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Participation et abstention aux élections législatives : quelles évolutions depuis 2002 ?

Temps de lecture  9 minutes

Par : La Rédaction

Interdépendance des scrutins présidentiels et législatifs, usage de plus en plus alterné de l’abstention, déterminants du vote et du non-vote… Quelles sont les évolutions des niveaux de participation aux élections législatives françaises depuis 2002 ?

Les effets du passage du mandat présidentiel à cinq ans sur les élections législatives

La loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du président de la République inscrit à l’article 6 de la Constitution que "le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct". Avant cette date, la différence entre la durée du mandat présidentiel (sept ans) et celle du mandat des députés (cinq ans) rendait plus probables les situations de cohabitation entre le président de la République et le Premier ministre (le vote aux élections législatives pouvant servir de vote "sanction" à l'égard du pouvoir exécutif). 

La loi organique du 15 mai 2001, qui complète la loi réforme de 2000, repousse d’avril à juin la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale. Ainsi, entre 2002 et 2022, les élections législatives se tiennent systématiquement quelques semaines seulement après l'élection présidentielle. L'enchaînement des deux scrutins renforçait les probabilités, pour le président nouvellement élu, d'obtenir une majorité favorable à l'Assemblée nationale. En réduisant l’éventualité d’une cohabitation, cette double réforme a ainsi renforcé la présidentialisation du régime

En 20 ans, l'abstention aux élections législatives a augmenté : elle est passée de 35,58% des inscrits en 2002 à 52,49% en 2022, soit près de 17 points d’écart. Une des clés d’explication de cette abstention est la portée, à la fois politique et symbolique, des élections législatives. Sous l'effet des logiques électorales, les élections législatives ont en effet été reléguées pour certains électeurs au rang d’élections de "second plan". 

 

 

En 2022, pour la deuxième fois consécutive, plus de la moitié des citoyens inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés aux urnes. Le niveau d’abstention est resté particulièrement haut en périphérie des grandes métropoles, dans les outre-mer et chez les Français de l’étranger. Ainsi : 

  • trois circonscriptions des Français de l’étranger, ainsi que la 4e circonscription de Guadeloupe comptaient plus de 80% d’abstention ; 
  • en France hexagonale, l’abstention la plus forte a été enregistrée dans les 11e et 4e circonscriptions de Seine-Saint-Denis (respectivement 77,10% et 74,99% d’abstention), après le désistement de l’un des deux derniers candidats. 

Au total, moins d’un électeur sur deux s’est déplacé au second tour dans 417 des 577 circonscriptions et 83% des députés ont été élus avec les voix de 20 à 30% des inscrits. Cette augmentation tendancielle de l’abstention ces 20 dernières années, jusqu’à atteindre plus de la moitié de l’électorat en 2017 et en 2022, a pu remettre en cause aux yeux de certains citoyens la légitimité des élus et leur capacité à représenter la société française. 

Inédite depuis la loi constitutionnelle de 2000, la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024, a de nouveau modifié le calendrier électoral. Dans le cas présent, le décalage des élections législatives pourrait avoir de nouveaux effets sur la participation des électeurs aux élections législatives du 30 juin et du 7 juillet 2024.

Vote systématique ou intermittent, abstention systématique : un comparatif entre élections législatives et présidentielles depuis 2002

Depuis les années 1970, la participation des électeurs aux différents scrutins nationaux (élections présidentielles et législatives) est de plus en plus "volatile". L’affaiblissement de l’identification partisane, la défiance vis-à-vis des responsables politiques, ou encore l’émergence de nouvelles formes de participation ont en effet donné lieu à une évolution des comportements électoraux

L’étude comparée de la participation aux élections présidentielles et législatives permet de voir comment la frontière entre le vote et le non-vote s’est progressivement estompée. L’étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publiée en novembre 2022 montre l’évolution des comportements électoraux aux deux élections nationales depuis 2002. Elle distingue les votants systématiques (qui votent aux premiers et seconds tours des deux élections), les votants intermittents (qui votent à un, deux ou trois des quatre tours de scrutins) et les abstentionnistes systématiques (qui ne votent à aucun des scrutins).

D’après l’étude : 

  • entre 2002 et 2012, le vote systématique est le comportement de vote dominant. Il concerne, pour chaque élection, au moins 48% des inscrits sur les listes électorales même si l’année 2007 constitue cependant une exception. Alors que l’élection présidentielle, qui consacre la victoire de Nicolas Sarkozy, semble rompre avec la tendance abstentionniste (83,8% de participation au premier tour et 84% au second), l’élection législative, le mois suivant, enregistre un record d’abstention (quatre électeurs sur dix ne participent pas au scrutin) ; 
  • depuis 2017, le vote intermittent dépasse le vote systématique. Cela se confirme en 2022, malgré une très légère diminution du vote intermittent (47% des inscrits) et une stabilisation du vote systématique (37% des inscrits). 

