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Gestation pour autrui : quelles sont les évolutions du droit ?

Temps de lecture  18 minutes

Par : La Rédaction

La gestation pour autrui (GPA) est interdite en France. La loi sur la bioéthique de 2021 et les débats qui l'ont accompagnée n'ont pas remis en cause cette interdiction. En revanche, la question de la reconnaissance dans le droit français des enfants nés à l'étranger par une GPA a évolué ces dernières années.

La gestation pour autrui (GPA) est le fait pour une femme, désignée généralement sous le nom de "mère porteuse", de porter un enfant pour le compte d’un "couple de parents d’intention" à qui il sera remis après sa naissance. C’est une forme d’assistance médicale à la procréation qui consiste en l’implantation dans l’utérus de la mère porteuse d’un embryon issu d’une fécondation in vitro (FIV) ou d’une insémination. Selon les techniques utilisées, soit les membres du couple sont les parents génétiques de l’enfant, soit le couple d’intention n’a qu’un lien génétique partiel avec l’enfant, soit le couple d’intention n’a aucun lien génétique avec l’enfant.

Au plan international, aucun texte contraignant relatif à la gestation pour autrui n’a été adopté. Plusieurs pays européens, dont la France, interdisent la GPA : l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, par exemple. D'autres pays, en revanche, autorisent le recours aux mères porteuses : le Danemark, les Pays-Bas, l'Albanie, la Géorgie, la Grèce, le Canada, certains États fédérés américains, etc. Dans un avis du 17 avril 2023, le Comité consultatif de bioéthique belge juge la GPA "éthiquement acceptable" mais affirme qu'elle doit être encadrée juridiquement. 

Des décisions fermes de la Cour de cassation avant 2014

En France, la GPA a été interdite par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, qui a introduit dans le code civil un nouvel article 16-7 selon lequel "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle".

Dès 1989, la Cour de cassation a affirmé la nullité des conventions de gestation pour autrui en application de l’article 1128 du code civil – selon lequel "il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions" – et la non-conformité de ces conventions au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des personnes.

En 1991, la Cour de cassation a annulé l’adoption d’un enfant né d’une mère porteuse au motif que "cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption".

En 2008 puis en 2011 pour la même affaire, la Cour s’est de nouveau opposée à la transcription sur les registres de l’état civil français d’actes de naissance établis en Californie pour deux enfants nés à l’issue d’une gestation pour autrui. La Cour a ainsi refusé de reconnaître en droit français la filiation établie entre les enfants nés d’une mère porteuse et leurs parents d’intention, considérant que cette non-transcription "ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît, ni ne les empêche de vivre avec [leurs parents] en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant".

Le Conseil d’État, en revanche, a pris une position opposée et considéré que le fait que des enfants aient été conçus au moyen d’un contrat de gestation pour autrui – entaché de nullité au regard de l’ordre public français – était "sans incidence sur l’obligation, faite à l’administration par les stipulations de l’article 3-1 de la Convention relative aux droits de l’enfant [selon lequel "dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale"], d’accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant".

Les parents d’enfants nés d’une mère porteuse se trouvaient alors dans une situation complexe plaçant leurs enfants dans une situation juridique incertaine et les privant de certaines prérogatives, particulièrement lors de certains événements tels que le divorce des parents ou le décès de l’un d’entre eux. Une circulaire du 25 janvier 2013 a ainsi recommandé aux greffiers en chef des tribunaux d’instance, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger à l’issue d’une GPA de parents français en application de l’article 47 du code civil selon lequel "tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi".

Par un arrêt du 13 septembre 2013 (n° 1092), la Cour de cassation a encore durci sa position en privilégiant l’ordre public sur l’intérêt de l’enfant : "est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil, […], en présence de cette fraude, ni l’intérêt supérieur de l’enfant, que garantit l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués". Dans ce même arrêt, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir déduit de la fraude à la loi la nullité de la reconnaissance de l’enfant par le père d’intention.

