Texte intégral
Claude Allègre : L’assemblage que vous constituez d’un point de vue thématique ne correspond pas exactement à ce que je pensais, puisque vous êtes un mélange depuis l’école d’agriculture jusqu’à l’école dépendant de la culture. La raison pour laquelle je vous ai réunis séparément, c’est que j’ai déjà fait une réunion pour l’ensemble des grandes écoles scientifiques et que nous n’avions pas de salle assez grande. Nous avons donc divisé l’ensemble en deux. Mais nous essaierons de trouver une salle assez grande pour la prochaine réunion.
La raison pour laquelle je vous ai réunis est que vous savez peut-être, en lisant les journaux, en entendant parler, que le gouvernement a décidé de créer une coordination dans le domaine de l’enseignement supérieur, de la même manière qu’il y a une coordination en ce qui concerne le programme de la recherche. De la même manière qu’il y a un BCRD, il y aura, dans le budget de l’an prochain, un BCES, c’est-à-dire un budget coordonné des enseignements supérieurs. De la même façon il y aura une co-tutelle du ministère de l’éducation nationale sur toutes les écoles qui ne dépendent pas du ministère de l’éducation nationale, de manière à avoir une coordination pédagogique. Les textes réglementaires sont en cours de partition au fur et à mesure. Il ne s’agit pas de rattacher à l’éducation nationale, les écoles qui dépendent de l’agriculture ou les écoles qui dépendent de la culture. Celles qui dépendent de l’éducation nationale, continueront à dépendre de l’éducation nationale. D’autres ne dépendent pas de l’éducation nationale, elles resteront rattachées à leurs ministères respectifs et ne bougeront pas. Ceci est destiné à établir une coordination de notre politique d’enseignement supérieur. Je vais donc vous en dire quelques mots. Le premier problème que nous avons, c’est l’harmonisation européenne. Je ne vous cache pas que nous sommes en train de converger vers un système européen en ce qui concerne les enseignements supérieurs avec des annuités qui vont être analogues dans les grands pays européens. Elles consisteront à obtenir en quatre premières années ce qu’on appelle aux États-Unis, la graduation, c’est-à-dire la maîtrise. Et puis quatre années pour avoir une thèse, avec une étape intermédiaire qui est l’équivalent du master qui dure deux ans après les années de under graduate. L’enseignement sera fait par semestres et il y aura une reconnaissance automatique des différents parcours qui pourront être faits à l’échelle européenne. Ceci oblige les anglais à allonger leur durée de thèse, mais les allemands à diminuer leur durée de thèse. Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas suivi mes collègues anglais et allemands dans l’idée qu’ils ont eue de vouloir augmenter les droits d’inscription. Ce qui se passe aujourd’hui en Allemagne montre que ce que nous leur avons dit malheureusement se confirme. Je ne crois pas que les étudiants européens sont dans l’état d’esprit d’accepter un enseignement supérieur paye par les droits d’inscription comme c’est le cas aux États-Unis. De toute façon ce ne sera pas la position française. Ça c’est le problème des universités. Le problème des écoles, c’est qu’elles se trouvent être, pour la plupart d’entre elles, dans un rythme qui n’est pas le même. On a donc un véritable problème. Je n’ai pas du tout l’intention de dissoudre les écoles dans le système universitaire, je trouve qu’il y a suffisamment d’uniformité dans le système français pour ne pas en rajouter un de plus, mais i1 y a là un problème important qui est celui de l’harmonisation. La deuxième chose, liée à cela, c’est que notre enseignement supérieur et particulièrement celui donné dans les écoles – naturellement c’est une généralité et ça ne s’applique pas à tel ou tel cas qui fait exception – ne donne pas de primes suffisantes à l’innovation. Et donc nous souhaitons, dans une compétition internationale de plus en plus difficile, que la notion d’innovation et de reconnaissance de l’innovation et de formation à l’innovation, soit beaucoup plus encouragée dans la formation de nos élites. C’est pourquoi sur ces deux problèmes qui sont ceux de l’harmonisation européenne, des liens entre les universités et les grandes écoles et de l’innovation, j’ai confié une mission à un groupe de personnes présidé par Jacques Attali. Vous aurez sans doute l’occasion de le rencontrer, pour faire des propositions dans ce domaine. Je vous demande simplement de réfléchir très intensément à cette question parce que si vous ne réagissez pas et si vous ne faites pas de propositions, je pense que pour un certain nombre d’entre vous, vous serez victime de cette européanisation. Un certain nombre de nos écoles, parmi les plus prestigieuses, sont totalement inconnues et occultées en Europe. J’ai été très frappé par la réponse de mes collègues européens auxquels je posais le problème des grandes écoles. Ils m’ont répondu : c’est votre problème, il n’est pas question qu’on change ou qu’on admette quoi que ce soit dans ce domaine. Donc je vous signale qu’il y a un problème sérieux et qu’il faut le résoudre.
Le deuxième problème, c’est le coût d’un certain nombre d’écoles. On a trop de grandes écoles, 280 en France, et beaucoup ont des promotions très faibles et beaucoup ont plus de professeurs que d’élèves ou plus d’intervenants que d’élèves. Évidemment ça conduit à des coûts très élevés. Pour les écoles scientifiques, cette situation est tragique pédagogiquement. Prenons un exemple, une école de chimie qui a des promotions de 30 élèves, ce qui est quelque chose de commun dans notre pays, et uniquement dans notre pays, ne peut pas avoir d’équipements de laboratoire de premier plan. Ces équipements ne sont pas utilisés à plein temps. Donc le retard s’accumule. Donc il y a des problèmes d’économie d’échelle et il est nécessaire de regarder ce qu’on peut faire du point de vue de la gestion. Je sais que les regroupements d’écoles, les fusions d’écoles sont très difficiles, mais néanmoins ce problème d’échelle se pose et se posera de plus en plus, dans un contexte où le nombre de personnes qui vont vers l’enseignement supérieur, commence à décroître. Cette année les flux sont en décroissance de 12 %, et dans les disciplines scientifiques, le flux est en décroissance de près de 30 %, ce qui est un véritable problème. Nous sommes donc dans un contexte décroissant et les difficultés de gestion et d’économie d’échelle se posent. Je ne vais pas vous dire que je vais imposer quoi que ce soit, je suis là pour pointer du doigt les différents problèmes qui existent.
