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© Philippe Bosseboeuf / Stock-adobe.com

Adaptation au changement climatique : où en est la France ?

Temps de lecture  14 minutes

Par : Stéphanie Monjon - Enseignante-chercheuse en sciences économiques à l'université Paris Dauphine-PSL

Longtemps vues comme duales, les politiques d'atténuation des changements climatiques et d'adaptation à ces changements apparaissent dorénavant comme complémentaires. Si la France a mené une action plutôt précoce en matière d'adaptation, la crise de l'eau ou encore le retrait-gonflement des argiles témoignent de la nécessité d'aller plus loin.

En mai 2023, le ministre en charge de la transition écologique annonçait lancer une réflexion pour préparer la métropole française à une élévation de la température de 4°C en 2100, suscitant de l'étonnement, voire de l'inquiétude. Jusqu'à présent, la politique d'adaptation française s'inscrivait dans la perspective d'une augmentation de la température de 1,5°C à 2°C. Or, malgré une action précoce, les catastrophes climatiques qui ont frappé le pays en 2022 ont mis en lumière sa vulnérabilité. 
 

Qu'est-ce que l'adaptation ?

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) définit l'adaptation comme "le processus d'ajustement au climat actuel ou prévu et à ses effets, afin d'atténuer les dommages ou d'exploiter les opportunités bénéfiques". Son objectif est de parvenir à maintenir les fonctions essentielles d'un système humain ou naturel.

Les effets du climat actuel regroupent des impacts de natures très variées. 

Une première tentative de classification peut se fonder sur l'intensité de l'effet qui survient. Les évènements extrêmes font depuis longtemps la une des actualités : les inondations, les canicules accompagnées de records de températures, ou encore les incendies incontrôlés.

D'autres impacts, moins spectaculaires mais modifiant de façon structurelle nos sociétés, s'invitent de plus en plus souvent dans le quotidien de nombreux Français : par exemple, une évaporation plus importante menant à une baisse de l'eau disponible, la montée du niveau de la mer menaçant directement certaines habitations, ou encore l'augmentation des précipitations. 

Et le nombre de personnes exposées très directement aux conséquences des changements climatiques a augmenté de façon substantielle. Ainsi, selon le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, un Français sur quatre habite dans une zone inondable et plus de 10 millions de maisons individuelles sont très exposées au risque de retrait-gonflement des argiles qui provoque des fissures dans les habitations. Les impacts touchent également les installations et équipements des entreprises ainsi que les infrastructures publiques. 

Or, selon le 6e rapport d'évaluation du GIEC, publié au début des années 2020, les impacts climatiques risquent de s'accentuer et de s'étendre au cours de la prochaine décennie. L'urgence climatique porte donc autant sur l'atténuation que sur l'adaptation. 

Le changement climatique affectant, à des degrés différents, l'ensemble des secteurs, des milieux et des territoires, la question de l'adaptation se pose partout. Le périmètre d'une politique d'adaptation est donc par essence extrêmement étendue et rassemble un éventail d'actions et de mesures très variées visant à se préparer et à répondre à l'ensemble des impacts du changement climatique et à leurs conséquences. 

À la diversité des impacts s'ajoute, en France, celle des milieux (montagne et glaciers, littoral et milieu marin, forêts) et des territoires (hexagone, outre-mer). L'adaptation vise à atténuer les dommages potentiels ou encore à faire face aux conséquences et doit donc être déclinée en tenant compte des spécificités de chaque espace. Une politique d'adaptation englobe donc une gamme de réponses, allant de mesures d'urgence à mettre en œuvre en cas de survenue d'un évènement extrême, aux actions permettant de diminuer la vulnérabilité d'un territoire, comme la végétalisation des villes pour contrer les îlots de chaleur, en passant par des politiques engageant une transformation systémique des sociétés. 

La nature polymorphe de l'adaptation explique que le terme soit souvent accompagné d'une notion qui permet de le préciser. Ainsi, l'adaptation transformationnelle consiste à modifier les éléments fondamentaux d'un système, par opposition à l'adaptation incrémentale qui vise à maintenir sa nature et son intégrité. Un exemple d'adaptation transformationnelle est de réviser les règles d'urbanisme pour réduire l'exposition à la montée des eaux et aux risques de submersions dues aux tempêtes. Face aux risques côtiers, la construction d'une digue relèverait plutôt de l'adaptation incrémentale.  

Gérer l'inévitable et éviter l'ingérable

Présente dès les premiers rapports d'évaluation du GIEC au cours des années 1990, l'adaptation est centrale dans le rapport du groupe de travail II qui évalue la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et naturels au changement climatique, ses conséquences négatives et positives et les possibilités d'adaptation. Pourtant, l'adaptation a longtemps tenu une place périphérique dans le cadre des négociations internationales sur le climat par crainte qu'il ne détourne les pays les plus émetteurs des politiques de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (GES) (Stefan Aykut, Amy Dahan (2015), Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Presses de Sciences Po).