Les arrêts et décisions de la CEDH de juin 2014 et leurs suites

Les arrêts fondateurs du 26 juin 2014

Deux couples français – l’un ayant fait l’objet des arrêts de la chambre civile de la Cour de cassation de 2008 et 2011 précités – ont saisi, en octobre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) au terme d’une procédure judiciaire après s’être vu refuser la transcription des actes de naissance américains de leurs enfants sur les registres de l’état civil français.

Dans les deux cas, les embryons avaient été conçus avec des spermatozoïdes du mari et les ovocytes d’une donneuse américaine. Les couples avaient obtenu des jugements constatant le recours à des mères porteuses et relevant la paternité biologique des pères français et la qualité de "mère légale" des mères d’intention en conformité desquels des actes de naissance ont été dressés les mentionnant comme père et mère des enfants.

Les deux couples faisaient notamment valoir que le refus de l’État de transcrire à l’état civil les actes de naissance de leurs enfants constituait une atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Par deux arrêts du 26 juin 2014 (requêtes n° 65192/11 et n° 65941/11), la CEDH a considéré qu’il n’y avait pas atteinte à la vie familiale de ces couples et de leurs enfants au motif que :

  • les États doivent bénéficier d’une large marge d’appréciation dans leurs choix liés à la gestation pour autrui, au regard des interrogations éthiques que celle-ci suscite et de l’absence de consensus sur cette question en Europe ;
  • que les obstacles auxquels ces couples et leurs enfants sont confrontés ne les empêchent pas de mener une vie familiale dans des conditions comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles ;
  • qu’un juste équilibre est en définitive établi entre les intérêts de ces couples et de leurs enfants et les intérêts de l’État.

En revanche, la CEDH a estimé que le droit à la vie privée des enfants n’était pas respecté et que l’État allait au-delà de ce que lui permet sa marge d’appréciation en refusant de reconnaître le lien de filiation, pourtant établi à l’étranger, entre ces enfants et leurs parents d’intention, qui plus est, avec leur père biologique respectif. Ce refus porte atteinte à leur identité et est incompatible avec le respect de l’intérêt supérieur des enfants, qui doit guider toute décision les concernant.

Le gouvernement n’a pas fait appel de cette décision, qui impose à la France de reconnaître la filiation des enfants nés de mères porteuses à l’étranger. La France a donc l’obligation d’exécuter ces arrêts de la Cour. Le Premier ministre en poste en 2014, Manuel Valls, a affirmé que "le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA".

Les arrêts de la CEDH ont cependant conduit la Cour de cassation à réviser sa jurisprudence. Pour la Cour désormais, la GPA ne fait plus obstacle, à elle seule, à la transcription de l’acte de naissance étranger, dès lors que ce dernier a été régulièrement établi dans le pays étranger et qu’il correspond à la réalité.

Les prolongements

En 2019, la Cour de cassation a étendu cette jurisprudence à deux couples d'hommes : "Elle considère en effet qu’en présence d’une demande de transcription, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une GPA ni la circonstance que l’acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ou parent ne constituent des obstacles à la transcription, à condition toutefois que l’acte étranger soit régulier, exempt de fraude et conforme au droit de l’État dans lequel il a été établi."

Le recours à la procréation médicalement assistée à l’étranger ne fait pas non plus obstacle à l’adoption de l’enfant par l’épouse de sa mère, dès lors que les conditions légales sont réunies, les textes de loi relatifs à l’adoption ne faisant pas référence au mode de conception de l’enfant.

En août 2016, le Conseil d’État a même ordonné au ministre des affaires étrangères de laisser entrer sur le territoire un enfant né en Arménie, quand bien même sa naissance résulterait d’une convention de gestation pour autrui.

