Interview de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l’État et de la décentralisation, dans "Le Monde" du 15 avril 1997, sur les relations entre l’État et les collectivités locales, notamment la redistribution des compétences (prévention sanitaire, aides sociales et économiques).

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Circonstance : Déclaration du gouvernement sur les collectivités locales au Sénat le 15 avril 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le Monde : Quel message comptez-vous adresser mardi aux sénateurs et à l’ensemble des élus locaux ?

Dominique Perben : Nous sommes, globalement, dans une époque de budgets stables : les élus doivent en prendre acte et avoir conscience de la nécessité de réformes de structures pour valoriser, à moyens constants, les possibilités des collectivités locales. Il leur faudra aussi, très probablement, s’interroger sur un redéploiement de leurs moyens. Notre système implique maintenant des choix politiques parfois plus difficiles.

Le Monde : Que voulez-vous dire ?

Dominique Perben : On ne peut pas indéfiniment surajouter des politiques à d’autres. Il faut, à un moment donné, s’interroger sur les attentes de nos concitoyens : ne convient-il pas de diminuer certaines prestations, d’abandonner certaines actions au profit d’autres ? Le contribuable, plutôt que l’usager, doit-il toujours payer ? Une réflexion sur le contenu des politiques menées et leur financement est nécessaire, si on veut éviter le goulet d’étranglement d’une fiscalité en voie de stabilisation.

Le Monde : Il faut rebattre les cartes ?

Dominique Perben : Tout le monde est obligé de rebattre les cartes. L’État y a été contraint, les collectivités locales le seront aussi. Mais, je suis bien conscient que le « pacte de stabilité » sur les recettes – en vigueur pour un an encore – implique, à l’évidence, que l’État fasse aussi un effort de stabilité quant aux dépenses qu’il peut imposer aux collectivités ; faute de quoi, on les met, de fait, dans un étau.

Le Monde : Pouvez-vous donner une illustration concrète de ces remises en cause ?

Dominique Perben : Il y a une vingtaine d’années, de nombreuses communes ont mis en place des politiques d’accompagnement pour le troisième âge, qui passaient par des structures comme le restaurant de quartier ou le foyer-logement. Très souvent, elles existent encore, alors que les clientèles fondent comme peau de chagrin. Les besoins des personnes du troisième et du quatrième âge sont aujourd’hui complètement différents : il s’agit de lits pour personnes dépendantes et du maintien à domicile. On ne peut pas, à la fois, avoir une politique dynamique de maintien à domicile et conserver des structures correspondant à la situation sociale des années 70. Les frais de repas pour personne âgée peuvent atteindre 500 francs par tête, si l’on intègre l’ensemble des coûts ! Est-ce bien raisonnable ? Une situation de budget constant impose un travail de tri dans les prestations.

Le Monde : Vous dites donc aux élus : « Faites un effort d’imagination pour vous adapter à une rigueur qui va durer » ?

Dominique Perben : Oui, mais pas d’une manière paternaliste, comme vous semblez le dire : je suis un élu moi-même, je connais la difficulté de la tâche !

Le Monde : La réforme de l’intercommunalité, qui va faire l’objet d’un projet de loi, figure-t-elle parmi les réformes de structure que vous évoquez ?

Dominique Perben : Avec le développement de l’intercommunalité, je propose un moyen d’économiser les énergies. Les dispositifs prévus devraient nous permettre, bientôt, de parachever la couverture du territoire par des structures capables de faire avancer ce débat sur le choix des priorités.

Le Monde : Souhaitez-vous de nouvelles avancées de la décentralisation ?

Dominique Perben : Nous ·avons un réel problème sur les compétences. L’approche transversale – « remettons à plat l’ensemble des compétences pour éviter les superpositions » –· est une voie sans issue. En revanche, je crois très utile d’agir sur des sujets « verticaux », et j’en vois deux : le secteur social et sanitaire, qui touche surtout l’État et les départements, et l’économie.

L’aide sociale et la prévention sanitaire constituent un domaine difficile, parce qu’elles mobilisent des masses financières considérables. Dans les années à venir, il faudra, globalement, rendre à l’État les compétences en matière de prévention sanitaire et, en revanche, développer la responsabilité des départements sur le plan social. Nous allons effectuer un premier pas avec la loi de lutte contre l’exclusion (lire page 7) et le retour à l’État de la compétence pour la lutte contre la tuberculose. Il faut faire les choses assez progressivement. Mais cette évolution me paraît indispensable, y compris en termes d’économie de moyens. Il n’y a rien de pire que les systèmes de codécisions : c’est le guichet ouvert.

Quant aux aides économiques des collectivités, nous sommes dans un système absurde, où des pratiques illégales sont tolérées et où des pratiques dites légales ne sont plus tout à fait pertinentes. La loi fait également la différence entre aides directes et indirectes, ce qui n’a aucune signification. Mon idée est de repréciser les choses, en développant ce qu’on appelle l’intermédiation.

Le Monde : C’est-à-dire ?

Dominique Perben : Il s’agit de l’action à travers des sociétés de garantie et des sociétés de capital-risque, qui permettent une gestion professionnelle des dossiers, dans le cadre d’une décision politique. Il s’agit aussi de développer un système de plafonnement du risque global pris par la collectivité, dans le cadre de ses aides aux entreprises.

Le Monde : Quel est votre calendrier ?

Dominique Perben : Je compte formuler des propositions en 1997. Elles déboucheront nécessairement sur des textes législatifs qui, je l’espère, pourront être votés avant les élections législatives. L’attente dans ce domaine est forte. C’est aussi le cas pour la remise en ordre des relations entre les collectivités locales et les sociétés d’économie mixte. Nous mettons au point un projet permettant de clarifier les rôles et de limiter les risques de l’actionnaire public.

Le Monde : Les élus locaux ont plutôt mauvaise presse, au sens littéral du terme. S’agit-il seulement d’un « effet loupe » ?

Dominique Perben : L’effet loupe est évident, mais aussi l’effet d’« adolescence » : quinze ans – l’âge de la décentralisation – en termes institutionnels, ce n’est rien. Si des dérapages ont été enregistrés, je n’ai pas constaté d’illégalités ou d’irrégularités de la part de la grande majorité des élus. En revanche, les citoyens manifestent un fort attachement aux collectivités locales, en particulier au pouvoir municipal. Il s’agit d’améliorer la transparence – la simplification de l’intercommunalité va dans ce sens. J’évoquais l’aide aux entreprises : nous avons besoin d’une réglementation claire, intelligible, pour que les élus soient aussi dans un système « sécurisé ».

Leur problème est d’abord de répondre à l’attente de leurs concitoyens. Parfois, cela les amène, en toute honnêteté, à prendre des risques, par méconnaissance du droit, ou par insuffisance de précision du droit lui-même. La suppression du contrôle a priori de l’État sur les collectivités locales est un progrès incontestable, en termes de libertés publiques. Mais elle n’est pas sans conséquence, quant aux risques que courent aujourd’hui les élus.