Texte intégral
Gérard Morin : Le risque de marée noire, est-ce que cela vous inquiète, est-ce que cela vous énerve ?
Laurent Fabius : Bien sûr que cela m'inquiète. Et je trouve, cela scandaleux que, répétitivement, on ait les mêmes problèmes. On a eu l'Amoco-Cadiz, on a eu d'autres catastrophes, et aujourd'hui voilà que c'est l'Erika. Donc, il faut premièrement améliorer la législation internationale, et deuxièmement faire en sorte qu'elle soit respectée. Il n'est pas normal que les bateaux puissent circuler sans double coque ; il y a le problème des pavillons de complaisance, etc. Donc, j'ai été saisi d'une demande - et on va la faire aboutir - d'une commission d'enquête, sérieuse, profonde, parlementaire sur toutes ces catastrophes. On va travailler très vite et aboutir à des conclusions que l'on essayera de mettre en œuvre. On l'a fait pour la Corse - vous avez vu ! Bon, ça a fait un peu de bruit, mais c'est notre rôle -, et on va le faire pour les catastrophes maritimes. Dans l'immédiat, il faut prendre des précautions maximum pour éviter les dégâts.
Gérard Morin : Le principe de précaution est vrai ici comme dans d'autres domaines ?
Laurent Fabius : Oui, là, visiblement, il n'est pas respecté.
Gérard Morin : La Corse : hier, les organisations nationalistes annonçaient un cessez-le feu, avec les armes quand même à la main. Le plan Jospin a réussi ?
Laurent Fabius : C'est une tentative, c'est un pari. Il faut voir ce que cela donne. Chaque fois que l'on voit des organisations terroristes en cagoule, dire des choses, cela secoue quand même ; même si, cette fois-ci, il semble qu'ils aient décidé de faire taire les armes.
Gérard Morin : On est dans la bonne méthode ?
Laurent Fabius : On essaye, on essaye.
Gérard Morin : La session parlementaire d'automne se termine. A part la question corse avec l'affaire des paillotes, le reste s'est bien passé : les 35 heures, le Pacs, tout a été voté, vous êtes dans les temps. Donc, maintenant vous regardez plutôt la situation économique de la France qui est plutôt bonne : on gagne de l'argent, il y a des rentrées fiscales. Le problème c'est : qu'est-ce qu'on en fait ?
Laurent Fabius : Voilà, cela pose deux problèmes. Le problème immédiat c'est : qu'est-ce que l'on en fait ? Moi, cela fait longtemps que j'avais vu venir ce problème. J'avais demandé que l'on divise en trois parties : une partie pour la réduction du déficit - ce que l'on est en train de faire - ; une partie pour prévoir le financement des retraites – parce que le problème est devant nous - ; et puis, une partie pour alléger les impôts et réaliser certaines dépenses. On va consacrer essentiellement l'argent à la réduction des déficits. Mais, le problème va se reposer en l'an 2000. Parce que, comme la conjoncture est bonne - il faut s'en féliciter - on va avoir de nouveau des surplus de recettes. Et là, il est clair - c'est ce que je souhaite et c'est ce que je demande - que l'année 2000 doit être l'année de réductions significatives d'impôts : taxe d'habitation, TVA - en particulier sur la restauration -, et baisse d'impôt sur le revenu. On doit pouvoir, dès le printemps, faire des baisses de taxe d'habitation, et peut-être à l'automne, pourquoi pas, au niveau du troisième tiers de l'impôt sur le revenu. En tout cas, il faut que 2000 marque une diminution des impôts.
