Déclarations de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur les droits des salariés au niveau communautaire et la négociation collective, à l'Assemblée nationale le 4 juin et à la Commission nationale de la convention collective le 24 juin 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat sur le projet de loi relatif aux droits des salariés dans les groupes d'entreprises à l'Assemblée le 4 juin-réunion de la commission nationale de la négociation collective le 24.

Texte intégral

Discours devant l'Assemblée nationale, le mardi 4 juin 1996

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Le texte que vous examinez d'aujourd'hui comporte deux ensembles de dispositions.

Il s'agit tout d'abord de transposer la directive communautaire du 22 septembre 1994 sur les comités d'entreprise européens.

À cause de l'ordre du jour très chargé des Assemblées en cette fin de session, qui n'aurait pu accueillir 2 textes relatifs au droit du travail, un second projet de loi a dû être joint à ce texte, sous la forme d'une « lettre rectificative ». Ce projet important concerne le développement de la négociation collective.

Avant d'en venir à la présentation de chacun de ces 2 textes, je voudrais remercier la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales, et en particulier son rapporteur. La clarté et la précision de leur analyse nous permettront de débattre en pleine connaissance de cause. De surcroît, les auditions auxquelles M. Bur a procédé éclairent la portée très concrète des dispositions qui vous sont soumises.

I. – J'en viens donc au projet de loi relatif à l'information et la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprise de dimension communautaire.

A. – Ce texte constitue une étape importante dans la construction de l'Europe sociale :

La directive du 22 septembre 1994 illustre parfaitement ces progrès de la construction de l'Europe sociale dans le domaine du droit du travail.

Pour la première fois, en application du le Protocole sur la politique sociale, annexé au traité de l'Union européenne, et de l'Accord sur la politique sociale, la Commission a consulté les partenaires sociaux sur un projet de directive. Ceux-ci ont longuement débattu de ce texte et ont profondément influencé le projet, même s'ils ne sont pas parvenus à formaliser un accord.

B. – Cette directive est remarquable d'un triple point de vue :

1) par sa portée : elle est la première à consacrer un droit nouveau, proprement européen, pour les salariés.

2) par ses conditions d'élaboration : elle est le fruit d'un dialogue entre les partenaires sociaux européen et les institutions communautaires. Comme le rappelle très justement le rapport de votre Commission, ce dialogue social européen a permis aux nombreux groupes français concernés de rendre compte de leur expérience et de faire valoir leur point de vue.

3) par sa nature : les obligations qu'elle instaure, les procédures ou institutions qu'elle encourage, revêtent en effet un caractère intrinsèquement transnational, qui fondent et justifient l'intervention communautaire.

Je voudrais décrire brièvement l'objet de la directive, puis exposer les principes qui ont inspiré la rédaction du projet de loi.

C. – La directive :

1) Elle vise à améliorer le dialogue social dans les groupes européens :

Elle crée pour les salariés le droit à recevoir une information et de pouvoir dialoguer, à l'échelle européenne, sur la vie, les activités et les perspectives d'évolution de leur groupe. Il s'agit aussi d'ouvrir un espace de dialogue sur les opérations de restructuration ou de délocalisation à l'échelle européenne, dont l'opinion publique s'émeut parfois à juste titre.

En effet, alors que nombre de décisions sont désormais prises à l'échelle européenne, le dialogue social demeure enserré dans des réglementations purement nationales. Il en résulte d'abord une inégalité de traitement des salariés du groupe. En outre, l'information dispensée aux instances de consultation nationales perd de sa pertinence.

Je tiens à souligner qu'aux 11 signataires du Protocole social sont venus s'adjoindre les 3 nouveaux États-membres de l'Union, ainsi que 3 États de l'Association européenne de libre échange, par décision du Comité mixte de l'Espace économique européen. Cette extension est d'autant plus remarquable qu'elle concerne un texte éminemment transnational.

2) Le principe de subsidiarité a guidé les auteurs de la directive, de 3 manières :

1) La directive laisse avant tout les partenaires sociaux libres de choisir la formule qui leur convient : soit un « comité d'entreprise européen » (les négociateurs étant entièrement libres de déterminer sa composition, ses modalités de fonctionnement et ses attributions), soit une procédure d'information des salariés du groupe (les partenaires sociaux restant entièrement maîtres de définir le contenu de cette procédure).

Ce n'est qu'en cas d'échec des négociations que s'imposera un comité d'entreprise européen, entouré d'un certain nombre de règles de procédure détaillées par la directive.

Ainsi, la directive du 22 septembre 1994 impose essentiellement une obligation de négocier, dans un cadre dont elle se borne à fixer les grandes lignes. Elle est la première norme européenne à s'appuyer sur les partenaires sociaux pour sa mise en oeuvre.

2) La directive laisse une large place aux règles nationales : car chaque État européen a son histoire sociale, son architecture syndicale, son dispositif de relations du travail, son approche des changements socio-économiques.

Chaque État adoptera donc :

- d'une part, des dispositions applicables aux directions de groupes situées sur son territoire, ainsi qu'à toutes leurs filiales, même situées à l'étranger ;
- d'autre part, des dispositions applicables aux filiales implantées sur son territoire, même appartenant à un groupe étranger.

Ainsi, les modalités de désignation des représentants des salariés seront déterminées par chacun des États dans lesquels ont implantées des entreprises du groupe. De même, les règles de protection des représentants des salariés seront celles de leur propre pays.

3) Enfin, la directive préserve les accords déjà conclus :

Tout accord collectif déjà conclu au nom de l'ensemble des salariés européens du groupe et ayant pour objet de permettre leur information et leur consultation continuera de s'appliquer, sans que les dispositions nouvelles s'imposent aux partenaires sociaux.

Sur la cinquantaine d'accords existants en Europe, une vingtaine ont été conclus au sein de groupes français. D'autres sont en cours de négociation. C'est la preuve que la dimension européenne est devenue essentielle pour l'économie française. J'y vois aussi la marque de l'attachement des partenaires sociaux français à un dialogue social constructif et imaginatif.