Saisie par la Cour de cassation en octobre 2018 sur la question de la mère d'intention dans le cadre d'une GPA, la CEDH a rendu un avis public consultatif le 10 avril 2019 dans lequel elle considère que "l'impossibilité générale et absolue d'obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention n’est pas conciliable avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui exige pour le moins un examen de chaque situation au regard des circonstances particulières qui la caractérise". Elle a estimé que la filiation devait être reconnue pour la mère d'intention qui a désiré et élevé l'enfant. Ce qui n'impose pas, selon elle, la retranscription des actes de naissance. D'autres modalités sont possibles, comme la procédure d'adoption.

Le 23 mai 2019, le tribunal de grande instance de Nantes a reconnu la mère d'intention d'une enfant née à l'étranger par gestation.

Dans sa décision du 19 novembre 2019, la CEDH a statué sur le refus des autorités françaises de transcrire sur les registres de l'état civil français les actes de naissance d'enfants nés à l'étranger par GPA des gamètes du père d'intention et d'une tierce donneuse, pour autant qu'ils désignaient leur mère d'intention comme leur mère. La Cour a déclaré les deux requêtes irrecevables. Elle a estimé notamment "que le refus des autorités françaises n'avait pas été disproportionné car le droit interne offre une possibilité de reconnaissance du lien de filiation entre les enfants requérants et leur mère d'intention par la voie de l'adoption de l'enfant du conjoint". 

La CEDH s'est également penchée sur le rejet d'une demande de transcription à l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger d'une GPA pour autant qu'il désignait la mère d'intention comme sa mère, celle-ci étant sa mère juridique. L'enfant était née en Ukraine en 2012. La Cour (arrêt du 16 juillet 2020) a jugé que que "la France n'avait pas [...] excédé sa marge d'appréciation" car le refus de transcription à l'état civil ne portait pas atteinte au respect de la vie privée pour autant que la procédure d'adoption permettait de reconnaître un lien de filiation.

En 2022, la CEDH a estimé que le refus des juridictions internes d'établir juridiquement la paternité d'un requérant à l'égard de son fils biologique, né d'une GPA en France, après que l'enfant a été confié par la mère porteuse à un couple tiers était compatible avec le droit au respect de sa vie privée du requérant. Selon la Cour, dans son arrêt du 7 avril 2022, "le refus d'établir la paternité biologique du requérant a respecté l'intérêt supérieur de l'enfant, mais les juridictions internes ont manqué à leur devoir de diligence exceptionnelle quant à la durée de la procédure". L'enfant avait 6 ans et demi au terme de la procédure, qui a duré plus de six ans.

La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique complète le code civil afin de préciser que la reconnaissance de la filiation à l’étranger est appréciée au regard de la loi française. La transcription d'un acte d'état civil étranger d'un enfant né de GPA est ainsi limitée au seul parent biologique (le parent d'intention devant passer par une procédure d'adoption). La loi est donc plus contraignante que la jurisprudence de la Cour de cassation. 

Dans une décision du 14 novembre 2024, la Cour de cassation a confirmé qu'une filiation établie légalement dans un pays étranger pour un enfant né d'une GPA sans aucun lien biologique avec le parent d'intention pouvait être reconnue en France. La Cour considère que l’absence de lien biologique ne heurte aucun principe essentiel du droit français. Comme pour toutes les GPA, le juge doit cependant vérifier l’absence de fraude et le consentement des parties à la convention de GPA.

La Cour de cassation et le contrôle des décisions de justice étrangère

Pour être reconnu en France et permettre à l’enfant d’obtenir un acte de l’état civil français, un jugement étranger établissant une filiation sur le fondement d’un contrat de GPA doit avoir été rendu par un juge compétent, ne pas avoir été obtenu par fraude et respecter l’ordre public français en matière internationale. Dans deux arrêts du 2 octobre 2024, la Cour de cassation liste les éléments que doit contenir la décision de justice étrangère relative à une GPA pratiquée dans un autre pays pour que la filiation puisse être reconnue en France : qualité des personnes mentionnées dans le jugement ou dans les pièces annexes du projet parental, consentement des parties à la convention de GPA, consentement des parties aux effets que produira la convention de GPA sur la filiation de l'enfant. Quand une décision de justice étrangère respecte toutes ces garanties, la filiation est reconnue en France conformément à la spécificité de la filiation construite par le droit étranger.

