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Immigration : quels effets économiques ?

Temps de lecture  23 minutes

Par : Ekrame Boubtane - Maître de conférences de l’Université Clermont Auvergne au CERDI et chercheuse associée à l’Ecole d’Economie de Paris

L'immigration, une charge pour l'économie française ? Contrairement aux idées reçues, l'immigration contribue positivement à la croissance économique, augmente l'emploi et ne pèse pas sur les finances publiques. Qu'en est-il en France ?

La France a une des plus longues histoires d'accueil de personnes immigrées en Europe. Les interrogations sur les effets potentiellement négatifs de l'immigration sur l'économie sont présentes dans le débat public depuis longue date. Des craintes sont exprimées sur la concurrence que les personnes immigrées pourraient exercer sur le marché du travail et la charge qu'elles pourraient représenter pour l'économie française dans son ensemble. Ces craintes se sont renforcées depuis les années 1970 qui ont marqué la fin des Trente Glorieuses, période de forte croissance et de plein-emploi.

Le débat se concentre sur l'immigration extracommunautaire. Avec la signature du Traité de Rome en 1957, les pays européens ont mis en place un système favorisant la mobilité des ressortissants communautaires. Les restrictions à la mobilité des travailleurs et leurs familles ont été levées progressivement à partir de 1967 et la liberté de circulation et de séjour des personnes dans l'Union a été instaurée par le traité de Maastricht en 1992. Ainsi depuis 2004, les ressortissants communautaires sont autorisés à résider et à travailler en France sans restriction.

Deux types d'immigration sont généralement distingués dans le débat public :

  • l'immigration de travail et la mobilité des étudiants internationaux, qualifiées de "choisies" et encouragées pour répondre aux besoins économiques, sont perçues comme ayant des effets bénéfiques ;
  • l'immigration familiale et humanitaire considérée comme "subies" et devant être ajustées en fonction des capacités d'accueil et d'intégration, est jugée coûteuse.

L'analyse économique des effets de l'immigration tend à contredire ces idées reçues.

Un aperçu de la politique migratoire et de l'immigration en France

Les crises des années 1970 et la persistance d'un chômage élevé dans les années 1980 ont mis fin aux programmes de recrutement des travailleurs à l'étranger qui s'étaient développés après la Seconde Guerre mondiale pour répondre aux besoins de reconstruction et d'industrialisation. Les conditions d'entrée et de séjour en France sont devenues de plus en plus restrictives pour limiter l'immigration des ressortissants extracommunautaires dans le cadre familial et dans le cadre humanitaire.

Toutefois, des dispositifs, comme la circulaire du 15 avril 1996, ont été adoptés pour faciliter une migration de travail extracommunautaire dite "choisie" et répondre à des besoins spécifiques de main-d'œuvre. La procédure d'obtention d'une autorisation de travail a été simplifiée pour les salariés extracommunautaires recrutés à un salaire quatre à cinq fois le salaire minimum. Des titres de séjour spécifiquement dédiés aux professions artistiques, culturelles et scientifiques ont été créés par la loi du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers et au droit d'asile, pour attirer les hautement qualifiés.

La France a également encouragé l'immigration des étudiants internationaux. Pour des niveaux de qualification plus faibles, on peut noter l'introduction d'un titre de séjour pour les travailleurs saisonniers ou la possibilité de régularisation par le travail des ressortissants extracommunautaires en situation irrégulière.

Comme dans les autres pays les plus développés, l'immigration a augmenté en France au cours des deux dernières décennies. Reste que la France est aujourd'hui l'un des pays d'Europe où l'immigration est la plus faible relativement à la taille de l'économie. Les ressortissants étrangers ne représentent en 2021 que 7,7% de la population en France (12,7% en Allemagne et 8,7% en Italie), les personnes nées à l'étranger représentent 12,8% de la population en France (18,2% en Allemagne et 10,6% en Italie).

Les personnes nées étrangères à l'étranger résidant en France, les immigrés, représentent 10,3% de la population totale soit près de 6,7 millions de personnes en 2019 (dernière année pour les données définitives). Parmi eux, 30% environ sont ressortissants communautaires (UE28+AELE) bénéficiant de la libre circulation et d'établissement. Les ressortissants extracommunautaires sont soumis à l'obligation de détenir un titre de séjour pour s'installer d'une manière régulière en France.

