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Lutte contre l'évasion fiscale : une nécessaire coopération internationale

Temps de lecture  16 minutes

Par : La Rédaction

La lutte contre l'évasion fiscale est une priorité des États et des organisations internationales. Depuis 2008, des mesures ont renforcé la coopération administrative entre les États et limité les stratégies d’optimisation fiscale. Depuis le 1er janvier 2024, un impôt mondial sur les multinationales a été instauré dans l'Union européenne.

L’évasion fiscale s’entend comme l’ensemble des comportements du contribuable, particulier ou entreprise, visant à réduire le montant des impositions dont il doit légalement s’acquitter. Fondée sur le transfert du patrimoine vers un autre pays au régime fiscal plus avantageux, l’évasion fiscale apparaît comme une notion ambiguë, à la frontière entre la fraude et l’optimisation fiscale.

Si la fraude cherche à abaisser le montant de l’impôt, elle repose cependant sur des moyens illégaux. L’évasion fiscale se rapproche davantage de l’optimisation fiscale, qui vise à réduire la charge fiscale par une utilisation pertinente de la réglementation. Selon un rapport de l'Assemblée nationale consacré à l'évasion fiscale internationale des entreprises, "l'évasion, non définie en droit français, a en commun avec la fraude la volonté de ses auteurs de contourner la norme fiscale en vigueur dans le but d'éluder l'impôt, mais repose sur des mécanismes réguliers ou en apparence réguliers".

Un rapport spécial de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur la lutte contre l'évasion fiscale, annexé au projet de loi de finances 2023, insiste sur la nécessité d'une définition plus précise de l'évasion fiscale qui recouvrirait l’ensemble des comportements répréhensibles des contribuables : la fraude délibérée ainsi que toute pratique d’optimisation fiscale dite "agressive" visant à échapper à l’impôt.

Un exemple : le double irlandais ou le sandwich hollandais

Parmi les principales méthodes employées, la manipulation des prix de transfert, c'est-à-dire des transactions transfrontalières entre filiales d'un même groupe, vise à réduire le taux de taxation du bénéfice. La technique du "double irlandais", autrement appelé "sandwich hollandais", consiste à utiliser des filiales et holdings inscrites dans les paradis fiscaux afin de tirer avantage des législations de ces pays.

Une ampleur difficile à évaluer

En raison du caractère opaque de ces opérations, l’évasion fiscale est par nature difficile à évaluer. Plusieurs rapports ou études ont donné des chiffres variables :

  • dans son rapport publié en 2024 sur la lutte contre l’évasion fiscale, la commission des finances de l'Assemblée nationale estime que les pertes fiscales sont de l'ordre de 80 à 100 milliards d’euros par an en France. C'est plus que les 60 milliards d’économies et de recettes supplémentaires que le gouvernement prévoit dans son projet de loi de finances pour 2025 ;
  • l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que les pratiques d'optimisation fiscale agressive des multinationales entraînent une perte de recettes de 100 à 240 milliards de dollars par an au niveau mondial ;
  • le rapport annuel de la fiscalité 2023 de la Commission européenne met en évidence des pertes de recettes de 68,2 milliards d'euros en Europe, liées à l'évasion fiscale des entreprises. Certaines sources les estiment plutôt à 100 milliards d'euros.

La complexification de la finance internationale et le caractère immatériel de l’économie numérique ont pu accroître les montants de l’évasion fiscale depuis les années 1990.

Les conséquences budgétaires et sociales sont importantes. Les capitaux transférés dans des structures privilégiées sont autant de ressources qui n’alimentent pas les économies nationales, obligeant les États à accroître leur endettement public ou leurs impôts, afin de maintenir leur niveau de dépenses publiques. L’évasion fiscale est ressentie comme une injustice : 

  • sur le plan social, les ménages qui la pratiquent (et qui sont souvent des ménages à hauts revenus) réduisent ainsi leur part dans le financement des biens collectifs. L’évasion fiscale accentue les inégalités et entraîne une dégradation du consentement à l’impôt, c'est-à-dire l'acceptation du principe de l'impôt par les citoyens. Selon le baromètre 2024 du Conseil des prélèvements obligatoires, 55% des personnes interrogées souhaitent que l’État dépense davantage pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ;
  • sur le plan économique, les entreprises qui n’utilisent pas l’évasion fiscale souffrent d’une distorsion de concurrence et d’un déficit de compétitivité ;
  • sur le plan politique, les faibles résultats de l’action de certains États pour contrer l’évasion fiscale peuvent accroître le sentiment de défiance envers l’autorité publique.

