emploi précaire, – et connaissent des salaires inférieurs aux salaires masculins. Les familles monoparentales dirigées par des femmes, économiquement plus fragiles que les autres, peuvent souvent basculer à la suite d’un accident, perdre leur logement et se retrouver dans des situations de grande détresse.

Ce constat doit nous rappeler que la vocation de protection de l’enfance que nous partageons avec l’UNICEF, trouve aussi son champ d’application en France, par la prise en compte des besoins des femmes les plus démunies.

Un telle mission, au plan international comme au plan national, implique que nous nous donnions des objectifs clairs, lisibles, et réalistes.

Il me semble que nous avons, avec l’UNICEF, la responsabilité de faire évoluer le droit international en faveur de la femme et de l’enfant.

La conférence de Pékin a adopté un programme d’action en faveur de la pleine participation des femmes à la vie économique, sociale et politique des sociétés de leurs pays. La mise en oeuvre de ce plan d’action, notamment en ce qui concerne le droit à l’éducation pour les filles, est un enjeu important pour le bien-être des enfants.

La conférence sur les armes inutilement traumatiques, qui porte sur les mines antipersonnel reprendra à Genève le 22 avril prochain. Là encore, nous nous devons de promouvoir l’interdiction d’armes qui touchent tout particulièrement les enfants et les femmes. La France a pris une position courageuse et d’avant-garde en annonçant fin 1995 sa décision de s’interdire toute production de mines antipersonnel et d’engager la destruction de ses stocks. Les négociations internationales sont longues à aboutir, et un effort accru de mobilisation de l’opinion publique sur cette question reste à l’ordre du jour.

Plus directement, nous devons faire progresser le droit sur deux points : le recrutement d’enfants soldats dans les factions en conflits et le trafic d’enfants.

Concernant le premier point, la France soutient le projet de protocole facultatif sur la situation des enfants impliqués dans les conflits armés, qui prévoit de faire passer l’âge légal minimum de recrutement obligatoire dans les forces armées de 15 à 18 ans.

Le trafic d’enfants, pour sa part, recouvre différentes réalités dégradantes et criminelles. L’exploitation sexuelle des enfants a pris ces dernières années une ampleur extrêmement inquiétante, qui justifie le renforcement de la convention relative aux droits de l’enfant. La France prend une part active au groupe de travail sur un protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution enfantine et la pornographie impliquant des enfants. Il est destiné à mettre en place un cadre efficace de coopération internationale et d’entraide judiciaire en la matière.

Le règne du droit passe également par la restauration des systèmes judiciaires et le jugement des crimes de guerre contre les enfants et les femmes par les tribunaux pénaux internationaux mis en place au Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie.

Parallèlement à l’évolution du droit international, nous devons être présents sur le terrain, par des actions concrètes. L’évidence, pour un praticien de l’aide d’urgence, c’est que le système international de l’aide tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne répond pas aux besoins des populations en détresse en raison de son extrême cloisonnement entre les différents acteurs que sont les États, les organisations internationales, les ONG, les institutions et associations locales, les spécialistes de l’urgence et les spécialistes du développement.

À mon sens, si nous voulons améliorer les conditions d’existence des enfants, une coopération de l’ensemble des acteurs de l’assistance internationale est absolument nécessaire.

L’aide au développement doit, dans cette perspective, pleinement jouer son rôle préventif. Pour être réellement des actions de long terme, les projets d’aide au développement doivent prévoir les possibilités d’irruption des crises et accroître la capacité de résistance des populations à ces crises.

Par ailleurs, l’aide, telle qu’elle soit, et notamment l’aide d’urgence, doit être basée sur une compréhension fine de l’environnement local et se donner pour première mission de soutenir les capacités locales.

Les sociétés, même si elles sont en crise, recèlent des possibilités que les agences d’aide n’exploitent pas suffisamment, au risque de déstabiliser des institutions ou des organisations qui ont résisté aux crises et pourraient jouer un rôle très pertinent dans la réponse aux besoins.

La concertation entre tous les acteurs est cruciale pour accompagner les sociétés dans la reconstitution de leurs capacités et leur reconstruction. À la frontière entre crise, post-crise et réhabilitation, de nombreuses actions doivent être entreprises pour préserver les enfants et assurer le retour à une vie normale.

Il faut panser les blessures du corps, mais aussi celles de l’esprit, en traitant notamment le traumatisme qui affecte des enfants qui ont assisté à des violences ou été contraints d’y prendre part.

Il est ensuite nécessaire de reconstituer les capacités locales à assurer des soins de santé primaire, l’éducation des enfants en vue de leur participation à l’économie et à la vie politique de leur pays. Le déminage, et spécifiquement dans les zones où les réfugiés reviennent, est une condition sine qua non à la stabilisation des populations et à la reprise de l’activité économique. À tout ceci s’ajoute la reconstruction physique des infrastructures de base des états touchés par d’importantes destruction.

La tâche est de grande ampleur. L’UNICEF me semble être un des rares acteurs à la mesure de ce défi et je conclurai que nous avons malheureusement encore un long chemin à faire ensembles.

Je vous remercie.

 

Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, à Stockholm du 27 au 31 août 1996

Si je tenais à être présent parmi vous, c’est que mon expérience de médecin m’a montré que, partout dans le monde, les enfants sont la proie privilégiée de toutes les formes de violence et particulièrement de cette extrême violence que constitue l’exploitation sexuelle.

Dans les camps de réfugiés, parmi populations vaincues ou soumises par la crise, dans les sociétés en perte de repères, j’ai vu les enfants être les premières victimes de cette décomposition de la civilisation qu’est pour moi l’utilisation d’êtres humains comme objets sexuels.

Quand, au nom de la liberté, on admet, en pervertissant le terme d’amour, l’exploitation sexuelle des enfants, peut-on encore parler de civilisation ?

La prostitution organisée des enfants n’est qu’un aspect de cette perversion, mais l’un des aspects les plus inacceptables. Comment ce phénomène a-t-il pu être banalisé au point de ne plus choquer, au point de devenir, dans certaines capitales, partie intégrante du paysage ?

Les esprits positifs diront que ce drame nous est aujourd’hui mieux connu que par le passé. Il me semble malheureusement que s’il est mieux connu, il se développe également de manière inquiétante. Les causes en sont bien identifiées : l’extrême pauvreté liée à l’urbanisation rapide, l’inégalité sociale, la désintégration des familles, mais aussi le développement effréné d’un esprit de consommation qui nie la personne humaine, les facilités de déplacement des personnes et les technologies de communication qui offrent des possibilités nouvelles.

Je ne veux pas me faire le défenseur de valeurs culturelles d’un autre temps, mais du respect que l’on doit à chaque homme, et plus encore aux plus vulnérables, aux enfants.

Nous, représentants des États, des associations et des organisations internationales, avons l’habitude de nous réunir dans plusieurs forums pour faire progresser les droits de l’enfant. La protection des enfants dans les conflits armés, la lutte contre le travail des enfants et plus généralement contre toutes les formes d’exploitation dont ils sont victimes, ont connu récemment des avancées. La convention de 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant s’est imposée comme une référence universelle. Cependant, au plan international, il y a une absence cruelle d’instruments et de mécanismes nous permettant d’affronter concrètement l’exploitation sexuelle des enfants.

C’est la première fois qu’un congrès mondial se concentre sur ce fléau grâce à la remarquable initiative du Gouvernement suédois, de l’UNICEF et d’ECPAT.

Aux enfants victimes, nous devons que ce congrès aboutisse des résultats tangibles.

L’exploitation sexuelle des fins commerciales n’épuise pas l’ensemble du problème, mais c’est à la fois l’une des formes les plus odieuses de l’atteinte aux droits de l’enfant, et l’un des sujets sur lesquels nous pourrions aisément faire preuve d’efficacité.

Je vois plusieurs objectifs à ce congrès. Il est d’abord le symbole d’une mobilisation générale contre l’exploitation sexuelle des enfants.

Je vois plusieurs objectifs à ce congrès. Il est d’abord le symbole d’une mobilisation générale contre l’exploitation sexuelle des enfants.

Loin de constituer le point d’orgue de la campagne internationale que mène ECPAT depuis trois ans, nous devons en faire le point de départ d’un mouvement visant à une plus grande cohésion de l’action des États, des Organisations internationales, des associations et des opinions publiques.

De quoi s’agit-il ?

D’abord de proclamer que notre civilisation ne peut tolérer l’exploitation sexuelle des enfants. Il faut parler clairement : la pédophilie est une perversion de la sexualité.

« Faire l’amour à un enfant », comme le disent les pédophiles, est un crime. Ce n’est pas donner de l’amour à un enfant. Aucune rhétorique ne permet de passer de l’un à l’autre.

Ensuite, il nous faut agir sur trois terrains.

Le premier est celui de la prévention par l’information du public, qui passe par trois priorités.

Notre première tâche est d’organiser la coopération internationale dans le domaine du regroupement d’information. En effet, une des grandes difficultés de la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants est l’absence de données précises sur ce fléau, qui permet aujourd’hui à beaucoup de minimiser les faits.

En deuxième lieu, la mobilisation du public est absolument essentielle à la prévention du crime que constitue l’exploitation sexuelle des enfants.

Il s’agit aussi bien du grand public que de groupes particuliers : familles, adolescents, éducateurs ou adultes en contact avec l’enfant.

Enfin, pour agir précisément contre le phénomène du tourisme sexuel, ce sont plus spécifiquement les touristes et les voyageurs qui doivent être sensibilisés à travers des moyens de communication qui les touchent directement. Agences de voyage et hôteliers doivent quant à eux reconnaître que le tourisme sexuel est une réalité qui bafoue l’enfance. Les déclarations, les engagements ne suffisent plus dans ce domaine.

La responsabilisation des professionnels du tourisme doit maintenant se manifester de façon concrète, à travers la généralisation de normes et de références permettant d’identifier les opérateurs qui attachent un souci réel à la protection de l’enfance.

Le deuxième champ sur lequel nous devons agir est celui de la répression.