D. – Trois principes ont guidé la rédaction du projet de loi :

1) La mise en oeuvre de ce dispositif reposera sur la liberté conventionnelle :

a) La direction d'un groupe installée en France devra négocier avec les représentants de ses salariés européens pour choisir le dispositif d'information : comité européen ou procédure d'information et de dialogue. Ce n'est qu'en cas de carence ou de blocage qu'un comité « légal » devra être mis en place, selon des prescriptions précises énoncées par la loi.

b) Les groupes français de dimension communautaire qui ont anticipé sur la directive pourront conserver leur propre structure ou procédure d'information européenne.

c) Le projet de loi permet enfin d'aménager, voire de supprimer le comité de groupe français dans les groupes qui ont créé un comité ou institué une procédure d'information européenne. Ces aménagements, destinés à éviter le cumul des instances d'information, devront bien entendu faire l'objet d'un accord des partenaires sociaux au sein du comité de groupe.

2) Second principe de transposition : le principe de subsidiarité :

Dans toute la mesure où la directive renvoie aux droits nationaux, le projet de loi s'inspire très largement de solutions traditionnelles du droit du travail français.

J'en donnerai 3 illustrations :

a) la notion de groupe sera identique pour le comité de groupe français et pour les nouveaux dispositifs européens (comité ou procédure) ;

b) les représentants des salariés seront désignés par les organisations syndicales, selon les règles respectant la pluralité syndicale française ;

c) ces représentants bénéficieront de la même protection que les représentant du personnel.

3) Troisième principe : une transposition coordonnée :

a) La nature transnationale des dispositifs institués par la directive imposait en premier lieu une étroite coordination entre les États au stade de la transposition.

J'en donnerai un seul exemple. La directive énonce 3 critères permettant de déterminer quelle est, au sein d'un groupe, l'« entreprise dominante ». Cette détermination est essentielle pour identifier la direction du groupe et pour définir le périmètre du groupe européen.

Or, la directive ne hiérarchise pas rigoureusement ces 3 critères. Afin d'éviter que 2 entreprises liées l'une à l'autre soient toutes deux déclarées « entreprise dominante », chacune par son juge national, il est donc apparu souhaitable d'établir une hiérarchie identique entre ces 3 critères, dans tous les textes de transposition.

b) La marge d'initiative conférée aux partenaires sociaux dans chaque groupe rendait en second lieu indispensable une étroite coopération avec leurs représentants, lors de la préparation du projet de loi.

Comme la directive, ce texte a donc fait l'objet de discussions approfondies. La rédaction qui vous est soumise est le fruit de ce très riche dialogue. Je crois pouvoir dire qu'elle est équilibrée et qu'elle recevra un large assentiment. Ce projet répond en effet à une attente des organisations syndicales, autant qu'à un besoin ressenti par de nombreux groupes français.

E. – Je formulerai 2 observations en guise de conclusion sur ce premier texte :

1) le droit nouveau qu'il consacre contribuera au renforcement de la cohésion sociale dans les groupes européens. Il enrichira le dialogue social au sein de chacun des États, en offrant aux partenaires sociaux l'occasion d'approcher les pratiques et la culture de leurs voisins.

2) il constitue une avancée incontestable de l'Europe sociale.

Sa présentation à l'Assemblée nationale suit d'ailleurs de peu l'adoption d'une « position commune » du Conseil de l'Union sur deux directives, relatives au congé parental et au détachement des salariés sur le territoire d'un autre État–membre. La directive sur le congé parental offre le premier exemple d'une norme communautaire transcrivant un accord conclu par les partenaires sociaux européens. La directive sur le détachement constituera un signal clair en faveur d'une concurrence loyale, en écartant les tentations de « dumping social ».

Tous ces textes témoignent d'un regain de vitalité de l'Europe sociale. Je crois profondément que cette approche concrète et réaliste de la construction européenne est de nature à développer une véritable conscience européenne chez nos concitoyens. Ce texte participe ainsi du modèle social européen. Il est la première pierre d'un ample édifice, dans la construction duquel la France est décidée, croyez-le, à jouer un rôle essentiel.

II. – Le projet de loi relatif au développement de la négociation collective, qui a pris la forme d'un article 6 ajouté à ce premier projet, n'est pas moins important que celui-ci.

Il vise à permettre aux partenaires sociaux de mettre en application l'ensemble des stipulations de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995, relatif aux négociations collectives.

Cet accord est important, par la volonté qu'il exprime de renforcer le dialogue social et la politique contractuelle, et par l'effort de clarification qu'il entreprend, en ce qui concerne l'articulation des 3 niveaux de négociation : interprofessionnel, professionnel et au sein de l'entreprise.

Il l'est aussi par le constat réaliste et courageux qu'il dresse des difficultés rencontrées par la négociation collective.

Il l'est enfin par le caractère novateur et équilibré des dispositifs expérimentaux qu'il a imaginées pour résoudre ces difficultés.

La disposition qui vous est présentée a pour unique objet de permettre à cette démarche expérimentale de se dérouler. En effet, les clauses qui aménagent le processus de négociation collective et qui concernent la représentation collective dans les petites et moyennes entreprises, dérogent au droit en vigueur et nécessitent donc une autorisation du Législateur.

A. – Je voudrais, avant de préciser la portée de cette disposition, souligner l'importance de la réflexion des partenaires sociaux sur la négociation collective.

L'accord du 31 octobre 1995 fait suite à plusieurs années de réflexion des partenaires sociaux dans le but de développer la politique contractuelle. Il traduit la volonté de renforcer leur contribution à la définition du cadre des relations sociales.

Les partenaires sociaux entendent notamment assigner des fonctions étendues à la négociation de branche et susciter le développement de la négociation dans l'entreprise.