Taxe Zucman : un impôt minimum de 2% pour les ultra-riches

La question de la taxation des grandes fortunes est au cœur des débats en France. La "taxe Zucman" sur les hauts patrimoines est une mesure reprise dans une proposition de loi adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale. Elle a été également débattue à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026. Elle a été rejetée par les députés le 31 octobre 2025. Du nom de l'économiste Gabriel Zucman, cette taxe vise à garantir que les "ultra-riches", dont le patrimoine dépasse 100 millions d'euros, paient au moins 2% du montant de leur fortune en impôts chaque année. Elle pourrait concerner environ 1 800 foyers fiscaux. Selon l’Institut des politiques publiques (IPP), ces contribuables paieraient aujourd’hui deux fois moins d'impôts, en proportion de leurs revenus, que les classes populaires, moyennes ou moyennes supérieures, notamment grâce à l’optimisation fiscale

Des mesures internationales pour éviter l'évasion fiscale

Lutter contre l’évasion fiscale nécessite la mise en place de règles internationales et européennes. Or, la fiscalité est un secteur marqué par son caractère souverain et son rôle d’instrument d’attractivité économique. Il s’agit pour les États de s’accorder sur un certain nombres de points comme la remise en cause du secret bancaire, l’établissement de la liste des paradis fiscaux au niveau international, l’échange d’informations ou encore l'harmonisation fiscale. 

La remise en cause du secret bancaire

Le secret bancaire désigne l’obligation pour les établissements bancaires de ne pas donner d’informations sur leurs clients à des tiers. À la suite de la crise de 2008 et de l’affaire UBS (la banque suisse a été condamnée pour démarchage bancaire illégal et blanchiment aggravé de fraude fiscale), le secret bancaire a été remis en cause au G20 de Londres qui pose, en 2009, le principe de sanctions à l’égard des États refusant de coopérer.

Conséquence de la décision du G20, la Suisse a, par exemple, révisé plusieurs conventions bilatérales et signé le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) avec les États-Unis. Cette réglementation oblige les banques à déclarer les Américains titulaires de comptes financiers à l'administration fiscale américaine. En 2014, 65 États se sont engagés à appliquer la nouvelle norme commune de déclaration automatique, publiée sous l'égide de l'OCDE, prévoyant des échanges annuels relatifs aux comptes financiers. Depuis 2018, tous les États européens ont accepté l’échange automatique d’informations, à intervalle régulier, entre administrations fiscales sur leurs clients européens.

Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales veille à l'application uniforme des normes internationales élaborées par l'OCDE en matière de transparence fiscale et d'échange de renseignements. 172 juridictions échangent désormais des informations de manière automatique. Selon un rapport de juillet 2025 préparé par l'OCDE et le Forum mondial, au moins 135 milliards d'euros de recettes supplémentaires, y compris les impôts, les intérêts et les pénalités, ont été identifiés par les gouvernements depuis 2009, grâce aux efforts déployés pour améliorer la transparence fiscale et l'échange de renseignements.

La dénonciation des "paradis fiscaux"

L'évasion fiscale est facilitée par les "paradis fiscaux", régions ou États qui proposent des structures privilégiées pour des placements financiers. L’OCDE définit les paradis fiscaux selon quatre critères :

  • des impôts inexistants ou très faibles ;
  • l’absence de transparence ;
  • une législation empêchant l’échange d’informations ;
  • la tolérance envers les sociétés-écrans.

Pour contribuer au respect des mêmes normes par tous les États, l'existence des paradis fiscaux a été dénoncée au niveau international. L'OCDE a identifié un certain nombre de paradis fiscaux en 2000 et elle en a publié la liste. Les territoires mis en cause ont pris l'engagement de mettre en œuvre les principes de l'OCDE en matière de transparence fiscale et d'échange de renseignements. Actuellement, il n'y a plus aucune juridiction dans la liste des paradis fiscaux non coopératifs du comité des affaires fiscales de l'OCDE.