Gérard Morin : Le ministre de l’Économie et le gouverneur de la Banque de France disent : « Priorité aux déficits », parce que « qui paye ses dettes s'enrichit. »
Laurent Fabius : Je pense que nous serons dans une situation où on pourra faire les deux choses : réduire les déficits - ce qui est indispensable, ce que dit le ministre de l’Économie, c'est vrai - mais aussi aller vers une diminution d’impôts, ce que sont en train de faire les Allemands. Vous avez vu les décisions du chancelier Schröder ! Ce sont donc des décisions de court terme à prendre, mais il y a aussi un problème de fond : cela fait plusieurs fois que la sincérité des budgets est mise en cause. Là, la sincérité du Gouvernement n'est pas mise en question, mais il est vrai que, depuis des années et des années, on dit : « Est-ce que les comptes sont justes ? » Donc, je crois qu'il faut appliquer rapidement une proposition faite par la mission d'évaluation et de contrôle qui s'est réunie il y a quelques temps : il faudrait qu'à chaque dépôt de loi de finances, il y ait un avis sur la sincérité des comptes par la Cour des comptes. Je pense qu'il faut le faire rapidement.
Gérard Morin : Vous trouvez que le gouvernement Jospin ne va pas assez vite dans ce domaine ?
Laurent Fabius : Non, le gouvernement Jospin fait ce qu'il faut et les résultats économiques sont bons. On ne peut pas dire lorsqu'ils sont moins bons : « Ah, c'est le Gouvernement ! » et lorsqu'ils sont bons : « Ah, ce n'est pas le Gouvernement ! » Je crois que la politique qui est menée est juste, mais j'insiste pour que l’on demande à la Cour des comptes de donner son avis motivé sur la sincérité de toutes les lois de finances.
Gérard Morin : Au début de l'année prochaine, il va y avoir un dossier délicat à l'Assemblée nationale et au Sénat : la réforme de la justice. Pour l'instant, le projet a l'air de subir beaucoup de contestations.
Laurent Fabius : Cela dépend si l'on vote sur le texte, comme il le faudrait, ou sur le contexte. Le texte a déjà été voté - ce que les gens ne savent pas - par les deux assemblées séparément. Donc, il serait normal que lorsque les deux assemblées sont réunies, le même texte fasse l'objet du même vote. Mais, il y a le contexte qui se glisse là-dedans. Et l'on voit bien qu'une partie de l'opposition, peut-être même toute l'opposition, veut en profiter pour marquer son opposition au Gouvernement. Donc, j'espère que cela sera voté, mais actuellement je n'en sais rien.
Gérard Morin : Sur le fonctionnement de l’Assemblée en 2000 - c'est une grande année - vous voulez notamment des réforme dans le fonctionnement. Quel est votre principal souci ?
Laurent Fabius : D'abord, on va avoir des textes importants : le texte sur la justice, la parité, la politique européenne puisque l'on va présider la Communauté au deuxième semestre. Donc, il faudra être très vigilant sur tout ça. Mais, je voudrais surtout que l'on développe la politique d'ouverture de l'Assemblée en direction de l'opinion et en direction des citoyens. Deux initiatives importantes vont être prises au 1er mars, la création, avec nos collègues du Sénat, d'une télévision parlementaire, vivante, qui va permettre de voir vraiment ce qui se passe à, l'Assemblée…
Gérard Morin : Ce ne sera pas simplement une « télé-Fabius » ou une « télé-Poncelet » comme disent certains ?
Laurent Fabius : Certainement pas, ce sera une télé parlementaire et je pense que ce sera assez nouveau, assez, intéressant. Deuxième initiative : je souhaiterais qu'avant chaque texte l'on ouvre une discussion sur le site Internet pour que les citoyens, les internautes puissent dire ce qu'ils pensent des textes et ce qu'ils souhaitent. C'est une manière d'ouvrir et de pratiquer de plus en plus une démocratie vivante.
Gérard Morin : Vous voulez maîtriser le réseau et non pas le subir ?
Laurent Fabius : Ouvrir, il faut ouvrir les fenêtres! Je pense que l'on a intérêt à se saisir de toutes les nouvelles techniques pour, que les citoyens disent ce qu'ils pensent aux parlementaires qui sont leurs représentants.