Face aux limites actuelles de la négociation collective, l'accord interprofessionnel invite les négociateurs de branches à aborder conjointement 3 thèmes :

- la reconnaissance réciproque des interlocuteurs syndicaux et patronaux ;
- le renforcement de la représentation collective du personnel, notamment dans les PME ;
- la mise en oeuvre de mécanismes permettant l'accès à la négociation des salariés dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux.

B. – La disposition qui vous est proposée a donc pour objet de permettre la mise en oeuvre des dispositions expérimentales issues de cet accord :

1) Quels sont ces dispositifs ?

a) il s'agit tout d'abord de permettre aux branches professionnelles, pendant 3 ans, de fixer les conditions dans lesquelles des accords collectifs pourront être négociés et conclus dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.

Je rappelle qu'un tiers des établissements de 50 à 100 salariés, et à peine plus de la moitié de ceux comptant 100 à 200 salariés, ont des délégués syndicaux. Dès lors, l'impossibilité de conclure un accord en l'absence de délégué syndical aboutit à laisser hors du champ de la négociation collective une proposition considérable d'entreprises et de salariés.

2 voies seront donc ouvertes aux partenaires sociaux des branches :

- la négociation par des élus du personnel. Mais ces accords d'entreprise ne pourront entrer en vigueur qu'après validation par une commission paritaire de branche ;
- la négociation par des salariés mandatés à cet effet par des organisations syndicales. Ces salariés seront protégés contre le licenciement.

b) le second champ d'expérimentation concerne le renforcement de la représentation collective dans les PME, tenant compte des caractéristiques de ces entreprises.

Les partenaires sociaux n'ayant pas précisé la nature exacte des initiatives qui pourront être prises, le Gouvernement n'a pas cru possible d'ouvrir, sans l'encadrer, une faculté de dérogation aux règles légales de la représentation collective. Le mécanisme de validation a posteriori qui vous est proposé permet de répondre à cette objection, sans omettre toutefois de mentionner cet objectif, qui participe de l'équilibre interne de l'accord interprofessionnel.

2) Chacun de ces dispositifs revêtira un caractère expérimental :

Les innovations intervenues dans le domaine de la représentation collective du personnel feront l'objet d'un rapport annuel du Gouvernement au Parlement, qui s'appuiera sur les bilans réguliers assuré par les signataires de l'accord du 31 octobre 1995. Le cas échéant, un projet de loi sera déposé, en vue de permettre à ces dispositifs nouveaux d'entrer en vigueur.

À l'automne 1998, à partir d'un bilan de l'accord interprofessionnel établi par les partenaires sociaux et après consultation de l'ensemble des organisations professionnelles et syndicales représentatives au plan interprofessionnel, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport de synthèse, accompagné, le cas échéant, de propositions pour adapter le code du travail.

C. – Les critiques qu'elle a suscitées ne doivent pas faire obstacle au déroulement de cette expérience : elles portent sur deux points :

1) Le monopole syndical de négociation.

Il est certes apporté une dérogation aux dispositions en vigueur. Mais, pour décider de vous soumettre ce texte, le Gouvernement a pris en considération l'esprit de l'accord du 31 octobre1995, qui reconnaît le rôle essentiel des organisations représentatives, ainsi que les garanties qu'il leur offre.

Ces garanties sont nombreuses :

a) ainsi du caractère expérimental, pour trois ans, des dispositifs nouveaux de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical.

b) surtout, ces mécanismes réservent un rôle central aux organisations syndicales :

- ils doivent impérativement être décidés par accords de branche.
- dans le cadre de ces accords de branche, les accords conclus dans l'entreprise avec les élus du personnel, en l'absence de délégué syndical, ne pourront entrer en vigueur avant d'avoir été validés par des commissions paritaires.
- hormis les élus du personnel, aucun salarié ne pourra valablement négocier sans avoir été expressément et préalablement mandaté à cet effet par une organisation syndicale.

c) enfin, les organisations syndicales majoritaires dans la branche pourront faire opposition aux accords de branche qu'elles n'auront pas signés. Dans ce cas, aucun des mécanismes spécifiques résultant de l'accord interprofessionnel ne pourra être mis en oeuvre.

Le projet de loi reprend ces garanties. Mais il les complète :

a) il précise que les accords de branche ne peuvent être négociés et conclus qu'en présence de l'ensemble des organisations syndicales représentatives. Il va de soi que toutes les organisations représentatives de la branche siégeront également dans les commissions paritaires de validation.

b) les solutions imaginées pour développer la représentation collective du personnel devront être validées a posteriori par la loi. Dans l'intervalle, elles ne pourront être mises en pratique.

c) j'ai également tenu à ce que tous les rapports que le Gouvernement présentera au Parlement soient établis après avis de l'ensemble des organisations représentatives au plan national.

d) enfin, cette disposition expérimentale ne devrait pas figurer au sein du code du travail.

2) Certaines craignent ensuite l'application de ces mécanismes expérimentaux dans les plus petites entreprises.

Je tiens à préciser que je considère que ces mécanismes ont vocation à s'appliquer aux entreprises d'une certaine taille. En particulier, le mandatement d'un salarié par une organisation syndicale n'a guère d'utilité au sein d'une collectivité de travail composée de quelques personnes.

L'accord du 31 octobre 1995 souligne lui-même que, dans les branches composées d'entreprises artisanales, la négociation de branche doit avoir un rôle quasiment exclusif. Il appartiendra donc à chaque accord de branche de préciser le seuil d'application de ces dispositifs.

D. – Je voudrais enfin dire que ce texte contribuera à la modernisation du droit du travail et à l'aménagement du temps de travail :

1) Le développement de la négociation collective est un impératif :

Nous vivons dans un monde de plus en plus interdépendant, dominé par l'accélération du progrès technique, la transmission instantanée de l'information, l'exacerbation de la concurrence. Dans ce contexte, pour survivre et se développer, les entreprises doivent adapter en permanence leur organisation, assouplir les apports hiérarchiques, motiver, impliquer et former leurs salariés.

