Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la justice, sur le projet de loi "renforçant la prévention et la répression des atteintes sexuelles sur les mineurs et des infractions portant atteinte à la dignité de la personne", notamment l'obligation de suivi médical des condamnés, à Paris le 20 novembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse sur le thème "Agir pour la protection des enfants maltraités" à Paris le 20 novembre 1996

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, je vais vous présenter la partie, je dirais, strictement juridique et judiciaire du programme gouvernemental.

Xavier Emmanuelli, ensuite, replacera ces projets de textes dans l’ensemble du programme gouvernemental qu’il vous exposera, et il relatera aussi une action essentielle qui est celle de l’aide aux victimes, qui relève en partie du ministère de la Justice, mais qu’il replacera dans l’ensemble du dispositif, après que je vous ai présenté le dispositif proprement législatif que nous allons mettre en place.

Je dis toute de suite, pour préciser les choses, que les textes dont je vais parler sont actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État, d’une part, et, d’autre part, pour avis, au Comité national d’éthique et à l’Ordre national des médecins.

Il s’agit simplement de tenir compte d’une réalité qui est la suivante, c’est que les auteurs de délits ou de crimes sexuels sont naturellement punis par la loi pénale, avec des peines privatives de liberté, mais qu’ils sont, dans beaucoup de cas, atteints de troubles de la personnalité, ce sont des malades. Et si l’on veut éviter la récidive, il ne convient donc pas seulement d’exercer la répression par la peine privative de liberté, par l’emprisonnement, il faut aussi s’attaquer à ces troubles de la personnalité de manière que la pulsion, l’acte qui conduite au délit ou au crime ne puisse se reproduire ou en tout cas qu’il y ait les plus grandes chances possibles pour l’exclure ou l’atténuer. C’est tout le fondement de cette action et vous savez que depuis quelques années, plusieurs rapports officiels, Madame Cartier, le docteur Balier, le docteur Lamperrière, par exemple, ont posé, si j’ose dire, ce diagnostic et préconisé cette thérapeutique judiciaire et sociale.

Nous proposons donc, premièrement, d’instaurer une peine complémentaire de suivi médico-social ; deuxièmement, de mieux protéger les enfants contre la pornographie et la pédophilie ; troisièmement, de réprimer, encore plus sévèrement que cela n’a été fait dans la loi de 1994 que tout le monde connaît, le tourisme sexuel.

Quant à la peine complémentaire de suivi médico-social, je veux être extrêmement précis, car naturellement nous touchons, là, des domaines très délicats où la liberté individuelle, la déontologie médicale le disputent à l’intérêt général que nous voulons servir et qui est la dignité des enfants, comme vient de le dire le Premier ministre.

D’abord, quelle est cette peine et comment est-elle prononcée ?

Le tribunal ou la juridiction criminelle qui aura à juger le délinquant ou le criminel pourra décider que le condamné sera soumis, sous le contrôle du juge de l’application des peines et des comités de probation et d’assistance aux libérés, à des mesures de surveillance et d’assistance comportant notamment une injonction de soins. La durée maximum de ces obligations, et notamment l’injonction de soins, pourrait être fixée, selon le projet de loi, à 5 ans lorsqu’on est dans le cas d’un délit, à 10 ans lorsqu’on est dans la situation d’un crime. Ce délai commencerait à courir à partir de la libération du condamné qui aura purgé sa peine d’emprisonnement.

Dans le jugement de condamnation, le tribunal ou la juridiction criminelle fixera également la durée maximum de l’emprisonnement que devra subir le condamné s’il ne respecte pas l’obligation de suivi médico-social. Cette peine d’emprisonnement supplémentaire pourra aller jusqu’à deux ans en matière de délit et cinq ans en matière de crime. Dans le cas où l’obligation n’est pas respectée, c’est le juge de l’application des peines qui mettra en œuvre cet emprisonnement, décidé avec condition suspensive en quelque sorte par la juridiction de jugement, pour sanctionner le fait de ne pas avoir respecté l’obligation de suivi médico-social.

Quatrièmement, cette peine sera encourue pour l’ensemble des agressions sexuelles ou pour les crimes commis en même temps que l’une de ces agressions ainsi que pour les atteintes sexuelles commises sans violence sur des mineurs. Comme toutes les peines complémentaires, la peine de suivi médico-social pourra être prononcée en matière correctionnelle à titre de peine principale, et ceci est extrêmement important. Cela veut dire qu’un délinquant pourra ne pas être condamné à la prison qui, d’une certaine façon, « ne sert à rien », mais en revanche, pourra être condamné, à titre de peine principale, au suivi médico-social qui, lui, pourra permettre que peut-être il ne récidive pas.

Et, enfin, naturellement, ceci est extrêmement important, cette peine ne pourra être prononcée qu’après une expertise médicale qui indiquera que cette peine peut effectivement servir au condamné, c’est-à-dire que le condamné est apte à subir ce traitement médical. Pour ce condamné, ce jugement, dont je viens de donner les caractéristiques selon notre projet de loi, se traduira par une obligation de suivi médical et par une obligation de suivi social.

