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© Christoph de Barry - Hans Lucas/AFP

2024-2029 : le nouveau Parlement européen et ses équilibres partisans

Temps de lecture  20 minutes

Par : Francisco Roa Bastos - Maître de conférences en science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, co-directeur du Master "Affaires publiques européennes"

La dixième élection du Parlement européen rebat les cartes d’une assemblée dans laquelle les forces de droite et d’extrême droite sont désormais majoritaires. Comment se structurent cette nouvelle assemblée et les huit groupes politiques qui la composent désormais ? Quels sont les équilibres nationaux et partisans à l’intérieur de ces groupes ?

Un Parlement européen en partie recomposé

Des groupes politiques restructurés

Le Parlement européen est sorti en partie recomposé de ces dernières élections européennes. Le plus visible de ces changements est sans doute le nombre et la composition de ses groupes politiques, puisqu'on est passé de sept groupes dans le précédent parlement à huit groupes aujourd'hui.

Ce nombre n'est pas inédit dans l'histoire du Parlement élu. Depuis 1979, il y a toujours eu au minimum sept groupes, et jusqu'à dix groupes politiques au PE, en fonction des législatures (un nombre qui peut d'ailleurs évoluer en cours de mandature : par exemple la législature 1989-1994 a débuté avec dix groupes, elle s'est terminée avec huit).

Les rapports de force entre ces groupes ont également beaucoup évolué depuis 1979, comme on peut s'en rendre compte facilement grâce aux infographies et aux outils de comparaison très utiles mis à disposition par les services du Parlement européen depuis quelques années, en plus du site officiel du PE de présentation des résultats, qui nous sert de référence et qui fournit la répartition à jour des députés entre les huit groupes (répartition des députés au sein des huit groupes politiques du Parlement européen au 15/07/24).

 


Une "majorité de blocage" à la droite de l'hémicycle ?

Le principal enseignement à tirer de l'analyse globale des nouveaux rapports de force entre ces huit groupes politiques est le maintien du PPE (Parti populaire européen) comme principale force politique du PE (188 eurodéputés) et la montée en puissance des droites radicales et extrêmes au PE, qui disposent désormais de trois groupes différents (et donc des ressources matérielles et symboliques afférentes) : le groupe ECR ("European Conservatives and Reformists"), les "Patriots for Europe" (PfE) et l'ESN ("Europe of Sovereign Nations"). À eux trois, ces groupes comptent au total 187 députés (soit plus de 25% des sièges du PE), ce qui leur permettrait théoriquement de faire jeu égal avec le PPE et ses 188 députés. Si l'on combine par ailleurs les eurodéputés du PPE et de ces trois groupes à sa droite, on obtient le nombre de 375 députés, soit une majorité absolue des sièges. Bien sûr, cette majorité n'est que virtuelle, car elle ne peut pas être stabilisée ni formalisée, ces groupes étant très hétérogènes et divisés entre eux, voire fondamentalement opposés sur certaines questions comme le soutien à l'Ukraine. Mais on peut imaginer qu'ils puissent former ponctuellement une "majorité de blocage", au cas par cas, leur permettant de s'opposer à de nouvelles mesures en matière environnementale, par exemple, ou de promouvoir des politiques anti-migratoires ou favorables aux agricultures "traditionnelles" et aux industriels.

Dans tous les cas, le Parlement européen semble bien avoir glissé durablement vers sa droite, le PPE étant devenu mécaniquement le "groupe pivot", susceptible désormais de faire pencher la majorité d'un côté ou de l'autre en fonction des alliances ponctuelles qu'il s'attachera à créer :  en tant que tel, son influence à venir sur les politiques européennes s'avérera sans aucun doute plus décisive qu'auparavant.


