Texte intégral
« Quel audiovisuel pour demain ? »
Je voudrais d’abord remercier les organisateurs de ce colloque, et les parlementaires, qui en mené un travail très intéressant de préparation du débat sur le projet de loi que je déposerai bientôt ; les discussions qui auront lieu lors du vote de ce texte au Parlement n’en seront que plus riches et plus denses.
Quel audiovisuel pour demain ? C’est bien la question.
L’audiovisuel et plus généralement l’ensemble du secteur de la communication sont en effet en profonde mutation, une mutation qui est loin d’être terminée. Cette mutation, nous la constatons, nous tentons de l’anticiper, nous cherchons aussi à l’orienter, afin qu’elle bénéficie à l’ensemble des acteurs et au premier chef, aux téléspectateurs.
Le travail que j’ai conduit depuis quelques mois s’est donc fixé pour objectif l’élaboration d’un texte qui accompagne cette mutation, sans la freiner, par des règles du jeu claires et équitables pour tous. Tout le monde s’accorde sur un constat : la législation actuelle, qui a diversifiée, n’est plus du tout adapté au nouveau paysage audiovisuel. En revanche, les opinions divergent sur les remèdes. Je ne vais pas aujourd’hui entrer dans le détail des mesures qui seront proposées dans le cadre de la loi, mais je voudrais vous exposer les principes généraux qui sous-tendront la réforme envisagée.
I. – Le constat
Il s’’est développé dans notre pays une situation particulière qu’il est du devoir de l’Etat de traiter. Deux dysfonctionnements majeurs peuvent ainsi être constatés.
En premier lieu, les multiples contentieux dans lesquels s’engagent les opérateurs, qui utilisent désormais toutes les armes dont ils disposent, au niveau national et au niveau communautaire, traduisent un fonctionnement déficient de la concurrence. Ceci appelle une clarification de la réglementation et un renforcement de l’autorité de régulation.
En second lieu, notre secteur audiovisuel est structuré autour de groupes dot le cœur de l’activité n’est pas la communication, et dont les résultats dépendent pour une très large part de marché ou délégations de service public, nationaux ou locaux. Cette situation présente des risques certains pour l’indépendance et le pluralisme des activités de communication, et particulièrement de l’information. Il s’agit là d’une question fondamentale, qui met en cause la solidité de notre démocratie.
Ces dysfonctionnements, il faut les corriger, tout en veillant à ne pas déclencher de cataclysme dans un pan à la fois très prometteur et encore fragile de notre économie. Notre action s’inscrit en effet dans un cadre très contraint. Contraint d’abord par la mutation d’un secteur où ne sont stabilisés ni les rapports de force économique entre les acteurs ni les technologies. Contraint ensuite par la grande complexité des dispositifs nombreux mais nécessaires de soutien à une multitude d’acteurs. Contraint afin par la ferme volonté de donner à nos opérateurs nationaux tous les atouts pour la compétition mondiale.
Encore une fois, les enjeux sont essentiels : il s’agit en effet de garantir l’indépendance éditoriale et même, dans certains cas, managériale des entreprises de télévision vis-à-vis de certains intérêts qui sont étrangers à leur activité. Il s’agit également de préserver le pluralisme. Il s’agit encore de développer une production cinématographique et audiovisuelle française de qualité dans un contexte de remise en cause de tout notre système d’aides par la réglementation communautaire et les négociations internationales. Il s’agit enfin de favoriser la constitution de groupes puissants, capables de se défendre et de se développer sur les marchés européens et mondiaux.
Pour atteindre de tels objectifs, il n’y a pas de solution unique, pas de solution miracle. C’est tout un faisceau de mesures qui doivent concourir ensemble, à assurer n environnement favorable.
A cet égard, je ne pense pas qu’il suffise simplement d’abaisser le seuil maximal de détention, par une même personne ou un même groupe, du capital des entreprises audiovisuelles, pour régler les questions de concentration, de transparence, de pluralisme et d’indépendance. Si une telle disposition peut être considérée comme utile, c’est dans la mesure où elle permettrait de nouveaux partenaires, issus d’autres secteurs de l’économie, de concourir au développement des médias.
Après le constat et l’exposé de la méthode qui a été la mienne, je voudrais maintenant vous donner les grandes orientations du projet de loi que je prépare.
II. – Le projet
J’articulerai mon propos autour de six thèmes. N’attendez pas de moi que je vous fasse des annonces précises sur les mesures qui seront prises dans le cadre de la loi, car la procédure de discussion interministérielle ne sera achevée qu’à la fin du mois. Mais je vois vous dire quel est mon diagnostic et comment j’entends agir.