La priorité en la matière est que chaque État soit doté d’une législation qui prévoit l’incrimination des actes d’exploitation et d’abus sexuels sur des enfants, y compris lorsque de tels actes ont été commis à l’étranger.

En effet, si, dans les pays d’origine des touristes, ces faits sont reconnus comme des crimes, au nom de quoi justifier que ces crimes deviennent de simples transgressions lorsqu’ils sont commis à l’autre bout du monde ?

Pour sa part, la France a introduit en 1994 dans son code pénal une disposition permettant la poursuite, devant les juridictions françaises, de toute personne se rendant coupable d’atteintes sexuelles sur la personne d’un mineur de 15 ans moyennant une rémunération, alors même que l’enfant victime n’est pas français.

Il en va ainsi, si le délit commis par le ressortissant français n’est pas puni par la législation du pays où il a été commis ; point n’est besoin que la poursuite soit nécessairement précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants-droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis. Il suffit, pour engager la poursuite, qu’une plainte ou une dénonciation soit formulée par toute personne qui a eu connaissance des faits.

Les mesures internes ne sont pas suffisantes.

Pour faire face à la propagation au-delà des frontières des infractions relatives à l’exploitation sexuelle des enfants et pour permettre de surmonter les différences subsistant sur le plan de la définition des faits et des sanctions, une coopération internationale en matière policière et judiciaire est indispensable.

Pour cette raison, mon pays milite vigoureusement en faveur d’un protocole additionnel à la Convention de 1989 sur les droits des enfants pour lutter contre la vente d’enfants, la prostitution enfantine et la pornographie impliquant des enfants.

Cet instrument devrait permettre une harmonisation de la qualification des infractions et guider les État dans la mise en œuvre de législations adaptées et de mesures de coopération.

La France s’attachera à ce que l’Union européenne développe des initiatives tendant à permettre une parfaite coopération en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Dans le cadre du prochain conseil des ministres « Justice et affaires intérieures » de l’Union européenne qui se tiendra les 26 et 27 septembre prochains à Dublin, la France soutiendra activement une démarche commune des États de l’Union pour lutte contre ce fléau.

D’autre part, je tiens à souligner le rôle central joué par Interpol aussi bien en matière d’information qu’en matière de répression, à travers son groupe permanent sur les infractions contre les mineurs, qui se réunit en ce moment même à Stockholm. La systématisation et l’amélioration de la collaboration entre les États au sein d’Interpol est une priorité si nous voulons lutter efficacement contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

Le développement d’outils législatifs et de coopération judiciaire ne doit pas faire perdre de vue l’insuffisance criante de l’aide actuellement apportée aux victimes.

Étant donné le nombre croissant d’enfants touchés par ce fléau, il nous faut développer pour les années à venir notre assistance à ces victimes, qui sont particulièrement exposées à des risques de représailles ou à la marginalisation.

C’est là le troisième chantier qui s’ouvre à nous avec ce congrès.

Le développement de politiques d’aide et de conseil juridique, de réadaptation et de réinsertion doit reposer sur une approche centrée sur l’intérêt de l’enfant. La participation active de l’enfant victime à ce processus de réinsertion est hautement souhaitable.

Ces actions ne sauraient relever de l’unique compétence des États. À côté de la place irremplaçable de l’UNICEF, il convient de reconnaître le rôle moteur joué par le mouvement associatif dans la prise de conscience internationale du drame humain qui constitue l’exploitation sexuelle des enfants. Pour être pleinement efficace, la lutte contre ce fléau doit étroitement associer les acteurs gouvernementaux, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales.

Ce congrès marque un premier pas vers cette concertation, difficile à organiser mais absolument nécessaire. J’en attends personnellement des propositions précises pour la mise en place d’actions au plan national et international.

Essentielles à nos yeux, les orientations que je viens de décrire à grands traits sont reprises dans le texte de la déclaration et du programme d’action que les participants à ce congrès sont invités à adopter. Mon pays souscrira donc résolument aux engagements qui figurent dans ces documents. Toutefois, nous manquerions tous à notre devoir si, rapidement, ces déclarations généreuses ne se concrétisaient pas par des actes et ne débouchaient pas sur des résultats concrets.

 

50 ans de l'UNICEF : Cames d'Avon - Lundi 30 septembre 1996

L’enfant, la violence et les institutions

Monsieur le président du conseil général,
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs,

Avant tout, pardonnez-moi pour ce contre temps qui m’a empêché d’ouvrir cette journée du cinquantième anniversaire de l’UNICEF, que j’ai cependant plaisir à venir clôturer. Je vous remercie pour tous les efforts d’organisation que vous avez dû déployer pour adapter votre programme aux impératifs qui sont les miens ces jours-ci. J’ai ce matin présenté la loi contre l’exclusion à la presse.

C’est pour moi un moment particulièrement émouvant que de conclure cette journée de célébration du cinquantième anniversaire de l’UNICEF en votre présence, celle des quatre-vingt-dix associations du Conseil français pour les droits de l’enfant, des délégations départementales de l’UNICEF et de son comité français.

Je salue, à cette occasion, la participation à cette journée de personnalités marquantes de la vie politique française, je pense particulièrement à Simone Veil et à Michel Rocard, qui montre à quel point il est nécessaire de se mobiliser pour traiter de la question des abus et de l’exploitation sexuelle des enfants en général, et de l’enfant, la violence, les institutions, en particulier.

Le choix de ce lieu hautement symbolique du Couvent des Carmes où une violence extrême a été exercée sur des enfants au sein d’une institution chargée de les accueillir et de les éduquer nous permet aujourd’hui de nous recueillir avant de conjuguer nos efforts.

Cette journée de réflexion nous a donné l’occasion de célébrer le cinquantième anniversaire de la création de l’UNICEF et de nous réjouir de la tenue prochaine de la première journée nationale de la Convention des droits de l’enfant, ainsi que de nous interroger sur les violences infligées aux enfants par des institutions pourtant destinées à les accueillir, les soigner, les éduquer, voire les protéger.

Permettez-moi Monsieur le président, de m’attacher à mon premier thème, le cinquantième anniversaire de l’UNICEF. Rappelons qu’un efficace dispositif de protection de l’enfance s’est développé autour de cet organe subsidiaire du système des Nations unies créé en 1946. Initialement le Fonds des Nations unies pour l’enfance avait pour vocation de répondre aux besoins d’urgence nés des déplacements de population dans l’Europe de l’après-guerre. En décembre 1950, l’assemblée générale des Nations unies a modifié son mandat et élargi sa compétence aux situations de détresse des enfants des pays en voie de développement. Depuis 1991, l’UNICEF intervient également en Europe centrale et orientale ainsi que dans les pays de la Communauté des États indépendants.

Aujourd’hui, se consacrant à des objectifs humanitaires à la fois immédiats et à plus long terme, l’UNICEF porte assistance essentiellement aux pays en développement et aux pays en transition en matière de nutrition, de soins de santé primaires notamment par le canal de la vaccination et d’éducation de base des mères et des enfants.

L’élargissement progressif du mandat de l’UNICEF montre que les questions d’enfance ne sont pas ponctuelles. Bien au contraire, au fur et à mesure que l’on s’est penché sur la mise en oeuvre des buts et principes de la charte des Nations unies, l’on s’est aperçu de la nécessité de proposer un cadre de long terme pour lutter contre des fléaux rendant nos enfants malheureux.

Dans ce travail, les 35 comités nationaux établis essentiellement dans les pays industrialisés (25 en Europe), jouent un rôle capital de financement, d’information et de relations publiques. Le comité français est réputé, non seulement en France, mais aussi à l’étranger et au sein de l’UNICEF, comme étant un maillon essentiel et particulièrement actif de la chaine de solidarité établie en faveur de l’enfance. La France participe aussi à l’UNICEF en termes de personnel. Nos soixante-seize collègues déploient d’importants efforts sur le terrain.

D’autres organisations internationales consacrent du temps et de l’énergie aux enfants, notamment par l’intermédiaire d’accords de coopération avec l’UNICEF. Ainsi, le haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés qui a depuis longtemps géré des programmes et mené une réflexion poussée au sujet des enfants réfugiés et de ceux qui demandent l’asile, tient à ce que les efforts internationaux soient coordonnés dans le long terme et dans un cadre de développement. Je reviendrai sur ce point en deuxième partie de mon exposé, cet organisme ayant comme mandat de traiter un exemple affligeant de violence institutionnelle à l’égard des enfants : la violence sexuelle à des fins de persécution ou comme instrument de guerre et de purification ethnique.

Pour terminer sur ce volet institutions internationales, je désire dire quelques mots au sujet de la Convention de New York relative aux droits de l’enfant, à la naissance de laquelle le COFRADE a grandement contribué.

189 États sont aujourd’hui partis à la convention des droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies au terme d’une longue gestation et très rapidement ratifiée par la France. C’est aujourd’hui le traité international le plus universellement reconnu.

La Convention marque une étape importante dans l’histoire des Droits de l’homme, mais elle ne saurait être considérée comme un aboutissement. C’est pour cette raison que les États parties ont élu un comité des droits de l’enfant en 1991 à l’ONU. Le Conseil est composé d’experts indépendants qui ont pour mission d’évaluer l’application par les États qui l’ont mis en place, de leurs obligations conventionnelles. Sur la base des communications des Gouvernements et des observations des ONG, ce comité a entamé ses travaux dès 1993.

C’est ainsi qu’a lieu chaque année, une rencontre entre les ministères concernés et le COFRADE, en vue d’examiner la manière dont la Convention est mise en oeuvre en France.

Je tiens à ce sujet à préciser que célébrer la Convention de New York par des rituels annuels, ou par la diffusion de son texte à des centaines de milliers d’exemplaires ne suffit pas. La Convention de New York est un texte dont les principes se vivent de manière permanente. C’est pour cela qu’elle a été élaborée. Abandonnons cet esprit livresque qui en caractérise très souvent la promotion. Les droits de l’enfant qui y sont consacrés sont ces choses quotidiennes et essentielles qui construisent l’équilibre de tout un chacun : la famille, l’amour des parents, l’harmonie entre les uns et les autres. C’est ce message que je voudrais faire passer dans mon travail en faveur de l’enfance. Retrouvons une cohésion, établissons des liens, renforçons la solidarité, l’amitié. Tels sont les meilleurs vecteurs de défense des droits de l’enfant, plus que quelconque arsenal juridique.

