Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je vous ai écouté avec beaucoup d’intérêt.
Les thèmes que vous avez abordés au cours de cette journée consacrée à la responsabilité médicale, témoignent de l'importance que revêt ce sujet pour le corps médical. Ce sujet préoccupe également les juridictions : les longs développements que le Conseil d’État consacre au droit de la santé dans son dernier rapport rendu public il y a quelques jours, en témoignent. Ce thème a été également longuement débattu par le Conseil économique et social à l'occasion de l'avis qu'il a rendu en 1996 sur les droits de la personne malade.
Il existe également une forte attente de notre société ; les victimes et le public ne peuvent plus admettre qu'un acte médical destiné à guérir engendre infirmités et mort.
Pendant des siècles l'impuissance du médecin qui soulageait plutôt qu'il ne guérissait, a eu pour corollaire sa totale immunité ; depuis un siècle les tribunaux administratifs et judiciaires ont, chacun·de leur côté, développé une jurisprudence abondante, partiellement convergente. Demeure toutefois une distinction profonde sur le fondement de la responsabilité selon que le médecin exerce en médecine libérale ou en milieu hospitalier.
Cette évolution participe d'un mouvement plus général de notre société ; elle révèle l'importance prise par les problèmes de santé et de désarroi de la société devant l’efficacité croissante des thérapeutiques qu'accompagne une augmentation des risques.
Et pourtant la crise actuelle de la responsabilité médicale ne trouvera pas sa solution dans la multiplication des contentieux. Les médecins vivent leur procès comme une menace arbitraire ; ces procès ne satisfont pas les victimes ; engager un procès contre son médecin est une décision lourde à prendre : elle signifie que la relation de confiance qui est le fondement de la relation thérapeutique est brisée. Et, il y a aussi des raisons financières qui ne sont pas méprisables quand on sait dans la situation matérielle dramatique peuvent se retrouver certaines victimes.
Ces dernières, qui souffrent parfois de séquelles graves, doivent assumer des procès longs et coûteux. Elles se heurtent à la barrière du secret, aux difficultés de l'expertise faite par un médecin, et enfin à des divergences importantes quant à la réparation de l'aléa médical selon qu'il intervient dans le secteur public et dans le secteur privé.
Depuis les années 70, une vingtaine de projets ont été élaborés – qui reposent sur des philosophies de la responsabilité très différente.
À mon arrivée en 1992 au ministère de la santé, préoccupé de cette question, j'avais demandé à François EWALD une étude qui permette d'appréhender ce sujet complexe. Je lui avais notamment demandé de préciser les données et les enjeux du problème de l'indemnisation des conséquences des actes médicaux.
Dans ce rapport qui a été publié sous le titre « le problème français des accidents thérapeutiques Enjeux et solutions », F. EWALD a estimé que l'enjeu du problème de la responsabilité des médecins, qu'il établit comme la définition des obligations réciproques entre médecin et malade, est de recréer entre médecin et malade un langage de soins qui soit un langage commun.
Je partage complètement ce point de vue. Préalablement à toute question d'indemnisation, le fil qui doit nous guider dans ce débat sur la responsabilité médicale, est celui de redéfinir la relation médecin/patient J'ai ainsi eu l'occasion de présenter une communication en Conseil des ministres en mars 1993. J'aurais souhaité présenter un projet de loi, mais la majorité, comme vous le savez, a changé.
Il nous faut, j'en suis plus que jamais convaincu, reprendre ce travail. Pour cela, il est nécessaire de fixer quelques principes permettant de mieux organiser les droits de la personne malade et d'organiser une relation renouvelée, entre celui qui souffre et celui qui tâche de guérir, vers plus de confiance et de transparence. Cette réflexion, qui doit donner lieu à une concertation approfondie avec les praticiens et avec les associations de malades et d’usagers du système de santé, pourrait s’articuler autour de 3 axes :
1. Tout d'abord il serait opportun de regrouper dans un titre spécifique du code de la santé publique un certain nombre de dispositions de portée générale sur le principe de consentement éclairé et son corollaire, celui du droit à l’information et l’accès au dossier médical.
Cette démarche pourrait rejoindre la réflexion déjà largement entamée par l'Ordre national des médecins dans la réforme du code de déontologie : il faudrait reprendre et étoffer considérablement le titre « devoirs envers les malades », qui insiste particulièrement sur les notions de consentement éclairé et d’information.
Un certain nombre de textes existent :
- la loi du 20 décembre 1988 sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ;
- la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux ;
- la loi du 31 juillet 1991 sur les droits du malade accueilli dans un établissement de santé ;
- les lois du 29 juillet 1994 dites « lois bioéthiques ».
La charte du 6 mai 1995 rassemble les droits essentiels du patient hospitalisé et rappelle aux établissements de santé, qu'au-delà de la réglementation sanitaire, ils se doivent de veiller au respect des droits fondamentaux de la personne.
Ces droits fondamentaux méritent d'être approfondis, et mis en perspective. Il convient, en particulier, de prendre en compte l'évolution des systèmes automatisés d'information. Cette évolution, nécessaire et souhaitable, ne doit en aucun cas remettre en cause le secret médical.
2. Dans le domaine de la responsabilité médicale, notre réflexion peut s'articuler autour des principes suivants :
- maintenir la responsabilité du médecin fondée sur une obligation de moyens. Il serait vain de vouloir instaurer, en médecine, une obligation de résultat. Il est en revanche nécessaire de garantir que l'obligation de moyens est bien respectée ;
- permettre l’indemnisation des accidents médicaux quelles qu’en soient la cause et l’origine. La jurisprudence a évolué et a, dans un certain nombre de cas, admis une responsabilité médicale en l’absence de toute faute, ouvrant la voie à l’indemnisation de victimes d’accidents médicaux graves ;
- favoriser une « procédure de vérité » selon les termes de F. EWALD en organisant une véritable conciliation et en réformant le système d’expertise.
3. Le troisième volet de ce dispositif et, non des moindres, consiste à instaurer un dialogue organisé entre les professionnels de santé et les usagers. Il faut donner la parole aux patients, et pas seulement lorsqu’ils sont en position de victimes, mais aussi en les considérant comme des acteurs à part entière du système de santé.
Les médecins et les malades doivent se reconnaître comme partenaires.
L’émergence d’associations de patients est un phénomène récent, que l’on a trop tendance à sous-estimer. Ces associations jouent un rôle de plus en plus important. Elles sont des interlocuteurs réguliers. Nous organisons avec elles dans les prochaines semaines une journée de travail.
Il ne faut pas craindre ce mouvement. Au contraire, il contribue à faire du patient un partenaire actif, averti. Nous l’avons vu pour le SIDA. Nous le voyons aujourd’hui dans d’autres pathologies.
Les réflexions que nous devons mener doivent conduire, dans ce domaine à conjuguer responsabilité et solidarité. Il sera certainement nécessité de légiférer. L’excellente analyse contenu dans le rapport annuel du Conseil d’État le montre. Vos réflexions d’aujourd’hui nous sont très précieuses. Je vous en remercie.