Texte intégral
LE PARISIEN – 5 janvier 1998
Q. - Le Conseil constitutionnel vient d'indiquer que la ratification du traité d'Amsterdam (appelé à remplacer celui de Maastricht) imposait, au préalable, une révision de la Constitution française. Réclamer pour cela, comme vous le faites, un référendum, n'est-ce pas prendre le risque de ressusciter la bagarre entre pro et anti-Maastricht ?
Robert Hue. - Puisqu'il faut réviser la Constitution, c'est, selon moi, au peuple de trancher. C'est en effet de lui, et de lui seul, que procède la souveraineté nationale. C'est un principe fondateur de la République. Il doit être respecté. D'autant que les Français sont peu et mal informés de ce qui se prépare en Europe. Or d'importantes décisions sont prises par les responsables européens. Elles vont souvent au-delà des dispositions arrêtées par les traités déjà ratifiés. Et elles engagent l'avenir du pays et des peuples de façon contraignante : c'est le cas avec l'euro et le « pacte de stabilité ».
Comment accepter que tout cela se décide loin des citoyens, sans leur avis ? Il ne s'agit pas de « ressusciter » telle ou telle bagarre passée. Il s'agit que les Français puissent se prononcer eux-mêmes, en toute connaissance de cause. Je n'imagine pas que qui que ce soit puisse craindre leur jugement.
Q. - Pourquoi souhaitez-vous rencontrer Jacques Chirac ?
R. - Parce que, en novembre 1994, alors qu'il était candidat à l'élection présidentielle, il avait annoncé qu'il proposerait, s'il était élu, un référendum sur l'euro. La lettre que je lui ai écrite lui sera portée à l'Elysée ce lundi.
Q. - Et Lionel Jospin ?
R. - Je vais, bien sûr, le rencontrer comme nous le faisons régulièrement. Notre tête-à-tête, dont le principe est acquis, aura lieu dans les tout prochains jours.
Q. - Si Jacques Chirac et Lionel Jospin préféraient réunir le Parlement en Congrès à Versailles, en laissant la parole aux seuls députés et sénateurs, quelle serai l'attitude des élus communistes ?
R. - Nous jugerions, comme chaque fois, sur pièces. Quelles réformes de la Constitution seront proposées ?
Jacques Chirac affirme qu'elles seraient de peu d'importance. On dit, par ailleurs, que certains au gouvernement souhaiteraient mettre à profit cette opportunité pour proposer des réformes plus vastes dans d'autres domaines. Par exemple, au sujet du cumul des mandats. Nous estimons, nous, que nos institutions doivent être modifiées, pour les moderniser. Il faut accorder, en effet, des droits nouveaux (d'information, de proposition, de décision) à tous les citoyens. C'est pourquoi une telle réforme appelle un grand débat national, à la hauteur de l'enjeu.
Q. - Dès vendredi, Daniel Vaillant, ministre PS des Relations avec le Parlement, a dit : pour le référendum, c'est non...
R. - Je suis convaincu que Lionel Jospin accordera la plus grande attention au débat qui va s'amplifier dans le pays. Nous en débattrons d'ailleurs avec les dirigeants socialistes, au début de février, lors d'un colloque qui sera consacré justement à cette question cruciale de la réorientation de la construction européenne.
Q. - Considérez-vous, comme Charles Pasqua, que le traité d'Amsterdam va encore plus loin que celui de Maastricht en matière d'abandon de parts de la souveraineté nationale ?
R. - C'est évident Nous avions d'ailleurs fait part de nos craintes quand le gouvernement, avec la pression du président de la République et des milieux européens, a accepté ce traité. Permettez-moi d'ajouter une chose qui me tient à coeur : c'est au nom des valeurs de la gauche et, plus généralement de celles de la République que je n'entends pas abandonner le terrain de la souveraineté nationale à la démagogie d'un Le Pen ou d'un Mégret.
Q. - S'il devait y avoir référendum souhaitez-vous que les Français se prononcent à nouveau sur l'ensemble du processus de construction de l'Europe ?
R. - De fait, oui. On me dira qu'ils se sont déjà prononcés lors du référendum sur Maastricht. Mais, depuis, bien des décisions ont été prises, qui n'étaient pas prévues et qui renforcent les contraintes s'opposant à la mise en oeuvre de la politique nouvelle de progrès social et humain qu'ils ont souhaitée par leur vote de mai et juin derniers. Veut-on confirmer et accentuer les orientations actuelles qui placent l'Europe sous la domination des marchés financiers, subordonnant tout à leurs exigences ? Ou bien va-t-on réorienter cette construction vers une Europe sociale, où l'argent irait à l'emploi ?
Q. - Le PC accepte-t-il que, dans certains domaines, les dirigeants des Etats européens votent à la majorité, et non plus à l'unanimité ?