La diversification des horaires, le développement du temps partiel, les transformations de l'organisation du travail dans un nombre croissant d'entreprises prouvent que ces impératifs pénètrent profondément notre tissu économique et montrent la voie.

Les dispositifs qui font l'objet de ce texte présentent à cet égard une double caractéristique :

- d'une part, ils sont issus d'un accord interprofessionnel : les partenaires sociaux auront sans doute à coeur de les mettre en oeuvre.
- d'autre part, ils ne remettent pas en cause le principe de la hiérarchie des normes sociales et la complémentarité des niveaux de négociation.

L'approche retenue – expérimentale, ouverte et pragmatique – me paraît donc particulièrement adaptée à la résolution des difficultés auxquelles nous sommes confrontées.

2) Le thème du temps de travail illustre parfaitement la nécessité de cette démarche.

En complément des accords de branche, qui diffusent le progrès social, uniformisent les conditions de concurrence et fournissent un cadre à la négociation, les accords d'entreprise joueront un rôle irremplaçable en matière d'aménagement du temps de travail.

Il est en effet très clair que l'aménagement et la réduction du temps de travail ne satisferont simultanément les besoins de souplesse accrue des entreprises et les aspirations des salariés à une meilleure organisation de leur vie, qu'à la condition expresse d'être négociés sur des bases équilibrées, au plus près des réalités : au sein de l'entreprise, voire de l'établissement.

Enfin, la création d'emplois ne peut se concrétiser pleinement au niveau de la branche, car la diversité des situations interdit la conclusion d'accords aussi ambitieux que ceux qui voient le jour à un échelon plus décentralisé.

Je suis donc convaincu que l'adoption de cette disposition constituerait un signal très fort en faveur des partenaires sociaux, pour qu'ils accentuent leurs efforts en vue de la création d'emploi par l'aménagement du temps de travail. C'est en cela que les 2 accords interprofessionnels signés le 31 octobre 1995 peuvent se compléter mutuellement.

En définitive, les deux textes que vous examinez présentent 3 points communs :

a) ils visent à développer le dialogue social à deux échelons auxquels il est encore trop souvent absent : au niveau européen pour l'un, dans l'entreprise pour l'autre.

b) ils font l'objet d'un processus itératif entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics. Les débats qui ont eu lieu au sein de la Commission montrent d'ailleurs que la relation entre les accords interprofessionnels et la loi mérite sans aucun doute une réflexion approfondie. Pour ma part, j'y suis favorable. Si certains parlementaires acceptaient d'y contribuer, je crois qu'un groupe de travail pourrait se pencher rapidement sur cette question.

Ce projet de loi constitue donc une étape importante dans la modernisation des instruments du dialogue social. Il témoigne aussi de l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux au plus haut niveau. C'est pourquoi le Gouvernement invite le Parlement, en permettant la mise en oeuvre de ces innovations, à encourager les acteurs sociaux à leur conférer, au plus près des réalités, toute la portée qu'elles requièrent.

c) enfin, ces 2 textes doivent, pour des raisons différentes, être adoptés au cours de la présente session. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déclaré l'urgence.


Discours devant la Commission Nationale de la Négociation Collective - 24 juin 1996

Mesdames et Messieurs,

Nous voici réunis, pour la deuxième fois sous ma présidence, dans le cadre de la Commission Nationale de la Négociation Collective, pour examiner ensemble le bilan de la négociation au cours de l'année écoulée et pour débattre de ses perspectives.

Vous savez mon attachement au dialogue social. Il inspire toute l'action que je mène, sous l'autorité du Chef de l'État et du Premier Ministre, dans l'ensemble du champ social.

À mes yeux, le dialogue social revêt une double dimension :

- c'est un objectif en soi, en tant qu'élément constitutif d'une démocratie sociale authentique ;
- c'est aussi un outil irremplaçable pour faire évoluer les rapports sociaux et pour réussir les transformations qu'appellent les mutations technologiques et économiques.

Le dialogue social ne saurait se réduire à la négociation collective. Mais celle-ci en est sans doute la forme la plus achevée, et la plus féconde :

- d'abord, parce qu'elle aboutit à des engagements juridiques réciproques, expression de la liberté et de la responsabilité des acteurs ;
- ensuite, parce qu'elle fixe des « règles de jeu » pour les pratiques collectives et les comportements individuels en précisant les normes législatives et en les adaptant à la diversité des situations.

Elle est un instrument irremplaçable au service de la cohésion sociale, car elle jette un pont entre la généralité de la loi et la multiplicité des contrats individuels.

Je dresserai tout d'abord un bilan globalement encourageant de la négociation collective en 1995. Ce bilan confirme la vitalité de la négociation collective, tout en laissant apparaître des zones de faiblesse que nous devons examiner avec lucidité.

Je souhaite ensuite en appeler à une mobilisation des partenaires sociaux pour que la négociation collective occupe plus largement l'espace qui lui revient.

I) L'année 1995 peut être considérée comme une année de consolidation : elle montre des facteurs de dynamisme et laisse entrevoir des capacités d'innovation, mais elle inspire aussi des préoccupations.

1) La négociation collective s'est bien tenue, malgré une activité économique en demi-teinte (dynamisme au premier semestre, ralentissement au second) et les répercussions du mouvement social de novembre-décembre.

Cette bonne tenue d'ensemble se reflète dans le volume des textes signés, qui est globalement en progression.

Mais au-delà de l'aspect quantitatif, l'analyse qualitative livre des motifs de satisfaction raisonnable.

En premier lieu, comment ne pas signaler le renouveau d'ambition de la négociation interprofessionnelle ? Dans l'esprit du relevé de conclusions du 28 février 1995, les partenaires sociaux ont exprimé une volonté partagée de renforcer leur dialogue à l'échelon interprofessionnel et de stimuler le développement de la négociation collective à tous les niveaux.

