Texte intégral
Le Monde : 15 octobre 1996
Le Monde : Compte tenu de la grève dans la fonction publique et des critiques nombreuses que l'on entend dans les rangs de la majorité, avez-vous le sentiment que votre projet de loi de finances pour 1997 ait été bien accueilli ?
Alain Lamassoure : Oui, je crois que ce projet de budget a été bien compris à la fois par l'opinion publique et par les marchés financiers. Dans ce dernier cas, il est frappant d'observer que dans les jours qui ont suivi la présentation du projet de loi de finances, les taux d'intérêt ont baissé au point d'atteindre maintenant des niveaux historiquement bas, et le franc s'est apprécié. Quant aux Français, je crois qu'ils ont bien compris que notre logique est différente de celle des années antérieures : elle consiste à faire des économies sans précédent pour pouvoir, à la fois, diminuer les déficits et alléger la pression fiscale.
Le Monde : Les Français peuvent tout aussi bien se dire qu'on leur parle de rigueur depuis des années et qu'ils n'en récoltent jamais les fruits promis…
Alain Lamassoure : C'est, très précisément la raison pour laquelle nous leur proposons non pas la rigueur, mais plutôt ce que j'appellerai un contrat de croissance. Si l'économie française est passée au cours de ces vingt dernières années de taux de croissance allant de 3 % à 4 %, en début de période, à près de 1 % l'an depuis le début les années 90, c'est à cause d'une augmentation beaucoup trop forte des charges publiques qui a étouffé l'activité. Pour retrouver le chemin de la croissance, il faut donc réduire les dépenses.
Nous ne proposons pas aux Français de se serrer la ceinture en prévision de lendemains qui chantent. Nous leur proposons de leur verser dès la première année les dividendes des efforts qu'ils vont consentir, sous la forme d'un allègement de l'impôt sur le revenu, de 25 milliards de francs en 1997 et, au total, de 75 milliards de francs au cours des cinq prochaines années.
Le Monde : N'est-ce pas un marché de dupes ? L'impôt sur le revenu sera abaissé, mais de nombreux impôts indirects vont être relevés…
Alain Lamassoure : Non. Dans ce projet de budget, il y a, d'abord, une grande innovation, qui est la baisse de l'impôt sur le revenu. De plus, comme c'est habituel, il y a également dans ce projet, des mesures fiscales diverses, certaines à la hausse, d'autres à la baisse. Or, pour ce qui concerne ce second volet, les hausses et les baisses s'annulent. Au total, nous maintenons donc notre estimation : il y aura bel et bien, en 1997, un allègement net de 25 milliards de francs de la pression fiscale.
Le Monde : Êtes-vous disposé à faire un geste en direction des dirigeants de l'UDF qui demandent également une diminution du taux « normal » de la TVA ?
Alain Lamassoure : Cette baisse de la TVA sera possible dans les cinq années qui viennent si le taux de croissance dépasse 2,5 %, car, alors, nous disposerions de marges de manoeuvre supplémentaires, et les impôts qui ont été relevés à la mi-1995 – c'est le cas de la TVA – pourraient être abaissés. La baisse de la TVA n'est donc pas du tout exclue, mais elle ne figure pas dès 1997 dans la loi, car elle devra se faire au fur et à mesure que la croissance revenue le permettra.
Le Monde : Opposerez-vous également une fin de non-recevoir à ceux qui vous demandent de ne pas relever la taxe intérieure sur les produits pétroliers ?
Alain Lamassoure : Sur les produits pétroliers, vous observerez que la hausse proposée par le gouvernement est très modérée puisqu'elle est tout juste équivalente à l'inflation prévisible. Cela dit, si le groupe UDF estime que c'est trop, nous ne sommes pas a priori fermés à la discussion, mais à deux conditions très précises : il ne faudra pas que la baisse de l'impôt sur le revenu puisse en être affectée, et il faudra que les députés nous proposent une autre ressource d'un montant équivalent.
Le Monde : L'impôt de solidarité sur la fortune sera-t-il retouché lors du débat parlementaire ?