La plupart des ressortissants extracommunautaires qui arrivent en France ou en Allemagne n'ont pas été recrutés directement depuis l'étranger pour des emplois précis nécessitant de la main-d'œuvre. Ils obtiennent une autorisation de séjour pour des raisons familiales ou humanitaires. En effet, l'introduction de travailleurs immigrés n'est plus la principale voie d'accès au séjour régulier et permanent depuis les années 1970. 

Malgré la progression de l'immigration permanente de travail surtout depuis 2015, l'immigration dans le cadre familial reste la voie la plus sûre pour un séjour permanent pour les ressortissants extracommunautaires. Selon les estimations de l'OCDE (Perspectives des migrations internationales, éditions de 2012 à 2021), en moyenne sur la période 2010-2019, l'immigration familiale représentait 58% des entrées permanentes en France et 42% en Allemagne. En outre, 35% des entrées permanentes de ressortissants extracommunautaires sont pour motif humanitaire en Allemagne, seulement 11% dans le cas de la France. L'immigration familiale comme l'immigration humanitaire renforcent l'accroissement de la population active en France et en Allemagne, et contribuent avec l'immigration professionnelle et la libre circulation à la croissance économique.

En France, l'immigration extracommunautaire dans le cadre professionnel est assez faible, en particulier pour la main-d'œuvre hautement qualifiée. En prenant en compte les changements de statut étudiant à un statut professionnel, l'immigration de travail représentait moins de 36 000 personnes par an en moyenne entre 2010 et 2019 (voir graphique), soit 20% des entrées permanentes de ressortissants extracommunautaires. Toutefois, on observe une nette augmentation de l'immigration de travail depuis 2013, notamment l'immigration des plus qualifiés qui bénéficient des titres de séjour mention "passeport talent" qui a dépassé 12 000 personnes en 2019 en incluant les changements de statut des étudiants internationaux (voir graphique).

La faiblesse de l'immigration extracommunautaire de travail en France peut s'expliquer par plusieurs facteurs. Malgré les mesures en place pour faciliter l'immigration des travailleurs les plus qualifiés, la complexité des démarches et l'incertitude sur le renouvellement dans les délais des titres de séjour découragent les candidats éventuels à l'immigration et les employeurs potentiels. En conséquence, les employeurs en France recrutent relativement peu à l'étranger.

 

Une complémentarité sur le marché du travail mais des difficultés d'insertion

En France, un emploi sur dix est occupé par un immigré (communautaire et extracommunautaire), un emploi sur cinq en Île-de-France. Les immigrés occupent des emplois complémentaires à ceux occupés par les non-immigrés dans des secteurs essentiels, à tout niveau de qualification. Ils sont surreprésentés dans des métiers caractérisés par des conditions de travail relativement contraignantes et/ou des métiers en tension. Ils ont plus fréquemment des contrats à durée limitée et occupent plus souvent des emplois à temps partiel. Ils n'ont généralement pas accès aux emplois publics en tant que titulaires. Leur accès à certains métiers réglementés (notamment dans le secteur de santé) est conditionné à la reconnaissance en France d'un diplôme obtenu à l'étranger.

Avec l'amélioration de la conjoncture économique jusqu'en 2019, les taux d'emploi des immigrés ont progressé et leurs taux de chômage ont diminué, mais les écarts avec les personnes non immigrées restent relativement importants. Les immigrés sont plus exposés aux conséquences économiques des crises, car surreprésentés dans les secteurs les plus sensibles aux aléas conjoncturels (BTP, hôtellerie, restauration et alimentation), c'est-à-dire ceux où la demande d'emploi diminue plus rapidement en période de récession. Ces secteurs essentiels au fonctionnement de l'économie proposent des métiers que les personnes non immigrées évitent en raison de la précarité des contrats et des conditions de travail plus contraignantes.

Certaines catégories d'immigrés rencontrent des difficultés plus importantes d'insertion sur le marché du travail, comme les personnes qui ont obtenu la protection internationale de la France ou les femmes arrivées dans le cadre de rapprochement de famille avec des jeunes enfants à domicile. En effet, avant de bénéficier d'une protection internationale, les personnes déplacées par les conflits et/ou craignant d'être persécutées déposent une demande d'asile. Ils bénéficient d'une autorisation de séjour temporaire le temps de l'instruction de leur demande d'asile par Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)Les demandeurs d'asile ont un parcours migratoire plus difficile que les immigrés qui arrivent dans le cadre professionnel ou dans le cadre familial, et leur intégration sur le marché du travail est plus compliquée. En effet, la précarité de leur droit séjour et leur condition d'hébergement ne facilitent pas l'accès aux emplois disponibles. Une fois qu'ils obtiennent la protection internationale de la France, ils ont généralement besoin d'un accompagnement plus important pour s'insérer sur le marché du travail.