Troisième problème très important, la mise en place de la formation continue. Le gouvernement désire que dans ce pays nous nous mettions l’heure de la formation continue. Dans la formation continue il y a des tas de choses différentes. Il y a le fait de permettre à des professionnels de venir se tenir au courant de l’évolution des techniques ou des connaissances. On pourrait appeler cela le recyclage, bien que ce mot ait un petit côté traitement des déchets qui n’est pas très bon. L’autre problème est la formation continue de gens qui veulent au contraire accéder par une voie longue aux mêmes diplômes que ceux de la formation initiale. Et nous souhaitons que ce soit le cas. Mais non pas selon la stratégie qui a été pendant longtemps celle du conservatoire des arts et métiers, qui était que les gens faisaient quasiment le même parcours qu’en formation initiale. Le résultat est catastrophique sur le plan de la gestion. On part de 25 000 élèves et on arrive à même pas une centaine de diplômes d’ingénieurs à la fin. Donc vous voyez la perte qui est absolument fabuleuse. Donc la formation continue ce n’est pas cela. Si on fait une formation continue diplômante, il faut comprendre que des adultes qui ont une expérience professionnelle apportent eux-mêmes quelque chose à l’institution. Par conséquent il faut leur faire un enseignement adapté et il faut en même temps que l’institution se saisisse de cet apport, de ces gens qui viennent se former mais qui apportent aussi quelque chose. Donc un enseignement comprenant beaucoup plus d’échange qu’un enseignement unidirectionnel. Alors je sais que c’est déjà le cas dans certaines écoles. Nous voulons qu’à terme tous les diplômes puissent être obtenus soit en formation initiale, soit en formation continue. Je ne fixe pas de proportion pour l’un et pour l’autre, nous verrons ce qu’il en est.
Le quatrième problème est celui de l’internationalisation. Je crois que si nous voulons demain être compétitifs sur les marchés internationaux, faut que nous ayons une offre de formation pour les élèves étrangers qui soit importante. Je serais heureux s’il y avait un tiers d’élèves étrangers dans nos écoles les plus performantes et en même temps si nous pouvions avoir une action pour promouvoir l’offre de formation française. Nous allons créer une agence, qui va essayer de coordonner l’action française à l’étranger, pour promouvoir l’offre de formation. Pour vous donner un chiffre, que vous connaissez peut-être, l’Australie par exemple ramasse 7 milliards de bénéfice par l’offre de formation, c’est son deuxième poste d’échanges. Et quand on voit ce qui se passe actuellement dans le monde, on a des demandes de plus en plus importantes. Simplement notre système d’enseignement supérieur, et la multiplicité des écoles n’y aide pas. Par rapport au système américain ou australien, notre système est très peu lisible. Donc nous allons avoir à faire un effort de pédagogie et de présentation, qui est très important. Mais cette large ouverture vers l’étranger est essentielle. Je ne parle pas des problèmes techniques de l’enseignement en anglais, etc., mais vous avez compris et certains d’entre vous l’ont mis en place depuis longtemps. Ce qui veut dire qu’il faudrait éviter qu’il faille dix ans, comme ça a été le cas pour l’école Polytechnique, pour qu’elle comprenne que le recrutement d’élèves étrangers ne peut pas se faire selon les méthodes habituelles de concours de type formel tel qu’il se pratique en France mais qu’il faut avoir un recrutement sur dossiers, sur entretiens, qui soit spécifique, parce que nous sommes les seuls à avoir ce type de recrutement. Cela veut donc dire avoir une adaptation des recrutements aux étrangers et de les ouvrir très largement. Ceci est un point très important sur lequel le gouvernement est très déterminé.
Le dernier point, c’est un peu une tarte à la crème, mais néanmoins un point important, c’est le problème de la présence de la recherche dans les grandes écoles. C’est extrêmement variable bien sûr, surtout dans les écoles qui sont présentés aujourd’hui, mais nous trouvons que la recherche n’est pas suffisamment liée. Il y a différentes techniques, il y a des endroits où il n’y a pas assez de recherche, il y a des endroits dans lesquels la recherche c’est l’emplâtre sur une jambe de bois, c’est-à-dire qu’il y a la recherche mais ça n’a rien à voir avec l’enseignement. Donc c’est une autre manière de faire, et il y a peu d’endroits dans lesquels la recherche alimente réellement les enseignements. Donc nous souhaitons que ce processus s’accélère. Indépendamment du fait qu’il y a les écoles vétérinaires qui ont été oubliées à la réunion du mois de juillet et qui relèvent plutôt d’un enseignement scientifique, la formation de plus en plus spécialisée dans les sciences humaines est quelque chose de très important, y compris dans les secteurs ou a priori on pourrait penser que cela n’a pas de retombée économique. En fait cela a une retombée économique. On s’aperçoit de plus en plus que lorsqu’on veut aller explorer des marchés à tel ou tel endroit, ce que savent faire merveilleusement les Allemands, ils utilisent les ethnologues qui ont travaillé dans ce pays pour instruire les hommes d’affaires, pour leur expliquer qu’on ne parle pas aux Coréens de la même manière qu’on parle aux Malais et que le système d’imprégnation n’est pas tout à fait le même. Ceci n’est pas très bien fait actuellement. On ne fait pas assez ressortir l’importance des sciences humaines dans des intérêts de développement économique.
Enfin, autre point préoccupant, c’est le problème de la coopération entre les grandes écoles et les universités. Certaines des écoles sont intégrées plus ou moins dans les universités, certaines autres sont quasiment des universités. C’est le cas de l’Inalco, qui est une université.