Cette démarche a déjà débouché sur la signature de plusieurs accords importants, tant par leur contenu que par leurs prolongements dans les branches et les entreprises. Je tiens à saluer les premiers résultats prometteurs de cette démarche, et je forme le voeu qu'elle conserve son élan, car c'est une entreprise de longue haleine.

En deuxième lieu, je relève la progression – même si elle est modérée – de la négociation de branche. Celle-ci a été soutenue par la vitalité du niveau infranational, par la bonne intensité de la négociation salariale et par l'achèvement de la négociation sur la réorganisation de la collecte dans la formation. Cet effort de réorganisation a nécessité de la part des partenaires sociaux un réel investissement que je dois souligner.

Je me réjouis en dernier lieu du très net développement de la négociation d'entreprise (+15 %) faisant suite à une précédente augmentation du même ordre en 1994. C'est l'expression d'un mouvement de fond.

2) Le bilan fait apparaître aussi des motifs d'insatisfaction, que l'analyse conduit toutefois à relativiser.

a) le bilan des négociations de branche sur les bas et moyens salaires, les classifications et les perspectives de déroulement de carrière retient particulièrement mon attention.

Incontestablement, les indicateurs de ce bilan ont enregistré des résultats médiocres au 31 décembre 1995 : 52 % des branches (hors métallurgie et bâtiment) présentaient un barème de salaires minima dont au moins un coefficient était inférieur au SMIC en vigueur. Le bilan au 1er juin 1996 apparaît encore plus éloigné de l'objectif, car le pourcentage s'élève à 70 %.

Par ailleurs, la progression de la négociation sur les classifications est restée modérée, puisque 3 accords de refonte ou de modification substantielle des classifications ont été signés au premier semestre.

La forte dégradation de la situation des minima par rapport au SMIC tient avant tout aux effets conjoncturels de la double hausse du SMIC depuis le 1er juillet de l'année dernière. Aussi ne doit-elle pas occulter la bonne tenue de la négociation salariale de branche.

En effet, le nombre d'avenants salariaux a été supérieur à celui de 1994, et les augmentations des salaires minima ont été supérieures à celles des salaires effectifs. En outre, au moment de leur signature, la plupart des accords prévoyaient des minima conformes.

Ce constat ne doit donc pas provoquer un sentiment de résignation, mais au contraire constituer un aiguillon pour préserver dans l'effort et pour stimuler les branches – une forte minorité encore – qui sont en net retrait dans ce domaine. Je compte entreprendre des démarches en ce sens, car l'opération engagé il y a 6 ans doit absolument continuer de vivifier la négociation de branche et d'améliorer la situation et le déroulement de carrière des salariés.

Enfin, la « pause » observée sur les réorganisations complètes de systèmes de classification ne signifie pas qu'un coup d'arrêt a été mis au mouvement général de renégociation des grilles observé depuis 5 ans.

Je souligne que ce mouvement a obtenu des résultats très significatifs : 52 accords conclus en 5 ans, couvrant près de 5 millions de salariés.

Des négociations se poursuivent activement sur ce thème dans de nombreuses branches.

Vous connaissez la nature particulière de ces négociations, leur longueur et leur complexité. Vous connaissez aussi la difficulté pour les branches de mener de front, en plus de la négociation salariale, des négociations lourdes et complexes sur les classifications, la structure de la collecte de la formation, ou encore le temps de travail.

Il n'y a donc rien d'alarmant au ralentissement des résultats, pour peu que le travail soit poursuivi avec ténacité et le cap gardé avec constance.

b) des facteurs analogues peuvent expliquer une certaine lenteur dans la négociation sur les champs d'application des conventions collectives.

S'y ajoutent des difficultés particulières liées à la délimitation des frontières des branches professionnelles. Le constat d'étape de cette réécriture concertée des champs d'application, dressé au sein de la sous commission des conventions et accords, a conduit à la prolonger jusqu'au 31 décembre 1996. Cette échéance doit être respectée afin que le paysage conventionnel puisse être stabilisé. Car ces négociations ont une portée très pratique pour la couverture conventionnelle, et leurs difficultés pourraient porter préjudice aux garanties sociales des salariés. Je relève d'ailleurs avec satisfaction des signes tangibles d'accélération de la démarche.

c) L'égalité entre hommes et femmes est aussi un domaine de moindre vitalité de la négociation, où des progrès sont possibles.

Nous savons que si l'égalité juridique est largement acquise dans notre pays, elle ne suffit pas à assurer une complète égalité effective, que ce soit pour l'accès à l'emploi, les conditions de travail ou les salaires.

Des progrès ont déjà été accomplis grâce aux démarches engagées dans certaines branches et aux actions menées dans les entreprises.

Mais ces actions restent encore trop peu nombreuses, et trop d'accords sur l'égalité de rémunération se limitent souvent à la simple affirmation du principe.

Certes, l'égalité effective entre les femmes et les hommes au travail est une préoccupation transversale qui peut être abordée au travers de négociations sur des thèmes particuliers, comme les classifications, la formation professionnelle, ou encore la durée du travail et son organisation. Faciliter le passage à temps partiel en tenant compte des contraintes liées aux congés scolaires, garantir aux salariés des délais de prévenance suffisants en cas de rectification du programme indicatif des horaires annualisés, favoriser la prise de congés en s'appuyant sur le compte épargne temps, c'est aussi apporter sa pierre à l'égalité professionnelle, au travers de la conciliation entre vie familiale et la vie professionnelle.

C'est précisément pour permettre aux négociateurs de mieux cerner et manier ces leviers qu'Anne Marie Couderc a retenu plusieurs propositions concrètes du Conseil Supérieur de l'Égalité Professionnelle. Elles sont destinées, d'une part à améliorer la connaissance de la réalité, d'autre part à fournir des outils méthodologiques aux acteurs sociaux.