Ainsi, je désire passer à la deuxième partie de mon discours de clôture de cette journée consacrée, à l’occasion du 50e anniversaire de l’UNICEF, à la violence institutionnelle.

Faisant suite à la participation de la France au sommet de Stockholm, le Gouvernement a pris des engagements concrets. Le 20 novembre prochain, à l’occasion de la première journée nationale des droits de l’enfant, je ferai part, en son nom, d’un plan d’action interministériel visant à renforcer la lutte contre les abus et l’exploitation sexuelle des enfants : information, sensibilisation des enfants et des familles et formation des professionnels. Pour sa part, le Garde des sceaux présentera un projet de loi visant à renforcer la répression des délinquants sexuels. De même, je tiens à ce que se développe la concertation ; entre les ministères, avec les ONG et les associations, et avec les départements, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi de 1989 relative à l’enfance maltraitée.

Dans ce plan interministériel, je mettrai l’accent sur l’enfant en tant qu’individu, sur sa place dans la famille et sur son intégration dans le tissu social. Mon but n’est pas de créer un énième dispositif, de faire rédiger une énième circulaire, ou d’établir un énième groupe de travail. Ma tâche consistera à dynamiser les structures existantes, à faire connaître le système juridique en vigueur, à en accroitre l’utilisation, et enfin à responsabiliser les uns et les autres dans la lutte contre les abus et l’exploitation sexuelle des enfants.

Dans son étude sur les violences institutionnelles, Stanislas Tomkiévitz écrivait : « la violence institutionnelle est toute action commise dans une institution, ou toute absence d’action qui cause à l’enfant une souffrance physique ou psychologique qui entrave son évolution ultérieure ».

Cette définition de la violence institutionnelle fait référence aux innombrables institutions que l’enfant fréquente normalement : par exemple, l’école, l’hôpital, le stade. D’autre part, lorsqu’il a des difficultés, on rencontre l’enfant dans des établissements et des familles d’accueil. C’est donc l’ensemble du système de protection que nous avons en tête lorsque nous abordons le sujet.

Il est par ailleurs des violences issues d’une institution encore plus large : la société elle-même. Les enfants des banlieues, les enfants des rues, les enfants victimes des trafics sexuels sont des exemples de cette violence. Nous constatons trop d’indifférence à leur égard.

Il s’agit dès lors d’unir nos efforts autour d’eux. L’ODAS nous indiquait très récemment que 65 000 enfants maltraités ou risquant de l’être, devraient être protégés. Je fais donc appel à vous tous, pour vous faire partager cet esprit de croisade qui est le mien, pour vous mobiliser avec moi en faveur de la diffusion de concepts justes et pondérés auprès des policiers, des enseignants, des structures de la jeunesse et des sports, des médecins, des juges, des professionnels du tourisme, tant au niveau institutionnel qu’au plan individuel. Pour ce qui est de la formation, les ministères concernés ont des programmes en place, qu’ils se proposent de multiplier, d’intensifier, et d’adapter à la réalité courante.

Il serait utile de faire privilégier dans les travaux interministériels relatifs à l’enfance, le concept de zones de proximités. Créer des réseaux de solidarité, entourer les personnes et les familles qui sont un danger potentiel pour nos enfants, soutenir les futures mamans en détresse, rassurer ceux qui sont angoissés, doit être notre combat et notre responsabilité quotidienne.

Enfin, je voudrais en ma qualité de secrétaire d’État chargé de l’action humanitaire d’urgence et parce que nous sommes à Avon, m’attacher à une autre forme de violence institutionnelle, celle de la persécution et des conflits armés. L’on compte aujourd’hui 27 millions de réfugiés dans le monde et au moins 25 millions de personnes déplacées, de populations fuyant la persécution et la guerre à l’intérieur de leur propre pays. Ces dernières années la communauté internationale a été confrontée à un nombre considérable de conflits dans lesquels les déplacements massifs de populations ont été l’objectif explicite des parties belligérantes : la désintégration de l’ex-Yougoslavie, l’éclatement de l’ancienne Union soviétique, le génocide au Rwanda, les luttes au Burundi, au Sierra Leone et au Soudan pour ne citer que ceux-ci.

Auparavant, les cibles de guerre étaient les hommes, et tout particulièrement les soldats. Aujourd’hui les victimes des conflits armés sont principalement les femmes et les enfants. Plus de la moitié des victimes est constituée d’enfants. Chaque jour plus de 5 000 ont leur vie de tous les jours bouleversée dans des conditions terribles.

Les conséquences et les schémas de ces conflits sont particulièrement dramatiques pour les femmes et les enfants. S’agissant des femmes, l’on peut mentionner que le viol et d’autres formes de violence sexuelle à l’égard notamment des jeunes filles ont été utilisés à des fins de persécution dans le cadre de campagnes systématiques de terreur et d’intimidation.

Elles sont violées, au cours de leur fuite ou de leur arrivée dans leur premier pays d’accueil, par plusieurs agresseurs à la fois.

Lorsque de tels événements dont ils sont les victimes indirectes frappent leur mère, les enfants voient immédiatement affectée leur aptitude à développer et à entretenir des relations sociales normales, et à avoir un comportement propre à leur âge et à leur sexe.

Le recrutement militaire des mineurs est un problème de protection qui prolonge et amplifie l’ampleur de la violence sexuelle lorsqu’elle se produit. Par exemple, un des nombreux défis auxquels est confronté le Mozambique aujourd’hui est la réadaptation des jeunes garçons qui ont été soldat pendant des années, qui n’ont eu ni enfance, ni éducation, ni protection en cas de violence. Le Sierra Leone, le Liberia, l’Angola, le Sri Lanka regorgent d’exemples similaires. Pourtant, le droit international prévoit que les enfants de moins de quinze ans ne peuvent pas être recrutés et doivent être protégés, mais il est difficile d’arrêter les chefs militaires qui utilisent n’importe quel moyen pour gagner leur guerre.

La question des mineurs isolés est aussi poignante. Au Rwanda par exemple, il a été difficile d’obtenir des informations fiables sur le sort des membres de familles séparées des 117 000 enfants abandonnés. Par ailleurs, 6 000 mineurs non accompagnés originaires du Soudan vivent actuellement au camp de Kakuma au Kenya. Enfin, en 1992, ils constituaient 5 % de la population des camps de réfugiés vietnamiens. Dans les camps d’hébergement de ces enfants, il a été difficile de contrôler la violence que les autorités locales et les parties adverses aux conflits soit déployaient, soit acceptaient tacitement.

La meilleure solution que nous puissions apporter à un enfant réfugié ou déplacé consiste à aider ses parents en rendant ces derniers capables de le protéger. Reconstituer ou renforcer l’unité de la famille est donc une priorité.

Monsieur le président du Conseil général, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, ces exemples, ces cas, vous en avez débattu pendant une journée, et il est de notre devoir d’en faire notre combat de chaque jour. Je tiens dès lors à saluer encore une fois les efforts que vous déployez tous dans la lutte contre ce fléau de la violence sexuelle à l’encontre des enfants.

Merci.

 

Date : 22 octobre 1996
Colloque au Sénat

Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs,

Ouvrir aujourd’hui ce colloque revêt pour moi une importance particulière. Je vous remercie, Madame la présidente, de me donner ainsi l’occasion de partager avec vous un certain nombre de réflexions concernant ce triste constat : partout dans le monde, les enfants sont la proie privilégiée de toutes les formes de violence et particulièrement de cette extrême violence que constituent les abus et l’exploitation sexuelle. C’est pour cette raison que j’ai tenu à mener, en août dernier, la France au Congrès mondial de Stockholm contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. C’est aussi pour cela que le Premier ministre m’a confié, le 4 septembre, la mission de piloter des travaux interministériels en vue de préparer un programme gouvernemental de lutte contre ce fléau.

Nous avons entamé ces travaux. Notre volonté est de prendre le problème à bras le corps pour permettre aux uns et aux autres de faire face à des pratiques qui dépassent l’entendement en raison de la perversion psychologique et du caractère quasiment blasphématoire qu’elles représentent. Le 20 novembre, à l’occasion de la journée nationale pour les droits de l’enfant, un certain nombre de mesures seront annoncées. Le programme gouvernemental fera plus tard l’objet d’une communication en conseil des ministres.

Permettez-moi de revenir quelques années en arrière afin de vous situer l’action de mon secrétariat d’État. Je vous expliquerai ainsi le chemin parcouru jusqu’à cette croisade contre l’exploitation des enfants. Il y a plus de dix ans que la France a fait le choix original de confier à un membre du Gouvernement la charge de l’action humanitaire. Cela n’allait pas de soi, et aujourd’hui encore ce parti suscite des réserves. Pour avoir dans d’autres temps critiqué le choix d’un « humanitaire » gouvernemental avant de l’assumer aujourd’hui, je me sens tenu à quelques explications sur le sens de cette action humanitaire d’État, traversée des contradictions inhérentes à la fonction et qui exprime pourtant une aspiration très profonde de nos démocraties : qu’est-ce que l’humanitaire, que représente-t-il au niveau gouvernemental ?

Après la décolonisation dans les années 60 et la fin de la guerre froide dans les années 90, notre monde s’est trouvé face à ses faiblesses : la violence politique s’est intensifiée, les principes de maintien de la paix et de développement proclamés dans la période de l’après-guerre ont été bafoués, les tissus familiaux et sociaux se sont défaits. La France s’était dotée, en 1985, de cette structure de secours international ponctuel chargée de l’action humanitaire. En 1995, les circonstances étaient telles que l’on a eu besoin, au-delà de l’action humanitaire à l’étranger, de répondre, dans l’urgence, à des problèmes nationaux de société.