L'Union européenne alimente également une liste des juridictions fiscales non coopératives sur la base d'un certain nombre de critères. Au 10 octobre 2025, la liste compte 11 juridictions fiscales non coopératives : Samoa américaines, Anguilla, Fidji, Guam, Palaos, Panama, Russie, Samoa, Trinité-et-Tobago, Îles Vierges américaines, Vanuatu.

La mise à jour de la liste française des États et territoires non coopératifs

Un arrêté du 18 avril 2025 modifie la liste des États et territoires non coopératifs en matière fiscale (ETNC) établie en 2010. Cette liste comporte à la fois des États jugés non coopératifs par le gouvernement français et des États inscrits sur la liste noire de l'UE. Elle comprend les États et territoires suivants :

  • Antigua-et-Barbuda
  • Îles Turques-et-Caïques
  • Anguilla
  • Vanuatu
  • Fidji
  • Guam
  • Îles Vierges américaines
  • Palaos
  • Panama
  • Russie
  • Samoa
  • Samoa américaines
  • Trinité-et-Tobago

La négociation internationale contre l'évasion fiscale des entreprises

Un rapport déposé en avril 2021 à l'Assemblée nationale souligne la nécessité d'aborder la question de l'évasion fiscale des entreprises dans un contexte international très favorable à la lutte contre ce phénomène.

Sous l'impulsion de l'OCDE, près de 140 pays se sont mis d'accord, en octobre 2021, pour mettre en place un impôt mondial minimum de 15% sur les profits des sociétés multinationales. Cet impôt minimum est inspiré des règles Gilti (global intangible low-taxed income), en vigueur aux États-Unis depuis 2017. Le but est de rendre inefficaces les pratiques d’optimisation fiscale qui permettent aux entreprises de déclarer la majorité de leurs bénéfices dans des pays à faible imposition.  Selon les estimations de l’OCDE, les revenus qui y sont associés pourraient atteindre 200 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale.

Bien que tous les pays signataires n'aient pas encore ratifié cette mesure, elle est entrée en vigueur dans les pays de l'Union européenne le 1er janvier 2024. Les pays de l'UE pourront taxer les entreprises opérant sur leur sol mais basées dans des paradis fiscaux. Ainsi, si une entreprise paie moins de 15% d'impôts dans un pays, son pays d'origine pourra taxer la différence pour atteindre ce seuil. 

Cette règle a été transposée en France via la loi de finances pour 2024. Elle s’applique aux entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires (sur au moins deux années sur une période de 4 ans). Les premières recettes seront collectées à partir de 2026.

Néanmoins, cet impôt mondial a largement été remis en cause lors du G7 de juin 2025 puisque les États-Unis ont obtenu qu'il ne s'applique pas aux entreprises états-uniennes.

Des mesures européennes pour l'harmonisation fiscale

Le projet européen d'harmonisation fiscale

L'harmonisation du droit fiscal des États membres est un objectif de l'Union européenne qui va au-delà de la lutte contre l'évasion fiscale. La coexistence de 27 régimes fiscaux nationaux différents au sein de l'UE décourage les investissements transfrontières et désavantage les entreprises européennes par rapport à leurs concurrents du reste du monde.

En septembre 2023, la Commission a présenté une proposition relative à un cadre pour l’imposition des revenus des entreprises en Europe (BEFIT). Cette initiative se substitue à la précédente proposition ACCIS qui n’avait pas obtenu de consensus parmi les États membres. La directive BEFIT propose un ensemble harmonisé de règles pour calculer la base d’imposition des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés dans un État membre. Si cette directive est adoptée par le Conseil de l’UE, son entrée en vigueur est prévue pour le 1er juillet 2028

Dans le cadre de l’impôt minimum mondial de 15% appliqué aux multinationales, l’UE a adopté en 2024 la directive "DAC9". Le texte vise à harmoniser les déclarations d'informations dans l'Union. Il simplifie les déclarations fiscales des grandes entreprises en leur permettant de déposer une déclaration centralisée, au lieu de déclarations séparées pour chaque entreprise du groupe. 

L'échange d'informations

L’échange d’informations entre administrations fiscales, qui permet d’identifier les personnes titulaires de comptes non déclarés à l’étranger, constitue l’un des outils majeurs de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Adoptée le 15 février 2011, la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal, appelée DAC 1 (Directive on Administrative Cooperation), instaure un échange automatique d’informations entre les États membres de l’Union européenne. Elle permet aux administrations fiscales de partager des données sur les revenus perçus par un résident dans un autre État membre. Cette directive a été modifiée plusieurs fois depuis son adoption. 