Cette représentation duale entre politiques d'atténuation et d'adaptation semble perdurer, ce qui témoigne d'une mauvaise compréhension à la fois du phénomène climatique mais aussi de ce qu'est l'adaptation. Comme l'a démontré le rapport spécial "Global Warming of 1.5 °C", les impacts liés à une augmentation de la température moyenne mondiale de +1,5°C seront bien différents de ceux d'une augmentation de +2°C, ce qui impliquera des réponses également différentes en matière d'adaptation. Plus la température augmentera, moins l'adaptation sera possible. Pour certains niveaux de température, la possibilité même d'une adaptation posera question, tout au moins dans certaines zones. 

Un article du Massachusetts Institute of Technology publié en 2015 a suscité un certain émoi en concluant qu'en Chine, la région la plus peuplée et la plus importante sur le plan agricole, la plaine de Chine du Nord, pourrait faire face à des périodes où il ne sera plus possible de survivre ; l'irrigation intensive dans la région relativement sèche mais très fertile devrait augmenter significativement le risque de vagues de chaleur meurtrières (Chandler David L., "China Could Face Deadly Heat Waves due to Climate Change", Global MIT, 31 juillet 2018). 

Les confinements climatiques mis en place dans plusieurs pays d'Asie en mai 2024 témoignent de la situation déjà très critique de certains territoires et révèlent à quel point adaptation et atténuation sont liées. Pour reprendre les termes d'Alexandre Magnan, les politiques climatiques visent à "éviter l'ingérable" - avec les politiques d'atténuation - et à "gérer l'inévitable" - avec les politiques d'adaptation (Magnan, A., 2013, Changement climatique : tous vulnérables ?, Éditions des Presses de la Rue d'Ulm, Paris). Ainsi, aucune des deux politiques ne peut suffire et aucune ne peut être menée sans l'autre ; les deux politiques ne peuvent être pensées qu'ensemble.

Le manque de préparation peut conduire à répondre dans l'urgence à des bouleversements climatiques. Cette adaptation autonome ou spontanée peut correspondre à de la mal-adaptation, qui recouvre plusieurs situations. Le terme a été souvent appliqué à une action mise en œuvre suite à un changement climatique conduisant à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire. Un exemple bien connu porte sur la climatisation. 

À Paris par exemple, l'usage de la climatisation progresse dans les commerces et les foyers pour faire face à l'augmentation de la chaleur à certaines périodes. Or, en raison de la forte consommation énergétique et de l'utilisation de gaz frigorigènes qu'elle impose, la climatisation augmente les émissions de GES et accentue donc les problèmes auxquels elle est censée répondre. Mais, la notion intègre aussi l'utilisation non optimale de ressources, par exemple des investissements dans une technologie alors que d'autres options, plus intéressantes, auraient pu être mises en œuvre.  Par exemple, les sommes investies pour climatiser un bâtiment, et les dépenses énergétiques induites par son utilisation, auraient pu être utilisées pour améliorer l'isolation de la construction qui aurait permis de limiter l'augmentation de la température intérieure en été, mais aussi de réduire la consommation de chauffage en hiver. 

La "mal-adaptation" recouvre également les "erreurs de calibrage", comme une digue insuffisamment rehaussée, et les transferts de vulnérabilité d'un système à un autre, ou d'une période à une autre. Le développement des retenues d'eau, notamment pour des usages agricoles ou industriels, peut ainsi fragiliser les milieux aquatiques et compromettre la protection de la biodiversité.

Les politiques d'adaptation en France

L'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) a été créé en France en 2001 avec pour missions de synthétiser et diffuser l'ensemble des connaissances sur les risques liés au changement climatique et de donner des recommandations sur les mesures d'adaptation. Rapidement, l'ONERC a également eu en charge la coordination de la politique d'adaptation au changement climatique.

L'ONERC a établi une stratégie nationale d'adaptation au changement climatique, adoptée en 2006, qui décrit les évolutions climatiques et leurs impacts en cours et à venir en France, identifie les acteurs de l'adaptation et explicite les principes pour guider les actions en matière d'adaptation : l'équité, l'anticipation des situations de crise, ou encore la recherche de complémentarités avec des actions dans d'autres champs. 

Cette stratégie a constitué le socle du premier Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC). Visant la période 2011-2015, ce dernier liste 242 mesures organisées dans vingt domaines à la fois sectoriels comme la santé, l'agriculture ou la forêt, transversaux comme l'eau, l'information ou la formation, et territoriaux, comme le littoral ou la montagne. Par exemple, la mesure phare dans le chapitre sur l'eau est d'économiser 20% de l'eau prélevée, hors stockage d'eau d'hiver, d'ici 2020, passant notamment par des aides financières pour développer la réutilisation des eaux usées traitées pour les espaces verts et cultures. Sur les forêts, une des actions est d'identifier de manière précise les zones sensibles aux incendies dans le futur. Le travail effectué a été salué par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) dans le cadre de la mission d'évaluation qui lui a été confiée, notamment pour avoir mis en place des leviers réglementaires, des outils méthodologiques et des dispositifs d'observation essentiels à la politique d'adaptation. Le CGEDD a également souligné la nécessité de renforcer ce premier plan.

