Le 26 juin 2025, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour contrôle d'identité discriminatoire, pour la première fois.
L'un des requérants avait subi trois contrôles d'identité en l'espace de dix jours, dont un réalisé sans fondement légal. Il considérait avoir été contrôlé en raison de sa couleur de peau, c'est-à-dire pour des motifs raciaux. La CEDH a considéré qu'il existait bien une présomption de discrimination à son encontre, que le gouvernement français n'est pas parvenu à réfuter (arrêt Seydi et autres c. France).
Cette décision a été rendue deux jours après la publication d'une enquête du Défenseur des droits confirmant la persistance des contrôles d'identité discriminatoires par les forces de l'ordre, tout particulièrement en raison de l'origine réelle ou supposée de la personne contrôlée.
L'interdiction des contrôles d'identité discriminatoires
La pratique des contrôles d'identité est encadrée par les articles 78-2 et suivants du code de la procédure pénale. Les forces de l'ordre peuvent y recourir dans plusieurs objectifs, notamment :
- rechercher et poursuivre les auteurs d'une infraction : en cas d'indice apparent d'infraction pénale, sur requête du procureur de la République, ou encore aux frontières ;
- prévenir une atteinte à l'ordre public, en dehors de toute poursuite d'infraction (contrôle administratif).
Le recours à ce dernier type de contrôle peut faire l'objet d'une interprétation large par les forces de sécurité habilitées à l'exercer (officiers et agents de police judiciaire). C'est pourquoi, le Conseil constitutionnel précise que celles-ci doivent pouvoir justifier de "circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle" (décision DC du 5 août 1993).
Surtout, le contrôle d'identité au faciès, c'est-à-dire fondé sur des caractéristiques associées à l'origine ou l'ethnie réelle ou supposée de la personne contrôlée, sans justification objective préalable, est interdit (décision de la Cour de cassation du 9 novembre 2016). Cette pratique, également appelée "profilage racial" ou "ethnique", constitue en effet une discrimination sanctionnée par le code pénal et par le code de la déontologie de la police et de la gendarmerie nationales. Les contrôles d'identité discriminatoires constituent une faute lourde qui engage la responsabilité de l’État.
La persistance des contrôles au faciès ou "profilage racial"
Dans une décision du 11 octobre 2023, le Conseil d’État avait déjà reconnu l'existence en France de pratiques de contrôles d'identité discriminatoires, sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Le Conseil avait conclu que ces contrôles ne se limitaient pas à des cas individuels isolés.
Le Défenseur des droits fait état, dans son enquête publiée le 24 juin 2025, d'une persistance de ces pratiques. Le nombre de contrôles d'identité a fortement augmenté ces dernières années : la part des personnes interrogées déclarant avoir été contrôlées au moins une fois sur les 5 dernières années est passée de 16% en 2016 à 26% en 2024. La Cour des comptes estime qu'au moins 47 millions de contrôles ont été réalisés en 2021. Les contrôles d'identité occupent ainsi une place centrale dans les pratiques des forces de sécurité.
Si le nombre de contrôles d'identité a augmenté dans l'ensemble de la population, certaines catégories sont surexposées au risque d'être contrôlées :
- les jeunes âgés de 18 à 24 ans (+50% plus de risque que les 45-54 ans) ;
- les hommes (+100% plus de risques que les femmes) ;
- les personnes perçues comme noires, arabes ou maghrébines (+30% de risques par rapport aux personnes perçues comme blanches) ;
- les personnes financièrement précaires.
Plus une personne cumule ces facteurs, plus son risque d'être contrôlée augmente. Par rapport au reste de la population, les hommes jeunes perçus comme arabes, noirs ou maghrébins ont 4 fois plus de risque d'être contrôlés, et 12 fois plus de risque de subir un contrôle "poussé" (fouille, palpation...).
L'impact des contrôles d'identité sur la confiance en l'institution policière
Dans son enquête, le Défenseur des droits met en lumière le lien étroit entre la confiance en l'institution policière et la qualité des interactions avec les forces de sécurité. Les contrôles d'identité alimentent tout particulièrement les tensions avec les groupes sociaux surexposés au risque de se faire contrôler. 59% des personnes interrogées ayant déjà vécu une discrimination lors d'un contrôle déclarent ainsi se sentir inquiètes ou méfiantes en présence des forces de sécurité.
Le caractère inapproprié du comportement que peuvent adopter les forces de sécurité impacte également sur la confiance de la population à leur égard. 19% des personnes contrôlées interrogées par le Défenseur des droits rapportent un comportement "non professionnel" de la part des agents lors du contrôle d'identité : tutoiement, insultes, provocations, brutalité... Quand un comportement non professionnel a lieu, 61% d'entre elles se disent méfiantes des forces de sécurité.
Le Défenseur des droits formule plusieurs recommandations pour améliorer les relations entre les forces de l'ordre et la population :
- mieux évaluer la pratique des contrôles d'identité, leur efficacité et leur impact sur les relations avec la population ;
- renforcer les modules dédiés aux contrôles d'identité dans les formations initiales et continues des forces de l'ordre ;
- assurer la traçabilité des contrôles d'identité, garantir l'effectivité du contrôle du parquet sur les contrôles d'identité et améliorer le suivi des plaintes déposées pour contrôle d'identité discriminatoire.