Et puis dernier point qui est très préoccupant, c’est le problème de la démocratisation. Vous savez que l’enquête que vient de faire Jacques Attali après d’autres est très alarmante. L’effort que nous avons fait sur l’enseignement supérieur depuis trente ans est considérable, les budgets ont augmenté, mais par contre le nombre de personnes d’origine modeste qui accèdent à l’enseignement supérieur, en particulier aux grandes écoles, a diminué. Il a diminué en valeur relative, il a diminué en valeur absolue, ce qui est encore plus étonnant, parce qu’alors que le nombre total a augmenté, le nombre en valeur absolue a diminué. Autrement dit une bonne partie ne vient pas de vous, ne vient pas des grandes écoles, une bonne partie vient du système de sélection de l’enseignement secondaire qui rejette, et qui à mon avis rejette à peu près 50 % des talents. Je sais qu’un certain nombre d’écoles, dans le domaine commercial, ou littéraire, je pense à l’ENA, à HEC, ont cherché à diversifier leur mode de recrutement pour essayer de ramasser des gens divers et ne pas perdre des…
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…fou des enseignants du secondaire eux-mêmes qui trouvent que ce système n’est pas si mal pour leurs propres enfants. Et comme ils ont tous un sentiment de revanche sociale, ça augmente la difficulté. C’est pourquoi je souhaite qu’à votre place, les uns et les autres, vous participez activement au grand mouvement qu’on a lancé sur la réforme des lycées. Que faut-il enseigner au lycée ?... Vous y êtes directement intéressés. Quand je pense que nous avons des statistiques sur un bon nombre d’académies, que 62 % d’élèves sortant du lycée n’ont jamais fait un exposé en présence d’autres élèves. Nous voyons à quel point l’enseignement s’est concentré sur les savoirs beaucoup plus que sur les apprentissages fondamentaux. Lorsque ces gens arrivent, soit dans l’université, soit dans les classes préparatoires, il faut qu’ils acquièrent tout cela, ce qui est parfois un peu tard parce que les choses se sont figées autrement.
Voilà pourquoi je voulais vous voir et voilà ce que je voulais vous dire. Comme vous êtes divers et multiples, je ne sais pas si vous avez une organisation commune ou s’il y a des organisations multiples. Là-dessus il y a des questions plus spécifiques. Je ne vais pas parler du problème de l’école vétérinaire parce qu’il est lié au problème de l’évolution des écoles dépendant du ministère de l’agriculture, je crois qu’il reste des problèmes généraux qui sont les suivants, et je les cite sans aucune acrimonie vis-à-vis de quiconque, mais je fais simplement des constatations. Je crois qu’il serait sain pour notre pays que le concours d’entrée à l’ENA ne donne pas l’exclusivité à un institut d’études politiques. Je trouve qu’il serait plus sain qu’il y ait une compétition entre plusieurs instituts d’études politiques mais encore faut-il peut-être essayer d’en développer plutôt deux ou trois que 25 si on veut réussir. Je pense à la préparation en anglais du concours d’agrégation à Paris où il existe six centres de préparation qui ont entre un et deux reçus chaque année. Je pense que s’il existait un peu moins de centres de préparation et qu’ils aient plus de reçus, nous ferions des économies et ce serait aussi bien pour les élèves. Donc je pense que cette concentration des instituts d’études politiques nous pose problème et pose problème à tout le monde et je crains – tant que je serai là je pense que ça ne se fera pas puisqu’on a décidé de ne pas faire de concentration autoritaire – qu’un jour nous décidions que l’Institut d’études politiques de Paris soit transféré à Marseille, comme on a fait avec l’ENA. Je pense qu’il serait bon de penser à ce problème de la décentralisation.
Deuxième question qui se pose, les problèmes des écoles de gestion. Toutes les écoles de gestion dans le monde ont des problèmes. Peut-être en a-t-on fait trop, peut-être se rend-on compte que la gestion n’est pas la panacée du succès économique, comme disait le général de Gaulle, « on ne défile pas la cantine en tête », mais il n’en reste pas moins que nous avons un devoir absolu de ne pas laisser les écoles de gestion sombrer dans des difficultés considérables, ne serait-ce que parce que je crois qu’il y en a beaucoup qui sont de qualité et deuxièmement parce que vis-à-vis des élèves ça ne serait pas bien. Donc il y a le problème de l’enseignement de la gestion dans les universités, le problème de la coopération, bref dans les domaines des écoles de gestion, dont beaucoup ne dépendent pas du tout de l’éducation nationale mais des chambres de commerce, je crois qu’il y a une réflexion à avoir. Je souhaiterais qu’elle s’organise, nous pouvons servir de catalyseur mais je suis obligé de fixer cela.
Il y a un troisième sujet qui est important, celui de la recherche dans les écoles d’architecture et d’une manière générale dans les écoles qui dépendent du ministère de la culture. Nous allons créer au ministère de l’éducation nationale de la recherche et de la technologie, un réseau de recherche sur l’utilisation des nouvelles technologies dans les médias et dans les métiers artistiques. Quelque chose qui sera comparable mais organise en réseau, à ce qu’est le médialab de MIT et qui sera dirigé par Jean-Claude Risset qui est un très grand spécialiste de la musique synthétique. Il y a de plus en plus des besoins de logiciels très sophistiqués. Les architectes individuels ont du mal à se les procurer. Nous souhaiterions que dans le domaine des arts et de l’architecture, il y ait plus de recherche. Il y a de véritables laboratoires de recherche et nous sommes prêts à faire en sorte que ces laboratoires se constituent et se développent. Donc là aussi la coordination que nous allons assurer est beaucoup plus pour aider que pour contraindre.
