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© Samuel Corum - Getty Images/AFP

Croissance économique comparée entre l'UE et les États-Unis : que disent les chiffres ?

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

Des premières communautés européennes dans les années 1950 jusqu'à la création de la monnaie unique en 1999, le projet économique européen a toujours été au centre de la construction européenne. Comparé aux États-Unis, ce projet arrive-t-il toujours à garantir prospérité et croissance ?

Prospérité globale : l'Europe peut-elle toujours rivaliser avec les États-Unis ?

Selon les données de la Banque mondiale, le PIB global (en dollars US courants) de l'Union européenne (UE) est, en 2022, de 16,75 billions (ou 16 750 milliards), contre 25,44 billions pour les États-Unis. Autrement dit, le PIB global de l'UE se situe à 65% du niveau américain. Depuis la crise financière de 2008, l'Europe a quasiment stagné : sa production totale a augmenté de 2,8% en 14 ans, contre une augmentation de 72% du PIB américain. En 1990, les deux régions étaient encore quasiment équivalentes en termes de production.

Si on élimine l'effet de l'inflation et de la mesure en dollars constants, ce décrochage est un plus faible, le PIB de l'UE atteint trois quarts du niveau américain.

 

Si on élimine encore l'effet du taux de change et qu'on prend en compte les pouvoirs d'achat des monnaies, le décrochage se réduit davantage : le PIB européen (en parités des pouvoirs d'achat et dollars constants de 2011) se situe en 2022 à 20,57 billions de dollars, c'est-à-dire 95% du niveau américain. Mais là aussi, la progression sur la période récente décroche par rapport au dynamisme américain. La croissance a été de 17% en Europe contre près de 28% aux États-Unis.

Le moindre dynamisme économique de l'Europe par rapport aux États-Unis est une réalité, mais son ampleur dépend beaucoup de l'indicateur utilisé. En revanche, le décrochage depuis 2008 est manifeste et indépendant de l'indicateur utilisé.

Comment se situe la richesse par tête dans l'UE par rapport à celle des États-Unis ?

Si on considère la production par habitant, la comparaison est davantage en défaveur de l'Union européenne. Étant plus peuplée que les États-Unis – 447 millions d'habitants contre 330 millions – le PIB par tête de l'UE en dollars courants est deux fois moindre que celui des États-Unis. Il est en 2022 de 37 500 dollars pour un Européen contre 76 300 pour un Américain. Là aussi, l'évolution de long terme n'a pas été en faveur des Européens : le décrochage s'est accéléré depuis la crise financière. L'effet se réduit cependant si on ne tient pas compte de l'inflation et de l'effet du taux de change : le PIB européen par tête se situe légèrement au-dessus de 70% de celui d'un Américain et ce rapport est assez stable depuis 1990.

Si on prend les pays européens un par un (données PIB par tête en dollars US courant pour 2021), on constate que seuls deux d'entre eux, le Luxembourg et l'Irlande, ont un PIB par tête qui dépasse celui des États-Unis. Certains pays européens, comme le Portugal, la Croatie ou la Grèce, ne sont qu'à environ 50% du niveau américain.

Enfin, si on compare les pays européens aux 50 États américains, à nouveau le Luxembourg et l'Irlande sont en tête devant l'État de New-York et du Massachusetts, mais le troisième pays européen le mieux classé, le Danemark, n'arrive qu'après le 28e État américain. La France se place en bas du tableau, après l'Arkansas qui est classé 48e État américain sur 50 ; l'Allemagne, elle, après le 38e (F. Erixon, O. Guinea et O. du Roy (2023), "If the EU was a Stat in the United States : Comparing Econolmic Growth between EU and US States", ECIPE Policy brief, n° 7).

La monnaie unique joue-t-elle un rôle dans ce décrochage ?

Le décrochage européen depuis la crise financière s'explique en partie par un simple effet taux de change, la monnaie unique s'étant dépréciée par rapport au dollar. Depuis son plus haut niveau en 2008, l'euro a perdu environ un tiers de sa valeur par rapport au dollar. L'Europe a traversé plusieurs crises, dont certaines ont été spécifiques à la zone euro :

  • crise de la zone euro 2010-2012 ;
  • sortie du Royaume-Uni de l'UE en 2016 (un processus, qui a pesé sur l'UE jusqu'en 2020 et qui fait planer une incertitude globale sur la pérennité du projet européen) ;
  • guerre en Ukraine et crise de l'énergie (l'UE est plus proche du conflit et contrairement aux États-Unis dépend largement d'importations en matière d'énergie).