La directive DAC 3 du 8 décembre 2015 a, par exemple, étendu l'obligation d'échange automatique aux rescrits fiscaux et aux arrangements préalables en matière de prix de transfert (APA).

APA et rescrits fiscaux : de quoi s'agit-il ?

Selon le rapport de l'Assemblée nationale sur l'UE et la lutte contre l'optimisation fiscale, "le rescrit et l’APA sont des décisions fiscales anticipées transmises par une autorité fiscale à un contribuable qui définissent la manière dont son imposition sera calculée pour une période donnée. Tous les États membres accordent des rescrits fiscaux, sous différentes formes. Un rescrit n’est pas illégal en soi. Au contraire, il apporte une certaine sécurité juridique à l’entreprise. Néanmoins, il peut fausser la concurrence lorsqu'il est utilisé pour octroyer des avantages fiscaux sélectifs à une entreprise par rapport à ses concurrents. Les rescrits facilitent ainsi la planification fiscale agressive lorsque des entreprises en profitent pour transférer artificiellement leurs bénéfices dans un État membre qui offre un faible niveau d’imposition".

Dans la loi de finances pour 2025, la France a transposé la directive DAC8 qui prévoit l'échange d’informations automatique relatif aux actifs numériques.

D'autres mesures contraignent les contribuables et intermédiaires financiers à transmettre un ensemble d’informations aux administrations fiscales. La loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires oblige les banques à publier des données concernant leurs activités dans les paradis fiscaux. Depuis 2016, chaque multinationale ayant des comptes consolidés et un chiffre d'affaires dépassant les 750 millions d'euros doit transmettre sa déclaration fiscale pays par pays à l’administration française.

Le document de politique transversale "Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales" du projet de loi de finances pour 2026 montre les progrès réalisés en France dans le domaine de la coopération administrative internationale en matière fiscale. En 2024, la France a adressé 7 730 demandes à ses partenaires étrangers et elle a reçu 4 499 demandes de la part de ses partenaires.

Le paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale

Tout comme le projet BEPS conduit dans le cadre de l'OCDE et du G20, le paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale de 2016 a pour objectif de garantir que les entreprises soient imposées là où elles réalisent leurs bénéfices.

La directive anti tax avoidance directive (ATAD) du 12 juillet 2016 définit des mesures anti-abus juridiquement contraignantes qui visent les principales formes d'évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales. Les États-membres sont tenus de les appliquer depuis le 1er janvier 2019. Désormais, dans le calcul de l'impôt sur les sociétés, les revenus d'une filiale étrangère sont réattribués à sa société mère. Pour limiter la réduction artificielle des bénéfices d’une entreprise par la réalisation de prêts internes, la directive plafonne le montant autorisé des paiements d’intérêts qu’une entreprise peut déduire par année fiscale. La directive a été transposée en droit français par la loi de finances pour 2019.

Des mesures fiscales européennes concernant le secteur numérique

Le caractère immatériel de l'économie numérique est aussi un facteur d'évasion fiscale. L'année 2018 voit l'échec des négociations sur le "paquet numérique" européen, qui consistait à reconnaître des établissements stables virtuels sur la base d'une présence numérique significative et à créer une taxe sur les services numériques. La Commission européenne travaille désormais à la mise en place d'un dispositif fiscal concernant les entreprises numériques (digital levy ou "prélèvement numérique"). Selon le rapport d'avril 2021 sur l'évasion fiscale des entreprises, la consultation publique européenne qui s'est tenue entre le 18 janvier 2021 et le 12 avril 2021 a permis d'identifier trois pistes de réforme :

  • une hausse de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui ont certaines activités numériques dans l'UE ;
  • une nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires tiré de certaines activités numériques au sein de l'UE ;
  • une nouvelle taxe sur les transactions numériques entre entreprises réalisées au sein de l'UE.

Le 17 octobre 2023, le Conseil a adopté une directive dans laquelle figure un nouvel ensemble de modifications des règles de la directive DAC ("DAC 8"). Ces modifications concernent notamment l'échange automatique d'informations sur les revenus tirés de transactions sur crypto-actifs

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