Alain Lamassoure : Il me paraît souhaitable que notre débat sur la fiscalité de 1997 se concentre sur l'impôt sur le revenu, qui est au coeur du pacte républicain par sa fonction de redistribution et par son caractère personnalisé, tenant compte de la situation familiale et sociale de chacun. Certaines modalités de l'ISF posent donc sans doute problème, mais, personnellement, je préférerais que leur examen soit renvoyé à un autre texte que celui-ci.
Le Monde : Allez-vous opposer le même argument à ceux qui vous demandent de remettre en question les avantages fiscaux attachés à la « loi Pons » en faveur des investissements dans les DOM-TOM ?
Alain Lamassoure : Le même argument, sûrement pas, car ces avantages fiscaux sont attachés à l'impôt sur le revenu. Si nous proposons que ces avantages particuliers soient parmi les seuls à être sauvegardés, c'est parce que leur utilité économique pour les DOM-TOM est incontestable. Tous les investissements concernés doivent suivre une procédure d'agrément très efficace, qui permet de prohiber les excès qu'on a pu connaître antérieurement. Enfin, ce régime prévoit sa propre disparition en 2001 ; nous ferons le point d'ici là.
Le Monde : Comprenez-vous la grogne des fonctionnaires qui sont appelés à faire grève ?
Alain Lamassoure : Ce que je crois, c'est que les agents de l'État, eux aussi, comprennent la nécessité de la réforme. D'ailleurs, le contrat de croissance que nous proposons au pays les concerne très directement : plutôt que de stabiliser les rémunérations de la fonction publique sur une longue période, nous leur proposons de participer à l'amélioration de la productivité de leurs services et – quitte à ce que les effectifs soient en conséquence adaptés – à en retirer les bénéfices sous la forme d'un intéressement financier.
Le Monde : On dit pourtant que vous disposez d'une marge de négociation salariale infime : à peine plus de 2 milliards de francs…
Alain Lamassoure : Je ne vous dirai pas la somme. Il est vrai que la marge est faible, mais elle existe et, dans l'esprit du contrat de croissance, la négociation peut dépasser le seul cadre annuel.
Le Monde : Allez-vous exécuter le budget de 1996 dans de bonnes conditions ?
Alain Lamassoure : J'en suis certain. Sur l'ensemble de l'année, nous allons, certes, pâtir de moins-values nettes de recettes fiscales de l'ordre de 15 milliards de francs, mais nous disposons d'une réserve de 20 milliards de francs provenant des gels de crédits effectués en cours d'année. De plus, nous allons profiter des effets bénéfiques de la baisse des taux.
Il ne faudra donc pas se fier aux comptes d'exécution budgétaires arrêtés à la fin août, qui seront prochainement publiés : à cause du profil erratique des comptes budgétaires au mois le mois, ils paraîtront décevants, alors que nous savons, aujourd'hui, que la réalité est différente. Nous avons eu, cet automne, des rentrées d'impôt sur les sociétés très supérieures à nos prévisions et de bonnes rentrées de l'impôt sur le revenu. Nous atteindrons la cible que nous nous étions fixée en décidant que le déficit budgétaire de 1996 ne dépasserait pas 288 milliards de francs.
RTL : Vendredi 25 octobre 1996
M. Cotta : La controverse sur la privatisation de Thomson s'amplifie : hier, à ce micro, H. Emmanuelli puis L. Fabius et L. Jospin ailleurs, ont demandé l'arrêt du processus de privatisation. Est-ce que vous l'envisagez ?
A. Lamassoure : Non, il n'y a aucune raison de l'arrêter. Je crois qu'il faut répondre très simplement aux questions que peuvent se poser les auditeurs.
M. Cotta : On va les poser les unes après les autres. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vous reprochent l'opacité du procédé – et ils sont nombreux ?
A. Lamassoure : Je réponds que la loi a été strictement appliquée. Si nous privatisons Thomson, c'est en application d'une loi qui a fixé, il y a trois ans, la liste des 21 entreprises que nous sommes en train ou que nous avons déjà privatisées. Cette loi a prévu une procédure, elle a été entièrement respectée. Dès le mois de février dernier, nous avons chargé le nouveau président de Thomson, M. Roulet, qui avait été nommé à cette fin, de prendre contact avec d'éventuels repreneurs du groupe Thomson. Nous avons ouvert l'appel à candidature officiel le 3 août dernier.