3) Si des progrès restent ainsi à accomplir dans de nombreux domaines, je voudrais mettre en exergue des zones de particulière vitalité et d'innovation.

a) La négociation salariale demeure dynamique et s'appuie sur la complémentarité de la branche et de l'entreprise.

J'ai souligné à l'instant la bonne tenue d'ensemble de la négociation salariale au cours de l'année écoulée. Mais la vitalité de la négociation salariale a aussi un aspect plus structurel.

Des études récentes de la DARES et de l'INSEE confirment en effet la fonction structurante de la négociation de branche pour la fixation des salaires effectifs. Elles font ressortir une grande corrélation entre la hiérarchie des minima conventionnels et celle des salaires effectifs.

La négociation de branche joue un rôle de base pour la formation des salaires, tandis que les marges de négociation se déploient au niveau de l'entreprise, en fonction de ses caractéristiques propres.

La négociation salariale a d'ailleurs connu également un vif regain en 1995 dans les entreprises (4 200 accords contre 3 500 en 1994).

Les entreprises tendent de plus en plus à « mixer » les augmentations générales et les augmentations individualisées, sans donner à ces dernières une place excessive. Et c'est en combinant à bon escient ces composantes qu'elles parviennent à assurer à leurs salariés des progressions de leur rémunération, plus élevées en 1995 que l'année précédente.

Elles s'appuient aussi sur des mécanismes d'intéressement collectif susceptibles de compléter la négociation salariale sans se substituer au salaire, ni empiéter sur sa progression.

b) La négociation d'entreprise fait émerger des approches diversifiées et innovantes où la préoccupation de l'emploi est conjuguée avec d'autres objectifs : adaptation de l'organisation du travail aux besoins de l'entreprise, meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, élargissement de l‘accès à la formation professionnelle.

Certes, la majorité des accords reste de facture et de contenu assez classiques, même si, pour la 2ème année consécutive, les thèmes portant sur l'aménagement du temps de travail ressortent de plus en plus souvent.

Mais on voit aussi apparaître des accords innovants qui font converger plusieurs logiques, et où l'emploi trouve son compte.

Ainsi, certaines entreprises multiplient les formules de travail à temps partiel, en assortissant ces choix d'incitations salariales, de garanties sur la protection sociale (notamment le maintien à taux plein de la cotisation retraite), d'assurances sur le déroulement de carrière ou la possibilité du retour à temps plein.

Certaines entreprises associent la réduction collective du temps de travail des salariés et l'allongement de la durée d'utilisation des équipements ou de la durée d'ouverture des services.

D'autres conjuguent la mise en place d'une annualisation et d'une réduction du temps de travail avec le développement de l'emploi ou la stabilisation d'emplois qui étaient jusque là de courte durée.

D'autres enfin lient réorganisation du temps de travail et développement de la formation professionnelle.

Ces exemples de démarches créatives montrent la voie. Ils prouvent, s'il en était besoin :

- d'une part, que la souplesse et la réactivité de l'organisation du travail peuvent aller de pair avec la création et la stabilisation de l'emploi. Le développement de la « flexibilité interne » permet de diminuer le recours à la « flexibilité externe », donc la précarité.
- d'autre part, que le temps choisi, à divers âges de la vie, peut-être couplé avec une meilleure insertion des jeunes et un plus large accès à la formation en cours de carrière.

Ces accords, qui prennent à bras le corps des enjeux essentiels, me confortent dans l'idée qu'il est nécessaire, mais aussi réaliste, de cultiver une grande ambition pour la négociation collective.

II. Nous devons nourrir, en effet, de réelles ambitions pour la négociation collective, afin qu'elle occupe plus largement l'espace qui lui revient.

1. La négociation collective doit être au coeur des processus de modernisation destinés à favoriser l'emploi et améliorer les conditions de travail et de vie.

a) L'ampleur des enjeux et des défis est trop connue pour que je m'y attarde.

Notre ambition commune doit être de maîtriser l'impact de l'internationalisation comme des mutations technologiques et économiques sur les communautés de travail, sur les salariés qui sont la richesse des entreprises, et sur la qualité des relations sociales.

Des démarches de changement et même de transformation sont nécessaires, notamment dans l'organisation du travail, ainsi que dans la formation initiale et permanente.

Cette entreprise collective de longue haleine ne peut réussir que si elle cesse d'être une source de craintes pour certains de nos concitoyens, si elle devient aussi une source d'espoir. C'est pourquoi il est crucial que ce processus irréversible ne laisse pas de côté les plus vulnérables. Il faut au contraire que l'égalité des chances en sorte mieux assurée, à l'entrée dans la vie professionnelle, puis tout au long de parcours individuels qui seront désormais plus diversifiés et plus sinueux.

Les enquêtes d'opinion, les témoignages personnels, les mouvements sociaux de novembre/décembre nous montrent des salariés inquiets, souvent désorientés, parfois démobilisés. Mais ils montrent aussi une maturité économique croissante, la persistance de l'attachement au travail comme valeur, la recherche de l'épanouissement professionnel dans un équilibre harmonieux avec la vie personnelle, enfin l'aspiration à être davantage informés, écoutés et reconnus. Cet état d'esprit recèle des ferments de mobilisation qui ne demandent qu'à se développer dans un climat de plus grande confiance.

b) La réussite de ces transformations passe par le développement et l'enrichissement de la négociation collective.

Car seules des transformations concertées, fondées sur le dialogue social à tous les niveaux, permettront de concilier les besoins des entreprises et les attentes des salariés, dans les conditions les plus favorables à l'emploi.

Cette exigence s'impose tout spécialement pour l'organisation du travail.

Des nouvelles formes d'organisation plus souples et plus réactives ne se diffuseront durablement que si elles s'appuient sur le dialogue entre des partenaires sociaux autonomes et responsables, capables de trouver les équilibres nécessaires.