La "face nationale immergée" des groupes européens

L'équilibre général entre les groupes est bien sûr essentiel à observer. Mais au Parlement européen, plus qu'ailleurs, la cohésion et la discipline de vote interne sont rarement observées parfaitement par toutes les composantes de chaque groupe. Cela est dû à une particularité essentielle de ce Parlement transnational : le fait qu'il reste désigné sur la base de 27 élections nationales. Ce sont donc d'abord des députés et partis nationaux qui sont élus et envoyés à Bruxelles et Strasbourg, où ils s'associent de manière plus ou moins cohérente dans les groupes politiques préalablement décrits. Ceux-ci représentent la "face transnationale émergée" de la structuration partisane du Parlement, la plus visible et la mieux connue. Mais on ne peut s'en contenter pour comprendre le fonctionnement politique du Parlement. Il y a de fait une "face nationale immergée", constituée par les rapports de force et interactions entre les délégations nationales qui composent chacun de ses groupes.

 

 

L'importance et le poids relatif des délégations nationales au Parlement européen

Les groupes politiques du Parlement européen sont loin d'être monolithiques et homogènes. Si leur cohésion relative augmente tendanciellement avec l'accroissement des compétences du PE, ils restent parcourus de tensions et de divergences importantes entre leurs membres, à commencer par les partis nationaux qui les composent. Il suffit de passer rapidement en revue les principaux "courants" qui animent politiquement ces groupes pour s'en rendre compte.


Des courants divergents dans tous les groupes politiques

À gauche, les groupes S&D, des Verts/ALE et de La Gauche (The Left-GUE/NGL), malgré des affinités idéologiques claires sur de nombreux sujets, restent très hétérogènes, y compris le groupe des "Socialistes & Démocrates", dont le nom même (adopté en 2009 à la place de celui de "Parti socialiste européen" - PSE) reflète une volonté d'intégrer des partis aux origines plus diverses. En l'occurrence, en 2009, il s'agissait surtout du Partito Democratico italien, résultant de la fusion d'anciens membres de la Démocratie chrétienne, d'ex-socialistes et d'ex-communistes. On y trouve également aujourd'hui aussi bien des partis qui se revendiquent de la social-démocratie ou du travaillisme (la SPD allemande, le SAP suédois des Socialdemokraterna, le PvdA néerlandais… mais aussi les trois députés français de Place Publique), que des partis à tradition socialiste (les 10 députés du PS français, le PS portugais, le PS belge…) ou encore d'anciens partis communistes reconvertis (notamment le BSP bulgare, qui est en rupture avec son groupe notamment sur la guerre en Ukraine, du fait de positions historiquement pro-Russes). L'échec récent des négociations pour la réintégration éventuelle du parti slovaque SMER, exclu suite aux dérives populistes et nationalistes de Robert Fico, montre néanmoins que la divergence interne comporte des limites dans ce groupe.

Du côté des Verts/ALE ("Alliance Libre Européenne"), le nom même du groupe reflète là aussi des partis aux inspirations très diverses, écologistes d'un côté, indépendantistes ou autonomistes de l'autre (actuellement, il s'agit des partis autonomistes catalans, galicien et valencien, on y trouvait auparavant le SNP écossais ou des élus corses, par exemple). Même chez les écologistes, des divergences existent entre des partis plutôt pragmatiques (les Grünen allemands par exemple, ou encore le parti lituanien DSVL, du Commissaire européen sortant à l'environnement, Virginijus Sinkevičius) et des partis plus radicaux (le Socialistik Folkeparti danois, les Verdi italiens ou encore les partis écologistes belges et néerlandais, mais aussi français, avec ses cinq députés). Enfin, le groupe de La Gauche (qui comporte les neuf députés français de LFI) peut sembler plus homogène, mais il est lui aussi parcouru de tensions récurrentes entre ses composantes (notamment sur les questions internationales) et il vient d'intégrer les huit députés du Mouvement 5 étoiles italien, qui diverge par beaucoup d'aspects des autres partis membres.