II/1. – D’abord, la démocratie
Quel est le pouvoir d’un élu face à un groupe industriel qui contrôle son réseau câblé, son réseau d’eau, ses transports, le traitement de ses déchets, la construction de sa salle de spectacles, la réfection de ses voies, et qui en plus dispose d’un média audiovisuel ? Comment faire en sorte que l’industriel qui dispose de toutes ces manettes ne soit pas tenté d’en abuse ? La loi traitera ce problème.
Le risque de collusion entre ceux qui vivent des concessions et des marchés publics et ceux qui les passent doit être évité. S’il a fallu, il y a quinze ans contrôler l’influence des majorités politiques sur un secteur public dominant, et assurer aux journalistes leur indépendance face au pouvoir politique, c’est aujourd’hui l’influence de quelques grands groupes industriels privés qu’il faut contrôler, pour garantir l’indépendance des professionnels de la communication et notamment des journalistes, vis-à-vis des actionnaires de leur entreprise.
Nous allons proposer des solutions vraiment efficaces, pour éloigner les deux mondes, celui des marchés publics et des délégations de service public d’un côté, et celui de la communication, de l’autre. Il y a bien sûr une solution radicale, qui consisterait à interdire à tous les bénéficiaires de marchés de détenir des parts d’une entreprise de communication audiovisuelle. Toutes les télévisions privées sont concernées, et leurs actionnaires principaux devraient céder une partie substantielle du capital qu’ils détiennent.
Mais je ne pense pas souhaitable de bouleverser l’ensemble de notre paysage économique et financier. Le projet de loi comportera des mesures amenant les entreprises de communication à adopter une structure limitant les risques d’une dépendance trop forte vise à vis des intérêts économiques étrangers à leur objet et favorisant la transparence de leur gestion. Un véritable statut de l’entreprise audiovisuelle garantir la séparation entre les fonctions de définition de la stratégie et de contrôle, qui relèvent des actionnaires, et les fonctions de gestion et d’organisation de la programmation que doit assurer la direction de l’entreprise. En complément, sera assurée la transparence des activités de commandes et de marchés publics des groupes exerçant des activités de communication.
II/2. – Adapter notre droit à l’évolution
Le deuxième sujet que nous voulons traiter, c’est l’adaptation de notre droit aux évolutions technologiques et économiques que connaît le secteur audiovisuel.
Nous vivons une révolution beaucoup plus complexe que celle qui a consisté à passer du monopole de la télévision publique à la coexistence entre un très petit nombre d’acteurs publics et d’acteurs privés. Notre droit n’a pas été conçu pour la télévision par satellite, pour la télévision payante, pour les nouveaux services. Nous devons donc créer le cadre juridique adéquat.
Mais je m’empresse de dire que cela ne signifie pas, dans mon esprit, que notre réflexion sur la convergence implique de subordonner l’audiovisuel aux télécommunications. S’il est apparu nécessaire de déréguler le secteur des télécommunications, il n’en va pas de même pour la communication. J’insiste sur ce point, télécommunications et communication relèvent de problématiques différents. Comme certains l’ont dit, un film n’est pas un fax. C’est la raison pour laquelle j’aborde avec la plus grande prudence la question du rapprochement des autorités de régulation des deux secteurs.
Au-delà du clivage réducteur entre contenants et contenus, notre législation doit appréhender la nouvelle réalité des métiers de la télévision.
Les développements en cours modifient les positions relatives des opérateurs et nous conduiront à mieux identifier les fonctions qu’ils assurent dans les systèmes de communication : production, négoce de droits, édition, collecte des ressources publicitaires, gestion des abonnements, diffusion par satellite, par câble ou par voie hertzienne ou exploitation des systèmes d’accès conditionnel.
Il s’agit d’appréhender la diversité des marchés liés à la communication pour mieux les réguler. On pourrait se dire que le droit commun de la concurrence nous donne les outils suffisants pour cela. Je ne le pense pas. Il me semble important de mettre en place un droit spécifique de la communication, dont la clef de voûte est l’autorité de régulation, troisième thème de la réforme.
II/3. – La régulation : renforcer le rôle de l’autorité indépendante
Nous déterminerons les principes généraux permettant à l’autorité de régulation, en liaison avec le conseil de la concurrence, de veiller à ce que sur aucun marché lié à la communication, un acteur ne puisse acquérir une part de marché qui lui permettrait de bloquer le développement du secteur, de ferment l’accès aux nouveaux entrants ou d’abuser de sa position dominante. C’est là un objectif essentiel, qui ne peut être atteint par une simple mesure de plafonnement des parts du capital. Une entreprise peut parfaitement être en position dominante, alors même que son capital est extrêmement dispersé.
Nous chargerons l’autorité de régulation et le conseil de la concurrence d’assurer une surveillance étroite du secteur afin de prévenir les positions dominantes et leurs abus.