Avec l'allongement de leur durée de séjour, les personnes immigrées assimilent, au cours du temps, la langue tout comme les informations sur la société d'accueil, dont celles concernant le fonctionnement des marchés du travail locaux. Ainsi, les indicateurs sur le marché du travail s'améliorent avec la durée de séjour sur le territoire, notamment pour les personnes qui ont obtenu la protection internationale de la France et leurs familles. Des politiques actives mettant l'accent sur l'acquisition de la langue et l'emploi sont nécessaires pour améliorer les perspectives d'intégration sur le marché du travail des personnes immigrées.

Des effets globalement positifs

Pas d'effet négatif sur le marché du travail, les salaires et les inégalités

C'est l'ajustement du marché du travail à l'arrivée des immigrés, ainsi que son interaction avec le reste de l'économie qui va déterminer les effets économiques de l'immigration en France. L'immigration augmente le nombre de travailleurs dans le pays d'accueil. À court terme, les effets de ce surplus de main-d'œuvre sont étroitement liés aux caractéristiques des immigrés récemment arrivés dans le pays et leur capacité à occuper à leur arrivée les mêmes postes que la population active dans le pays d'accueil. Si les immigrés récents ont des caractéristiques très proches de celles de la population active et qu'ils sont en mesure d'occuper les mêmes postes de travail, les immigrés à leur arrivée seraient parfaitement substituables aux personnes actives sur le marché du travail. La concurrence augmenterait pour les mêmes métiers, le salaire moyen s'ajusterait à la baisse si le marché du travail est assez flexible. En présence de rigidités, le taux de chômage augmenterait. À plus long terme, les capacités de production s'ajustent et les effets de l'immigration sur le marché du travail sont ainsi probablement neutres.

Dans leur ensemble, les immigrés récemment arrivés n'ont pas la même structure de qualification que la population active. Par ailleurs, ils ont généralement moins de choix au départ en matière d'emplois, soit parce que leurs possibilités de travail sont limitées par leur titre de séjour soit parce que l'accès à certains emplois requiert une reconnaissance formelle des qualifications ou une maîtrise approfondie du français. La formation et l'expérience professionnelles acquises à l'étranger ne permettent pas toujours aux immigrés récemment arrivés de rivaliser avec les compétences des jeunes actifs non immigrés qui entrent sur le marché du travail ou les travailleurs ayant déjà trouvé leur place sur le marché du travail. Aussi, les nouveaux arrivants sont susceptibles d'occuper des postes inférieurs à leur niveau de qualification.

Dans l'ensemble, les analyses menées sur le marché du travail ne trouvent pas d'impact négatif de l'immigration sur les salaires ou sur l'emploi en France ou dans les principaux pays développés.  Ainsi, Anthony Edo ("The Impact of Immigration on the Labor Market", Journal of Economic Surveys, 33, p. 922-948, 2019) montre que les analyses menées sur l'impact de l'immigration sur le marché de travail des nationaux concluent généralement à des effets neutres ou positifs. Dans le cas de la France, l'arrivée d'immigrés extracommunautaires, quel qu'en soit le motif d'admission au séjour, et d'immigrés communautaires a augmenté l'offre de travail potentielle sans augmenter le taux de chômage et sans réduire le taux d'emploi. Ce qui suggère que la demande de travail en France s'est ajustée sans incidence majeure sur les indicateurs du marché du travail. Les personnes arrivées dans le cadre familial occupent des emplois très complémentaires à ceux occupés par le reste de la population, et contribuent à réduire le taux de chômage moyen en France.

Des conclusions similaires ont été établies sur des périodes plus anciennes et des flux migratoires plus larges que ceux observés actuellement.