À droite, les groupes sont également hétérogènes et parcourus de différents courants. Si le PPE (et ses six députés français LR) est souvent considéré comme un groupe plus homogène que les autres, il est loin d'être exempt de tensions internes, comme l'ont montré par exemple les défections lors du congrès de Bucarest, en mars 2024, au moment de voter pour l'investiture de Ursula von der Leyen comme Spitzenkandidatin (candidate tête de liste pour les élections européennes) du PPE. Lors de ce congrès, sur les 733 délégués qui pouvaient voter, 499 seulement l'ont fait, dont 89 qui ont voté contre son investiture (parmi eux, la délégation française de LR, les Autrichiens du ÖVP et les Slovènes du SDS). Ursula von der Leyen ne fut donc élue qu'avec 410 voix sur 733, soit 55,9% des voix, alors qu'elle était la seule candidate en lice.

Le vote du PE pour sa confirmation en tant que Présidente de la Commission européenne, le 18 juillet 2024, a sans doute connu les mêmes défections, même si le caractère secret du scrutin empêche de connaître avec certitude la nature des votes de chaque délégation nationale : Ursula von der Leyena finalement été élue avec 401 voix sur 719, soit 55,7% des sièges du PE, et le soutien explicite des groupes PPE, S&D, Renew et Verts/ALE. Il est à noter, d'ailleurs, que sur la totalité des 81 députés français, seuls les 13 députés de la coalition "Besoin d'Europe" appartenant au groupe Renew (les six députés Renaissance et apparenté, les quatre Modem, les deux Horizons et la députée UDI) et les 13 députés socialistes et Place Publique du groupe S&D ont déclaré avoir voté pour sa reconduction. Tous les autres ont officiellement voté contre, soit avec leur groupe (les 30 députés RN du groupe "Patriots for Europe", les neuf députés LFI du groupe de La Gauche, les quatre députés ex-Reconquête (exclus de Reconquête peu après leur élection) du groupe ECR et la députée Reconquête! Sarah Knafo du groupe ESN), soit contre l'avis de leur groupe (les six LR et les cinq Verts français).

Position publique des délégations françaises lors du vote de confirmation d’Ursula von der Leyen (18/07/2024)
Parti ou liste françaiseNombre d’eurodéputésGroupe politique au PEDéclaration de vote
RN30PfENon
Besoin d’Europe13RenewOui
Réveiller l’Europe13S&DOui
LFI9La GaucheNon
LR6PPENon
Europe Écologie5Verts/ALENon
Ex-Reconquête!4ECRNon
Reconquête!1ESNNon
TOTAUX81-26 Oui / 55 Non


Une clarification à l'extrême droite ?

Les trois groupes de droite radicale ou extrême ne sont pas non plus totalement homogènes, même si les recompositions récentes, avec la création des groupes PfE et ESN, ont permis une clarification des clivages, avec par exemple le passage du parti espagnol Vox du groupe ECR vers le groupe PfE. Sur cette base, on voit se dessiner une claire division entre les partis pro-ukrainiens (du moins depuis l'invasion russe de février 2022), qui font partie de l'ECR, et les partis pro-russes, ou en tout cas opposés à un soutien inconditionnel à l'Ukraine, qui se trouvent répartis dans les deux groupes PfE et ESN. 

Une bonne illustration de cette claire partition peut être trouvée dans le premier vote du nouveau Parlement européen par appel nominal, qui a eu lieu le 17 juillet, et qui portait précisément sur le soutien à l'Ukraine. Cette résolution a fait apparaître un clivage clair entre l'ECR, qui a très massivement voté pour (69 voix pour, sept contre), et les deux autres groupes, qui ont voté à une écrasante majorité contre (24 voix sur 25 pour le groupe ESN, 56 voix sur 73 présents, plus 15 abstentions pour le groupe PfE).

Ces divisions à l'extrême droite confirment que, du moins sur certains sujets, les députés "à la droite de la droite" ne sont pas susceptibles de s'associer durablement. Ce qui n'empêchera pas d'éventuelles alliances de circonstances sur d'autres thématiques plus consensuelles entre eux, comme le refus de l'environnementalisme ou de l'immigration.