C’est dans cet esprit que nous poserons des règles favorisant la circulation des droits de diffusion des programmes. Je pense en effet que la concentration des droits entre les mains de quelques opérateurs à un effet doublement négatif : non seulement elle entrave le développement d’offres concurrents, mais elle limite fortement la rémunération des producteurs, mettant en danger l’avenir de la création audiovisuelle française que les efforts publics des quinze dernières années ont permis de développer. Plusieurs mesures assureront la fluidité du marché par l’interdiction des clauses d’exclusivité sur certains types de contrat, l’interdiction des achats groupés, et la limitation de la durée des droits.
Mais il existera sans doute d’autres segments qui demain seront les marchés clefs du secteur et qu’il faudra pouvoir réguler très vite. C’est bien à une instance régulation à l’autorité renforcée que doit appartenir la fonction de prévenir les blocages du marché. Cette autorité, la loi la renforcera. Sans entrer dans les détails, je crois que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel doit être profondément réformé, pour pouvoir assumer les nouveaux pouvoirs qui devront être les siens, pour remplir l’ensemble des missions en matière de déontologie et de régulation économique, y compris par voie de sanctions, mais aussi en matière de prospective.
II/4. – Garantir l’intérêt du téléspectateur
Le quatrième thème de la réforme est la protection des intérêts du téléspectateur. Une partie des mesures que nous allons prendre a pour objectif de garantir le respect de ses droits.
Nous assurerons bien évidemment la diffusion en clair des chaînes publiques hertziennes sur l’ensemble des bouquets satellitaires.
Nous veillerons à garantir l’accès gratuit du public à la retransmission des évènements d’importance majeure, réalisant ainsi la transposition du droit communautaire en la matière.
Enfin, pour permettre au consommateur de libre choix, à tout moment, des services qu’il souhaite utiliser, les opérateurs devront conformément au droit communautaire, conclure des accords permettant une réelle comptabilité des décodeurs et des systèmes d’accès conditionnel.
Je terminerai mon intervention en vous exposant ma démarche et mon calendrier sur le service public.
II/5. – Le service public
Ma méthode consiste à procéder par étapes : après avoir restauré le budget des sociétés publiques, j’ai engagé la rénovation du secteur public de l’audiovisuel, en commençant, comme le veut la logique, à définir les missions puis la stratégie des opérateurs publics.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à Jean-Louis Missika un rapport sur les missions de service public, sera le début d’une réflexion sur une refonte complète des cahiers des charges.
J’ai, dans le même temps, demandé aux présidents des sociétés de l’audiovisuel public, d’élaborer, avec leur personnel, un plan stratégique d’entreprise pour les trois à cinq ans à venir.
Ces plans mettront vraisemblablement en évidence la nécessité d’une révision de la manière dont l’Etat exerce ce que l’on appelle, pour employer le terme consacré, que je n’aime guère, la tutelle des entreprises publiques.
La grève de France 3 m’a confortée dans l’idée qu’une réforme profonde de l’organisation du secteur public, qui porte aussi sur un système de financement était nécessaire. Je souhaite que cette réflexion sur le finement soit, sinon terminée, du moins bien engagée au début de l’été, lors de la préparation des grandes orientations du projet de loi de finances pour 1999.
Mais, d’ores et déjà, s’impose une réforme de clarification des responsabilités respectives de l’Etat actionnaire et de l’autorité de régulation ainsi qu’une mise en cohérence des structures des sociétés publiques.
II/6. – La transparence
Un mot enfin pour terminer sur un point essentiel pour notre démocratie, la transparence. Ce souci de transparence, se décline sous de multiples formes, et correspondra à différents types de mesures dans la loi : transparence des relations entre le pouvoir économique et les médias, mais aussi la transparence des procédures mises en œuvre pour assurer la régulation du secteur. Nous ferons en sorte que les avis et décisions de l’autorité de régulation soient motivés et publics, dans le cadre d’une procédure véritablement contradictoire.
Comme vous le voyez, les ambitions du gouvernement pour le secteur de la communication sont grandes, à la mesure, me semble-t-il, des besoins. La loi qui sera présentée ici au printemps en traduira une large part dans les faits, mais ce ne sera qu’une étape dans la mise en œuvre de notre politique audiovisuelle. Nous avons encore bien d’autres chantiers à mener, qu’il s’agisse de l’aide à la production et à la distribution des œuvres audiovisuelles françaises, de la coopération avec nos partenaires européens, du développement de nouveaux services, ou encore de l’éducation de tous à l’image et aux nouvelles technologies. Mais il s’agit d’autres sujets, dont nous aurons, Mesdames et Messieurs, l’occasion de reparler. Je vous remercie de votre attention.