Discours de M. Gaston Defferre, ministre de l'intérieur et de la décentralisation, au congrès des présidents des conseils généraux, sur le projet de loi relatif à la répartition des compétences, Lyon le 23 septembre 1982.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assemblées des présidents des conseils généraux de France du 22 au 24 septembre 1982 à Lyon

Média : Actualité de Paris - Départements et communes - FRA - PARIS

Texte intégral

La décentralisation est dès à présent menée à bien dans quatre-vingt-seize départements. Il en est un où la convention n'a pas été signée, Saint-Pierre-et-Miquelon pose des problèmes particuliers. Dans les régions, vingt-cinq conventions sur vingt-six sont elles aussi signées. S'il y a un an j'avais annoncé que, dès mars 1982, l'exécutif allait être transféré aux départements et aux régions, je n'aurais pas été cru. En fait la rapidité de la mise en oeuvre de la loi a été remarquable, et je rends ici hommage aux préfets qui, à cette occasion, ont fait preuve d'une dignité et d'une hauteur de vues remarquables. Je m'honore spécialement de le dire devant M. Philip.

Un bilan global des situations financières après le transfert de l'exécutif est nécessaire pour permettre de simplifier les relations en ce domaine entre les collectivités territoriales et entre les collectivités territoriales et l'État.

Je dirais d'abord un mot de la décentralisation et de la déconcentration, car la décentralisation est accompagnée d'une très large déconcentration, puisque désormais les préfets ayant sous leur autorité les services extérieurs de l'État peuvent prendre des décisions. L'instance supérieure prévue, le comité interministériel présidé par le Premier ministre, prendra les mesures voulues pour que la déconcentration accompagne la décentralisation. Je demande aux présidents de conseils généraux, de leur côté, de veiller à ce que lorsque le statut du personnel sera mis en application, il n'y ait pas de situations trop compliquées ou trop onéreuses. A ce propos j'accepterai les mises à la disposition des fonctionnaires de catégorie A, s'ils ne sont pas en fonction au moment où vous ferez la demande.

J'en viens au projet de loi sur la répartition des compétences, déposé en juin. Quel est son caractère ? D'être pragmatique et progressif. Il vise à organiser les structures et à faire avancer les choses sur le plan pratique. Je me suis toujours montré être votre interlocuteur, quelqu'un qui vous a écoutés et vous a souvent donné raison. Le transfert des compétences est progressif et sera réalisé en trois ans. Un délai d'un an eût été illusoire, un délai de trois ans est raisonnable. Nous serons aussi tenus par la loi de finances qui doit inclure, dans les trois ans à venir, des dispositions relatives aux compétences. Et chaque transfert de compétences doit être accompagné d'un transfert de ressources équivalent : j'en ai pris l'engagement. C'est le premier principe retenu.

Après ces trois ans, je souhaite qu'un bilan soit fait pour que les mécanismes des concours budgétaires de l'État soient suffisamment clairs pour permettre aux départements et aux régions de décider souverainement.

Un autre principe est lui aussi essentiel : le transfert de compétences ne doit être en aucun cas l'occasion qui permette à une collectivité locale d'exercer une tutelle sur une autre. Certains d'entre vous craignent, je le sais, que la région empiète sur le département. J'ai veillé à ce qu'il n'en soit rien, à ce que la situation actuelle soit respectée. La région n'aura pas de pouvoir  réglementaire. Seul l'État peut définir des règles générales contraignantes.

J'en viens aux moyens. Tout d'abord au personnel, les services qui exercent uniquement pour les collectivités territoriales sont transférés à celles-ci par un décret pris en Conseil d'État (les personnels ayant été consultés). Pour les autres, le régime de la mise à la disposition est prorogé. Dans le même esprit s'effectue le partage des préfectures.

Quant aux moyens financiers, à l'heure actuelle, dans les recettes des collectivités territoriales la part des concours versés par l'État est égale à celle du produit de la fiscalité locale. L'attribution de nouvelles ressources destinées à compenser les charges résultant des compétences transférées ne doit pas aboutir à déséquilibrer ce rapport et à augmenter sensiblement l'importance relative des dotations budgétaires. Selon l'estimation qui en a été faite, on chiffre à 26 milliards de francs les sommes qui représentent le transfert des compétences, en y comprenant une dotation de décentralisation de 11 milliards : ces chiffres montrent l'ampleur de l'effort que consent le gouvernement.