Enfin, le problème de la décentralisation. Quand vous regardez une carte, autant les universités commencent à être réparties en Fiance, autant les grandes écoles sont concentrées sur la région parisienne. Comme je vous l’ai dit, je ne souhaite pas décider brutalement, bien qu’on me presse de le faire, de prendre des paquets de grandes écoles et de décider que telle va à Périgueux, telle autre à Haasbruck, telle autre à Strasbourg, parce que immédiatement c’est une guerre de tranchées qui s’engage. Cinq ans après les murs sont déménagés. Mais je crois que pour beaucoup d’écoles, la situation offerte en province est souvent bien meilleure que celle offerte dans la région parisienne. Je crois que des gens raisonnables, après avoir étudié le problème, se délocalisent eux-mêmes. Par exemple récemment l’Ecole normale supérieure de Fontenay a voté sans aucune contrainte d’aller à Lyon parce qu’ils se sont rendu compte que les conditions de leurs homologues l’ex-Saint-Cloud à Lyon, étaient infiniment meilleures Lyon que du temps où ils étaient dans le pare de Saint-Cloud, et donc finalement ils ont décidé d’y aller. Le vote n’a pas été obtenu assez largement. Mais le directeur a le grand mérite d’avoir entraîné son conseil d’administration. J’insiste bien, en particulier pour les écoles qui sont vocation plutôt littéraire ou juridique, la situation de la province va changer avec le fait que d’ici trois ou quatre ans il y aura une possibilité de transmission par les moyens informatiques de quasiment la totalité de la Bibliothèque de France dans les principaux sites de province. On s’attache à fabriquer ce réseau et aussi l’intérêt documentaire de Paris disparaîtra. Je vous dis cela parce que nous lançons le plan U3M, qui va être une prolongation du plan Université 2000, en coopération avec les collectivités territoriales. Je pense que cela va être le moment de faire un certain nombre de projets architecturaux. C’est une bonne période pour prévoir des délocalisations des uns et des autres et peut-être se rassembler autour d’un site à tel ou tel endroit. Là encore je ne suis pas un grand partisan de la contrainte. Mais je ne suis pas hostile à la persuasion et je suis encore plus content quand ces initiatives viennent spontanément. Par conséquent j’aurai plutôt tendance à accompagner les initiatives que le reste. Mais je ne vous cache pas que mon point de vue, qui se trouve être aussi celui du premier ministre, ce qui est une bonne chose, n’est pas toujours unique. Il existe des personnes dont la sensibilité dit qu’il n’y a qu’à décider que telle école s’en va à tel endroit. On l’a vu dans le passé. Je crois que vous auriez intérêt, les uns et les autres, à étudier ce problème et à regarder ce qui logiquement peut être fait. C’est-à-dire qu’une école peut se localiser dans un certain nombre de villes de province, d’autant plus que certaines ne sont pas loin de Paris désormais, grâce au réseau de TGV. Je crois que vous auriez intérêt à envisager ces mouvements.
Voilà ce que je voulais vous dire essentiellement. Je passe sur les problèmes des frais de concours. Je vous donne quand même un ordre de grandeur : l’Education nationale, pour faire passer les examens et concours, dépense un milliard par an Et je ne vais pas vous donner le palmarès, il y a certains concours qui coutent à eux seuls 30 millions, 20 millions, ce qui évidemment surprend toujours beaucoup. Je m’excuse de vous dire que j’ai quelques réticences à dépenser un milliard pour faire passer des examens et concours. Naturellement le prix n’est jamais exactement, et même pas du tout, proportionnel à la quantité de candidats. Il y a par exemple des examens d’experts géomètres qui content des prix fous parce que le nombre des membres de jury est quatre fois supérieur au nombre de candidats, ce qui conduit à des frais considérables. À ce sujet je voudrais vous dire par contre que je prendrai une décision très ferme sur les concours. Je ne veux pas qu’on finisse par manger l’année scolaire à cause des concours. J’en ai assez de voir passer des concours au mois d’avril ou de mai. Et je vais adopter une technique très simple, ceux qui font passer les concours pendant l’année scolaire ne toucheront pas simultanément leur traitement et une prime pour les concours. Ils auront à choisir. S’ils sont payés, c’est pendant leur service, et en tous les cas ils ne toucheront plus d’heures supplémentaires. C’est assez scandaleux sur le plan de la gestion des finances publiques de voir des gens qui continuent à toucher des heures supplémentaires qu’ils ne font pas parce qu’il n’y a plus rien faire qui font passer des concours et qui sont payés en plus pour faire passer des concours. Il est tout à fait admissible que les concours se passent pendant l’été, comme c’était le cas autrefois, et c’était justifié. Donc je vous demande de faire un effort pour qu’on ne mange pas la dernière année. Alors évidemment, vous réclamez que vos préparations durent deux ans, elles ne durent pas deux ans puisque la deuxième année est déjà amputée de la moitié. Donc bientôt on réclamera trois ans parce qu’il y aura une année de moins. Je trouve ça assez anormal. Et j’irai très loin dans ce domaine, parce que je n’ai pas la langue de bois et si les gens n’obéissent pas, je publierai les indemnités de concours, et ça suffira pour calmer beaucoup de monde. Donc je demande à ce qu’on revienne à des pratiques normales, c’est-à-dire que l’année ne soit pas amputée. Vous savez que dans certains pays, quand vous êtes employé de l’État, il est interdit de toucher un centime pour faire des opérations qui concernent votre activité. Quand un professeur fait passer un concours, les professeurs d’universités font passer des examens tous les ans, ils ne touchent pas un centime et ça me paraît le minimum. Je ne vois pas pourquoi les professeurs de classes préparatoires qui sont déjà les mieux payés de l’éducation nationale, il faut le savoir, font en plus passer les concours et touchent en plus des indemnités. Donc je vous demande de vous pencher sérieusement sur ce problème, car autant sur un certain nombre de problèmes je n’ai pas envie de vous contraindre, autant ce problème-là qui touche les finances publiques, je n’ai pas l’intention de laisser les finances publiques à volo. Je sais très bien que le budget de l’éducation nationale ne peut pas continuer à croître comme il a crû pendant une période, au risque de mettre les finances publiques dans une situation très périlleuse. La première fois que je suis venu dans ce ministère comme conseiller spécial de Lionel Jospin, je me souviens très bien, le budget de l’éducation nationale n’atteignait pas 200 milliards, c’était 180 ou 185. Il est aujourd’hui de 340 milliards. Donc le budget a crû d’une manière considérable. Nous en sommes fiers. Nous sommes contents d’être le premier budget de 1’État, d’autant plus que le budget militaire, dans la même période, a décru, je pense que ce n’est pas une mauvaise chose pour le pays. Il vaut mieux avoir des têtes bien faites que des têtes coupées, mais je pense que cette progression ne peut pas continuer éternellement. Le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est décidé, pour réduire le service de la dette qui pèse très lourdement sur nos finances publiques, à continuer à descendre très au-dessous de 3 % du déficit budgétaire. Donc nous n’allons pas nous trouver dans une période dans laquelle les budgets vont augmenter d’une manière fantastique. Il va donc falloir apprendre à l’éducation nationale à mieux gérer, à mieux dépenser notre budget, à faire la chasse au gaspillage. Et je pense que chacun dans votre domaine, vous avez intérêt à le faire. Ceux qui dé pendent de l’éducation nationale le feront et j’y veillerai, et ceux qui n’en dépendent pas, c’est leur problème avec leur ministre de tutelle. Ceux qui dépendent des chambres de commerce c’est encore autre chose, mais voilà comment ça se passera. Vous recevrez en temps et heure pour le budget de l’an prochain, via votre ministère, les instructions pour préparer ce BCES et donc vous aurez à discuter avec les services qui prépareront ce budget.
