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Le Figaro-Economie : Où en est actuellement la réforme de l’État ? Cette priorité du Président de la République semble faire les frais du climat social ?
Dominique PERBEN : Je ne partage pas cette opinion. Il existe une véritable volonté politique de mener à bien cette réforme. L’enjeu est fondamental : il s’agit de définir l’architecture de l’administration et de l’État au XXIe siècle, dans une Europe unie et dans une France de plus en plus décentralisée. Mais il est vrai qu’une telle réforme ne peut pas se faire six mois. Tout projet ambitieux, qui entraîne de profondes évolutions structurelles, demande nécessairement du temps.
Je crois néanmoins que nous sommes arrivés à une phase de décision. On n’a pas le droit d’attendre. Les Français ont droit à cette réforme de l’État, notamment pour rapprocher l’administration du terrain. Je vais deux fois par semaine en province et j’observe que ce pays est capable à la base d’initiative et de changement. Mais, face à l’ingéniosité des responsables locaux, je constate que l’administration d’État, très centralisée, est incapable d’accompagner le changement.
Le Figaro : Un comité interministériel se réunira aujourd’hui à Matignon pour annoncer une série de mesures en matière de déconcentration. Lesquelles ?
Dominique Perben : Ce comité interministériel, le second après celui du 29 mai qui a posé les grands principes de la réforme, doit être consacré essentiellement à la déconcentration financière et à la gestion des personnels. Un point sera également fait sur la réorganisation des services extérieurs de l’État.
L’objectif est simple : il faut donner une plus grande responsabilité aux préfets pour qu’ils puissent devenir de véritables partenaires des acteurs locaux, responsables politiques et chefs d’entreprises. Le gouvernement va ainsi permettre aux préfets de « globaliser » leurs moyens d’intervention. Par exemple, dans le domaine de l’emploi, il n’y aura plus de crédits ciblés, selon chaque type d’aides (RMI, CES, contrats villes, etc.), mais une enveloppe globale que le préfet pourra utiliser selon les priorités de son département. Une telle réforme peut paraître technique. Elle pose pourtant une question importante en termes de pouvoir. C’est d’ailleurs pourquoi les ministères freinent généralement toute déconcentration de crédits qui remet en cause leur pouvoir.
En ce qui concerne la gestion des personnels, le comité devrait décider la mise en place d’instances de concertation au niveau local et favoriser aussi les rapprochements de corps (notamment en facilitant les mises à disposition au niveau local). Enfin, je ferai le point sur l’étude de faisabilité que j’ai demandée à sept préfets sur la réorganisation des services territoriaux. L’organisation actuelle de l’État remonte à 1964 et la structure est obsolète. Aujourd’hui, il est rare qu’un dossier ne concerne pas plusieurs services. Il faut revoir cela.
Le Figaro : Que propose le rapport des préfets ?
Dominique Perben : Il n’y a pas vraiment de solution unique. Les réponses proposées diffèrent selon les départements. Par exemple, une équipe de préfets propose de fusionner les directions départementales de l’équipement (DDE) et de l’agriculture (DDA). Une autre suggère au contraire de ne rapprocher que les services chargés de l’aménagement et de conserver les DDA pour la politique agricole européenne. Le comité interministériel devrait décider la mise en place d’expériences de réorganisation grandeur nature dans quelques départements.
Le Figaro : A l’échelon central, la réforme de l’État ne prévoit-elle pas la réduction du nombre de directions de ministères ?
Dominique Perben : Les ministres m’ont envoyé un projet de réforme des services de leur ministère.
Le Figaro : Comment jugez-vous ces projets ?
Dominique Perben : Je crois qu’un certain nombre de ministères n’ont pas encore pris conscience de la nécessité de fonctionner autrement et n’ont pas compris l’importance de la déconcentration de leur responsabilité. Il faut diminuer le nombre de directions au sein de chaque ministère pour éviter les doublons, les cloisonnements administratifs, les paralysies. Il faut aussi réduire le nombre de fonctionnaires dans les ministères et les redéployer dans les services déconcentrés. Il y a 40 000 fonctionnaires en théorie dans les administrations centrales. En vérité, ils sont 70 000. C’est trop.
Le Figaro : Comment les agents vous semblent-ils attendre ces réformes ?
Dominique Perben: Je crois que depuis un an, le climat social s’est nettement améliorer dans la fonction publique. Les fonctionnaires, contrairement à une idée reçue, attendent des réformes. Ils souffrent sur le terrain de leurs faibles capacités d’initiatives et de la complexité des structures. Ils veulent une meilleure organisation.
Le Figaro : Néanmoins, les grandes grèves de novembre-décembre 1995 ont mis en évidence l’incapacité de l’État à proposer des réformes de fond sans susciter l’opposition des agents ?
Dominique Perben : Il faut peut-être poser le problème autrement. Est-ce que le « mal-vivre » des agents ne résulte pas d’un mauvais fonctionnement de l’administration ?
Le Figaro : Quand allez-vous ouvrir des négociations salariales ?
Dominique Perben : Les responsables administratifs et syndicaux sont conscients de la difficulté d’une telle négociation dans le contexte budgétaire actuel. Mais il est clair que le gouvernement ne veut pas renouveler en 1997 le blocage de l’indice des traitements. Nous ouvrirons une négociation salariale fin décembre.