La politique d'adaptation a été actualisée après la COP21 pour la mettre en cohérence avec l'Accord de Paris. Dans le cadre de ce deuxième PNACC, l'objectif était une adaptation dans l'hexagone et dans les outre-mer à une hausse de température de +1,5 à 2°C dès le milieu du XXIe siècle. Ce plan a été publié en 2018.

Malgré une action apparemment précoce, l'évaluation des deux premiers plans d'adaptation faite par le Haut Conseil pour le climat (HCC) en 2023 est plutôt sévère. Estimant que la France n'est pas suffisamment prête à l'intensification à venir des impacts climatiques, le HCC souligne le manque de vision globale de la politique actuelle ; il considère que les mesures sont surtout sectorielles, trop dispersées et en réaction aux changements actuels plutôt qu'au climat futur. Or, faire évoluer les infrastructures ou l'organisation des territoires prend beaucoup de temps. La politique d'adaptation est avant tout une politique d'anticipation.

L'année 2022 avec sa succession de catastrophes climatiques a joué comme une année test et a révélé de nombreuses vulnérabilités. Les montants versés par les assureurs suite aux sinistres comme la grêle, les orages, la sécheresse, ou encore les feux de forêt, se sont élevés à plus de 10 milliards d'euros, à comparer à 3,6 milliards d'euros par an en moyenne sur la décennie 2011-2021. Or, nous savons que les impacts vont s'accroître faisant envisager avec sérieux le risque d'inassurabilité de certains biens.

Saisir la complexité d'une politique d'adaptation

En lançant une réflexion pour préparer la métropole française à une élévation de la température de 4°C en 2100, les pouvoirs publics répondent aux critiques formulées. Cette augmentation renvoie à la trajectoire sur laquelle les politiques actuelles nous placent, qui pourraient conduire à une hausse de la température moyenne de 3°C au niveau mondial. Ce nouvel exercice ne se substitue pas au précédent mais envisage une trajectoire des températures différente, permettant d'envisager des dérèglements beaucoup plus importants que ceux considérés précédemment. Mais il pourrait aussi révéler la grande difficulté à définir les mesures adaptatives à prendre si la hausse de la température n'est pas contenue. 

L'augmentation continue de la température conduit à être de moins en moins capable d'anticiper les changements et chocs futurs. Malgré les progrès des connaissances sur les impacts climatiques, les incertitudes restent nombreuses. Non seulement, nous ne savons pas, malgré les objectifs pris dans le cadre de l'accord de Paris, quelle sera finalement l'ampleur du réchauffement, mais la gravité des risques n'est pas proportionnelle à l'augmentation de la température, notamment parce qu'il existe des risques en cascade provenant de la multitude d'aléas, climatiques et non-climatiques, qui peuvent affecter simultanément une zone. 

Un exemple peut être donné pour le secteur agricole : la fréquence plus importante des sécheresses et des vagues de chaleur peut réduire les rendements agricoles, mais aussi la productivité de la main-d'œuvre, accentuant la baisse des rendements. Il existe aussi des points de bascule (en anglais, tipping points) qui, une fois franchis, entraînent des changements considérables et généralement irréversibles dans le système climatique. Par exemple, le ralentissement du Gulf Stream, le dépérissement de la forêt amazonienne, ou la mort des récifs coraliens font partie de ces points de bascule. Face à de telles incertitudes, il devient difficile de savoir si une action mise en œuvre aujourd'hui répondra aux enjeux de demain.

Il est donc important d'explorer rapidement des scénarios contrastés d'augmentation de la température. Sur certains territoires, certains systèmes pourraient ne pas pouvoir être maintenus. Par exemple, certaines villes portuaires françaises seront de plus en plus exposées au risque de submersion : les populations et certaines activités touristiques, industrielles ou encore de transport pourraient devoir être déplacées. Une adaptation incrémentale doit alors être évitée pour ne pas supporter des dépenses finalement peu utiles. Cette possibilité est d'ailleurs d'ores et déjà actée suite à la loi Climat et résilience : une ordonnance relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte a l'objectif de relocaliser progressivement les habitats et activités touchées par l'érosion. 

L'adaptation ouvre un nouveau paradigme peu habituel aux décideurs publics et privés. Elle doit présider à l'analyse de tous les nouveaux projets de construction, d'aménagement, ou d'activité, qui doivent se faire au prisme des impacts climatiques, des risques de mal-adaptation, mais aussi des surprises qui pourraient survenir sans pouvoir vraiment les prévoir. Les actions à envisager ne seront pas univoques et de nombreux choix en matière d'adaptation auront une dimension plus politique que technique. Quelles activités, quelles infrastructures et quelles habitations doivent être protégées ? Lesquelles doivent être relocalisées ? Certaines décisions peuvent conduire à des situations douloureuses. Les controverses actuelles en matière de gestion des forêts, ou des retenues de substitution (appelées aussi mégabassines) sont une bonne illustration des représentations, généralement implicites, qui fondent les décisions d'adaptation. L'urgence est donc aussi au débat sur les différentes options d'adaptation sur l'ensemble des territoires.