Voilà ce que je voulais vous dire aujourd’hui. Si vous voulez me poser quelques questions, pas trop particulières, je vous demande de rester sur des questions d’intérêt général ou des questions de principe et je m’efforcerai d’y répondre. Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames et messieurs.
André Paodi : Je suis directeur de l’école vétérinaire d’Alfort, je voudrais d’abord remercier mes collègues de nous avoir associés à cette réunion d’information et d’échanges et faire quelques commentaires. Pardonnez-moi je ne vais pas tout à fait rentrer dans la recommandation que vous avez faite puisque chacun à son domaine de connaissances. Mais je voudrais parler de l’harmonisation de l’enseignement, je pense que c’est effectivement un devoir que nous avons. Je pense que pour les vétérinaires les choses sont plus simples puisque du fait de la libre circulation des personnes, le diplôme de vétérinaire est européen et par conséquent il y a des règles. Mais néanmoins, harmoniser, à mon avis, c’est non seulement harmoniser dans la durée, de manière à ce qu’i1 y ait une lecture transversale de toute l’information, au plan européen et au plan mondial, mais c’est harmoniser également au plan de la qualité de l’enseignement, et donc la qualité du diplôme. Or en me référant à mon enseignement, on s’aperçoit que derrière cette harmonisation de chronologie et de volume d’annuités, il y a de grandes inégalités entre le nord et le sud. Et elles sont liées en grande partie à des inégalités d’encadrement. Donc il y a probablement une réflexion à faire car il est frappant par exemple que la seule faculté vétérinaire européenne qui soit reconnue par les Etats-Unis, celle des Pays-Bas, d’Utrecht... affiche un ratio enseignants/enseignes qui est plus favorable que pour les autres. Donc l’harmonisation c’est la durée, mais c’est aussi la qualité. Là encore, l’enseignement vétérinaire souffre d’un manque d’ouverture à l’international. Je crois qu’il y a à cela deux raisons qui portent l’une sur l’enseignement initial commun en deuxième cycle, et l’autre sur le troisième cycle. Sur le deuxième cycle il est clair que j’ai plusieurs décennies d’expérience derrière moi et il est clair que nous avions dans nos écoles, dans les années 50 et 60, beaucoup plus d’étudiants étrangers que nous en avons aujourd’hui. La France a fait un effort considérable en aidant les pays, en particulier les pays francophones du Maghreb et de 1’Afrique, en implantant des établissements vétérinaires et du même coup nous avons perdu « cette clientèle ». Mais je pense que c’est dans la logique des choses et je ne crois pas qu’il faille le regretter. Mais le point particulier est celui du troisième cycle, car nous étions en droit d’attendre que cet effort qui avait été fait dans le deuxième cycle, vis-à-vis dc nos partenaires, nous amène ensuite un flux d’étudiants de troisième cycle. Or ça n’est pas le cas. Et c’est là que réapparaît la notion de lisibilité car il est clair que par la conjonction de deux effets, l’un qui est un effet de lisibilité et de compréhension, la thèse de sciences délivrée par les universités françaises est incompréhensible pour la plupart des pays partenaires...
Claude Allègre : Ce n’est pas très différent. Je ne peux pas être d’accord avec vous, c’est la même chose. Moi j’ai enseigné au MIT et j’enseigne à Paris, c’est la même chose. La seule chose c’est que les études à l’intérieur du PAJ sont étalées sur trois ans alors qu’elles sont concentrées sur un an en France mais c’est à peu près la même chose. Le système n’est pas différent. C’était vrai autrefois quand il y avait une thèse de troisième cycle, thèse d’État, mais depuis la réunification, non. Là-dessus il n’y a pas de différence. J’ai le regret de vous le dire.
André Paodi : Nous constatons néanmoins qu’il y a cette procédure qui rallonge et qui inquiète pare que ça se solde par des études de quatre ou cinq ans.
Claude Allègre : Un PAJ convenable, c’est quatre ans. L’université du Tennessee donne peut-être des PAJ en trois ans mais ils ne valent rien.
