L'État et la famille
Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, l'État cherche à influencer les choix familiaux et privilégie un modèle familial : une famille stable d'au moins trois enfants où la mère reste au foyer ("Madame aux petits soins") et où le père exerce une activité salariée ("Monsieur gagne-pain"). Dans le code de la famille, l'État définit le profil de la famille qu'il veut encourager et se positionne comme une instance normative à l'égard des familles.
Qu'en est-il depuis 1945 ?
À partir de la Libération, l'institution familiale tend à s'effacer derrière un processus continu d'individualisation de la vie privée, comme en témoigne la diversification croissante des formes de constitution du couple. Ce mouvement d'individualisation ne prend sa pleine mesure qu'en relation étroite avec le processus d'émancipation des femmes et leur accès à la maîtrise de la fécondité.
Plusieurs modèles familiaux coexistent, même s'ils semblent, pour certains d'entre eux en tout cas, plutôt correspondre à des formes successives dans la vie d'un couple qu'à de véritables alternatives : les concubins hétérosexuels ou homosexuels et les familles monoparentales ou recomposées figurent désormais parmi les multiples facettes de l'institution familiale. Ces changements créent des situations auxquelles le droit n'a pas toujours été en mesure de répondre. L'État promoteur d'un certain modèle familial a dû changer de rôle : l'État n’est plus celui qui impose une norme mais plutôt un arbitre qui accompagne les évolutions de la société.
L'évolution de la législation est marquée par l'effacement progressif d'un pouvoir qui, initialement normatif à l'égard des familles, accorde la priorité à l'accompagnement des choix de vie individuels. Le régime juridique de la famille est ainsi profondément modifié : l'État prend en compte, dans le domaine du droit civil, l'évolution des mœurs et de la société. Cela se traduit par une amélioration de la capacité juridique de chaque membre de la famille à exercer ses choix ou son autonomie.
Mariage, concubinage, PACS et mariage pour tous
Depuis la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, le code civil prévoit trois formes d'organisation du couple :
- le mariage ;
- le pacte civil de solidarité (PACS), créé par la loi précitée ;
- le concubinage.
Le mariage et le PACS correspondent à des situations de droit tandis que le concubinage est une situation de fait.
Du mariage à la reconnaissance du concubinage
Traditionnellement, le mariage est l'acte fondateur de la famille qui, seul, fonde la légitimité des enfants. Institué par le code civil de 1804, le mariage est profondément inégalitaire à l'origine et repose sur la toute-puissance du mari sur sa femme et ses enfants.
Durant la première moitié du XXe siècle, le législateur atténue quelques-unes des injustices les plus flagrantes (liberté pour la femme de disposer librement de son salaire, abolition de la puissance maritale, par exemple). À partir des années 1960, se produisent les évolutions les plus significatives, marquées par la prise en compte grandissante du choix et de la responsabilité de l'individu. Le lien que le mariage formalise entre un homme et une femme est plus égalitaire : la femme mariée bénéficie désormais des mêmes droits que son époux et les responsabilités sont partagées, notamment en ce qui concerne l'éducation des enfants. Par ailleurs, le mariage est de plus en plus perçu comme un simple contrat civil qui organise la vie commune.
Dans le même temps, les dispositions concernant le divorce évoluent également. Autorisé pendant la Révolution et le Premier Empire puis supprimé à la Restauration, le divorce est rétabli en 1884 sous la forme exclusive du divorce pour faute, mais il reste peu fréquent et mal considéré jusque dans les années 1970. À partir de ces années-là, les couples y ont de plus en plus recours et la législation évolue en conséquence. La loi du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce permet au couple de mieux assumer son histoire en consacrant le divorce par consentement mutuel. Une loi du 26 mai 2004 prévoit que le divorce peut être obtenu à la suite d’une séparation de fait de deux ans, sans qu'un conjoint puisse s’y opposer. La procédure est encore simplifiée par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui permet de prononcer le divorce par consentement mutuel chez un notaire, sans passage devant le juge aux affaires familiales. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice simplifie encore et accélère la procédure de divorce en supprimant la phase de conciliation lorsque le divorce n'est pas prononcé par consentement mutuel.
La liberté de vivre ensemble sans être mariés s'impose également. Une définition légale du concubinage (ou "union libre" ou "vie maritale") n'est introduite dans le code civil qu'avec la loi relative au PACS : "Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple." Cependant, il ne crée pas de liens de droit entre les concubins, qui se voient donc appliquer le droit commun dans la plupart des cas.
Du PACS en 1999 au mariage pour tous en 2013
La conjugalité évolue : elle ne concerne plus nécessairement deux personnes de sexe différent. Dans les années 1990, les revendications d'associations s'amplifient, déplorant l'absence de droits pour les concubins de même sexe. En réaction à cette demande sociétale, entre le concubinage et le mariage est institué en 1999 le PACS. Il s'agit d'un contrat conclu entre deux personnes physiques (de même sexe ou de sexe opposé) afin d'organiser leur vie commune.
