De l'Ancien Régime à la laïcité
L'Ancien Régime se plaçait sous l'égide du principe de catholicité : le roi avait reçu mission de rassembler ses sujets dans l'unité de la religion romaine. Un autre régime se fait jour avec la Révolution. Il est admis désormais, comme l'affirme l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses." Tel est le point de départ du régime de laïcité : la France admet alors la liberté de conscience, et la pluralité "convictionnelle" qui l'accompagne, en imposant à l'État de rester neutre à l'égard des options religieuses de ses assujettis.
Ce régime a pris, aux XIXe et XXe siècles, deux formes successives d'agencement pratique.
Le premier, édifié en 1801-1802, après la décennie révolutionnaire, est le "système concordataire" (ou plutôt le "régime des cultes reconnus"). Il officialise quatre cultes – catholique, protestant réformé, protestant luthérien, et, à partir de 1808, juif – qu'il organise, comme le dit Portalis, selon une "protection surveillée" :
- protection car les cultes, financés par la puissance publique, interviennent dans la sphère étatique, et notamment dans l'école publique ;
- surveillance : leurs autorités sont soumises à des procédures d'agrément et de contrôle fortement intrusifs.
Le deuxième agencement, "séparatiste", vient de la IIIe République. Avec la loi du 9 décembre 1905, il opère une dissociation des Églises avec la sphère étatique. Il est mis fin à la reconnaissance juridique dont elles bénéficiaient auparavant ; la loi leur accorde cependant, au nom du respect dû à la liberté de conscience, une marge inédite d'autonomie interne. Si elle a été, à plusieurs reprises, révisée, la loi de 1905 demeure encore, selon la formule du Conseil d'État, la "clé de voûte" de notre système de régulation de la croyance (Philippe Portier, L'État et les religions en France. Une sociologie historique de la laïcité, Rennes, PUR, 2016).
Certains analystes ont considéré que ce régime de séparation avait débouché sur une "excommunication politique du religieux". La formule est sans doute excessive : les acteurs religieux ont pu ici sortir de leurs lieux de culte pour s'installer, avec leurs associations, leurs syndicats, leurs partis politiques, dans l'espace social. Leurs relations avec l'État sont restées limitées cependant, sauf sur certains dossiers sectoriels et dans certains moments singuliers. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'est sans doute pas excessif de repérer dans les évolutions actuelles les indices d'un changement de régime, marqué par le passage d'une politique de la séparation à une politique de la coopération.
Les défaillances de la modernité et ses effets
Le discours des acteurs politiques a connu, avec l'entrée dans la Ve République, et plus encore au cours des trois dernières décennies, une évolution significative : il s'est volontiers tourné vers la sphère religieuse pour en rappeler toute l'utilité sociale. L'allocution du Président Macron au collège des Bernardins le 9 avril 2018 s'inscrit dans ce registre quand il demande à l'Église catholique de faire "don à la France de sa sagesse, de son engagement, de sa liberté".
Ce recours au religieux procède-t-il de l'inscription des acteurs politiques dans une même communauté de foi ? Aucunement. François Mitterrand croit aux "forces de l'esprit", Nicolas Sarkozy s'affirme catholique, François Hollande se montre très éloigné de tout questionnement métaphysique. Ils indiquent tous trois cependant la nécessité de renforcer la relation entre la sphère du politique et celle du religieux. Cette volonté de coopération tient sans doute à une réalité qui leur est extérieure : le changement de monde auquel nous a confrontés l'histoire récente. On peut en rendre compte en rappelant que ce siècle a connu deux expressions de la modernité (Philippe Portier, Jean-Paul Willaime, La religion dans la France contemporaine, Entre sécularisation et recomposition, Paris, Colin, 2021).