Moins encore que l'innovation technologique, l'innovation organisationnelle et sociale ne peut se développer de manière unilatérale. Car il s'agit de transformer des communautés de travail en faisant évoluer les pratiques collectives, les habitudes individuelles, l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Les évolutions les plus durables sont celles qui s'appuient sur une solide réflexion entre les employeurs et les représentants du personnel, prenant en compte les souhaits des salariés.

Un thème de négociation me paraît à cet égard particulièrement important : celui des conditions de travail. Il est d'ailleurs évoqué en bonne place dans l'accord du 31 octobre. Mais il m'a paru parfois un peu marginalisé dans la négociation. Or, il présente des liens étroits avec l'évolution du régime de la durée du travail et les réorganisations plus profondes qu'elle déclenche.

Ce thème est une composante nécessaire de tout processus concerté de réorganisation, parce qu'une nouvelle organisation du travail reste fragile, si les salariés ont le sentiment qu'elle dégrade globalement leur situation.

Il peut aussi constituer un utile prolongement des négociations sur le temps de travail, dans les branches comme dans les entreprises.

Car une nouvelle organisation du travail peut amener à poser en des termes renouvelés des questions d'ergonomie, de suivi de l'état de santé physique et mentale des salariés ou même d'évaluation des risques.

Sur l'ensemble des thèmes touchant à la réorganisation du travail, il faut viser une complémentarité dynamique entre la législation et la négociation collective. La législation doit fixer les principes généraux, poser les bornes et les repères principaux, prévoir des dispositifs d'incitation. Mais seule la négociation collective peut faire émerger des solutions diversifiées adaptées à l'extrême variété des situations, trouver les équilibres nécessaires en associant plusieurs thèmes, et ajuster finement des paramètres dont la fixation centralisée n'aurait guère de sens. Dans ce domaine plus que dans tout autre, la négociation collective est irremplaçable.

2. Pour que la négociation collective puisse jouer ce rôle d'entraînement, l'essor du dialogue social doit franchir un nouveau palier.

Plusieurs objectifs devraient, à mon sens, être poursuivis dans cet esprit :

a) il faut tout d'abord viser une large extension de la couverture conventionnelle d'entreprise, dans le prolongement de la généralisation – presque acquise – de la couverture conventionnelle de branche.

Bien sûr, la généralisation de la couverture de branche n'est pas tout à fait achevée : il reste encore quelques grands vides sur lesquels nous travaillons. Je pense notamment au secteur des hôtels, cafés, restaurants, ou encore à celui des activités sportives.

Elle est cependant en voie d'achèvement, puisque plus de 90 % des salariés sont désormais couverts. Cette proportion est l'une des plus fortes de tous les pays de l'OCDE.

Mais constater le chemin parcouru vers la généralisation de la couverture conventionnelle ne veut pas dire « baisser la garde » dans ce domaine. L'effort ne sera pas relâché.

Cela n'implique pas davantage de prendre ses distances avec la négociation de branche pour en nier ou en relativiser l'utilité. Bien au contraire : je constate avec satisfaction que les réflexions conduites par les partenaires sociaux durant l'année 1995 ont amené à réévaluer positivement le rôle de la branche, à réaffirmer ses fonctions normatives traditionnelles et à lui reconnaître des fonctions nouvelles de cadrage, de suppléance, voire de suivi, tout en laissant à l'entreprise d'indispensables espaces de liberté.

La négociation d'entreprise a besoin aujourd'hui d'une évolution comparable, sinon identique à celle que les partenaires sociaux ont su imprimer la branche, avec le soutien et d'impulsion de l'État.

Certes, gardons-nous de tomber dans « l'atomisation » conventionnelle, c'est-à-dire la multiplication de micro-accords applicables à une poignée de salariés dans de toutes petites entreprises. Ce ne serait, ni raisonnable sur le plan économique, ni judicieux pour la cohésion sociale. La négociation de branche conserve ici une vocation naturelle, comme l'a relevé d'ailleurs l'accord du 31 octobre 1995 sur les négociations collectives.

Toutefois, bien que la négociation d'entreprise ait connu une progression soutenue ces dernières années, elle ne couvre encore qu'une très faible partie du champ qui pourrait raisonnablement lui être dévolu : 3 millions de salariés seulement sont couverts par un accord d'entreprise.

C'est ce souhait d'un essor de la négociation d'entreprise, combinée avec la négociation de branche et non pas dirigée contre elle, que j'ai retenu en particulier de l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur les négociations collectives. C'est au bénéfice de cette vision de la négociation articulant ses différents niveaux, et afin de mieux assurer l'égalité d'accès à la négociation collective et sa promotion, que le gouvernement a souhaité donner une assise législative à certaines de ses stipulations.

b) En deuxième lieu, il faut renforcer la reconnaissance mutuelle des acteurs et le dialogue social décentralisé.

Cette démarche ne doit pas se traduire seulement par l'énoncé de principes généraux, même si leur portée ne doit pas être sous-estimée. Elle passe aussi par le respect réciproque des accords conclus, ainsi que par des dispositifs concrets, propres à garantir l'absence de discrimination à l'encontre des responsables syndicaux.

Il s'agit de permettre aux intéressés de concilier effectivement leur activité professionnelle et l'exercice de leurs mandats représentatifs ; de leur assurer une égalité de traitement avec les autres salariés de l'entreprise en matière de rémunération, d'accès à la formation et de déroulement de carrière.

Les partenaires sociaux ont par ailleurs rappelé à juste titre que l'amélioration du dialogue social passe également par un renforcement de la représentation collective du personnel, en particulier dans les petites et moyennes entreprises.

Nous avons tous conscience des spécificités de ces entreprises, et en particulier des entreprises de très petite taille.

Et si les opinions peuvent diverger quant à la meilleure façon de les prendre en compte, nous pourrons, je l'espère, nous accorder sur un même objectif : l'amélioration des conditions concrètes de représentation.