Si l'instauration du PACS permet la reconnaissance des unions civiles entre personnes de sexe opposé, les droits qu'il ouvre sont très inférieurs à ceux du mariage : aucun mode d'accès à la parenté ni de vocation successorale, pas de droit de faire usage du nom de l'autre ou de percevoir une pension de réversion, etc.
L'idée d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe se développe alors au fil des années.
Déjà, en 2004, le député-maire vert de Bègles (Gironde) de l'époque, Noël Mamère, célèbre le premier mariage gay. Si cette union alors illégale est rapidement annulée par la justice, elle vise avant tout à susciter le débat et défendre la cause du mariage homosexuel.
Certaines personnalités politiques s'engagent en faveur du mariage et de l'adoption pour tous, plusieurs propositions de loi sont déposées à cette fin, sans succès. Au début des années 2010, le Conseil constitutionnel indique que seul le législateur est compétent pour traiter de cette question de société dans une décision QPC du 28 janvier 2011.
Les opposants à l'ouverture du mariage aux couples de même sexe se font entendre au Parlement et dans la rue (nombreuses manifestations anti "mariage pour tous"). Les débats portent essentiellement sur la nature même du mariage et la parentalité. Pour les opposants au mariage homosexuel, le mariage demeure une institution à part entière ayant pour finalité la reproduction des êtres humains.
Plus de 170 heures de discussions parlementaires sont nécessaires pour l'adoption de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dit "le mariage pour tous".
La France devient ainsi le 14e pays au monde à autoriser le mariage homosexuel.
Le premier mariage homosexuel est célébré le 29 mai 2013 à la mairie de Montpellier.
Dans les premiers mois d'application de la loi, plusieurs maires opposés au mariage pour tous refusent d'unir les couples de même sexe, invoquant une "clause de conscience". Ils saisissent à ce sujet le Conseil d'État, qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel. Ce dernier, dans la décision QPC du 18 octobre 2013, écarte une telle clause. Il considère que le service public d'état civil doit être neutre et "qu'eu égard aux fonctions de l'officier de l'état civil - le maire ou ses adjoints - dans la célébration du mariage", la loi sur le mariage pour tous "n'a pas porté atteinte à la liberté de conscience".
Au 31 décembre 2022, plus 70 000 mariages de couples de même sexe ont été célébrés, d'après une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED). Ils représentent 3% des mariages en France (données de l'Institut national de la statistique et des études économiques – Insee). Environ 40% des couples homosexuels sont mariés.
Adoption, PMA et GPA
L'adoption par l'ensemble des couples et les célibataires
Concernant l'adoption, avant 2022, seuls les couples mariés et les personnes célibataires y ont droit. En leur ouvrant le droit au mariage, la loi de 2013 a automatiquement étendu aux couples de même sexe la possibilité d'adopter. Sont désormais permises l'adoption conjointe d'un enfant par les deux époux ou l'adoption de l'enfant du conjoint, comme pour les couples hétérosexuels.
D'après un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publié en mars 2019, le nombre d'adoptions conjointes d'enfants par des couples de même sexe s'élevait à une dizaine en 2019. Ce rapport avait été commandé à la suite de propos discriminatoires tenus par la responsable du service adoption du département de la Seine-Maritime à l'encontre des couples homoparentaux. L'élaboration d'une charte de déontologie destinée aux conseils de famille y est recommandée. L'objectif de cette charte de déontologie, publiée pour suivre cette recommandation, est de garantir l'absence de discrimination entre les familles adoptantes. La loi du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption intègre au conseil de famille "une personnalité qualifiée et un suppléant, que leur compétence et leur expérience professionnelles en matière d'éthique et de lutte contre les discriminations qualifient particulièrement pour l'exercice de fonctions en son sein".
Finalement, la loi du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption ouvre l'adoption aux couples pacsés et aux concubins, hétérosexuels comme homosexuels. Elle réduit par ailleurs de deux à un an la durée de vie commune exigée d'un couple qui souhaite adopter. La loi abaisse enfin l'âge minimum requis du ou des parents adoptants de 28 à 26 ans.
La PMA pour toutes
La procréation médicalement assistée (PMA) - ou assistance médicale à la procréation (AMP) désigne l'ensemble des techniques médicales permettant de concevoir un enfant lorsque la conception naturelle est difficile, voire impossible. Mise en œuvre dans un cadre médical dès 1973 par des centres d'étude et de conservation des œufs humains et du sperme (CECOS), la PMA voit son cadre juridique fixé par les lois bioéthiques du 29 juillet 1994. Jusqu'en 2021, elle est réservée aux couples hétérosexuels, mariés ou non, sous certaines conditions. L'AMP doit viser à remédier à l'infertilité pathologique du couple ou à éviter la transmission d'une maladie grave médicalement constatée à l'enfant ou à son partenaire.