R. - Je suis favorable au vote à la majorité dans certains domaines, mais avec une « clause de sauvegarde ». Car l'Europe n'est pas un super-Etat. Et il ne serait ni acceptable ni réaliste de vouloir imposer à notre peuple des conceptions politiques ou sociales contraires à l'intérêt du pays. Pour nous, l'Europe est une communauté de nations qui veulent bâtir pacifiquement et démocratiquement un projet commun. Nous ne voulons pas bloquer ce système. Mais si l'on veut imposer de force des choix contraires à ceux des peuples, on va à l'échec.
Q. - Depuis longtemps, vous aviez prévu d'organiser à Paris le 18 janvier une grande manifestation contre la monnaie unique, en réclamant déjà sur ce sujet l'organisation d'un référendum. Si Lionel Jospin n'accède pas à votre demande, quelles conséquences en tirerez-vous ?
R. - La manifestation du 18 janvier aura deux objectifs liés : réclamer une vraie réorientation de la construction européenne, exiger un référendum. Elle ne sera pas un aboutissement, mais un point de départ.
Q. - Lors du dernier Conseil des ministres, le commissaire au Plan, le séguiniste Henri Guaino, pourtant soutenu par plusieurs personnalités de gauche, a été limogé au profit du jospiniste Jean-Michel Charpin. Guaino, dans « le Monde », assure que son éviction est « une nouvelle manifestation du triomphe de la pensée unique ». Le PC ferait-il partie d'une majorité maastrichtienne ?
R. - Je dois dire que ce qui s'est passé avec M. Guaino me laisse une impression de malaise. Au moment où, à bien des égards, la technostructure apparaît comme sourde à la société et incapable depuis des années de répondre à ses attentes, je trouverais dommageable qu'on se prive des compétences d'un homme qui a su faire preuve d'indépendance d'esprit. En tout cas, même s'il parle, à propos de son éviction, d'« une nouvelle manifestation du triomphe de la pensée unique », M. Guaino, que j'ai eu l'occasion de rencontrer, ne pense sûrement pas un seul instant que le Parti communiste y serait impliqué, ni que les communistes seraient devenus « maastrichtiens » !
Q. - Lors de l'examen in première lecture du projet Guigou sur la réforme du Code de la nationalité, le PC a choisi de s'abstenir. Or l'on murmure que vous souhaitiez, vous, un vote positif...
R. - C'est l'attitude du gouvernement refusant de prendre en compte les propositions des députés communistes pour améliorer le texte initial qui a rendu impossible un vote positif de notre groupe. Je le regrette.
Q. - Comment expliquer la nouvelle abstention des députés PC, cette fois sur le projet Chevènement consacré à l'immigration ? N'êtes-vous pas en train de réinventer la pratique du « oui mais », qui mène ensuite, tôt ou tard, au non clair et net ?
R. - Le projet ne prévoit pas, comme nous le souhaitons, l'abrogation des lois Pasqua-Debré... Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les élus communistes, constatant à nouveau que leurs propositions n'étaient pas assez prises en compte, en ont donc tiré les conséquences. Je l'ai dit récemment à François Hollande : nous avons à inventer ensemble un mode d'existence original de la majorité plurielle, ou la solidarité doit être fondée sur l'apport de tous, et non sur l'alignement sur les positions d'un parti dominant.
Q. - Du bilan des sept premiers mois du gouvernement Jospin, diriez-vous qu'il est globalement positif ?
R. - Cette expression ne fait pas particulièrement partie de mon vocabulaire !... Le plan emplois jeunes, c'est bien. Les 35 heures aussi. Mais ce qui est à l'ordre du jour, et qui devient urgent, c'est d'engager de grandes réformes structurelles : pour orienter l'argent vers l'emploi plutôt que vers la finance ; pour faire payer davantage les grandes fortunes : pour avoir une politique du crédit qui aide les PME-PMI, etc. Ne pas engager ces réformes, ce serait revenir en arrière sur les premières avancées réalisées en 1997.
Q. - Le PC est très actif dans le soutien aux revendications des chômeurs. Mais y a-t-il encore de l'argent dans les caisses de l'Etat ?
R. - Je ne me résoudrai jamais à accepter l'exclusion de millions d'hommes et de femmes, pris dans un engrenage destructeur et se démenant dans les pires difficultés, tandis que d'autres consacrent l'argent privé, et public à la spéculation financière. C'est pourquoi nous, communistes, sommes actifs, et le resterons, au côté des chômeurs qui luttent pour le respect de leur dignité. Et puis l'argent existe : il y en a dans les caisses de l'Unedic. Les détenteurs de grandes fortunes pourraient, par ailleurs, être sollicités. Ce ne serait que justice, et eux ne risqueraient pas pour autant de se retrouver sur la paille ! Il faut tout de même se rendre compte que le coût global des revendications des chômeurs représente à peine 4 % du trou total du Crédit lyonnais... J'avais, dès les premiers jours, appelé le gouvernement à entendre les chômeurs. Je me réjouis donc des premières mesures que viennent de prendre Martine Aubry et Jean-Claude Gayssot. Naturellement, il convient d'aller plus loin. Et je tiens à le dire : il faut poursuivre le dialogue avec les chômeurs, dans le respect de la légitimité de leur mouvement.