Dès les années 1990, l’abstention au premier tour des élections législatives augmente de façon tendancielle. Pour autant, sur la même période, l'abstention systématique reste relativement faible et stable. Toutefois, la progression du vote intermittent témoigne d’une évolution des profils d’abstentionnistes. Désormais, l’abstention n’est plus uniquement le signe d’un retrait ou d’un désinvestissement de la vie politique. Il s’agit aussi d’une "réponse électorale à part entière" (d'après la sociologue Anne Muxel), au même titre que le vote.

L’intermittence de la participation électorale est également le signe d'un certain affaiblissement du devoir de voter et révèle des changements profonds dans les représentations mêmes de la citoyenneté. D’après une étude menée par le sociologue Laurent Lardeux et le politiste Vincent Tiberj en mars 2021, 43% des jeunes considèrent que la politique est importante, mais seulement 27% d’entre eux disent avoir confiance dans le Parlement et 23% dans le Gouvernement. Cette défiance vis-à-vis des institutions politiques se traduit par l’augmentation du vote "sur enjeux" (ne voter que lorsque les enjeux de l’élection semblent importants), à l’inverse du vote "rituel". Dans le même temps, d’autres formes d’actions politiques occupent une place grandissante, comme la manifestation, la grève ou la pétition.  

Dans ce contexte, l’élection présidentielle continue de mobiliser davantage que les élections législatives. D’après une seconde étude de l’Insee publiée en novembre 2022, parmi les votants intermittents en 2022, 54% n’ont participé qu’à l’élection présidentielle et 31% ont voté aux deux tours de la présidentielle mais à un seul tour des élections législatives. 

Âge et diplômes : les déterminants principaux de la participation ?

En plus du calendrier électoral et des enjeux propres à chaque élection, certains critères économiques et sociologiques continuent de jouer un rôle dans la participation électorale, comme le montre cette seconde étude de l’Insee publiée en novembre 2022.  

L’étude montre qu’en 2022, parmi les inscrits sur les listes électorales : 

  • le vote intermittent est dominant chez les 18-24 ans (60% des inscrits) puis il diminue progressivement avec l'âge ; 
  • l’abstention systématique concerne 24% des moins de 35 ans contre 16% de l'ensemble des inscrits, tous âges confondus  ; elle diminue ensuite chez les 35-49 ans, puis se stabilise autour de 9% chez les 50-69 ans ; 
  • le vote systématique est le comportement privilégié des 60-89 ans ;
  • l'abstention systématique croît de nouveau chez les 90 ans et plus (56%). 

 

Le niveau de diplôme reste également une variable forte. Toujours d’après l’Insee, en 2022, 28,8% des inscrits sans diplôme ont voté à tous les tours de la présidentielle et des législatives, contre 43,4% des diplômés de l’enseignement supérieur, soit 15 points d’écart (contre 9 points d’écart en 2002). Cet écart de qualification tend à se confirmer au niveau des catégories socio-professionnelles (CSP) : les cadres et les agriculteurs sont ceux qui pratiquent le vote le plus systématique tandis que les ouvriers et les inactifs sont ceux qui le pratiquent le moins. 

 

 

De fait, l’abstention systématique est le comportement dominant parmi les jeunes non diplômés. Hors étudiants, en 2022, 50% des jeunes sans diplôme n’ont voté à aucun tour des deux élections, contre 17% des jeunes diplômés du supérieur, soit un écart de 33 points, en forte hausse par rapport à 2002 (32% contre 11%, soit 21 points). 

Mais l’âge et le niveau de diplôme ne sauraient expliquer à eux seuls les comportements de vote et de non-vote. De récents travaux sociologiques consacrés à l’abstention montrent en effet que cette dernière gagne l’ensemble du tissu social et que contrairement aux années 1990, les abstentionnistes ne constituent plus un bloc homogène. La sociologue Anne Muxel, dans son étude de 2008 distingue ainsi les abstentionnistes "dans le jeu politique" (diplômés et bien intégrés socialement) et les abstentionnistes "hors du jeu politique" (peu diplômés et en difficulté d’insertion sociale). Les premiers déclarent volontiers s’intéresser à la politique et s’abstenir de façon intermittente pour manifester leur désaffection vis-à-vis de l’offre politique. Ce sont des électeurs relativement critiques et exigeants, qui voient dans l’abstention une manière de peser sur l’élection. Les seconds s’abstiennent davantage car il ne se reconnaissent pas dans le jeu politique, voire le rejettent.  

De nombreux autres critères sont ainsi à prendre en compte dans l’étude de la participation électorale, tels que : 

  • le genre : les jeunes femmes participent davantage que les jeunes hommes. Mais cet écart s’atténue à partir de 30 ans ; 
  • le lieu de vie : l’abstention systématique est particulièrement élevée dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (deux fois plus que sur le reste du territoire) et dans les départements d’outre-mer (autour de 30%). Cependant, à caractéristiques sociales identiques, les différences entre les résidents des quartiers prioritaires de la politique de la ville  et autres habitants sont très nettement atténuées. En France métropolitaine, le vote systématique est plus fréquent en Nouvelle-Aquitaine, Bretagne et Pays de Loire.