C’est dans ce cadre que j’inscris aujourd’hui mon engagement en faveur des enfants. Je ne peux pas permettre que des personnes qui doivent être choyées et protégées en raison de leur faiblesse et de leur confiance afin de constituer les forces vives de demain, puissent être l’objet des perversions d’aujourd’hui.

Quand, au nom de la liberté, il arrive, je l’ai lu dans certains livres qui se prétendent littéraires, qu’on admette, en dévoyant le terme d’amour, les abus et l’exploitation sexuelle des enfants, peut-on encore parler de civilisation ? La prostitution organisée et les abus sexuels des enfants ne sont qu’un aspect de ce manque abject de responsabilité, mais l’un des aspects les plus inacceptables. Comment ce phénomène a-t-il pu être banalisé au point de ne plus choquer, au point de devenir partie intégrante du paysage ?

Je voudrais dans un premier temps décrire le phénomène tel que je le perçois, pour évoquer ensuite un certain nombre de réponses qui sont apportées et que l’on projette d’y apporter.

Les esprits positifs diront que le drame de l’exploitation sexuelle nous est aujourd’hui mieux connu que par le passé. Il me semble malheureusement que s’il est mieux connu, il se développe également de manière inquiétante. Les causes de ce phénomène de société sont bien identifiées : l’extrême pauvreté liée à l’urbanisation rapide, l’inégalité sociale, la désintégration des familles, mais aussi le développement effréné d’un esprit de consommation qui nie la personne humaine, les facilités de déplacement des personnes et les technologies de communication qui offrent des possibilités nouvelles et d’un certain point de vue la disparition des valeurs implicites qui faisaient de l’enfant un objet sacré.

En allant au congrès de Stockholm, nous avons tous été convaincus que loin d’être cantonné à certains pays du Sud-Est Asiatique où le phénomène de l’exploitation sexuelle est traditionnellement dénoncé, ce phénomène prend une ampleur angoissante et touche aujourd’hui tous les continents. Nous disposons de peu de chiffres fiables sur la question, leur absence permettant à beaucoup de nier ou de minimiser les faits.

Nous devons lutter contre cette décomposition de la société que traduit l’exploitation sexuelle des enfants, en France et à l’étranger, car le phénomène est international par essence. Les réseaux de femmes françaises peuvent être le fer de lance de l’action internationale de notre pays dans ce combat, aussi, je vous invite instamment à mobiliser vos efforts et ceux de vos collaborateurs dans un domaine où tout est à faire et ou beaucoup dépend de vous.

Pour ce qui est des abus, nous ne pouvons malheureusement nous en prendre qu’à l’individu. Nous sommes confrontés à des adultes dont le développement psychosexuel est entravé, ce qui débouche sur la pédophilie. Très souvent dans ce domaine, l’on doit faire face au phénomène de la répétition trans-générationnelle. Le facteur environnemental et socio-économique y est moins en cause, mais nous devons toujours néanmoins avoir à l’esprit que la vulnérabilité des enfants joue en leur défaveur.

C’est pourquoi nous devons identifier les populations d’enfants à risque et tout mettre en oeuvre pour les armer et les protéger. La pédophilie est une perversion de la sexualité. « Faire l’amour à un enfant », comme le disent les pédophiles, est un crime. Ce n’est pas donner de l’amour à un enfant. Aucune rhétorique ne permet de passer de l’un à l’autre.

Il est aussi une autre forme de violence sexuelle : la violence institutionnelle qui fait référence, au plan national, aux différentes institutions que l’enfant fréquente normalement : l’école, l’hôpital, le stade. D’autre part, lorsqu’il a des difficultés, on rencontre l’enfant dans des établissements et des familles d’accueil. C’est donc l’ensemble du système de protection que nous avons en tête lorsque nous abordons ce sujet. Et puis, il est une violence issue d’une institution plus large : la société elle-même. Les enfants des banlieues, les enfants des rues, les enfants victimes des trafics sexuels sont des exemples de cette violence. Nous constatons trop d’indifférence à leur égard. L’on nous indiquait très récemment que 65 000 enfants maltraités ou risquant de l’être devraient être protégés.

Enfin, je voudrais mentionner le fait que ces dernières années, la communauté internationale a été confrontée à un nombre considérable de conflits dans lesquels les déplacements massifs de population ont été l’objectif explicite des parties belligérantes : la désintégration de l’ancienne Yougoslavie, l’éclatement de l’ex-Union soviétique, le génocide au Rwanda, les luttes au Burundi, au Sierra Leone et au Soudan pour ne citer que ceux-ci. La violence politique en est devenue le moteur principal. Un chiffre illustre cette évolution : les neuf dixièmes des victimes de conflit sont aujourd’hui des civils, souvent des femmes et des enfants. Auparavant les cibles de guerre étaient les hommes et tout particulièrement les soldats. Aujourd’hui les victimes des conflits armés sont principalement les femmes et les enfants et plus de la moitié des victimes est constituée d’enfants. Chaque jour plus de cinq mille ont leur vie de tous les jours bouleversée dans des conditions terribles.

Certaines famines sont politiques, et les actes de barbarie comme le viol ou les mutilations relèvent de stratégies conscientes. Les conséquences et les schémas de ces conflits sont particulièrement dramatiques pour les femmes et les enfants. S’agissant des femmes, l’on peut mentionner que le viol et d’autres formes de violence sexuelle à l’égard notamment des petites filles ont été utilisés à des fins de persécution dans le cadre de campagnes systématiques de terreur et d’intimidation. Elles sont violées, au cours de leur fuite ou de leur arrivée dans le pays d’accueil, par plusieurs agresseurs à la fois.

Lorsque de tels événements dont ils sont les victimes indirectes frappent leur mère, les enfants voient immédiatement affectée leur aptitude à développer et à entretenir des relations sociales normales et à avoir un comportement propre à leur âge et à leur sexe. Ce sont ces enfants que l’on retrouve dans les circuits de prostitution organisée. J’ai bouclé une boucle, je n’ai pas encore trouvé de solution.

C’est pourquoi j’en appelle à vous, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, pour mobiliser vos voisins, vos parents, vos amis, votre famille, et faire de sorte qu’un message mesuré et efficace soit diffusé à ces enfants. Apprenons-leur à dire non. Non à une médiatisation perverse de ces phénomènes, non à la violation de leur intégrité physique et morale, et oui, oui au droit à être chéris, oui au droit à vivre dans une société harmonieuse et paisible.

En termes de réponse, je ne voudrais pas faire table rase du passé. Au contraire, je tiens à ce que l’on capitalise sur l’acquis. Le programme intergouvernemental ne sera pas un énième projet de loi, une énième circulaire, ou un énième coup de semonce. C’est au contraire un encouragement à ce personnel des protections maternelle et infantile (PMI), des aides sociales à l’enfance (ASE), des différents ministères concernés qui se battent pour faire en sorte que la loi de 1989 relative à l’enfance maltraitée ne soit pas lettre morte.

Depuis que la France s’est emparée de la question, beaucoup de progrès ont été réalisés pour ne pas laisser seuls les enfants victimes de violence. Simplement, les circonstances sont telles que cette violence décuple, et que la famille n’est parfois plus l’encadrement souhaité. Notre rôle est d’être présents avec notre force, nos convictions et notre disponibilité, dans ces zones à risque, pour assister les femmes en détresse, pour entourer ces adolescents victimes et à leur tour potentiels délinquants.

Le programme intergouvernemental s’articulera en cinq axes, dont je vous décrirai quelques-uns car je voudrais avoir votre point de vue et votre soutien à leur sujet.

Le premier, institutionnel, s’attachera à raviver le processus de consultation intergouvernemental qui a été créé en 1989. Je donnerai de l’impulsion à ce groupe permanent interministériel en le dotant d’un secrétariat ou centre ressource permanent. Par ailleurs, je renforcerai ce groupe, en le faisant se réunir trois fois par an, à des niveaux de responsabilité différents. Les ministres ne peuvent éviter de se concerter annuellement sur ce sujet de la violence à enfants, et plus particulièrement des abus et de l’exploitation sexuelle. Ils doivent se rencontrer et évaluer les progrès des politiques dont ils font la promotion. Ils doivent se rencontrer, et accepter de réajuster ces politiques si elles ne produisent pas les effets escomptés. Puis, cette concertation aura aussi lieu au niveau des directeurs, plus souvent, tous les trois mois. Les services, eux, se réuniront en groupes de travail aussi souvent que cela sera nécessaire. Enfin, cette concertation interministérielle aura comme mission de dialoguer avec les départements et avec les associations, dans le cadre du centre ressource dont je ferai une institution dynamique et exemplaire de promotion des droits de l’enfant.

Le deuxième axe concerne l’aide aux victimes. Là, ma préoccupation première est d’éviter aux enfants le labyrinthe des procédures, des témoignages répétés, les parcours kafkaïens de commissariat de police en tribunal, de tribunal en cour d’assise, de cour d’assise en centre d’accueil, de centre d’accueil en rechute. Je veux combattre cette épopée de l’échec. Un moyen de s’y atteler est de convaincre l’ensemble des acteurs concernés par l’instruction et le jugement de faits de délinquance sexuelle, d’utiliser l’outil-vidéo pour l’audition d’enfants victimes de sévices sexuels. Le premier témoignage des enfants devrait être recueilli sous enregistrement vidéo. Puis, les paroles devraient être transcrites sur papier, la vidéo détruite pour éviter toute utilisation incontrôlée des paroles et des images ainsi captées, et la procédure suivre son cours sur la base de ces transcriptions. Je ne veux plus de débats sans fin sur les relations entre tels magistrats et les victimes, de querelles entre les avocats et les magistrats, d’accusations malsaines qui compliquent le débat. Cette cause est suffisamment tragique, unissons nos efforts pour trouver un système de travail qui tende vers la sérénité. Nous devrons former les équipes qui seront en charge de cet enregistrement, cela ne se fera pas sans moyens ni travail acharné. Nous sommes tous prêts à le faire.