Q. - Le projet des 35 heures est-il destiné à ceux qui ont déjà un emploi ou bien à ceux qui en cherchent ?
R. - Les 35 heures sont à mes yeux, une grande question de société. D'un côté des millions de chômeurs et de précaires vivent dans la détresse et l'angoisse ; de l'autre, des millions de salariés n'en peuvent plus d'un travail qui leur interdit une vie personnelle et familiale normale. Cette situation est devenue proprement insupportable. La réduction de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures peut aider à la corriger. Elle peut permettre également la création d'emplois. Mais à une double condition : son application doit intervenir rapidement et sans diminution de salaire. Cela dit, la création d'emplois en nombre significatif exige, je le répète, des mesures structurelles qui restent à prendre Ne nous le cachons pas : cela va demander effort et mobilisation.
Q. - Etes-vous prêt à dialoguer publiquement avec les dirigeants du Front national ?
R. - Il n'y a pas de dialogue possible avec un homme et un parti dont le fonds de commerce politique est la haine, le rejet de l'autre, le mépris de la démocratie. Beaucoup de nos concitoyens sont exaspérés par la crise actuelle. Ils n'en peuvent plus de la violence qui leur est faite par la société. Ils ne supportent plus les promesses non tenues. C'est ce désarroi, cette colère que le FN veut capter à son profit. Eh bien, les communistes veulent contrecarrer cette récupération insupportable. Et ils se fixent cette mission salutaire : faire reculer Le Pen et le FN.
Q. - … en tentant de reconquérir les électeurs qui se sont « égarés » là ?
R. - Absolument. Il y a, dans l'électorat du FN, tout comme dans l'abstention, des hommes et des femmes, nombreux, qui peuvent et doivent retrouver le chemin d'un vote républicain.
Source : L'HUMANITE – 19 janvier 1998
LE secrétaire national a prononcé un discours à l'issue de la manifestation. Larges extraits.
« Paris est bien aujourd'hui : une capitale européenne ! D'abord parce que vous êtes venus si nombreux de toute la France dans une impressionnante : et vivante diversité pour dire « l'Europe c'est notre affaire ! »
(...) Si le Parti communiste a décidé d'organiser cette manifestation à Paris aujourd'hui, avec le soutien du Mouvement des citoyens, c'est pour affirmer qu'on ne peut décider du devenir de la France, de l'avenir de l'Europe sans vous consulter. Et pour dire avec autant de clarté que pour construire l'Europe qui réponde aux attentes et aux besoins des peuples, il faut la transformer, il faut la changer profondément. Il faut la réorienter. C'est cela aujourd'hui pour nous être euroconstructifs.
Construire l'Europe, nous sommes pour résolument pour. Mais quelle Europe ? (...) Une Europe qui refuse que notre planète soit le champ de bataille d'une guerre où les marchés financiers et les pays les plus puissants sacrifient les hommes et les nations aux dogmes, de l'argent-roi. (...)
Oui, cette Europe sociale, démocratique, pacifique, il faut cesser d'en parler, il faut la faire. Car, de déception en déception, l'Europe est trop souvent devenue synonyme de chômage, de déréglementations, de mise en concurrence des salariés, des paysans synonymes de technocratie, synonyme de contraintes budgétaires, de coupes dans les budgets sociaux. Or, n'est-ce pas tout cela qui a été rejeté par une majorité de Français lors des élections de juin ? Pour réussir le changement tant attendu par les Françaises et les Français, nous avons besoin de réorienter l'Europe en faveur du social, de l'emploi d'une autre utilisation de l'argent. Nous avons besoin de desserrer les contraintes européennes.
J'en prendrai pour seul exemple celui si éclairant des réponses à apporter au mouvement des chômeurs, notamment par une augmentation significative des minima sociaux. Et pour y répondre - car il faut répondre aux chômeurs - il faudra bien desserrer l'étau de la marche à. L'euro.