M. Cotta : Où est-ce qu'il fallait s'adresser, demande par exemple H. Emmanuelli, où est-ce qu'on déposait une candidature pour reprendre Thomson ?
A. Lamassoure : Il fallait la déposer auprès de M. Roulet, le président de Thomson, et auprès des ministères de tutelle, le ministère de l'Industrie, le ministère de l'Economie et des Finances. Puis nous avons clos, conformément à ce qui était prévu dans la loi, les textes d'application, cette période d'ouverture à candidature le 16 septembre dernier. Nous avons chargé, conformément à la loi, une personnalité indépendante, dont d'ailleurs la compétence et l'indépendance ne sont remises en cause par personne, M. Ducamin – président de la section des finances du Conseil d'État – qui a donné son avis pour garantir les conditions d'égalité stricte de concurrence entre les deux repreneurs. Le Gouvernement a fait connaître son choix entre les deux repreneurs et je pourrais vous donner les raisons du choix. Maintenant, la procédure continue, elle n'est pas achevée : conformément à la loi, nous allons passer devant une commission de privatisation formée d'experts.
M. Cotta : On a l'impression que cette commission ne servira plus à rien, elle ne peut qu'entériner le choix du gouvernement ?
A. Lamassoure : Non, pas du tout. Elle est chargée de vérifier que le prix de cession répond bien à la défense des intérêts financiers de l'État. Et en outre, nous saisissons aussi la Commission de Bruxelles, qui est chargée de montrer aussi que le nouveau repreneur de Thomson ne sera pas anormalement avantagé vis-à-vis de ses concurrents européens. Toutes les garanties sont prises.
M. Cotta : Sur la forme toujours, même à l'UDF, des réserves ont été exprimées, L. Poniatowski, par exemple, parle d'une décision à deux ou trois personnes. Vous, par exemple, est-ce que vous étiez au courant ? L'Expansion raconte dans son dernier numéro qu'à Bercy, ça a été l'étonnement total ?
A. Lamassoure : Pas du tout, absolument pas. C'est un dossier qui était suivi depuis des semaines par toutes les personnes et par les seules personnes qui avaient à en connaître, c'est-à-dire, au sein du Gouvernement, le ministre de l'Industrie, le ministre de la Défense – puisque le véritable enjeu, celui dont bizarrement l'opposition ne parle pas du tout, était la constitution d'un grand pôle industriel de défense à partir de Thomson, en matière électronique de défense –, le ministre de l'Economie et des Finances naturellement, le Premier ministre, le président de la République a également eu à connaître du dossier. C'est un des très grands dossiers industriels de notre pays. Toutes les autorités politiques qui avaient à en connaître, et qui avaient à prendre la décision, l'ont fait.
M. Cotta : Une partie de Thomson, Thomson Multimédia, rachetée par les Coréens de Daewoo : quelles sont les garanties sur l'emploi qu'apporte le groupe coréen et quelles valeurs ont-elles ?
A. Lamassoure : D'abord, je voudrais quand même rappeler, parce que le débat se focalise sur la partie de Thomson qui fabrique des téléviseurs grand public…
M. Cotta : Oui, à cause de la recherche…
A. Lamassoure : Oui, mais le véritable enjeu politique, stratégique et militaire, il est dans l'autre partie de Thomson : Thomson CSF qui fabrique des radars, des instruments de navigation pour avion, des instruments de contre-mesure électroniques, donc tous les éléments de la guerre électronique. Et le choix de Lagardère plutôt qu'Alcatel s'explique par le fait que le Gouvernement a choisi une logique de politique de défense plutôt qu'une logique de politique industrielle. C'est un vrai choix politique. Et autour de ce pôle Thomson-Matra, nous allons ainsi constituer un groupe qui sera le deuxième dans le monde, après un groupe américain, en matière d'électronique de défense et qui sera capable de vendre des systèmes de défense clefs en main.
M. Cotta : Cela n'est pas contesté mais peut-être parce que cela reste français ?
A. Lamassoure : Cela reste français et sera européen puisqu'à partir de là, nous allons constituer un pôle européen pour lutter à armes égales avec la concurrence américaine. Je suis heureux de constater que ce choix-là, qui est l'élément le plus important, n'est contesté par personne.