Un troisième chantier concerne la formation des corps professionnels concernés. La formation initiale, la formation continue. Là encore, il ne suffit pas de vouloir mettre en oeuvre la loi de 1989 qui enjoint, en son article 4, aux ministères de se doter des structures et des moyens appropriés dans ce domaine. Il faut mobiliser les professionnels qui vivent à proximité de l’enfant. Nous déploierons des moyens techniques propres aux institutions et à l’administration pour arriver à ce but. Mais je compte aussi sur vous pour sensibiliser ceux qui vous entourent et faire comprendre la nécessité d’une mobilisation professionnalisée sur la détection, le signalement et l’assistance en cas de mauvais traitements à enfants.

Enfin, dans le domaine international, je vois trois chantiers de travail.

Le premier est celui de la prévention par l’information du public, qui passe par trois priorités.

Notre première tâche est d’organiser la coopération internationale dans le domaine du regroupement d’information. En effet, une des grandes difficultés Je la lutte contre l’exploitation sexuelle et des abus sexuels des enfants est l’absence de données précises sur ce fléau, qui permet aujourd’hui à beaucoup de minimiser les faits.

En deuxième lieu, la mobilisation du public est absolument essentielle à la prévention du crime que constitue l’exploitation sexuelle des enfants. Il s’agit aussi bien du grand public que de groupes particuliers : familles, adolescents, éducateurs ou adultes en contact avec l’enfant.

Enfin, pour agir précisément contre le phénomène du tourisme sexuel, ce sont plus spécifiquement les touristes et les voyageurs qui doivent être sensibilisés à travers des moyens de communication qui les touchent directement. Agences de voyage et hôteliers doivent quant à eux reconnaître que le tourisme sexuel est une réalité qui bafoue l’enfance. Les déclarations, les engagements ne suffisent plus dans ce domaine. La responsabilisation des professionnels du tourisme doit maintenant se manifester de façon concrète, à travers la généralisation de normes et de références permettant d’identifier les opérateurs qui attachent un souci réel à la protection de l’enfance.

Le deuxième champ sur lequel nous devons agir est celui de la répression. La priorité en la matière est que chaque État soit doté d’une législation qui prévoit l’incrimination des actes d’exploitation et d’abus sexuels sur des enfants, y compris lorsque de tels actes ont été commis à l’étranger. En effet, si, dans les pays d’origine des touristes, ces faits sont reconnus comme des crimes, au nom de quoi justifier que ces crimes deviennent de simples transgressions lorsqu’ils sont commis à l’autre bout du monde ? Pour sa part, la France a introduit en 1994 dans son code pénal une disposition permettant la poursuite, devant les juridictions françaises, de toute personne se rendant coupable d’atteintes sexuelles sur la personne d’un mineur de 15 ans moyennant une rémunération, alors même que l’enfant victime n’est pas français. Il en va ainsi, si le délit commis par le ressortissant français n’est pas puni par la législation du pays où il a été commis ; point n’est besoin que la poursuite soit nécessairement précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants-droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis. Il suffit, pour engager la poursuite, qu’une plainte ou une dénonciation soit formulée par toute personne qui a eu connaissance des faits. Aujourd’hui, il est question d’élargir le champ d’application de cette loi.

Malgré cela, les mesures internes ne sont pas suffisantes. Pour faire face à la propagation au-delà des frontières des infractions relatives à l’exploitation sexuelle des enfants et pour permettre de surmonter les différences subsistant sur le plan de la définition des faits et des sanctions, une coopération internationale en matière policière et judiciaire est indispensable. Pour cette raison, nous militons vigoureusement en faveur d’un protocole additionnel à la Convention de 1989 sur les droits des enfants pour lutter contre la vente d’enfants, la prostitution enfantine et la pornographie impliquant des enfants. Cet instrument devrait permettre une harmonisation de la qualification des infractions et guider les États dans la mise en oeuvre de législations adaptées et de mesures de coopération.

La France s’est par ailleurs attachée à ce que l’Union européenne développe des initiatives tendant à permettre une parfaite coopération en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Dans le cadre du conseil des ministres « Justice et affaires intérieures » de l’Union européenne qui s’est tenu les 26 et 27 septembre derniers à Dublin, la France a soutenu activement une démarche commune des États de l’Union pour lutte contre ce fléau. Trois actions communes ont été adoptées, l’une visant à créer un répertoire européen des compétences en matière de lutte contre les abus et l’exploitation sexuelle des enfants, l’autre tend à étendre aux questions de lutte contre le trafic des êtres humains, le mandat de l’Unité drogue Europol, la troisième a pour but de mettre en place un programme de formation et d’échange des personnels concernés (magistrats, policiers, travailleurs sociaux et autres). Une quatrième action commune est en cours de négociation, qui permettrait d’harmoniser les critères et procédures de poursuite des délinquants sexuels.

D’autre part, je tiens à souligner le rôle central joué par Interpol aussi bien en matière d’information qu’en matière de répression, à travers son groupe permanent sur les infractions contre les mineurs. La systématisation et l’amélioration de la collaboration entre les États au sein d’Interpol est une priorité si nous voulons lutter efficacement contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

Le développement d’outils législatifs et de coopération judiciaire ne doit pas faire perdre de vue l’insuffisance criante de l’aide actuellement apportée aux victimes. Étant donné le nombre croissant d’enfants touchés par ce fléau, il nous faut développer pour les années à venir notre assistance à ces victimes, qui sont particulièrement exposées à des risques de représailles ou à la marginalisation. C’est là le troisième chantier qui s’ouvre à nous dans ce domaine. Le développement de politiques d’aide et de conseil juridique, de réadaptation et de réinsertion doit reposer sur une approche centrée sur l’intérêt de l’enfant. La participation active de l’enfant victime à ce processus de réinsertion est hautement souhaitable.

Ces actions ne sauraient relever de l’unique compétence des États. Il convient de reconnaître le rôle moteur joué par le mouvement associatif dans la prise de conscience internationale du drame humain que constitue ; la violence à enfants. Pour être pleinement efficace, la lutte contre ce fléau doit étroitement associer les acteurs gouvernementaux, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales. Les populations locales ainsi que les associations présentes dans les pays concernés doivent être alertées.

Je tiens dans ce domaine à rehausser, à travers des projets bilatéraux ; le soutien à des actions gouvernementales, internationales ou privées concernant les soins, la réhabilitation et l’assistance juridique aux enfants. La dimension de protection des enfants contre les représailles dont ils sont menacés ne saurait être négligée. La protection de l’enfance dans les camps de réfugiés, l’abolition du travail forcé, éviter qu’ils ne soient les victimes directes des conflits est la tâche d’organisations humanitaires que je vous encourage à soutenir.

Trois axes d’intervention, donc, mais une seule philosophie : aux réseaux de pédophiles et à ceux qui bafouent les droits de l’enfant, opposer un réseau constitué de tous les intervenants en mesure d’agir. Les autorités locales, les associations, le grand public, les ressortissants français au sens large, organisations internationales telles Interpol, le haut-commissariat pour les réfugiés et l’Unicef. Personne ne peut travailler efficacement dans l’isolement, la recherche des complémentarités est essentielle.

Les postes diplomatiques français recevront prochainement des suggestions concrètes d’actions ainsi qu’une information sur les instruments français et internationaux sur lesquels l’on peut s’appuyer. Je ne veux pas me faire le défenseur de valeurs culturelles d’un autre temps, mais du respect que l’on doit à chaque homme, et plus encore aux plus vulnérables, aux enfants. La protection des enfants dans les conflits armés, la lutte contre le travail des enfants et plus généralement contre toutes les formes d’exploitation dont ils sont victimes, ont connu récemment des avancées. La convention de 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant s’est imposée comme une référence universelle. Nous voyons petit à petit triompher les droits de l’enfant.

 

Colloque du Cofrade au Sénat, à Paris - 20 novembre 1996

Monsieur le président,
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux d’être avec vous tous, pour célébrer la première journée nationale des droits de l’enfant. Depuis qu’en août dernier, j’ai mené la France au Congrès mondial de Stockholm contre l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, nous avons vécu ensemble des moments forts. Le 4 septembre, le Premier ministre m’a confié la mission de piloter des travaux interministériels en vue de préparer un programme gouvernemental de lutte contre la violence sexuelle commise à l’égard des enfants. Depuis, nous nous sommes consultés, nous nous sommes concertés, et je suis aujourd’hui parmi vous pour vous apporter les fruits de ce travail. Notre volonté commune est de nous mettre les uns et les autres en mesure de faire face à des pratiques qui dépassent l’entendement en raison de la perversion psychologique et du caractère quasiment blasphématoire qu’elles représentent.

Nous ne pouvons pas permettre que ces enfants qui doivent être choyés et protégés en raison de leur faiblesse et de leur confiance afin de constituer les forces vives de demain, puissent être l’objet des perversions d’aujourd’hui. C’est pourquoi, bien que la France se soit dotée d’un système de protection de l’enfance maltraitée très performant et que beaucoup de progrès aient depuis été réalisés, nous devons aujourd’hui redoubler d’efforts pour ne pas laisser seuls les enfants victimes de violence. Les circonstances aujourd’hui sont telles que cette violence décuple, et que la famille n’est parfois plus l’encadrement souhaité. Notre rôle est d’être présents avec notre force, nos convictions et notre disponibilité.

Nous célébrons aujourd’hui la Convention de New York de 1989 relative aux droits de l’enfant. Avec cette Convention, l’on a enfin consenti à octroyer des droits aux enfants. Ceci représente un changement qu’il est de notre devoir d’intégrer dans nos mentalités. La Convention est le résultat de l’évolution de la vision de l’enfance perçue notamment comme une étape à part entière de la vie. L’enfant n’est plus considéré comme un objet de droit mais bien comme un sujet de droit.

Les États signataires se sont non seulement engagés à respecter les droits énoncés par la Convention mais à les garantir à tout enfant, sans distinction aucune. Outre ce principe de non-discrimination, ils ont consacré la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Cette notion d’intérêt supérieur est assurément difficile à cerner et elle comporte inévitablement une grande part de subjectivité et d’arbitraire. Il s’en déduit à tout le moins que nul autre intérêt ne doit l’emporter.