  • Jennifer Hunt ("The Impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market", Industrial and Labor Relations Review, 45(3), p. 556–72, 1992) a étudié les effets du rapatriement des 900 000 Européens d'Algérie entre 1962 et 1968 qui a augmenté la population active de 1,6%. Les rapatriés avaient une structure de qualification proche de celle des métropolitains ; ainsi la très forte augmentation de la population active aurait eu un effet plutôt négatif sur le niveau de salaire moyen (-0,8%) et aurait légèrement augmenté le chômage en France Métropolitaine entre 1962 et 1969. Toutefois, ces effets négatifs auraient été compensés par des effets positifs sur la période 1969-1976. À long terme de l'arrivée des rapatriés aurait été neutre pour le marché du travail.  
  • Sur la période 1974-1994, la France a accueilli plus de 100 000 travailleurs immigrés en moyenne par an, et près de 40000 personnes pour d'autres motifs principalement regroupement familial.  L'immigration a ainsi contribué à augmenter la population active en France entre 0,4% et 0,5% par an. Dominique M. Gross ("Three million foreigners, three million unemployed? Immigration flows and the labour market in France", Applied Economics, 34(16), p.1969-1983, 2022) a montré que l'effet de l'immigration sur le marché du travail en France sur cette période est neutre à long-terme dans son ensemble, mais positif pour l'immigration familiale.

D'après les études disponibles, l'immigration aurait un effet positif sur la productivité ainsi que sur le salaire des non-immigrés. Anthony Edo et Farid Toubal ("Selective Immigration Policies and Wages Inequality", Review of International Economics, 23, p. 160-187, 2015) montrent qu'à court-moyen terme, l'immigration aurait un effet légèrement négatif sur le salaire moyen des qualifiés, compensé par un effet légèrement positif sur le salaire moyen des peu qualifiés. Elle pousserait à terme les non-immigrés vers des postes plus spécialisés avec des tâches plus complexes comme le montrent Cristina Mitaritonna, Gianluca Orefice Gianluca et Giovanni Peri ("Immigrants and firms' outcomes: Evidence from France", European Economic Review, 96(C), p. 62-82, 2017). Il convient de noter que certaines études trouvent un effet négatif de l'immigration sur le salaire moyen d'une catégorie de travailleurs, les hommes natifs ayant des postes peu qualifiés ou ayant un contrat à durée indéterminé.

Différentes études montrent que l'immigration contribue à la réduction des inégalités de revenus, notamment en France et en Allemagne. En modifiant la répartition entre détenteurs de capital et travailleurs, Hippolyte d'Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly ("Demographic changes and the labor income share", European Economic Review, 131, 2021) montrent que l'immigration augmente la part de revenus de la classe moyenne et réduit la part de revenus des 10% les plus riches. En effet, l'immigration augmente la part du travail dans le revenu national par rapport à la part du capital. La propriété du capital étant concentrée parmi les plus riches, ce qui signifie qu'une baisse de la part du capital réduit la part de revenus des plus riches. Pour l'Allemagne, Nicolò Maffei-Faccioli et Eugenia Vella ("Does immigration grow the pie? Asymmetric evidence from Germany", European Economic Review, 138, 2021) montrent que les écarts de revenus entre les diplômés du supérieur dont le salaire moyen est relativement plus élevé et le taux de chômage relativement plus faibles et les autres catégories de travailleurs moins diplômés seraient réduits à la suite du choc migratoire de 2015.

L'immigration contribue positivement au niveau de vie moyen et à la croissance économique

En contribuant à l'accroissement de la population, l'immigration influence l'ensemble de l'économie d'accueil et a un impact sur le niveau de vie moyen souvent appréhendé par la production par habitant. Les personnes immigrées dès leur arrivée dans le pays d'accueil et tout au long de leur séjour participent aux activités économiques : travaillent, consomment, épargnent. L'immigration contribue ainsi à augmenter la production nationale totale, mais son effet sur la production par habitant une fois que les ajustements sur les différents marchés ont eu lieu est moins évident.

Un faisceau de preuves indique aujourd'hui que l'effet de l'immigration sur le niveau de vie moyen est positif dans les principaux pays d'accueil, que les immigrés à leur arrivée soient parfaitement substituables aux non-immigrés ou non. L'effet positif de l'immigration sur le niveau de vie moyen a été établi pour une sélection de pays de l'OCDE incluant la France sur différentes périodes à partir des années 1980, par des nombreuses études qui utilisent des approches différentes. En particulier, Hippolyte d'Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly (voir supra) ont montré que l'immigration extracommunautaire en provenance de pays en développement dans le cadre familial a un effet positif sur la production par habitant en France.