Pour finir, le groupe centriste de Renew est lui aussi divers, comme l'illustre la composition même de la délégation française qui y siège : sur les 13 députés français que compte le groupe, tous candidats sur la liste "Besoin d'Europe", cinq appartiennent au parti Renaissance (auquel on peut ajouter l'apparenté Bernard Guetta, sans parti), quatre sont des membres du Modem, deux d'Horizons et une est députée UDI. Par ailleurs, le groupe Renew en tant que tel connaît lui aussi des divergences qui nous permettent de nous arrêter sur une question intéressante concernant la composition des groupes parlementaires européens : celle de la distinction entre groupes du PE et "Europartis".

La question des Europartis

Il ne faut pas confondre les groupes parlementaires, qui sont des instances internes du PE, régies par son règlement intérieur et dépendant de son budget institutionnel, et les Europartis, ces associations extraparlementaires de partis nationaux, qui visent à coordonner les positions des partis nationaux issus des mêmes familles politiques. Ces Europartis sont souvent associés à des groupes du PE, qui leur correspondent plus ou moins bien : c'est le cas à droite notamment, aussi bien pour le PPE et l'ECR que pour l'ancien groupe ID : tous comptent également un Europarti à l'extérieur du Parlement, mais les partis nationaux qui en sont membres n'appartiennent pas toujours en même temps au groupe parlementaire, soit parce qu'ils n'ont pas de députés européens présentement élus ; soit parce que justement ils proviennent d'horizons partisans et idéologiques différents.

Comparatif des groupes politiques du Parlement 2019-2024 et des Europartis ou mouvements extra-parlementaires représentés dans ces groupes
Groupes parlementairesEuropartis
PPEPPE
S&DPES (Socialists & Democrats)
RenewALDE, PDE-EDP
Identité et démocratieIdentity and democracy
Les Verts/ALEEuropean Greens, Euroean Free Alliance, Animal Politics, European Pirats, Volt
ECRECR, ECPM
The Left (La Gauche)Initiative of communist and workers' partis, Euroean Left, NGLA, Now the People

Source : Louis Drounau (2020), "European elections, as you’ve never seen them before", European Democracy Consulting, 23 mars.


De ce point de vue, le groupe Renew est représentatif de ces différences, lui qui est constitué de trois principales composantes qui ne coïncident pas dans leur affiliation à un Europarti : 

  • les partis nationaux membres du groupe Renew et de l'Europarti ALDE (Alliance des libéraux et démocrates européens), qui sont la majorité (dont l'UDI française mais aussi le FDP allemand, le Fianna Fail irlandais, le parti autrichien NEOS, l'OpenVLD et le MR belges, l'USR roumain…) ;
  • les partis nationaux membres du groupe Renew, mais appartenant à un autre Europarti : le PDE (Parti démocrate européen), notamment le Modem français, Les Engagés belges ou le PNV basque, par exemple ;
  • les partis nationaux n'étant membres ni de l'un ni de l'autre, comme les partis français Renaissance et Horizons.

Cette double appartenance divergente est une illustration des différences de vues qui peuvent prévaloir au sein d'un même groupe politique, et qui peuvent expliquer plus précisément le manque de cohésion qui est parfois observé au Parlement européen lors des votes de ces groupes transnationaux. La prépondérance des enjeux domestiques et nationaux est ici encore marquée, et doit être prise en compte si l'on veut comprendre le fonctionnement spécifique de la politique européenne.
 

À la fin de la 2e Guerre mondiale, le continent européen est en ruine.

Dans le cadre de la reconstruction économique, 6 États décident de mettre en commun leurs ressources de charbon et d’acier.

En 1951, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est conclue entre la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la République fédérale d’Allemagne.

Le traité instituant la CECA prévoit la création d’une Assemblée représentant les peuples des États membres.

Instance purement consultative, elle est composée de délégués désignés par les parlements nationaux.

L’Assemblée commune se réunit pour la première fois à Strasbourg en septembre 1952.

À la création de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, l’Assemblée est renommée "Assemblée parlementaire européenne".

Le traité de 1957 prévoit à terme l’élection au suffrage universel direct de l’Assemblée, qui devient "Parlement européen" en 1962.