C’est dans cet esprit que nous avons travaillé, à la fois pour honorer cet engagement solennel que la France a pris et réitéré à plusieurs reprises et pour sceller le pacte national de protection de l’enfance qui commence aujourd’hui par un programme gouvernemental de lutte contre les violences sexuelles commises à l’égard des enfants.

Ce programme gouvernemental comprend un projet de loi renforçant la répression et la prévention des atteintes sexuelles contre les mineurs et les infractions portant atteinte à la dignité des personnes, et un plan d’action qui se divise en un volet national et un volet international.

I. Le volet national du plan d’action

Commençons par l’aide aux victimes qui, dans notre plan, consiste d’une part à faciliter la prise de parole par les enfants pour dénoncer les violences dont ils sont victimes puis pour en témoigner, et d’autre part à mieux prendre en charge ces victimes, notamment dans le domaine de la santé.

Pour faciliter la dénonciation par les enfants des violences dont ils sont victimes, il a été décidé que désormais le numéro vert « enfance maltraitée » sera un numéro d’urgence à trois chiffres qui sera opérationnel à compter de janvier 1997. Le fonctionnement et les missions de ce nouveau numéro d’appel présenteront les mêmes avantages que le précédent, mais il est plus facile pour un enfant de mémoriser un numéro à trois chiffes qu’à dix chiffres.

En outre, il n’apparaîtra plus sur les factures de téléphone qu’une communication a été passée à ce numéro, ce qui protégera l’anonymat des enfants.

Par ailleurs, ce numéro d’urgence sera affiché dans tous les lieux habituellement fréquentés par des mineurs, comme y oblige la loi de 1989, et sera constamment rappelé, sur tous les supports utilisés pour la grande campagne de sensibilisation qui débutera en 1997.

Après le signalement, la procédure. Plusieurs mesures sont envisagées pour aider les enfants à témoigner des violences dont ils ont été victimes :

Une circulaire conjointe des ministères de la justice, de l’intérieur et de la défense sera élaborée afin de limiter les auditions et confrontations multiples d’enfants victimes de violences sexuelles, au besoin par l’utilisation de l’outil vidéo, avec ou sans enregistrement. Des propositions opérationnelles seront dégagées avant le 15 juillet 1997. Ici, notre préoccupation est d’éviter aux enfants le labyrinthe des procédures, des témoignages répétés, les parcours kafkaïens de commissariat de police en tribunal, de tribunal en cour d’assise, de cour d’assise en centre d’accueil, de centre d’accueil en rechute. Nous voulons combattre cette épopée de l’échec.

Les possibilités de désigner un administrateur ad hoc pour les mineurs victimes seront élargies, en cas de possible conflit d’intérêt avec les personnes poursuivies.

Dans un autre registre, permettez-moi de mentionner que la règle selon laquelle la prescription des crimes et délits commis à l’encontre des mineurs ne commence à courir qu’à partir de leur majorité sera étendue aux infractions commises par toute personne et pas seulement par les parents du mineur ou les personnes ayant autorité sur lui.

Nous avons aussi tenu à ce qu’une circulaire du ministère de la justice qui précise les mesures à prendre dans le cadre de la procédure judiciaire pour :
    - améliorer les relations, entre les juges des affaires familiales et les juges des enfants ;
    - imposer, à chaque fois que cela est possible, une séparation physique entre l’enfant victime et le prévenu dans le cabinet du juge ;
    - permettre que l’adresse des mineurs victimes n’apparaisse plus dans les dossiers lorsque cela est nécessaire pour la victime ;
    - dès le début de l’instruction, informer les victimes de leurs droits et leur expliquer la procédure.

Monsieur le président, permettez-moi de continuer cette énumération de mesures d’aide aux victimes. Les enjeux sont importants, et nous avons tenu à ce qu’un accompagnement psychologique des enfants pendant l’audition soit organisé par le projet de loi présenté par le ministère de la justice.

Enfin, pour expliquer le déroulement de cette procédure à l’enfant et à sa famille, un livret de procédure de l’enfant victime va être créé : le GPIEM sera chargé d’élaborer le contenu du guide et d’étudier les modalités de sa diffusion, en collaboration avec les associations qui ont travaillé sur ce sujet.

Pour terminer sur cet aspect, il nous faut mentionner la phase post judiciaire de la réparation. La prise en charge des victimes sera améliorée d’une part par le développement des pôles de référence spécifiquement conçus pour l’accueil des victimes et leur prise en charge et, d’autre part, par la prise en charge à 100 % des soins qui leur seront délivrés.

Pour prendre en charge à 100 % les soins apportés aux enfants victimes de violences sexuelles, nous ajouterons un nouveau cas d’exonération du ticket modérateur autorisant la prise en charge à 100 % par l’assurance maladie, au titre des prestations légales, des soins consécutifs aux sévices par la création d’un article 322-3-15° dans le code de la sécurité sociale. Cette disposition figure dans le projet de loi renforçant la répression et la prévention des atteintes sexuelles contre les mineurs.

La généralisation des pôles de référence se fera par l’institution, dans chaque région, voire dans chaque département important, d’un pôle de référence appelé à assurer les missions suivantes :
    - l’accueil et la prise en charge des victimes pouvant se présenter à lui ;
    - la formation, l’information des professionnels de santé ;
    - la liaison avec les services de médecine légale ;
    - la coordination de la prise en charge sanitaire avec les différents acteurs (autres établissements de santé, médecins libéraux, services des conseils généraux, SAMU, etc.)
    - le travail en réseau avec les autres partenaires (services de justice, présidences de conseils généraux, police, gendarmerie, éducation nationale, jeunesse et sport, ainsi que les associations d’aide aux mineurs)
    - la remontée des informations et l’établissement d’un bilan régional.

Afin de jouer le rôle de conseil et de référent permanent que l’on attend de lui, le pôle de référence doit répondre à un certain nombre de critères : disponibilité 24 h / 24, plateau technique comprenant des services d’accueil d’urgences, de gynécologie-obstétrique, de pédiatrie, de services d’hospitalisation. Il doit pouvoir recourir, le cas échéant et rapidement, à un service de médecine légale. Tous les CHR (centres hospitaliers régionaux) doivent être en mesure d’identifier, au sein de leurs services, celui ou ceux qui deviendront le ou les pôles référents les plus adaptés.

La·mise en place de ce programme incombera, en étroite liaison avec les directeurs des agences régionales de l’hospitalisation, aux préfets de région qui seront chargés de réunir les différents intervenants concernés afin, d’une part, de dresser la liste des pôles de référence retenus et, d’autre part, de coordonner les modalités de prise en charge par un protocole commun. Les modalités de suivi de la victime pourront faire l’objet de conventions avec des organismes extérieurs compétents.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, nous aiderons les victimes. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi prévenir la violence. Et cela passe notamment par la sensibilisation et l’information des publics, deuxième volet du plan national.

Dès la fin du premier trimestre 1997, une campagne de communication sera organisée. Après réflexion et consultation des associations, il apparaît que la finalité première de cette campagne doit être un rappel à la loi et à l’interdiction de coute relation sexuelle avec un enfant.

Le SICOM et le SIG sont chargés d’établir un cahier des charges et d’organiser la parution de l’appel d’offres aux agences. Le cahier des charges devra intégrer diverses initiatives déjà prévues par certains ministères (projet de bande dessinée du ministère de la défense, vidéo de l’éducation nationale).

Cette campagne comportera des actions de sensibilisation spécifiquement adaptées à différents publics : les journalistes, les parents, les jeunes adultes et les enfants :
    - une brochure destinée aux journalistes sera élaborée et leur sera distribuée à la fin de l’année 1997, car il semble important de leur éviter de faire à partir de situations différentes, des amalgames très préjudiciables aux enfants ;
    - les actions de sensibilisation destinées aux parents devront leur rappeler leur rôle premier en matière de prévention et d’éducation. Elles se feront principalement de deux manières : par une information donnée dans les établissements scolaires aux parents d’élèves et à leurs représentant (organisation de rencontres avec des professionnels de plusieurs disciplines…) dès la rentrée 1997, et par la diffusion de messages aux parents par le canal des caisses d’allocations familiales ;
    - les jeunes seront sensibilisés en tant que futurs parents : par l’utilisation, dès la rentrée 1997, de programmes spécifiques de prévention, d’une part dans les établissements scolaires (années de fin d’études) et, d’autre part, dans d’autres établissements ou organismes accueillant des jeunes : foyers de jeunes travailleurs, missions locales, points d’accueil-jeunes...

Enfin, cette campagne visera sensibiliser les enfants :
    - la sensibilisation des enfants doit atteindre 3 objectifs : leur apprendre leurs droits, en particulier celui exiger le respect dû à leur corps ; leur expliquer comment se protéger et libérer la parole des enfants victimes ;
    - elle doit éviter deux écueils : présenter le monde des adultes dans son ensemble comme un monde menaçant et dangereux et donner aux enfants une image négative et culpabilisante de la sexualité ;
    - elle sera mise en oeuvre dans les établissements scolaires, par des intervenants extérieurs qualifiés ou des enseignants préalablement formés, dès la rentrée 1997. Une brochure réalisée par la DAS et l’éducation nationale sera distribuée aux enfants.

Par ailleurs, une brochure spécifiquement destinée aux assistantes maternelles, élaborée par la DAS, sera diffusée dès à présent.

Je passe maintenant au troisième pilier du plan gouvernemental au niveau national, celui de la formation des professionnels, initiale et continue. Là encore, il ne suffit pas de vouloir mettre en oeuvre la loi de 1989 qui enjoint, en son article 4, aux ministères de se doter des structures et des moyens appropriés dans ce domaine. Il faut mobiliser les professionnels qui vivent à proximité de l’enfant. Nous déploierons des moyens techniques propres aux institutions et à l’administration pour arriver à ce but. Mais je compte aussi sur vous pour sensibiliser ceux qui vous entourent et faire comprendre la nécessité d’une mobilisation professionnalisée sur la détection, le signalement et l’assistance en cas de mauvais traitements à enfants.