Avec le système de la dotation globale d'équipement (DGE) - système qui existe pour le fonctionnement -, on s'éloigne de la tutelle. Créée par la loi du 2 mars 1982, elle regroupera pendant trois ans tous les crédits de subvention et instituera une dotation libre d'emploi. Après  ce délai, on fera un bilan financier.

Toutes ces dispositions n'ont qu'un but : renforcer la démocratie et les solidarités locales. Elles seront complétées d'une part par un projet de loi qui visera les cas de Paris, de Marseille, de Lyon, plus tard par un autre relatif aux villes de plus de 100 000 habitants, enfin par des mesures propres à développer la coopération intercommunale. Je souhaite que districts et communautés urbaines procèdent à une nouvelle répartition des pouvoirs. Toute organisation nouvelle doit reposer sur le consentement mutuel : la loi nouvelle s'appliquera aux communautés à créer ; pour celles qui existent, il y aura possibilité de maintenir le régime ancien ou d'adopter le système nouveau, le cas échéant amodié. Et il n'y aura pas de fusion obligée de communes.

Avec M. Le Pors, le statut des personnels a été décidé en collaboration avec les syndicats et les associations d'élus, même dites apolitiques, comme la vôtre (exclamations), ou purement politiques. Bref, la concertation s'est faite avec tous les intéressés sans exception. Mais ce projet ne pourra être voté à la session prochaine. Reste qu'avant les municipales, tout le monde saura à quoi s'en tenir sur le statut du personnel des collectivités territoriales. La carrière de ses membres comportera des passerelles entre les différentes catégories. Le principe de la parité entre la fonction publique de l'État et la fonction publique territoriale conduit à créer des conseils supérieurs pour l'un et pour l'autre. (Je rappelle que dans le passé il n'existait pas de fonction publique départementale ou régionale, mais seulement communale.) La séparation du grade et de l'emploi sera maintenue intégralement, le recrutement par concours généralisé, la parité des rémunérations établie, les droits syndicaux garantis, comme pour les fonctionnaires de l'État. Mais la gestion des personnels sera telle que les collectivités territoriales ne seront pas dessaisies de leurs responsabilités. Enfin cette réforme ne devrait pas entraîner des coûts financiers supplémentaires. La concertation doit apporter au système un élément de souplesse. Les pouvoirs de gestion seront limités à l'indispensable, afin d'assurer l'unité de ces corps. La compétence des autorités locales est affirmée pour la nomination, la notation, l'avancement, les sanctions disciplinaires. Le cas des emplois non comparables à ceux de l'État appelle des mesures appropriées. La possibilité de recrutement direct est préservée pour les emplois de direction limitativement définis.

J'ai voulu réserver aux maires, aux présidents des conseils généraux et régionaux la possibilité de recruter un personnel avec lequel ils aient des rapports de confiance. Enfin je précise que ces textes seront arrêtés début octobre et déposés le plus rapidement possible devant le Parlement.

Le statut des élus pose un problème : faut-il l'accompagner d'un texte sur le cumul des mandats ? La décision suppose une confrontation approfondie avec toutes les formations politiques. Le cumul est en effet largement répandu en France, beaucoup moins à l'étranger. Le supprimer risque de poser une question de fidélité : en général les électeurs ne souhaitent pas qu'on les abandonne… Mais nous essaierons pourtant de déposer les deux textes en même temps.

Tout indispensable qu'il est, le statut des élus coûtera cher. Si l'on veut que les présidents de conseils généraux (et les adjoints aux maires) reçoivent des indemnités normales, la charge en sera lourde. D'où la nécessité d'une large concertation pour ne pas heurter l'opinion. Le texte comportera aussi des dispositions relatives aux autorisations d'absence, au régime de retraites, etc.

Je conclus : la décentralisation est entrée dans les faits. On peut contester le choix fait pour l'ordre de présentation de ses trois volets, mais les présidents des conseils généraux entendent que les lois sur les compétences et les moyens financiers ne tardent pas, ils veulent que la décentralisation aille à son terme normal. C'est compréhensible. Mais tout ne sera terminé que lorsque les élus que vous êtes sauront quels progrès ont été faits, mesureront leurs responsabilités, et que nos compatriotes apprécieront ce que leur apporte la décentralisation. Elle devra enfin atteindre les domaines économiques et culturels pour que les carrières des intéressés puissent se dérouler normalement dans nos départements et nos régions (applaudissements).