Ces facteurs ont très probablement pesé sur l'attractivité de la zone euro et par ricochet sur la valorisation de la monnaie unique.

La dépréciation de l'euro a des effets économiques contradictoires : elle rend les exportations européennes plus compétitives, mais renchérit les importations, ce qui pèse sur les pays où les biens étrangers (notamment industriels) prennent une place importante comme c'est le cas en France. Cet effet peut in fine ralentir consommation et investissement intérieurs et diminuer le pouvoir d'achat.

Il faut cependant relativiser la faiblesse de la monnaie unique comme facteur explicatif. Pour mesurer et comparer, il faut convertir toutes les données en une seule monnaie. Des mesures à un moment donné dépendent toujours du taux de change en vigueur et, dans un régime de taux de change flottants, les variations de change quotidiennes font mécaniquement varier les estimations des grandeurs économiques. Si, la dépréciation de l'euro n'est plus conjoncturelle mais se confirme à plus long terme, l'effet n'est plus mécanique mais traduit un affaiblissement économique.

En outre, l'outil utilisé, la parité des pouvoir d'achat (PPA) n'est pas sans failles. Cet outil établit des taux de conversion monétaire pour égaliser les pouvoirs d'achat des différentes monnaies en éliminant les différences de niveaux des prix entre pays. Mais la PPA, qui est exprimée en dollars US, dépend du panier de produits choisi pour établir la comparaison, mais également des habitudes de consommation qui peuvent varier entre les pays et ainsi introduire des biais dans les mesures finales.

Quelle croissance économique sur la période récente ?

Depuis 2000, l'économie mondiale a traversé plusieurs crises sévères :

À chaque crise, la croissance recule, devient parfois négative, puis elle redémarre. Mais c'est aux États-Unis que la croissance redémarre plus rapidement, en Europe, elle reste souvent plus longtemps sur un niveau plus faible.

L'examen du taux de croissance cumulé (en dollars constants, données Banque mondiale) montre, sur la période 2010 à 2022, un dynamisme économique globalement supérieur aux États-Unis. Le taux de croissance cumulée est d'environ 31% aux États-Unis, mais de seulement 21% dans l'UE. Si certains petits pays arrivent à rivaliser avec le dynamisme américain, c'est surtout dans les grands pays européens, tel l'Allemagne, la France ou l'Italie, que le niveau de croissance est resté inférieur. Le différentiel est plus faible dans le cas du taux de croissance par tête entre 2010 et 2022, mais reste en défaveur de la zone euro.

 

 

 

De nombreuses raisons sont évoquées pour expliquer le décrochage européen. Certaines sont plutôt conjoncturelles comme le Brexit ou la crise énergétique qui touche surtout l'Europe. D'autres sont plus structurelles et risquent de peser plus durablement sur la performance, comme la productivité et l'investissement en R&D plus faibles, le moindre dynamisme démographique ou l'absence d'un grand marché intégré des capitaux.

Si on s'appuie sur les perspectives de croissances à venir, le décrochage européen risque de perdurer, mais la vitesse du décrochage semble néanmoins se réduire. L'OCDE écrit dans ses perspectives économiques publiées en mai 2024, qu'aux "États-Unis, la croissance du PIB devrait ressortir à 2,6% en 2024, avant de ralentir à 1,8% en 2025, à mesure de l'ajustement de l'économie aux coûts élevés des emprunts et de la modération de la demande intérieure. Dans la zone euro, où l'activité a stagné au quatrième trimestre de 2023, le redressement des revenus réels des ménages, les tensions sur les marchés du travail et l'abaissement des taux directeurs contribueront à générer un rebond progressif. La croissance du PIB devrait selon les projections atteindre 0,7% en 2024 et 1,5% en 2025." La croissance européenne redémarre mais restera toujours un peu plus faible que celle des États-Unis.