La formation touchera tous les personnels qui peuvent être confrontés à une situation dans laquelle un enfant aura subi des violences, c’est-à-dire les magistrats – en particulier les juges des enfants, juges des affaires familiales, juges d’instruction et parquetiers –, les gendarmes et les policiers, les enseignants et personnels non enseignants de l’éducation nationale, ainsi que les médecins – généralistes, différents spécialistes, médecins de PMI – et infirmiers.

Un bilan précis de ce qui a été réalisé jusqu’à présent, demandé à l’ensemble des ministères concernés, montre que de nombreuses initiatives ont été prises ces dernières années, sans pour autant que les obligations introduites par la loi de 1989 soient pleinement respectées.

S’agissant de formation initiale, l’on mettra en oeuvre l’obligation de formation initiale pour l’ensemble des professionnels mentionnés par l’article 4 de la loi du 10 juillet 1989 : enseignants, magistrats, travailleurs sociaux, policiers, gendarmes, médecins, personnels médicaux et paramédicaux (notamment les psychiatres).

Cette obligation de formation initiale sera étendue aux assistantes maternelles ainsi qu’à l’ensemble des responsables d’encadrement d’enfants et de jeunes, moniteurs et animateurs de clubs sportifs ou de loisirs. La modification de l’article 4 de la loi du 10 juillet 1989, nécessaire pour imposer cette nouvelle obligation, sera intégrée dans un DMOS.

Cet objectif de formation sera réalisé par l’instauration, dans toutes les formations initiales concernées par la loi, d’un module sur les mauvais traitements et les violences sexuelles à enfants.

Ces formations, dont le contenu sera adapté à chaque profession, devront toutes traiter au minimum les thèmes suivants :
    - causes et effets des abus sexuels ;
    - rôle des différentes institutions de prévention et de protection ;
    - moyens de détecter les situations d’abus sexuels et conduite à tenir en cas de soupçon ou de découverte d’un abus (en distinguant bien le dépistage du diagnostic).

En ce qui concerne la formation continue, sa mise en place impose d’élaborer un cahier des charges permettant le recrutement de formateurs acceptant de s’y soumettre ainsi qu’une évaluation de sa mise en oeuvre. Le contenu des formations comportera un tronc commun, défini au sein du GPIEM, en 1997, valable pour tous les professionnels ; ensuite, chaque ministère devra définir les spécificités correspondant à chaque public visé.

L’acceptation de se soumettre à ce cahier des charges conditionnera le financement des formations par l’État ou les collectivités locales. Par ailleurs, il conviendra d’encourager et de stimuler les initiatives partenariales engagées localement.

Passons maintenant au quatrième point du programme national : la coordination de l’ensemble des acteurs. Dans ce volet institutionnel, nous nous attachons à raviver le processus de consultation intergouvernemental qui a été créé en 1989. L’accroissement de l’efficacité de la lutte contre les violences sexuelles à enfant passe par un renforcement de la coordination entre les ministères concernés et entre les différents acteurs intervenant dans les départements.

Pour renforcer la coordination interministérielle en tenant compte de la complexité du problème des violences commises à l’encontre des enfants, ainsi que je l’avais annoncé, nous élargirons le groupe interministériel permanent pour l’enfance maltraitée (GPIEM), en incluant désormais les ministères des affaires étrangères, de la coopération, de la culture, du tourisme, des postes et télécommunications ainsi que le secrétariat d’État chargé de l’action humanitaire d’urgence.

Cela suppose de réorganiser le GPIEM, en le scindant en deux commissions, l’une à vocation nationale (secrétariat assuré par la DAS du ministère du travail et des affaires sociales), l’autre à vocation internationale (secrétariat assuré par le service de l’action humanitaire du ministère des affaires étrangères).

L’importance des sujets traités par ce groupe impose de consolider son statut par décret, qui, avant la fin de l’année 1996, instituera un comité de ministres pour l’enfance maltraitée. Un arrêté ministériel créera parallèlement un comité des directeurs d’administration centrale.

Le GPIEM sera doté de réels moyens d’agir, en mettant à profit la fusion du CIE et de l’IDEF. Une des missions centrales de l’organisme qui naîtra de cette fusion (CIDEF) sera de travailler pour le compte du GPIEM, auquel il devra servir de « centre-ressources ».

De même, le futur organisme devra être un lieu d’échanges et de concertation avec les services des conseils généraux et les associations.

Pour améliorer la coordination sur le terrain, la coordination au sein des départements en matière de lutte contre les mauvais traitements et les violences sexuelles à enfants sera développée, renforcée et élargie, en y associant les services extérieurs de l’État, l’inspection académique, l’autorité judiciaire, le conseil général, les institutions sanitaires et le secteur associatif.

Les protocoles d’accord sur le contenu et les circuits de signalement (justice, présidents de conseil général, autres partenaires), existant dans dix départements et recommandés par l’ODAS, seront multipliés.

Une modification législative de l’article 68 du code de la famille et de l’aide sociale, intégrée dans un DMOS, viendra renforcer cette coordination.

Il. Les dispositions juridiques

Lors de la réunion que le Premier ministre a dirigée le 4 septembre 1996, la tâche de rédiger un avant-projet de loi parant aux lacunes de l’arsenal juridique français actuel et répondant à un grand nombre de demandes formulées par les organismes, publics et privés, de protection de l’enfance, a été confiée au garde des sceaux. Cet avant-projet a été soumis à l’avis des instances éthiques et médicales appropriées et devra ensuite être examiné par le Conseil d’État, le conseil des ministres et le Parlement. Je vous en livre les deux éléments principaux : une peine complémentaire de suivi médico-social et la protection des mineurs contre le développement de la pornographie.

Je commencerai par la peine complémentaire de suivi médico-social.

Les auteurs d’infractions de nature sexuelle, même s’ils sont jugés pénalement responsables de leurs actes, présentent dans certains cas des troubles de la personnalité, de nature à favoriser la réitération du passage à l’acte.

L’avant-projet de loi prévoit donc, au-delà du prononcé d’une peine privative de liberté proportionnée à la gravité des faits commis, de faire en sorte que ces personnes puissent être astreintes à une obligation de suivi médical et social pendant une durée suffisamment longue pour diminuer ces risques de récidive. Permettez-moi de vous faire une présentation générale de cette peine.

Pendant une durée fixée par la juridiction de jugement, le condamné sera soumis, sous le contrôle du juge de l’application des peines et des comités de probation, à des mesures de surveillance et d’assistance comportant notamment une injonction de soins.

Dans son jugement de condamnation, la juridiction fixerait également la durée maximum de l’emprisonnement que devrait subir le condamné s’il ne respecte pas l’obligation de suivi médico-social.

Destinée aux délinquants et aux criminels sexuels, cette peine sera encourue pour l’ensemble des agressions sexuelles, ou pour les crimes commis en même temps que l’une de ces agressions, et pour les atteintes sexuelles commises sans violence sur des mineurs (y compris les délits de corruption de mineurs, de diffusion d’images de mineurs présentant un caractère pornographique ou de diffusion de messages pornographiques susceptibles d’être vus par un mineur).

Comme toutes les peines complémentaires, la peine de suivi médico-social pourra être prononcée, en matière correctionnelle, à titre de peine principale. L’auteur d’une exhibition sexuelle pourra ainsi être condamné à la peine de suivi médico-social, sans faire l’objet d’une peine d’emprisonnement.

Comprenant une injonction de soins, cette peine ne pourra être prononcée qu’après une expertise médicale indiquant que le condamné est susceptible de faire l’objet d’un traitement médical.

Un certain nombre d’obligations pèseront sur le condamné. En voici une énumération. En premier lieu, le délinquant aura une obligation de suivi médical.

Pendant la période d’incarcération, le condamné ne sera pas juridiquement soumis à l’injonction de soins. Mais il exécutera sa peine dans un établissement lui permettant de suivre un traitement médico-psychologique, et au moins une fois par an, le juge d’application des peines lui proposera de suivre un tel traitement.

En deuxième lieu, l’on prévoit une obligation de suivi social.

Le condamné pourra être soumis à toutes les obligations existant actuellement en matière de sursis avec mise à l’épreuve, auxquelles pourront être ajoutées certaines obligations spécifiques :
    - s’abstenir de paraître dans certaines catégories de lieux accueillant habituellement des mineurs (squares, abords des écoles, etc.) ;
    - s’abstenir de fréquenter ou d’entrer en relation avec certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs ;
    - s’abstenir d’exercer une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact régulier avec des mineurs.

L’avant-projet de loi crée par ailleurs un deuxième train de mesures, celles visant à la protection des mineurs contre le développement de la pornographie.

Nous nous sommes d’abord attachés à renforcer les interdictions relatives aux matériels pornographiques mettant en scène des mineurs.

Dans ce domaine, une première série de dispositions vise à élargir le délit de diffusion de l’image à caractère pornographique d’un mineur :
    - aux images virtuelles d’un mineur ;
    - aux images qui, sans être pornographiques, sont en réalité destinées à un public pédophile ;
    - à l’importation ou l’exportation de telles images (afin de permettre le contrôle aux frontières par les douanes).

Ensuite, nous incriminons la détention, même à titre privé et en l’absence d’intention de diffusion, d’images de mineurs présentant un caractère pornographique.

Enfin, nous créons une circonstance aggravante nouvelle concernant les délits de proxénétisme, de corruption de mineurs, de diffusion d’images de mineurs présentant un caractère pornographique et d’atteinte sexuelle sur mineur sans violence, consistant dans l’utilisation d’un service de communication en pratique Internet ou le minitel pour entrer en contact avec la victime ou commettre l’infraction.

Nous nous sommes engagés en deuxième lieu, à renforcer les mesures de protection des mineurs contre la diffusion des produits pornographiques et des agressions sexuelles.

Premièrement, nous créons un nouveau délit réprimant l’installation ou l’exploitation d’un sex-shop dans un périmètre de 100 mètres autour des écoles et lycées, des établissements d’animation culturelle ou de loisir pour la jeunesse et des aires de jeux accueillant habituellement des mineurs.

Deuxièmement, nous engageons la responsabilité pénale des personnes morales pour les provocations de mineurs à commettre des infractions, pour les délits susceptibles d’être commis par voie de presse ou moyen de communication audiovisuelle, pour le tourisme sexuel ou pour le délit d’exploitation de sex-shop dans les périmètres protégés.