C’est en 1979 qu’ont lieu les premières élections au suffrage universel direct.

Avec l’élargissement de l’Union européenne (UE) et la signature de nouveaux traités, le Parlement voit ses compétences évoluer.

Le Parlement participe à l’adoption des actes législatifs aux côtés du Conseil de l'UE, appelé aussi "Conseil des ministres".

Il établit, avec le Conseil, le budget annuel de l’Union européenne.

Le Parlement exerce un contrôle sur le pouvoir exécutif incarné par la Commission européenne.

Il peut poser des questions écrites ou orales, recevoir des pétitions émanant des citoyens européens, voire censurer la Commission qui doit alors démissionner.

Siégeant à Strasbourg, le Parlement est actuellement composé de 705 députés, élus pour 5 ans renouvelables.

Les partis nationaux dominants dans chaque groupe

On comprend mieux, sans doute, l'importance qu'il peut y avoir à analyser la politique européenne non pas seulement du point de vue des groupes parlementaires et de leurs équilibres généraux, mais aussi du point de vue des partis nationaux qui composent leur "face immergée". Ainsi, le travail parlementaire à venir dépendra en grande partie du poids respectif des différentes délégations nationales dans chacun de ses groupes. On peut ainsi établir la liste des partis nationaux (ou coalitions) ayant fait élire le plus de députés au PE, puis voir dans quel groupe ces délégations siègent aujourd'hui.

Sans surprise, on retrouve parmi eux avant tout les partis des pays le plus peuplés, et donc disposant du plus grand nombre de sièges dans la répartition générale : l'Allemagne (96 sièges au total), la France (81), l'Italie (76), l'Espagne (61) et la Pologne (53). Mais on trouve aussi des partis d'autres pays, ayant réussi à faire élire plus de 10 députés : le PSD roumain (11 députés) ou le Fidesz de Viktor Orbán (11 députés également, dont un député démocrate-chrétien allié).

Partis/listes qui ont fait élire plus de 10 eurodéputés
PaysNombre d'eurodéputésParti politique
France30RN
Allemagne29CDU/CSU
Italie24Fratelli d'Italia
Espagne22PP
Italie21PD
Pologne21KO
Espagne20PSOE
Pologne20PiS
Allemagne14AfD
Allemagne14SPD
France13Besoin d'Europe
France13Réveiller l'Europe
Allemagne12Die Grünen
Roumanie11PSD
Hongrie11Fidesz-KDNP

Au sein des groupes qui se sont désormais stabilisés, les équilibres sont donc définis avant tout en fonction de ces résultats nationaux.

Le PPE restera ainsi dominé par la coalition CDU/CSU et ses 29 députés, devant ceux du Partido Popular espagnol (22 députés) et de la coalition de Donald Tusk (KO, 21 députés), et c'est l'allemand Manfred Weber, membre de la CSU, qui a été reconduit à la tête de ce groupe. Ces quatre partis ont soutenu très explicitement la reconduction d'Ursula von der Leyen pour un 2nd mandat à la tête de la Commission européenne.

Le groupe des sociaux-démocrates était déjà dominé, et présidé, par l'Espagne (la députée Iratxe García Pérez) dans le Parlement précédent : le bon score du Partito democratico (PD) italien en 2024 (contrairement à la SPD allemande, qui n'a pas réussi ses élections avec 14 députés seulement), qui a même obtenu un député de plus que le PSOE (21 contre 20) a conduit à quelques négociations juste après les élections pour déterminer l'influence respective des deux principales délégations nationales. Les accords internes ont néanmoins permis de reconduire la présidente sortante, Iratxe García, en échange sans doute d'une influence plus grande du PD dans les commissions parlementaires qui les intéressent en priorité, voire d'une possibilité d'occuper le poste de président du Parlement européen à mi-mandat, quand Roberta Metsola (du PPE) laissera la place à un ou une député-e du groupe S&D.