La loi de 2013 autorisant le mariage pour les couples de personnes de même sexe n'a pas ouvert la PMA aux couples de femmes. Dans sa décision DC du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel considère cette disposition conforme à la Constitution. Il affirme qu'elle ne contrevient à aucune exigence constitutionnelle et se contente de rappeler les conditions législatives pour recourir à une PMA (couple hétérosexuel justifiant d'une infertilité ou d'une maladie transmissible). La compagne d'une femme ayant accouché par AMP n'est donc pas automatiquement reconnue comme mère : elle doit passer par une procédure d'adoption afin d'établir un lien de filiation avec l'enfant.
Plusieurs institutions se positionnent en faveur de la "PMA pour toutes" : le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dans un avis de 2015, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans une contribution à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019... Un rapport de l’Assemblée nationale de janvier 2019 va dans le sens d’une reconnaissance : "l'ouverture de l'accès à la PMA apparaît comme une nouvelle étape sur le long chemin de l'émancipation des femmes par le renforcement de l'autonomie des choix reproductifs et sur celui de la reconnaissance de toutes les familles".
C'est par la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique que l'assistance médicale à la procréation devient accessible aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le critère médical est donc supprimé pour l'ensemble des couples. On passe alors à une logique de "projet parental" (article L2141-2 du code de la santé publique).
Un nouveau mode de filiation pour les enfants nés de PMA est mis en place pour les couples de femmes. Les femmes concernées doivent établir devant notaire une reconnaissance conjointe de l'enfant avant sa conception.
Les couples de femmes qui ont eu recours à une PMA à l'étranger avant la promulgation de la loi peuvent quant à eux effectuer, pendant un délai de trois ans, une reconnaissance conjointe pour établir la filiation. La loi de 2022 réformant l'adoption crée en plus un dispositif transitoire applicable jusqu'en 2025 pour régler des situations conflictuelles. Ce dispositif couvre le cas des couples de femmes ayant eu recours à la PMA à l'étranger avant la loi bioéthique de 2021 dont la femme ayant accouché s'oppose à une reconnaissance conjointe rétroactive. Il s'agit de permettre l'adoption de l'enfant par la femme n'ayant pas de lien biologique avec l'enfant, sous certaines conditions (refus illégitime et adoption conforme à l'intérêt de l'enfant).
De l'entrée en vigueur de la loi à la fin 2022, d'après un communiqué du ministère de la santé d'août 2023, 15 000 demandes de première consultation en vue d'une PMA ont été formulées par des couples de femmes et des femmes célibataires.
Les hommes transgenres ayant obtenu la modification de la mention de leur sexe à l'état civil (de "sexe féminin" à "sexe masculin") sont exclus de la PMA. Lorsque ces personnes disposent toujours des fonctions reproductives permettant d'être enceintes, si le sexe mentionné à l'état civil est masculin, elles ne peuvent pas avoir accès à la PMA. Plusieurs associations ont considéré que la loi bioéthique de 2021 instaurait ainsi une différence de traitement injustifiée à l'égard des hommes trans. Dans une décision QPC du 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a conclu à la conformité de la loi avec la Constitution. Il considère qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte d'une différence de situation entre les hommes - ici, transgenres - et les femmes dans l'accès à la PMA.
Le 20 juillet 2023, une proposition de loi a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale afin d'"universaliser l'assistance médicale à la procréation", c'est-à-dire l'ouvrir aux personnes transgenres qui peuvent tomber enceintes. Ce texte n'a, jusqu'ici, pas été examiné par les députés.
La GPA, interdite en France
Contrairement à d'autres pays, la gestation pour autrui (GPA) n'est pas autorisée en France. Sous certaines conditions précisées par la loi bioéthique de 2021, les GPA effectuées à l'étranger peuvent néanmoins être reconnues en France via une transcription de l'acte de naissance de l'enfant dans les registres de l'état civil. Lorsque les conditions sont remplies, la transcription est effectuée aussi bien concernant les enfants de couples hétérosexuels que ceux de couples homosexuels (voir les arrêts du 18 décembre 2019 de la Cour de cassation).
Interdiction de la GPA : une discrimination envers les couples d'hommes ?
La PMA est désormais ouverte aux couples de femmes ainsi qu'aux femmes célibataires. Parallèlement, la GPA demeure interdite en France. Les couples d'hommes n'ont ainsi aucune voie équivalente, sur le territoire français, à celles accessibles aux femmes célibataires ou en couple homosexuel. Ces deux législations placent de fait les couples d'hommes dans une situation différente quant à l'accessibilité à la parentalité, en dehors des adoptions. Certaines associations considèrent qu'en résulte une discrimination indirecte (c'est-à-dire fondée sur un critère neutre en apparence mais dont les effets sont discriminatoires). Néanmoins, juridiquement, cette différence de situation ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe. La GPA est en effet interdite à tous, indépendamment du sexe et de l'orientation sexuelle. Il n'est par ailleurs pas possible de comparer l'accessibilité ou non à la PMA et à la GPA, qui sont deux procédures distinctes non comparables.