Troisièmement, nous ouvrons la possibilité pour le ministère de l’intérieur de prendre des mesures d’interdiction à l’égard de documents fixés sur un support électronique ou magnétique mis à la disposition du public et présentant un danger pour la jeunesse en raison du caractère pornographique ou de la place faite au crime, à la violence, à la discrimination et la haine raciale, à l’incitation à l’usage, à la détention et au trafic de stupéfiants.

Nous aggravons ensuite les peines encourues pour les atteintes sexuelles sur mineurs commises sans violence, qui seront portées de deux à cinq ans d’emprisonnement et de 200 000 à 500 000 francs d’amende.

Puis nous ajoutons la peine de confiscation pour toutes les infractions d’atteintes aux mineurs et à la famille, ce qui comblera la lacune de la loi et permettra notamment la confiscation des revues ou cassettes vidéo pédophiles, ainsi que le produit financier de ces infractions.

Sera de même prévue la peine de complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle impliquant un contact régulier avec des mineurs.

Enfin, nous étendons l’application de la loi française pour tous les crimes ou délits commis contre des mineurs à l’étranger par des français ou des personnes résidant habituellement sur le territoire national.

Toutes ces mesures nous tiennent particulièrement à coeur car elles nous permettront de lutter efficacement contre le tourisme sexuel et d’inciter les États d’où viennent les délinquants sexuels à se doter de mesures similaires. J’en viens ainsi à la partie internationale du plan.

III. La partie internationale du plan d’action

L’aspect négociations de ce plan se déroule dans deux types d’enceintes : l’Union européenne et l’ONU.

Dans le cadre de l’Union européenne, trois actions communes dont le principe a été adopté en conseil justice et affaires intérieures à Dublin les 26 et 27 septembre 1996 seront formellement entérinées lors du prochain conseil des 28 et 29 novembre 1996. La première vise l’extension du mandat de l’Unité Drogue Europol à la lutte contre la traite des êtres humains, la deuxième a pour but de mettre en place un programme de formation et d’échange des personnels concernés (travailleurs sociaux, magistrats, policiers) et la troisième permettra la création d’un répertoire de compétences en matière de lutte contre la pédophilie car elle traite de la criminalité organisée. Une dernière action commune est en négociation, relative à l’harmonisation des législations pour les incriminations et les peines en matière d’exploitation sexuelle.

À l’occasion du sommet hispano-français des 4 et 5 novembre 1996, l’Espagne et la France sont convenues de marquer leur détermination commune à renforcer la lutte contre toutes les formes d’exploitation sexuelle de mineurs et la répression de la pornographie dont sont victimes les mineurs et à faire aboutir cette dernière action commune.

Par ailleurs, nous nous attachons à entamer au plus tôt la constitution du répertoire national des compétences en attendant que le processus européen, lui, suive son cours. Dans le même esprit, nous entreprenons d’organiser au plus tôt un séminaire européen de formation et d’échange interdisciplinaire.

Enfin nous prolongerons cette action diplomatique par une action sur le terrain. Nos ambassadeurs réuniront leurs collègues autour de ce thème et organiseront, dans les pays où se développe le tourisme sexuel, une coopération entre les États membres de l’Union européenne sur place.

Sous les auspices de l’Organisation des Nations unies, la France poursuit son projet de protocole additionnel à la Convention de New York de 1989 relative aux droits de l’enfant, qui porte sur la vente d’enfants, la prostitution enfantine et la pornographie impliquant les enfants.

Mais nous ne devons évidemment pas nous contenter de négociations. Nous devons agir. Agir avec les agences humanitaires de l’ONU, essentiellement sur le terrain, mais agir aussi avec les ONG dont le rôle moteur dans la dénonciation de la délinquance sexuelle nuisant aux enfants n’a cessé d’être reconnu.

Avec les organismes humanitaires du système des Nations unies, nous agirons au niveau de leur siège dans un premier temps. Par exemple, à l’Unicef, à la lumière d’un examen lors du prochain conseil d’administration des programmes existants, la France proposera de nouvelles actions en particulier en matière de réhabilitation des enfants victimes. Par ailleurs, nous appuyons le haut-commissariat aux réfugiés qui a adopté en mars 1995, des directives de prévention et de lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants réfugiés.

Mais nous considérons aussi qu’il est essentiel que l’Organisation mondiale de la santé adopte des programmes spéciaux sur cette question, notamment en matière de réhabilitation. Enfin, la France veille à ce qu’une attention particulière soit apportée à la question de l’exploitation sexuelle des mineurs, dans le cadre de la réflexion actuellement en cours sur la lutte contre le travail des enfants à l’Organisation internationale du travail.

Dans un deuxième temps, outre les actions au niveau des sièges, nous mettons l’accent sur la coopération sur le terrain entre nos ambassades et les délégués locaux des organisations internationales pertinentes. Ainsi la France pourra soutenir l’action de ces organismes humanitaires internationaux auprès des autorités des pays d’accréditation, mais aussi prêter main forte à ces délégués locaux dans la réalisation des programmes négociés dans les capitales.

Enfin, l’action sur le terrain se fera par le développement et l’implantation d’ONG locales dans ce domaine le Service d’Action Humanitaire du ministère des affaires étrangères dispose d’un Fonds Humanitaire d’Urgence, tributaire par définition des urgences, mis à la disposition du secrétariat d’État à l’action humanitaire d’urgence, et consacrera 10 % au minimum de son budget de 1997 à des ONG françaises ou locales qui proposeront des programmes d’aide aux victimes de violences sexuelles.

Par ailleurs le ministère de la coopération utilisera 3 millions de francs pour un programme d’aide à plusieurs pays relevant de son champ de compétence, qui portera sur la prévention de la violence sexuelle et la protection de l’enfance.

Monsieur le président, l’on a souvent fait état, au cours de nos travaux ensemble, à Stockholm, ou à Paris, de la nécessité d’intensifier la coopération judiciaire et policière dans ce domaine. C’est un troisième aspect de mon intervention concernant l’action internationale de la France pour la lutte contre la violence sexuelle commise sur des enfants.

Nous savons tous qu’il n’existe pas en la matière d’instruments dont la portée serait limitée à la question de l’exploitation sexuelle des mineurs mais, en revanche, de nombreux textes visant à la poursuite et la répression d’un champ plus large d’infractions pénales, constituent des outils adaptés à la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

En effet, il existé trois types d’instruments. Tout d’abord, en vertu de conventions d’entraide judiciaire pénale bi ou multilatérales, les autorités judiciaires françaises, saisies de crime ou délits commis à l’étranger, peuvent solliciter de la part d’autorités judiciaires étrangères l’exécution d’actes d’instruction (commissions rogatoires, perquisitions, auditions de témoins, etc.) nécessaires à poursuite en France de telles infrastructures. Par ailleurs, des conventions d’extradition bi ou multilatérales, lient la France avec un nombre important d’États les autorités judiciaires françaises peuvent demander la remise des auteurs présumés de tels crimes ou délits qui seraient trouvés à l’étranger. Enfin, la France a conclu avec un nombre important de pays des conventions bilatérales d’entraide judiciaire et d’extradition auxquelles l’on recourra, pour lutter contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

À titre d’exemple, de telles conventions d’entraide judiciaire avec des pays destinataires de tourisme sexuel français tels que les Philippines et le Sri Lanka pourraient être prochainement négociées. D’autre part, des accords sont en cours de négociation, l’un avec la Thaïlande, l’autre avec l’Inde, et devraient être signés courant 1997. Chacun de ces accords permettra de dénoncer les Français qui soumettent, à l’étranger, des enfants à mauvais traitements. Enfin, un accord a été signé avec le Brésil, et devrait très prochainement être ratifié.

Il convient pour terminer, de préciser qu’en dehors même de tout accord de la France avec un pays déterminé, il est toujours possible, dans un cas d’espèce, d’exécuter ou d’obtenir l’exécution d’actes judiciaires dans le cadre du principe général de réciprocité.

C’est là que la coopération policière est particulièrement utile et je suis heureux de vous annoncer qu’en concertation étroite avec la direction générale de la police nationale, il a été décidé de renforcer et d’optimiser l’utilisation sur place des agents de l’OCRTIS (Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants) et du SCTIP (Service de coopération technique internationale de police).

Une circulaire du directeur général de la police nationale a été signée le 21 octobre 1996. Elle donne instruction à ces inspecteurs de s’engager dans une coopération renforcée avec les polices locales pour la recherche des auteurs d’abus sexuels sur des enfants et le recueil du témoignage des victimes.

Outre le renforcement de la répression du tourisme sexuel que j’ai décrit au titre des mesures juridiques, et qui permettra de mettre en cause la responsabilité des personnes morales et donc les agences de voyage ou les opérateurs, par l’intermédiaire de l’infraction d’association de malfaiteurs ou de participation à une association de malfaiteurs, qui encourront à ce titre notamment une peine d’amende et une interdiction temporaire d’exercer l’activité par l’intermédiaire de laquelle l’infraction a été commise, une concertation est en cours avec les professionnels du tourisme pour une campagne de sensibilisation en direction des transporteurs, agents de voyage et hôteliers, en coopération avec l’ONG « Groupe Développement ».

Nous tenons à ce que les touristes soient informés afin qu’ils ne tombent pas dans les pièges de sollicitation et qu’ils sachent les peines encourues, par des dépliants distribués par les agences de voyages ou par insertion dans des guides touristiques.

Le ministère des affaires étrangères a entrepris de constituer des dossiers à l’attention des ambassades de manière à ce que ces dernières fassent connaître toutes ces dispositions, non seulement auprès des Français à l’étranger, mais aussi auprès des ressortissants locaux, les victimes potentielles et leurs parents.

Enfin, la direction des douanes et des droits indirects se tient prête à tout mettre en mesure pour faire saisir le matériel pornographique impliquant des mineurs, qui sera prohibé lorsque l’avant-projet de loi sera adopté.

Je vous remercie.