André Paodi : Le deuxième point qui nous fait perdre ce flux d’étudiants, c’est celui de la spécificité. Les écoles vétérinaires n’ont pas l’habilitation à délivrer le doctorat de sciences, nous sommes donc en partenariat avec les universités et là encore on s’aperçoit que les candidats au troisième cycle viennent chercher des formations par la recherche qui soient beaucoup plus ciblées, beaucoup plus appliquées que les thèses de sciences qu’on leur fait faire en général. Et la i1 m’est apparu que s’il y avait une spécificité plus grande de ces formations par la recherche à certaines filières professionnelles, nous retrouverions un flux d’étudiants étrangers plus significatif que celui que nous avons aujourd’hui.
Claude Allègre : Je répondrai globalement aux questions. On va continuer.
Françoise Vilain : Je suis directrice de l’école supérieure de commerce de Poitiers. Si je partage souvent vos thèmes de préoccupations, il y en a un que vous n’avez pas abordé et que je voudrais qu’on note, et qui soit dans un coin de votre tête, c’est que ces écoles que nous représentons ici sont des écoles qui mènent à l’emploi. Je crois qu’il faut que dans toute nécessaire transformation que nous devons accomplir ensemble, il ne faut pas oublier cet élément très positif qu’il faut conserver.
Claude Allègre : Vous plaisantez, vous pensez que j’ai une autre préoccupation que celle-là ! Quand je vous parle du problème des difficultés des écoles de commerce, c’est parce qu’il y a des difficultés sur le marché de l’emploi.
Françoise Vilain : Il n’y en a pas !
Claude Allègre : Il y a des difficultés sur le marché de l’emploi par rapport à la situation d’il y a sept ou huit ans.
Françoise Vilain : Non, monsieur le ministre. Il y en a eu en 93/94, il n’y en a plus. Dans ma dernière promotion je n’en ai pas un seul. Je crois qu’il faut le dire.
Claude Allègre : Je n’ai pas parlé des écoles de commerce. J’ai parlé des écoles de gestion. Le commerce il n’y en a pas assez, et en particulier le commerce international. Fabriquer des vendeurs qui parlent crois langues et qui sont prêts à l’expatrier, il n’y en a pas assez. On le sait. En plus les Français, dès qu’ils sortent d’une affaire, il y en a beaucoup qui ne veulent pas partir à l’autre bout du monde. Je parle des écoles de gestion.
André Bourget : Je suis président de l’Institut national des langues et civilisations orientales. Si vous me permettez d’intervenir, même si vous l’avez dit, notre établissement est plus proche d’une université que d’une grande école puisque nous avons 11 708 étudiants et je me permets de signaler qu’en trois ans on est passé de 9 000 étudiants a 11 708, donc il n’y a pas de décroissance et je crois que c’est lié au problème de la mondialisation, beaucoup d’étudiants viennent aux Langues O apprendre des langues qu’on appelle en France rares, même si elles sont parlées, comme le chinois par plus d’un milliard de locuteurs, parce qu’ils savent que c’est un atout supplémentaire pour trouver un emploi. Je voudrais simplement évoquer le problème de l’internationalisation. Je crois que certains établissements, et le nôtre plus spécialement à une vocation internationale, nous avons 25 % d’étudiants étrangers et un tiers de nos enseignants sont des étrangers, puisqu’on enseigne 81 langues et qu’on a besoin d’enseignants de ces pays, et la question que je me permets de poser concerne justement ces étudiants étrangers qui viennent acquérir en France une formation et qui ont souvent des difficultés pour les problèmes de visas et en particulier les étudiants en troisième cycle et même pour des soutenances de thèses en co-tutelle.
Christiane Vincelin, Esc Le Havre : Monsieur le ministre vous parlez d’une harmonisation européenne qui semble nécessaire, avec un cycle d’études de quatre années...
Claude Allègre : … J’ai dit que pour les universités, on allait vers un cycle de reconnaissance, je vous ai donné une information et je vous ai dit que se posaient des problèmes concernant les écoles qui ne rentraient pas dans ce cycle. Je n’ai pas dit que je voulais forcer les écoles à rentrer dans ce cycle, je vous ai laissé ce problème... Sur ce sujet je suis par contre extrêmement exigeant. Vous pouvez répéter ce que je dis mais pas déformer. Je fais très attention, je ne vous ai pas dit que je voulais forcer les écoles à rentrer dans ce cadre, je vous ai dit que se posait un problème dans la mesure on vous ne rentrez pas dans ce cadre, et pour un certain nombre d’écoles, ce que je veux dire c’est que nos collègues étrangers refusent de faire des exceptions sur ce problème. Ils considèrent que c’est un problème français et que les français n’ont qu’à se plier à cela. Nous sommes les seuls à avoir ce système d’écoles, je n’ai pas dit que je voulais le supprimer, j’ai dit simplement que c’était une originalité française. Je souligne simplement le problème posé. Il ne m’est pas posé à moi, il est posé à vous.
Christiane Vincelin : Excusez-moi mais il me semblait que c’était un problème qui nous rassemblait un peu aujourd’hui puisque la question avait été posée, et je voulais savoir comment nous pourrions collectivement aborder ce problème. Ce n’est pas en rentrant chacun dans notre école que nous allons pouvoir apporter individuellement des solutions et je voulais simplement savoir la façon dont vous conceviez éventuellement un travail en commun sur ce point.