Les questions éthiques autour de la GPA

Au-delà des problèmes juridiques qu’elle suscite, la gestation pour autrui pose avant tout des questions éthiques. Celles-ci ont été débattues par des citoyens, différentes institutions et des experts lors des États généraux de la bioéthique, qui se sont déroulés de janvier à mai 2018. Les débats ont donné lieu à un rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), publié le 2 juillet 2018.

Selon le rapport, une grande partie des citoyens, dans le cadre de la consultation organisée sur internet, se prononcent contre la GPA. Cette pratique est considérée comme une marchandisation du corps de la femme mais aussi de l’enfant. Du reste, même si des GPA non rétribuées existent, il n’y a pas de GPA éthique car "on ne donne pas plus un enfant qu’on ne le vend". Certains citoyens insistent, en outre, sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, "toute GPA implique […] un abandon de l’enfant" par la mère porteuse. La reconnaissance à l’état civil des enfants nés par GPA à l’étranger est également évoquée. Plusieurs contributions y sont favorables. Enfin, la solution d’une "GPA éthique ou altruiste pour indication médicale" dans le cas particulier des femmes infertiles ne fait pas consensus car "la GPA ne peut pas être un acte médical".

Les associations, les institutions et les courants de pensée auditionnés ont des avis plus partagés. Beaucoup réclament un débat serein sur le sujet. D'autres s’opposent à toute forme de GPA et demandent la création d’une infraction spéciale en cas de recours à cette pratique, même à l’étranger. À l’opposé, certains considèrent qu’il peut exister une GPA éthique. Enfin, comme les citoyens, beaucoup désirent la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger.

Pour leur part, certaines sociétés savantes (praticiens, juristes, chercheurs) regrettent l’interdiction totale de la GPA en France. Elles souhaitent "une réflexion collective sur certaines indications médicales comme l’infertilité utérine définitive, et une éventuelle organisation par la loi de la prise en compte responsable au cas par cas".

L’avis du CCNE et ses préconisations sur la nouvelle loi de bioéthique ont été remis aux pouvoirs publics en septembre 2018. Le CCNE reste favorable à l'interdiction de la GPA au nom du respect de la personne humaine, du refus de l'exploitation de la femme et de la réification de l'enfant, de l'indisponibilité du corps humain et de la personne humaine. Le CCNE souhaite, en outre, l'élaboration d'une convention internationale pour l'interdiction de la GPA. Déjà, dans un avis du 15 juin 2017, le Comité s‘était prononcé sur les demandes sociétales de GPA. 

Dans une étude publiée le 11 juillet 2018 en vue d’éclairer les futurs débats sur la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’État s’est aussi prononcé sur la GPA. Il considère que cette pratique doit rester interdite. Les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes s’opposent, en effet, à "une contractualisation de la procréation". Quant à la situation des enfants nés à l’étranger de GPA, le Conseil d’État estime que le droit actuel assure "un équilibre entre la prise en compte de l’intérêt de l’enfant et le maintien de l’interdiction de la GPA".

La Commission européenne a adopté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement visant à harmoniser à l'échelle de l'Union les règles de droit international privé relatives à la filiation, au nom de l'intérêt supérieur et des droits de l'enfant. Selon les termes de cette proposition, une filiation reconnue dans un État membre le serait aussi dans tous les autres États membres, sans procédure spéciale. Elle prévoit ainsi la création d'un "certificat européen de filiation".

Le 3 mars 2023, une centaine d'experts (médecins, psychologues, juristes...) de 75 nationalités ont signé à Casablanca une Déclaration d'abolition de la gestation pour autrui. Ils appellent les États à établir une convention internationale pour l'abolition de la GPA.

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