A cet égard, 1998 va être une année, charnière, avec les décisions concernant l'euro, avec la ratification du traité d'Amsterdam (...) Mais comment ignorer les contraintes brutales du pacte de stabilité imposé à Amsterdam, et qui prétend enfermer les budgets dans une austérité à perpétuité ? Comment ignorer les analyses qui démontrent que la monnaie unique va décupler la concurrence entre les économies et les salariés en supprimant les protections qu'offrent les monnaies, les fiscalités, las réglementations nationales ? Faut-il rester sourd à ceux qui s'inquiètent des pouvoirs exorbitants accordés à la Banque centrale européenne de Francfort, et qui n'aurait de comptes à rendre qu'aux marchés financiers ? Qui déciderait alors des politiques sociales ? Que deviendrait le choix des électeurs ? Les questions, les inquiétudes sont là. Il faut y répondre. (...)
Avec le débat sur la monnaie unique se trouve posé le débat sur l'orientation de l'Europe, sur l'utilisation de l'argent. Pour les marchés financiers ou l'emploi, pour la guerre économique ou pour des coopérations. (...) Le Parti communiste est favorable à des institutions communes, à une véritable coopération monétaire, mais respectueuses de la souveraineté, et pour s'attaquer à la logique de l'argent pour l'argent. Une véritable monnaie commune, mais articulée sur les monnaies nationales. (…) L'euro (…) ce sera un big-bang économique et politique, nous dit-on ! Le Conseil constitutionnel relève dans le traité d'Amsterdam, la mise en cause de la souveraineté nationale. Et l'on pourrait prendre de telles orientations sans que les Français soient consultés directement par un référendum ? (...)
Des centaines de milliers de pétitions ont été signées pour le réclamer. Et le président de la République, alors qu'il était candidat, en 1994, en avait pris l'engagement. Dans les jours qui viennent je rencontrerai Jacques Chirac. En lui faisant part directement de notre demande de référendum, je ne manquerai pas de lui rappeler cette promesse. (...) Nous n'avons qu'un objectif : permettre chacun dans notre pays de prendre part au grand débat démocratique sur la réorientation de l'Union européenne. Réussir le changement en France. Réussir l'Europe. Telle est notre ambition.
(...) Les choses ont commencé à bouger, dans tous les pays, Face à l'eurochômage, on a assisté aux premières eurogrèves, à des euromanifestations. Les premiers effets s'en font sentir. Regardez comment, à l'initiative de la France, à Luxembourg, les dirigeants européens ont finalement mis l'emploi à l'ordre du jour comme une priorité. (...) Ce n'est pas le moment de relâcher l'effort. On ne fera pas l'Europe sociale, l'Europe de la démocratie, l'Europe de la paix sans l'intervention des peuples. (...)»
JOURNAL DU DIMANCHE – 19 janvier 1998
Q. - Le PCF organise ce dimanche une manifestation anti-euro, qu'en attendez-vous ?
R. - Permettez-moi de rectifier quelque peu votre formulation. Le but premier de la manifestation d'aujourd'hui est d'exprimer la demande d'un référendum. La consultation des citoyens doit porter sur deux transformations majeures de la construction européenne : d'abord, le « grand saut » dans le système de la monnaie unique avec abandon du franc, ensuite, la ratification du traité d'Amsterdam qui comporte un risque d'abandon de souveraineté. L'autre objectif de cette manifestation est de réclamer une réorientation de la construction européenne pour que l'emploi devienne réellement la priorité des priorités et pour que l'argent - qui ne manque pas en Europe ! - aille moins à la finance et davantage à la promotion des hommes et des femmes. Notre conviction est qu'une toute autre coopération monétaire que l'euro est nécessaire pour aller dans ce sens.
Q. - Le PCF participe à un gouvernement qui s'est engagé à fond pour l'euro, n'est-ce pas contradictoire et ne craignez-vous pas de gêner Lionel Jospin à un moment où les difficultés apparaissent ?
R. - PCF et PS ont eu l'honnêteté de rappeler leur différence d'approche sur Maastricht avant les élections, mais nous avons affirmé dans le même temps notre volonté commune de « réorienter la construction européenne » dans le sens que je viens de souligner. Lionel Jospin lui-même a déclaré que s'il s'avérait qu'il y a contradiction entre les aspirations des Français et les engagements européens de la France, il exposerait le problème aux citoyens pour qu'ils l'aident à trancher. Notre démarche peut contribuer à éviter de sérieux malentendus avec une partie de noire peuple.
Q. - Jacques Chirac va vous recevoir, pensez-vous réussir à mieux le convaincre que Lionel Jospin sur l'opportunité d'un référendum sur le traité d'Amsterdam ?
R. - Je rappellerai au Président qu'il s'est personnellement engagé, durant la campagne présidentielle, à organiser un référendum avant le passage ou non à la monnaie unique. Je me ferai, plus généralement, le relais de cette grande exigence de citoyenneté qui monte de la société. Une exigence que l'actuel mouvement des « privés d'emplois » exprime à sa manière avec beaucoup de force et de dignité.