Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur la convention de Montego-Bay sur l'exploitation des grands fonds marins, l'évolution du droit maritime international et la participation de la marine nationale à son application, Paris le 28 mars 1996.

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Circonstance : Colloque "Droit maritime et Défense", à Paris les 28 et 29 mars 1996

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général pour l'administration,
Amiral,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Député,
Monsieur le Sénateur,
Mesdames, Messieurs,

Le droit est au cœur des activités du ministère de la défense d'une part, la défense est soumise au droit ; d'autre part, la défense agit au service du droit. Le lien qui unit le monde militaire à la sphère juridique avait conduit à l'organisation, en décembre 1994, d'un premier colloque sur le thème « Droit et Défense ». J'ai souhaité que cette réflexion soit prolongée et consacrée cette année, aux mers et aux océans. En effet, la profonde évolution qui touche le droit de la mer depuis quinze ans intéresse au premier chef la France. Je rappelle simplement l'étendue de son domaine maritime : 11 millions de kilomètres carrés.

Au XIX siècle, le droit de la mer était un droit coutumier, né du concert européen et garantissant la liberté des mers.

Il fut contesté au XXème siècle par certains pays issus de la décolonisation : l'hégémonie européenne était parvenue à son terme ; les océans n'étaient plus seulement un lieu de passage mais aussi un lieu de richesses (pétroliers, modules). Deux réformes du droit de la mer furent alors engagées. La première échoua à Genève en 1958. La seconde fut menée à son terme à Montego-Bay en 1982.

Cette convention « des Nations Unies sur le droit de la mer » signée par la France, a permis une évolution profonde du droit de la mer. Certes, cette convention entrée en vigueur le 18 novembre 1994, n'a valeur obligatoire qu'à l'égard des États contractants. Cependant la quasi-totalité de la communauté internationale, dont la France, reconnaît une valeur coutumière à nombre de ses dispositions. Il en va par exemple ainsi de la largeur de 12 milles marins de la mer territoriale ou de la création de zones économiques exclusives d'une largeur de 200 milles.

Pour autant la convention de Montego-Bay n'était pas entièrement satisfaisante, notamment sa Partie XI sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins internationaux. C'est pourquoi la France a assorti sa signature d'une déclaration excluant toute ratification en l'absence d'amélioration du régime de ces grands fonds. Depuis quinze ans, la France a beaucoup travaillé pour que la convention soit complétée afin de la rendre acceptable par tous et d'en assurer ainsi l'universalité. Ce processus de négociations internationales a abouti le 18 juillet 1994 à l'adoption d'un « accord relatif à l'application de la Partie XI » de la convention de Montego-Bay. En conséquence, la France a déposé les instruments de ratification.

Cette négociation n'est, bien sûr, pas la seule dans laquelle la France se soit engagée depuis plusieurs années. Un effort considérable a été engagé sous l'égide du ministère des affaires étrangères pour délimiter l'espace maritime français. Seuls trois accords de délimitation avaient été passés durant le XIXème siècle et jusqu'en 1967 avec nos plus proches voisins, Grande-Bretagne, Italie, Espagne. De 1967 à 1975, ce mouvement s'est accéléré, la France passant quatre nouveaux accords. Depuis le milieu des années 70 plus d'une douzaine d'accords de délimitation ont été signés. Cette œuvre de longue haleine dote aujourd'hui la France du deuxième espace maritime au monde.

A ces évolutions du droit international, font écho diverses modifications du droit interne.

Plusieurs réformes importantes ont été menées à bien depuis une dizaine d'années. Ainsi est intervenue la loi du 5 juillet 1983 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer, l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la pollution. De même a été adoptée une autre loi particulièrement importante pour la défendre, celle du 15 Juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de son pouvoir de contrôle en mer.

Face à ces évolutions juridiques, internationales ou internes, ce colloque est l'occasion de faire le point sur l'état de ce droit et son application, en particulier avec l'un de ses principaux sujets et acteurs, la Marine nationale.

Sujet du droit maritime, la marine nationale doit aussi participer au respect de son application.

C'est une tâche gigantesque, à la mesure des 3 000 kms d'atterrages maritimes métropolitains, des quatre départements d'outre-mer et des quatre territoires d'outre-mer, à la mesure d'un espace maritime qui est, je l'ai dit, le deuxième au monde. La surveillance et les interventions de police ou de secours supposent une organisation adaptée et des moyens adéquats. Avec le nouveau droit de la mer qui a repoussé les frontières loin dans les océans, avec la convention de Schengen qui a confié à chaque État des responsabilités supplémentaires, une simple veille ne suffit plus ; il s'agit désormais de manifester une présence visible et de se préparer à l'action.

L'action de l’ État en mer, animée et coordonnée par le secrétariat général de la mer, repose sur les préfets maritimes, investis d'une double responsabilité, de police administrative générale et de coordination des actions opérationnelles. Quant à la Marine Nationale, elle est la seule à assurer une présence permanente sur toute l'étendue des mers et apporter, si besoin est, l'assistance nécessaire.

A côté de la Marine nationale, la gendarmerie nationale, qu'elle soit territoriale ou maritime, est également fortement impliquée, qu'il s'agisse d'actions de police administrative ou de police judiciaire.

La professionnalisation à court terme des armées doit entraîner une efficacité accrue dans l'accomplissement de ces tâches.

Au-delà de ses thèmes spécifiques, ce colloque constitue pour moi une occasion de souligner la nécessaire prise en compte du domaine juridique au sein du ministère de la défense. Omniprésente depuis longtemps, cette exigence juridique s'accroît encore depuis quelques années en raison de multiples facteurs :
     – influence croissante de la réglementation européenne et du droit international ;
     – multiplicité des secteurs d'activité et donc des réglementations particulières (environnement, marchés publics, …) ;
     – exigence d'un arbitrage renouvelé entre les aspirations de la société à davantage de transparence et les impératifs des missions et de la condition militaires ...

Sous l'influence de ces divers facteurs, l'activité normative du ministère a augmenté de 50 % en cinq ans : le nombre des textes publiés est passé de 850 à près de 1 200. En matière de contentieux, la croissance est de 20 % sur la même période.

Afin de répondre à ce besoin croissant de droit, le ministère se doit de disposer d'un pôle juridique unique, riche en compétences variées. C'est le rôle de la direction de l'administration générale.

Qu'il me soit permis de conclure sur une réflexion plus générale. Elle concerne la place de l'État de droit dans nos sociétés modernes. Gardons-nous de succomber, compte tenu de l'importance accrue du droit dans la vie quotidienne, à la tentation d'une société de contentieux. D'autres modes de régulation sociale sont à notre disposition. Je dirais même que ce sont eux qui doivent avoir la priorité au sein d'une société qui devient trop individualiste et trop éclatée.

Une société juste n'est pas une société où l'excès de droit tue le droit. Le Conseil d'État avait rappelé ces évidences dans son rapport public de 1991. Je souhaite que vos travaux soient également l'occasion d'une réflexion sur cette question. Soyez assurés que je serai attentif à vos conclusions.