Le suivi médical s’analyse de la manière suivante : le juge de l’application des peines désignera un médecin coordinateur choisi sur une liste de médecins agréés. Ce médecin coordonnateur demandera au condamné de choisir avec son accord un médecin traitant. Et ce médecin coordonnateur rendra compte au juge de l’application des peines du respect de l’obligation. Le juge de l’application des peines pourra d’ailleurs ordonner des expertises à intervalles régulières afin de mesurer l’évolution du condamné.

Pendant la période d’incarcération, le condamné, c’est-à-dire, avant d’être libéré, ne sera pas soumis à une obligation de soins. Je rappelle qu’en prison le principe veut qu’il n’y ait pas d’autres obligations que celle d’être privé de liberté, si j’ose dire, c’est un principe absolu. Vous savez que le travail pénal et autres activités ne sont jamais obligatoires en prison. Donc, dans la même ligne de principe, le suivi médical ne sera pas obligatoire. Mais depuis que la médecine pénitentiaire est devenue une médecine de droit commun, c’est-à-dire, depuis la mise en place, en 1995, de la loi de 1994 sur la médecine pénitentiaire, nous avons beaucoup développé, en particulier à travers les services médico-psychologiques régionaux, ils sont 24, l’incitation aux soins, le traitement médico-psychologique des condamnés et, je crois d’ailleurs, les médecins de la médecine pénitentiaire peuvent le dire, que nous commençons à obtenir des résultats très appréciables à cet égard.

En répondant à vos questions tout à l’heure, je pourrai préciser éventuellement les choses et, notamment, sur la liaison indispensable entre le suivi non obligatoire à l’intérieur de la détention et le suivi obligatoire après la libération.

Le condamné sera aussi obligé à un certain suivi social très important, en dehors de toutes les obligations qui, aujourd’hui font partie de ce qu’on appelle le « sursis » avec mise à l’épreuve. Il y a des obligations spécifiques qui pourront être mises à la charge du condamné. S’abstenir de fréquenter ou d’entrer en relation avec certaines personnes ou certaines catégories de personnels, et notamment des mineurs. Et ne pas exercer une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact régulier avec des mineurs.

Voilà pour ce qui concerne l’obligation de suivi médico-social qui est la principale innovation, comme l’a dit le Premier ministre tout à l’heure, des projets du Gouvernement. Mais, nous avons aussi décidé, dans le cadre du Code pénal et du Code de procédure pénale actuel, de mieux protéger les mineurs contre la pornographie et contre la pédophilie.

Premièrement, en renforçant les interdictions relatives aux matériels pornographiques qui mettent en scène des mineurs. Nous allons élargir le délit de diffusion de l’image à caractère pornographique de mineurs et notamment l’étendre aux images virtuelles d’un mineur.

Deuxièmement, nous allons incriminer, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, la détention, même à titre privé et en l’absence d’intention de diffusion, d’images de mineurs présentant un caractère pornographique. Nous allons créer une circonstance aggravante qui consistera dans l’utilisation d’un service de communication, c’est-à-dire en pratique internet ou le minitel, pour rentrer en contact avec la victime ou commettre l’infraction.

Voilà pour le renforcement des interdictions.

Nous allons aussi renforcer les mesures de protection des mineurs contre la diffusion des produits pornographiques et les agressions sexuelles. Nous allons pour cela créer un nouveau délit qui va réprimer l’installation des sex-shops autour d’un certain nombre de lieux qui seront en quelque sorte protégés. Nous allons édicter la responsabilité des personnes morales pour les provocations de mineurs à commettre des infractions. Nous allons ouvrir la possibilité pour le ministère de l’Intérieur de prendre des mesures d’interdiction à l’égard de documents fixés sur un support électronique ou magnétique mis à la disposition du public et présentant un danger pour la jeunesse. Comme vous le savez, le ministère de l’Intérieur est chargé aujourd’hui de l’application de la législation sur les publications dangereuses pour la jeunesse.

Nous allons aggraver les peines encourues pour les atteintes sexuelles sur mineurs commises sans violence. Elles seront portées de 2 à 5 ans d’emprisonnement. Nous allons ajouter une peine de confiscation pour toutes les infractions d’atteinte aux mineurs et à la famille, ce qui comblera d’ailleurs une lacune de loi et permettra notamment la confiscation des revues ou des cassettes vidéo en matière de pédophilie ainsi que le produit financier de ces infractions. De la même façon, il y aura une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle impliquant un contact régulier avec des mineurs pour ceux qui se seront rendus coupables de ces délits.

Enfin, nous allons étendre l’application de la loi française pour tous les crimes et délits commis contre des mineurs à l’étranger par des Français ou par des personnes résidant sur le territoire, c’est-à-dire, que nous allons améliorer la loi de 1994 qui est insuffisante aujourd’hui puisque le dispositif ne s’applique pas à un Français qui violerait ou qui agresserait, par exemple, un enfant prostitué à l’étranger, et donc, nous allons l’étendre. De même que nous allons étendre notre loi française à tous les étrangers qui résident sur notre territoire.