Du côté des libéraux de Renew, la mainmise de Renaissance a été contestée en interne, plusieurs partis ayant affiché explicitement leur souhait de voir la présidence du groupe changer de main, du fait des mauvais résultats de la liste de Valérie Hayer, la présidente sortante du groupe Renew. Le député portugais de l'Iniciativa Liberal João Fernando Cotrim de Figueiredo s'est même présenté contre elle initialement, avant de retirer sa candidature qui n'est pas parvenue à rassembler une majorité alternative. C'est donc bien le parti Renaissance, avec Valérie Hayer en tant qu'ancienne et nouvelle présidente de groupe, qui restera la force dominante de ce groupe.

Chez les Verts/ALE et le groupe de La Gauche (The Left-GUE/NGL), les équilibres ont peu changé, même si les délégations nationales dominantes ont soit connu des défaites notables (les 12 Grünen allemands et les cinq écologistes français), soit des progressions modérées (LFI et ses neuf députés pour la GUE/NGL, et Syriza et ses quatre députés). Cela ne les a pas empêchés de retenir la coprésidence de leur groupe respectif, l'allemande Terry Reintke ayant été reconduite, au côté du néerlandais Bas Eickhout (du parti GroenLinks), quand de son côté la française Manon Aubry, de LFI, était réélue co-présidente de La Gauche aux côtés de Martin Schirdewan, du parti allemand Die Linke.

Enfin, à l'extrême droite, les cartes ont été largement rebattues : le parti de Giorgia Meloni a affirmé sa mainmise sur le groupe ECR (et l'Europarti du même nom, dont Giorgia Meloni est la présidente européenne depuis 2020) en envoyant 24 députés dans le nouveau PE, dépassant désormais la délégation polonaise du PiS et ses 20 députés. Quant au groupe ID, il a été transformé comme on l'a vu en Patriots for Europe (PfE) avec l'adjonction notable des députés Fidesz de Viktor Orbán, et des députés ANO d'Andrej Babiš, mais il reste un groupe ultra-dominé numériquement par le RN, qui devient également le parti national ayant la plus forte délégation au PE, avec ses 30 députés, loin devant les 8 députés désormais de la Lega de Matteo Salvini, le parti dominant dans la précédente mandature et l'ex-groupe ID. Quant au groupe Europe of Souvereign nations (ESN), il est entièrement fondé autour de la prépondérance du parti allemand de l'AfD, mais s'avère très fragile, puisqu'il réunit tout juste les conditions pour former un groupe politique, avec 25 députés de huit États membres (alors que 23 députés minimum de sept États membres sont requis). Il suffirait qu'il perde deux députés pour disparaître, ce qui n'aurait rien d'étonnant du fait des tensions qui parcourent ce groupe, comme les autres, et du fait des nombreux mouvements qui agitent les groupes du PE tout au long de la législature traditionnellement.

En ce début de mandature, on le voit, les groupes ont réussi à se stabiliser et ont commencé à chercher à former des majorités à l'occasion des premiers votes qui ont eu lieu lors de la séance inaugurale du PE, qui s'est tenue du 16 au 18 juillet. Celles-ci peuvent s'avérer très larges, comme la "majorité Metsola" qui a permis à la présidente sortante du PE d'être réélue avec 562 voix le 16 juillet. Elles peuvent être plus réduites, comme les 401 voix qui ont permis à Ursula von der Leyen d'être reconduite à la tête de la Commission européenne (avec néanmoins 41 voix de majorité, ce qui améliore sensiblement le résultat qu'elle avait obtenu en 2019 avec ses neuf voix de majorité seulement).

L'important sera de voir, texte par texte et politique européenne par politique européenne, si la "majorité Ursula" qui s'est affirmée au PE à l'occasion de ce vote inaugural (et qui réunit donc les groupes du "cœur" pro-européen du Parlement, des Verts/ALE au PPE en passant par le S&D et Renew) parvient à travailler durablement ensemble, ou si des majorités alternatives à la droite de la droite seront construites, plus ou moins durablement, sur les sujets qui peuvent les rassembler.