Je serai donc attentif aux aménagements que les partenaires sociaux des branches pourraient adopter dans cet esprit, et le Parlement en sera régulièrement informé.

c) Il est enfin souhaitable de développer la prise en charge commune par les partenaires sociaux de fonctions liées à la régulation des rapports de travail.

Je songe d'abord à la fonction d'interprétation des conventions collectives, qui revêt une grande importance pratique.

En effet, de l'interprétation qui est donnée, résulte une application plus ou moins fidèle des règles que les négociateurs ont entendu fixer. Ce rôle primordial d'interprétation des conventions collectives repose essentiellement sur les parties signataires.

À ce titre, nombre de conventions collectives ont mis en place des commissions d'interprétation, chargées de se prononcer sur les difficultés d'interprétation de la convention.

La mission de ces commissions gagnerait à être développée. Il s'agirait non seulement de les consulter plus fréquemment, mais aussi de conférer une portée juridique plus forte à leurs avis, en les incorporant dans des avenants. La Cour de Cassation elle-même a suggéré une telle évolution. C'est dire que, dans un tel domaine, le renforcement du rôle des partenaires sociaux, loin de heurter les autres institutions, procéderait au contraire d'une répartition logique et légitime des tâches.

Votre sous-commission des conventions et accords pourrait être un lieu de réflexion sur ce thème.

Le suivi attentif de la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles dans les entreprises et des pratiques de terrain doit aussi retenir l'attention des partenaires sociaux.

Auteurs de la norme conventionnelle, ils peuvent contribuer à garantir sa bonne application, sans préjudice du rôle dévolu à l'inspection du travail, les encouragements régulant les comportements et en favorisant les meilleures pratiques.

Il est essentiel de suivre la déclinaison au sein des entreprises des accords passés au niveau des branches, dans des domaines aussi porteurs de transformations que l'aménagement du temps de travail ou les classifications, pour apprécier leur pertinence pratique et évaluer leurs effets.

En sens inverse, la négociation de branche gagne à se nourrir d'une meilleure connaissance des dispositions négociées dans les entreprises.

Je note d'ailleurs que vous vous êtes déjà engagés dans cette voie, avec l'observatoire paritaire de la négociation collective prévu par l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur l'emploi.

Il est enfin de la compétence de cette commission ou de ses sous-commissions de faire des propositions en vue de faciliter le développement de la négociation collective par la clarification des procédures et le rappel des règles.

Il s'agit de donner des repères méthodologiques aux négociateurs. C'est ainsi que le bilan de la loi dite « Basirico » sur la révision des conventions collectives vient de donner lieu à une recommandation de la sous-commission des conventions et accords, adressée à l'ensemble des branches.

En définitive, les partenaires sociaux ont dans tous ces domaines de larges espaces à occuper.

3. – Pour sa part, l'État, peut et doit accompagner le processus d'amplification de la négociation collective, dans le strict respect de l'autonomie des partenaires sociaux.

a) Il peut d'abord développer en son sein une fonction de repérage et de diffusion des bonnes innovations, dont le fruit peut nourrir la réflexion des acteurs sociaux et favoriser la diffusion des meilleures pratiques.

La négociation collective fait surgir des initiatives originales et des démarches innovantes, qui peuvent servir de source d'inspiration sans constituer pour autant des modèles. L'État peut aussi contribuer à leur diffusion.

C'est pourquoi j'ai demandé à mes services de renforcer cette fonction, avec le souci de faire profiter les partenaires sociaux du fruit de ces analyses.

b) J'entends aussi que les services du ministère accentuent leur rôle d'appui au dialogue social dans l'entreprise.

Ce rôle correspond à la vocation traditionnelle des services, et j'ai tenu à le rappeler dans la note d'orientation qui fixe les grandes priorités de l'action des services en matière de relations du travail. Il s'exprime au travers des missions d'aide à la résolution des conflits du travail, d'appui à la négociation collective, et de soutien au fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

Cette fonction de l'inspection du travail est appelée à se développer dans un contexte de transformation du travail, et d'évolution des métiers et des qualifications.

C'est pourquoi il est souhaitable d'expérimenter des techniques innovantes de diagnostic et d'appui au dialogue social dans l'entreprise. Elles ne visent pas à supprimer les conflits : ils font partie intégrante des rapports sociaux dans une démocratie, et ils ne sont pas incompatibles avec un dialogue social dense et permanent. Il s'agit plutôt de remédier à des situations de blocage ou d'insuffisance chronique du dialogue, et de renforcer ainsi la cohésion des communautés de travail.

C'est en particulier l'esprit de l'expérimentation que mes services engagent dans la région Rhône-Alpes, en liaison avec l'ANACT.

c) Je suis enfin ouvert à l'idée d'ajustements législatifs pour assurer la sécurité juridique des démarches expérimentales : mais à la condition expresse que ces démarches reposent sur la recherche de véritables équilibres dynamiques entre les intérêts et les objectifs en présence. C'est dire que je ne me prêterai pas à des approches purement dérégulatrices.

J'ajoute que de telles démarches doivent être engagées dans des conditions qui concilient le respect des intentions des partenaires sociaux avec l'exercice légitime de ses prérogatives par le législateur. Nous avons encore à réfléchir en commun, et avec la représentation nationale, pour clarifier les rapports entre la négociation et la législation, dans un contexte où l'expérimentation maîtrisée est parfois le préalable nécessaire d'une évolution de la norme de droit commun.

Mesdames et Messieurs, avant de vous céder la parole, pour entamer un échange autour du bilan et des perspectives que j'ai dressés, je forme le voeu que les acteurs de la négociation collective sachent trouver l'énergie nécessaire pour occuper le large espace qui leur revient. De leur mobilisation dépendra pour beaucoup la cohésion de notre société à l'aube du XXIème siècle.