Claude Allègre : C’est un deuxième point. Cela fait partie de la mission confiée à Jacques Attali d’étudier ce problème, de parler avec les écoles et de proposer des trames de solutions. Donc j’attends le résultat de sa mission. Il a donné une interview au Monde uniquement parce que les bruits les plus fous couraient et il a voulu arrêter ces bruits en fixant le cadre de la réflexion actuelle. Vous avez vu la composition de cette commission, il y a des gens très divers, des chefs d’entreprises, des universitaires, des économistes, il y a de tout. Ils réfléchissent à ce problème et honnêtement, comme je leur ai confié cette mission, je ne veux pas vous donner au départ quelles pourraient être les idées que je pourrais m’être moi-même forgées sur ce sujet. J’attends le résultat de ces discussions, mais je crois qu’il y a des conférences de grandes écoles, des associations d’écoles, etc., et je pense qu’il serait bon qu’elles discutent entre elles de ce problème. Il faut vous habituer à une chose : je ne suis pas jacobin, je n’appliquerai pas de méthode jacobine. Je crois au débat et je crois que lorsque les gens se prennent en main eux-mêmes, c’est bien préférable. Moi je suis là pour coordonner les choses, lorsqu’il s’agit des finances publiques je suis beaucoup moins laxiste que certains l’ont été mais sur tout le reste je ne veux pas vous dire : voilà le règlement. Je vous montre simplement quel est le système. Si on avait une obligation absolue... Prenons un exemple pour le recrutement des enseignants du supérieur, nous avons un système qui nous oblige à un recrutement national. C’est pourquoi dans la réforme que nous avons faite nous avons une liste d’aptitude avant de laisser les établissements recruter qui ils veulent. C’est contraire au traité de Maastricht, parce que les étrangers ne peuvent pas concourir au même titre que les Français. Or c’est contraire au traité de Maastricht. Donc je maintiens cette formule pendant quelque temps mais je ne la maintiendrai pas éternellement, il suffirait qu’il y ait un recours à la Cour de Luxembourg pour que ce système disparaisse. Il faut donc être conscient de ce problème. Je ne sais pas ce qui se passera pour les concours du groupe 1 d’agréation de droit et d’économie, mais je pense que là aussi on est limité par nos engagements européens. Il faut donner le libre accès de tous les emplois publics et universitaires, sauf les emplois qui sont régaliens et qui mettent en jeu les intérêts de la défense, etc., à l’ensemble des citoyens européens. Et donc nous serons obligés à avoir à un moment ou à un autre, une harmonisation européenne. Dans ce cas-là, je n’ai pas vocation, étant membre du gouvernement, à violer la loi. Je dirai c’est la loi, c’est comme ça, ce n’est même pas moi qui le dirai, c’est le Parlement. Autrement je ne veux pas balancer une circulaire en vous disant que désormais vous faites ceci, etc., sans qu’il y ait une discussion entre les intéressés. Je pense que discipline par discipline, vous avez intérêt à organiser vous-mêmes une réunion entre les diverses écoles et à commencer à débroussailler le sujet. Vous le connaissez mieux que n’importe qui. Vous savez ce que vous avez dans vos programmes, comment vous pouvez vous lier et à ce moment-là essayer d’avancer et de faire des propositions, de rencontrer la commission Attali, dans laquelle il y a des gens de sensibilités commerciales, il y a des anciens élèves HEC, différentes personnalités, et de discuter pour leur suggérer des solutions.
Jean-Pierre Debourse : Je suis de l’école supérieure de commerce de Lille. Y a-t-il une réflexion au sein de votre ministère sur un statut de l’universitaire créateur d’entreprises ? Et deuxièmement, y a-t-il une réflexion sur le financement de la recherche dans les écoles de commerce ?
Claude Allègre : Première réponse oui, deuxième réponse non. Il n’y a pas de réflexion sur le financement de la recherche dans les écoles de commerce. Il y a une réflexion sur le problème de l’universitaire créateur d’entreprises, mais qui n’est pas encore aboutie. Il y a une réflexion sur le problème du capital-risque et de l’accès au capital-risque des créateurs d’entreprises qui viendraient des structures universitaires également, mais là aussi la réflexion n’a pas encore abouti. Parce que nous avons des différences de sensibilité à l’intérieur même du gouvernement. Je suis personnellement très réticent à un système de capital-risque qui serait contrôlé par Bercy. Je pense que si on prend des risques en prenant un parapluie au départ, ce n’est pas du risque. Je préférerais que le capital-risque soit géré par des structures autonomes impliquant des entreprises, des individus, dans lequel l’État n’ait que de l’argent d’appel, mais ne mette pas l’essentiel de l’argent. Ce n’est pas du capital-risque qu’on nous propose parfois, c’est un capital-risque, avec derrière une assurance, avec des compagnies d’assurance qui assurent le capital-risque, alors c’est le parapluie puis le deuxième parapluie. On va finir avec un parachute. Donc nous n’avons pas encore complètement élaboré nos philosophies sur ce sujet.
Jean-Claude Deskiter : Je suis directeur de l’EC Rouen. Je voudrais revenir sur le problème de l’internationalisation, les écoles de gestion s’en préoccupent depuis longtemps mais je voudrais savoir comment va fonctionner, quels sont les objectifs et les moyens de l’agence de promotion de la formation à l’extérieur dont vous avez parlé tout à l’heure.
Claude Allègre : D’une manière générale je souhaite que l’administration centrale de mon ministère ne fasse pas de gestion. Je ne pense pas que la manière de faire faire de la gestion par l’administration centrale soit une bonne chose. D’abord parce que les règles administratives sont très lourdes et je ne crois pas que c’est sa vocation. Je pense que les administrations centrales doivent être des concepteurs de projets, des incitateurs, des organisateurs et puis ensuite, une fois que le projet est défini, la gestion se fait. Par conséquent cette agence sera sous co-tuelle des affaires étrangères et de l’éducation nationale, bien qu’elle soit située chez nous. Elle rassemblera un certain nombre des activités qui permettront, par exemple de faire en Inde cinq expositions dans cinq villes indiennes, l’an prochain pour expliquer l’offre de formation française en matière d’enseignement supérieur. Et je peux vous dire que les gens qui travaillent sur la préparation de l’exposition ont un mal de chien pour fabriquer quelque chose qui soit lisible et ramassé. Vous me direz que l’offre de formation française est très adaptée à la philosophie indienne ou au récit du Mahabarata mais je ne suis pas sûr que pour une présentation d’exposition... De toute manière vous serez sollicités une fois que la trame sera faite. Et donc cette agence va essayer de regrouper les choses, de donner des moyens et de servir d’intermédiaire et en même temps de rassembler l’ensemble des éléments. Je crois qu’il est un peu prématuré de dire exactement comment elle fonctionnera. Mais nous souhaitons que cela nous rapporte de l’argent.