M. Cotta : C'est le verre à moitié vide, à moitié plein. Alors parlons du verre vide : Daewoo ?
A. Lamassoure : L'autre partie de Thomson correspond à des fabrications beaucoup plus classiques, que tout le monde sait faire, qui sont des téléviseurs.
M. Cotta : Et ça correspond à un gros marché en Amérique, que l'on donne aussi à Daewoo ?
A. Lamassoure : Ça correspond à un marché, on ne le donne pas. Daewoo va être obligé de mettre dans cette affaire plusieurs milliards de francs puisque Thomson était lourdement endetté, à hauteur de 28 milliards de dettes, en particulier cette partie téléviseur qui perdait de l'argent.
M. Cotta : Donc ce n'est pas pour 1 franc symbolique ?
A. Lamassoure : Ça va coûter plusieurs milliards, en fait de franc symbolique. Il faut savoir que le total de l'endettement du groupe Thomson atteignait 28 milliards de francs en cette fin d'année 1996 et que la situation de bilan de Thomson était négative, un actif net négatif à hauteur de six milliards de francs. Il faut savoir aussi que nous n'avions, en tout et pour tout, que deux candidats à la reprise de ce groupe Thomson très endetté, Lagardère et Alcatel, et que dans les deux cas – pour ce qui concerne la partie fabrication de téléviseurs – en réalité, chacun des deux repreneurs s'amenait avec un Coréen.
M. Cotta : L'un avec un Japonais et l'autre… ?
A. Lamassoure : Non, l'un avec un Coréen et l'autre avec un autre Coréen. Daewoo est une entreprise coréenne.
M. Cotta : Répondez-moi sur les garanties sur l'emploi ?
A. Lamassoure : Daewoo est une entreprise coréenne qui, en matière de création d'emplois en France, a déjà montré ce qu'elle sait faire puisqu'elle a créé deux entreprises à Mont-Saint-Martin, en Lorraine, qui représentent 1 400 emplois, l'une fabrique des tubes cathodiques pour télévision, l'autre fabrique des verres pour les mêmes tubes cathodiques. Et le président de Daewoo, il y a deux jours, a confirmé qu'il s'engageait à créer 5 000 emplois nouveaux soit sur des sites lorrains, soit sur un site comme Angers, qui est aujourd'hui une usine Thomson importante en matière de multimédias.
M. Cotta : Et il ne peut pas changer d'avis dans l'année qui vient ?
A. Lamassoure : Non, ça fait partie du cahier des charges et du contrat.
M. Cotta : Restons deux minutes sur le franc symbolique : quel prix effectif les repreneurs mettront-ils sur Thomson, l'État a-t-il, oui ou non, fait un cadeau et de quel cadeau s'agit-il ?
A. Lamassoure : Il n'y a malheureusement pas de cadeau. Ce qui s'est passé, est que, depuis sa nationalisation en 1982 – car il faut savoir que Thomson était une société privée qui, pour des raisons idéologiques, a été nationalisée en 1982 –, elle a accumulé 17 milliards de francs de pertes. Et en particulier, le pouvoir politique de l'époque, c'est-à-dire le gouvernement socialiste, a laissé et même encouragé Thomson à procéder à des spéculations financières qui se sont traduites par des pertes à hauteur de huit milliards de francs. Résultat, aujourd'hui, c'est une entreprise qui se retrouve avec un endettement de 28 milliards, ce qui va, obliger tout le monde à payer. L'État va payer en recapitalisant à hauteur de 11 milliards de francs et les repreneurs auront à payer entre 10 et 20 milliards de francs, selon qu'ils sont obligés ou non – c'est à eux de voir – de racheter la part des actionnaires minoritaires.
M. Cotta : Selon vous, Thomson est un faux problème, alors ?
A. Lamassoure : Je crois que c'est en tout cas une fausse polémique et je constate que, derrière les apparences de mise en cause d'une procédure – et la procédure légale encore une fois a été parfaitement vérifiée –, personne ne remet en cause le choix industriel de fond qui a été fait : constituer un grand pôle de défense électronique. C'est pour cette raison que l'on a choisi le groupe Lagardère.