Comme discuté précédemment, l'arrivée des immigrés se traduit globalement par une augmentation du taux d'emploi moyen, voire par une hausse de la productivité à court et moyen terme. L'effet positif de l'immigration familiale serait également lié à l'installation des membres de famille en France et des dépenses qui y sont liées, la part de revenu du travail migrant dépensée dans le pays d'accueil étant plus importante et les transferts au pays d'origine plus faibles. Enfin, l'immigration contribue aussi directement et indirectement à l'innovation, principal facteur de croissance à long terme.

En France, comme dans la plupart des pays de l'OCDE, les immigrés récemment arrivés sont surreprésentés à la fois parmi les personnes diplômées du supérieur et parmi les personnes sans diplôme. Ainsi, les immigrés récemment arrivés en France se caractérisent à la fois par une surreprésentation parmi les non-diplômés par rapport au reste de la population (24,1% contre 11,9%), et également, par une proportion plus importante de titulaires d'un BAC+3 ou plus (33,8% contre 18,6%). La hausse de la part des immigrés dans la population augmenterait le nombre de brevets par habitant déposés dans les pays d'accueil, et favoriserait la recherche et développement. En France, près de 15 000 demandes de brevets ont été publiées à l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en moyenne entre 2017 et 2020, 11% des déposants sont étrangers. En 2018, les immigrés représentaient 13,9% du personnel d'étude et de recherche.

Globalement, l'immigration en France a contribué à l'accroissement de la population active et n'a pas augmenté le chômage ou réduit le salaire moyen sur le marché du travail. Elle a globalement contribué à augmenter le niveau de vie moyen à court et moyen terme, voir à long terme compte tenu de l'amélioration sensible, au cours des deux dernières décennies, du niveau d'éducation des immigrés récemment arrivés en France. Il ne semble pas que l'immigration en France a contribué à creuser les inégalités. La question qui reste à aborder est l'impact fiscal de l'immigration.

L'immigration ne pèse pas sur les finances publiques

L'effet de l'immigration sur les finances publiques est l'une des principales préoccupations en France et dans les pays européens où les dépenses sociales sont importantes. Or, contrairement aux idées reçues, les immigrés ne constituent pas une charge pour les finances publiques.

L'OCDE (Perspectives des migrations internationales 2021) présente une revue des études qui se sont attelées à l'évaluation empirique des effets de l'immigration sur les finances publiques des pays d'accueil OCDE et elles concluent à un impact faible, voire positif des immigrés récents lorsque les effets indirects sont pris en compte.

Mesurer la contribution des immigrés aux finances publiques est complexe. Les données collectées et référencées dans la comptabilité nationale ne permettent pas d'individualiser l'ensemble des dépenses publiques et des recettes des administrations publiques. L'approche comptable estime que la contribution des immigrés aux recettes fiscales est supérieure aux dépenses dont ils bénéficient en moyenne dans les pays de l'OCDE et en France, lorsque les dépenses destinées à financer la défense et les services généraux sont exclues. En France, la contribution nette des immigrés est estimée à 0,25 en pourcentage du PIB, moyenne de la période 2006-18.

Cette approche comptable est utile pour estimer la répartition des recettes et dépenses publiques entre les immigrés et les non-immigrés, toutefois, elle est insuffisante pour apprécier l'impact fiscal de l'immigration. D'autres approches permettent de prendre en compte les effets indirects de l'immigration comme les conséquences fiscales de l'augmentation de l'emploi des non-immigrés consécutive à l'immigration par exemple et les différentes interactions économiques. Aussi, l'analyse de l'impact fiscal de l'immigration doit être envisagée sur plusieurs années. D'une part, la situation socio-économique de l'immigré évolue au cours du temps. D'autre part, certaines dépenses publiques, celles visant à améliorer l'intégration notamment, sont susceptibles de générer des recettes publiques futures. Inversement, une partie des contributions ouvre des droits à des dépenses publiques futures.

