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Les Echos : La France et l'Europe sont déjà engagées dans la libéralisation totale du marché des télécommunications pour le 1er janvier 1998. L'accord signé le week-end dernier à l'Organisation mondiale du commerce ne changera donc rien. À quoi servira-t-il ?
François Fillon : Cet accord est très important. Tout en ayant réussi à maintenir l'exception culturelle pour les programmes audiovisuels, ce texte va permettre aux entreprises françaises de se lancer à l'assaut des marchés de télécommunications d'Asie et d'Amérique latine. Cela va créer de grandes opportunités de développement, d'abord pour France Télécom, puis pour les autres opérateurs français de télécommunications sur un marché mondial de plus 600 milliards de dollars. Et, quelles que soient les réticences de nombreux pays à mettre en œuvre ces décisions, il leur sera plus difficile désormais de résister à la libéralisation mondiale des marchés.
Les Echos : En France, la SNCF vient de s'allier à la Générale des Eaux pour exploiter son réseau de télécoms. Ce choix, effectué au détriment de « l'outsider » Bouygues, ne risque-t-il pas de donner naissance à un duopole France Télécom-Générale des Eaux sur le marché des télécommunications ?
François Fillon : Nous ne voulons pas d'un duopole des télécommunications en France. Le gouvernement a déjà affirmé sa volonté que le marché se structure autour de plus de deux opérateurs. Ce qui prouve bien que le choix de la SNCF n'a pas été politique puisque la structuration du marché, telle que le gouvernement la souhaitait, aurait plutôt plaidé en faveur du troisième opérateur, c'est-à-dire Bouygues. Mais le gouvernement a aussi voulu que la procédure soit totalement transparente. Or il y avait, à l'issue de cette consultation, une différence financière telle entre les deux offres que la question ne pouvait même pas se poser d'un choix lié à des objectifs de structuration du marché. Mais j'ajoute qu'il est important aussi qu'il y ait des concurrents suffisamment puissants face à France Télécom. De ce point de vue, le fait que la Générale des Eaux se structure comme elle est en train de le faire va dans le bon sens. Enfin, il reste encore beaucoup d'options ouvertes pour permettre un troisième opérateur de se développer. Il y a encore des infrastructures alternatives qui vont être mises sur le marché.
Les Echos : À ce sujet, le gouvernement est-il prêt à encourager EDF à suivre le même chemin que la SNCF ?
François Fillon : Pour l'instant, à la différence de ce qui se passe avec les électriciens allemands, EDF ne s'est pas engagé dans ce domaine. L'entreprise a changé de président, puis entamé une vaste réflexion stratégique. Aujourd'hui, elle est prête. Dans les mois qui viennent, elle devrait annoncer sa stratégie dans ce domaine. EDF sera un acteur du marché des infrastructures de télécommunications, le gouvernement le souhaite.
Les Echos : Tous les acteurs français attendent avec impatience la publication du décret sur les coups d'interconnexion au réseau de France Télécom. Quand sera-t-il prêt ?
François Fillon : Le décret lui-même sera publié dans une dizaine de jours, puis le catalogue des tarifs d'interconnexion au réseau de France Télécom suivra quinze jours après. Tous les éléments d'appréciation de la concurrence seront donc connus vers la mi-mars.
Les Echos : Comment se passe la cohabitation avec la nouvelle Autorité de réglementation des télécommunications (ART) ?
François Fillon : Elle se passe très bien. L'ART travaille beaucoup et sa méthode de travail semble appréciée par tous les opérateurs impliqués, qu'il s'agisse de France Télécom ou de ses concurrents.
Les Echos : Le calendrier d'ouverture du capital de France Télécom sera-t-il respecté ?
François Fillon : Le calendrier est maintenant arrêté. Début mai, le gouvernement communiquera une fourchette de prix et ouvrira les réservations tant aux particuliers qu'aux investisseurs institutionnels. Dans les derniers jours de mai, après l'avis de la Commission de privatisation, le gouvernement fixera le prix des actions et procédera à l'offre publique de vente. Je souhaite que l'ouverture du capital de France Télécom conduise à un grand succès d'actionnariat populaire entre les Français et une entreprise nationale qu'ils connaissent bien.
Les Echos : On fustige beaucoup en ce moment le retard de la France dans le domaine du multimédia. Avez-vous l'impression que les choses sont en train de bouger ?
François Fillon : Je crois que l'on est en train de se rendre enfin compte de la dimension stratégique du multimédia. Les industriels se réveillent et plus personne, y compris au sein du gouvernement, ne considère plus que le développement d'Internet est marginal. Le Premier ministre et le président de la République en sont également convaincus. C'est pour cela que Jacques Chirac a longuement reçu Bill Gates, le PDG de Microsoft, au début du mois.
Les Echos : Ce dernier évoque justement le retard de la France…
François Fillon : Cela fait plus de dix-huit mois que je l'évoque moi-même, mais il faut néanmoins relativiser. Tout d'abord en matière de recherche, la France est plutôt bien placée par rapport aux autres pays européens. Ainsi, l'Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria) pilote pour l'Europe le World Wide Web Consortium, et c'est un chercheur de l'École des mines de Paris qui a conçu le nouveau moteur de recherche sur Internet d'Alta Vista. Chez les industriels, nous assistons à une floraison d'initiatives, que ce soit du côté des grands groupes comme France Télécom, Alcatel, Bull, Matra, ou des PME très performantes, comme Net Gem, qui va commercialiser un terminal Internet pour la télévision à moins de 2.000 francs, ou Ilog, une émanation de l'Inria, qui vient de s'introduire au Nasdaq américain avec une valorisation supérieure à 100 millions de dollars. Reste le problème des usagers, qui est réel.
Les Echos : Que peux faire le gouvernement dans ce domaine en dehors des incitations fiscales ?
François Fillon : Nous réfléchissons à la fiscalité, bien sûr, mais ce n'est pas là que se trouve la différence avec les autres pays européens : les micro-ordinateurs sont aussi chers en Allemagne qu'en France. Notre plan comporte trois phases. Tout d'abord, la libéralisation des télécommunications. Celle-ci est maintenant en route. Elle est très importante, car la bataille entre les opérateurs ne portera pas uniquement sur le prix, mais aussi sur l'offre de services qui pousse au développement du multimédia. Deuxième phase : aider les entreprises à expérimenter en vrai grandeur. Sur les 500 millions de francs prévus dans ce cadre pour 1995, 1996, 1997, plus de la moitié ont déjà été engagés pour favoriser ces expérimentations.
Troisième étape, le projet éducatif. C'est la principale solution à notre problème. L'année 1997 sera celle de l'engagement prioritaire de l'État dans le domaine éducatif. Nous avons un vaste plan d'équipement des écoles en informatique. Déjà, plus de 500 établissements scolaires (lycées, collèges, écoles), dans 13 académies, sont reliés à Internet. En outre, avant l'été, nous allons proposer un plan de raccordement de tous les établissements de France en collaboration avec les collectivités locales et les industriels. Notre objectif est de passer d'un micro-ordinateur pour 45 élèves à un pour 20 dans les collèges.
Les Echos : Comment financer tout cela ?
François Fillon : Les collectivités locales et les industriels devront être des partenaires. Les entreprises ne font pas encore en France l'effort qu'elles fournissent dans d'autres pays.