Je vais répondre maintenant au problème vétérinaire et de visas. Je crois qu’il va y avoir une coordination sur la recherche de tout ce qui concerne le vivant. C’est-à-dire qu’actuellement les activités de recherche de l’INSERM, du CNRS, du CEA, de l’INRA, ne sont pas coordonnées. La preuve, vous trouvez le spécialiste mondial du prion sur la vache folle qui est Monsieur Dormon et qui travaille au CEA, ce qui est une localisation un peu originale. Nous allons donc coordonner les activités dans ce domaine. Et je crois que cette coordination des activités du vivant conduira à se poser des questions sur les troisièmes cycles. Que ce soient les troisièmes cycles à finalité vétérinaire, à finalité médicale ou agronomique. Je crois que le problème que vous soulevez se pose pour tous. Donc je ne veux pas vous donner de résultat avant que les gens aient discuté entre eux. Mais il est clair qu’il y aura un dialogue avec les universitaires sur tout ce qui concerne ce secteur et sur leurs applications, c’est clair. Faut-il que les troisièmes cycles soient « vétérinaires » ou plus généraux. Ils pourraient avoir par exemple une option vétérinaire et une option médicale, car maintenant la biologie prend une telle unité de pensée qu’on peut se demander s’il faut trop spécialiser les troisièmes cycles ou s’il faut au contraire avoir des troisièmes cycles plus généraux, plus fondamentaux, et en même temps des options plus appliquées. C’est discuter. Deuxièmement, sur le problème des visas, je vais vous faire un peu de propagande pour le gouvernement. On entend parler de beaucoup de choses et beaucoup de gens se demandent si le gouvernement a abrogé ou non les lois Pasqua-Debré. Dans ce domaine c’est purement une abrogation des lois Pasqua-Debré puisque dans le projet de Jean-Pierre Chevènement, il est explicitement prévu une situation pour les professeurs associés, pour les chercheurs, pour les élèves. Les professeurs associés non seulement recevront leur visa et leur titre de séjour du consulat du pays dont ils viennent. Quand ils auront une activité pluriannuelle ils recevront un visa pluriannuel pour eux et pour une personne qui les accompagne. Donc je pense que les tracasseries seront supprimées. Par ailleurs il y aura une instance qui sera chargée de faire le lien avec le ministère de l’intérieur. À ce sujet je suis quand même obligé de dire que ce système ne marchera bien que si nous sommes tous collectivement, et les chefs d’établissements en particulier, dont vous-mêmes, vigilante et pas provocateurs. Je voudrais vous rappeler ce qui s’est passé. J’étais à ce moment-là conseiller spécial ici, au moment de la guerre du Golfe. Le ministère de la Défense s’est préoccupé du problème de l’existence d’étudiants irakiens sur notre territoire, ce qui était légitime pour des raisons de défense nationale. D’abord on ne savait pas où ils étaient, les universités ne sachant pas ou sont leurs étudiants une fois qu’ils sont inscrits. Ça a pris déjà deux mois pour repérer ces gens-là. Nous en avons repéré dans des universités et des grandes écoles. Mais nous en avons repéré cinq particulièrement intéressants. Deux faisaient des thèses sur la balistique des missiles, sous la direction d’un professeur français, à Saint-Étienne. Il y en avait trois autres qui travaillaient sur la propagation des épidémies bactériologiques sous la direction de professeurs français. Je les ai convoqués, je vous garantis qu’ils ont pris un savon dont ils se souviendront. Je pense que quand on s’amuse à ces plaisanteries, on s’expose ensuite à ce que le ministère de la Défense et de l’intérieur disent : on ne peut pas donner aux universitaires des franchises. Nous avons la chance d’avoir un ministre de l’intérieur qui est un ancien ministre de l’éducation nationale et qui est très sensible aux intellectuels, mais i1 faut faire très attention d’assumer nos responsabilités. Ne vous prêtez pas à des opérations de provocation. Je veux dire n’invitez sous un prétexte quelconque un professeur qui irait camper dans telle ou telle église pour demander sa régularisation. Je connais mes collègues universitaires et je sais ce qui se passe. J’ai été professeur à Paris VII et j’avais un collègue, paix à son âme, qui est mort, qui s’appelait Jaulin, qui était ethnologue. Chaque fois qu’on lui donnait une mission pour aller faire une étude ethnologique, et je me souviens d’une aux États-Unis, il organisait une révolte des réserves indiennes. Donc je crois qu’il nous faut être extrêmement attentifs sur un certain nombre de ces sujets. Je crois qu’il est indigne d’avoir des prix Nobel qui sont obligés de faire quatre fois la queue à la préfecture de police pour finir par avoir un visa et qui disent que jamais plus ils ne viendront en France. Quand on veut voir la différence entre la loi Chevènement et la loi Pasqua-Debré, il n’y a qu’à regarder là, des exemples comme ça. Donc je pense que la vie vous sera simplifiée. Je ne vous garantis pas, compte tenu de la célérité de l’administration française, que se sera instantané. Il nous faudra peut-être quelque temps avant que ça mouline correctement, mais ça devrait entrer dans les mœurs assez vite et en tous les cas la direction des affaires internationales ici sera chargée de faire en sorte que cela le soit.
Je crois qu’on a fait un tour de table. Encore une fois je vous encourage surtout à réfléchir collectivement aux sujets que j’ai posés. Par ailleurs, pour ces problèmes de grandes écoles, vous avez auprès de moi Monsieur Descusse qui s’occupe des problèmes des grandes écoles scientifiques ou commerciales et Monsieur Maurice Garden plutôt de ce qui concerne les écoles à finalité littéraire ou juridique...
À bientôt, au revoir Mesdames et Messieurs.