Avec les méthodes utilisées pour évaluer l'impact fiscal de politiques économiques, Hippolyte d'Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly (dans "Immigration and Public Finances in OECD Countries", Journal of Economic Dynamics and Control, 99, p. 116-151, 2019) montre que le solde budgétaire en pourcentage du PIB s'améliore significativement à la suite de l'arrivée des immigrés et pendant les 2-3 années qui suivent. À plus long terme, l'effet est neutre. Pour résumer, la contribution des immigrés récents aux recettes fiscales est suffisamment importante pour financer les dépenses publiques supplémentaires générées par leur arrivée. Il convient de noter que l'impact fiscal de l'arrivée de demandeurs d'asile est plutôt neutre pour l'économie.
Dans l'ensemble, les dépenses de transferts par habitant diminuent à court et moyen terme, à la suite de l'arrivée des immigrés, et les dépenses de consommation et d'investissement des administrations publiques augmentent en proportion de la population.

L'augmentation des recettes fiscales par habitant fait plus que compenser la hausse des dépenses publiques. Les immigrés à leur arrivée augmentent la part de la population active et contribuent à financer les dépenses destinées aux personnes âgées comme les retraites. Ils sont également en âge d'avoir des enfants et donc de bénéficier de prestations familiales. Ainsi, la part des dépenses de retraite par habitant diminue à la suite de l'arrivée des immigrés, et les dépenses destinées aux familles et aux enfants augmentent en proportion de la population totale.

Il convient de rappeler qu'en 2019, les dépenses de retraite représentent 13% du PIB en France, alors que dépenses publiques sous la forme de services aux familles avec enfants ne représentent que 2%. Comparés au reste de la population les immigrés récents ont besoin d'un soutien plus renforcé pour améliorer leur intégration sur le marché du travail. Hippolyte d'Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly (voir supra) montrent que les dépenses publiques consacrées aux politiques actives sur le marché du travail par habitant augmentent suite à l'arrivée des immigrés. En revanche, les dépenses destinées au chômage par habitant diminuent suite à l'augmentation de l'emploi.

Au total, l'impact de l'immigration sur l'économie française et le niveau de vie moyen en France est positif. L'immigration tend à renforcer la croissance économique, notamment en soutenant l'activité de secteurs essentiels et en augmentant significativement le niveau d'emploi. Elle ne pèse pas sur les finances publiques et semble avoir contribué à réduire les inégalités salariales ainsi que les inégalités de répartition de revenus.

La contribution positive de l'immigration à l'économie ne préjuge pas de l'efficacité de la politique d'immigration et d'asile en France. Le renforcement des politiques d'intégration notamment des immigrés qui arrivent dans le cadre humanitaire permettrait de mieux répondre aux besoins du marché du travail et de renforcer la contribution de l'immigration à l'économie française.

Le cas particulier de l'Allemagne

L'immigration au titre de la libre circulation représente certes plus de la moitié des arrivées en Allemagne, contre moins d'un tiers en France. Les immigrés européens sont davantage susceptibles d'avoir un niveau d'éducation supérieur que les ressortissants de pays tiers. Ils ont des caractéristiques semblables à celles des non-immigrés. L'immigration européenne a ainsi un effet positif sur le taux de chômage moyen des diplômés du supérieur mais a réduit le taux chômage moyen des personnes avec un diplôme du secondaire ou qualification professionnelle, et n'a pas d'effet sur le taux de chômage moyen des personnes sans diplômes.

L'Allemagne accueille également des immigrés extra-européens. Les flux d'entrée en Allemagne ont longtemps été comparables à ceux observés en France, mais sont devenus beaucoup plus importants au cours des dernières années.
 

La période récente est marquée par l'arrivée en Allemagne de plus d'un million de demandeurs d'asile principalement syriens depuis 2015. Nicolò Maffei-Faccioli et Eugenia Vella (voir supra) montrent que l'arrivée d'immigrés syriens a réduit le taux de chômage des diplômés du supérieur et celui des personnes sans diplômes sans affecter le taux de chômage des diplômés du secondaire. En effet, l'immigration contribue à augmenter le niveau de vie moyen en Allemagne en augmentant le taux d'emploi des nationaux et des étrangers, ainsi que la productivité.

L'intégration sur le marché du travail des réfugiés syriens a été particulièrement rapide, 40% des réfugiés arrivés en 2015 avaient trouvé un emploi en 2019. Ils occupent des métiers complémentaires à ceux occupés par les Allemands avec un faible niveau d'éducation. Ils travaillent également comme spécialistes ou dans des activités avec des niveaux d'expérience élevés, et sont ainsi complémentaires aux travailleurs allemands diplômés du supérieur.