La "première modernité", qui constitue notre forme sociale jusqu'aux années 1960, peut être présentée comme un modèle d'intégration. C'est ce que veut signifier le sociologue Anthony Giddens lorsqu'il précise qu'elle a à sa façon, sur les décombres de l'Ancien Régime, "recréé de la tradition". Ce pouvoir de rassembler des existences lui vient tout à la fois de son imaginaire historique et de sa constitution politique. L'histoire se définit alors par son cours progressiste : elle annonce, en se déployant, un avenir débarrassé des empêchements du passé. Celui-ci était le lieu des injustices et des contraintes. Le présent annonce "un lever de soleil" qui apportera aux hommes "les trésors qu'on avait généralement attribués au ciel" (G.W. F. Hegel, Préface à la Phénoménologie de l'esprit, Paris, Gallimard, 1966, p.33). La politique accompagne ce mouvement : l'opinion, dans toutes ses composantes, lui prête d'engendrer, avec ses appareils administratifs, eux-mêmes en appui sur la science et la technique, la rationalisation du monde d'où viendront la réconciliation et la prospérité. La décrédibilisation du religieux, que les pères fondateurs de la sociologie, de Comte à Weber, ont tous annoncée, est consubstantielle à cette vision des choses : comme le signifie la séparation de 1905, le monde n'a plus besoin de son secours, sauf lorsqu'il s'agit de consoler les souffrances privées.
À partir des années 1960-1970, la société française s'installe dans la "deuxième modernité". La réflexion critique avait, au cours de la période précédente, exercé son pouvoir dissolvant sur le discours religieux. Elle met à la question désormais, sans abolir son enracinement subjectiviste, les principes mêmes de la civilisation née des Lumières. La crise concerne le régime de temporalité. D'évidence, les promesses de la terre n'ont pas été accomplies. On se dit même que la raison, alliée à la science, dont on attendait tout, se retourne contre la société qui en avait fait son principe de structuration. La défaite de l'économie, la tragédie des communs, les errances de la biotechnologie confrontent la société à la vanité de ses discours messianiques. Rien là d'un discours savant : c'est l'opinion elle-même, comme le montrent les études sur ses valeurs, qui affirme l'incertitude des temps présents (voir le sentiment d'insécurité, celui du déclassement et du déclin, du "climatocatastrophisme", etc.).
Mais la crise affecte aussi l'institution politique en général. Si l'histoire se trouve frappée de décroyance, c'est sans doute parce que l'État rationnel s'est trouvé – du fait de la globalisation qui l'expose à des flux financiers, humains, juridiques, informationnels difficilement contrôlables – confronté à l'évidence de sa propre impotence. Cette perte de puissance est d'autant plus affirmée que l'individualisation des conditions de vie tend à disloquer les structures intermédiaires – les familles, les syndicats, les partis – qui la soutenaient dans la mise en ordre de la société. C'est de là, de ce sentiment que l'histoire ne peut plus trouver sa voie en se livrant à la seule action du politique, que procède le recours au religieux : on l'approche de nouveau comme un adjuvant nécessaire dans l'entreprise d'administration de la société.
Les ressources du religieux en faveur de la cohésion et de l'intégration sociale
Il est assez étonnant de voir l'État se tourner du côté des institutions confessionnelles. La religion semble avoir beaucoup perdu de son emprise sociale, et donc de son efficacité politique, au cours de ces dernières décennies. Ses troupes ont fondu. Au début des années 1950, 96% des Français se déclaraient affiliés à une religion ; le pourcentage se situe aujourd'hui à 42% (Pierre Bréchon, Frédéric Gonthier Frédéric, Astor Sandrine Astor (direction), La France des valeurs, Quarante ans d'évolutions, Grenoble, PUG, 2019). En outre, les fidèles subsistants sont souvent marqués par une inclination subjectiviste qui les éloigne des mobilisations disciplinées.
Faut-il, pour autant, adhérer au constat de la crise terminale du religieux ? L'analyse nous confronte bien plutôt à sa capacité de résilience, qui tient d'abord à son héritage culturel. Celui-ci trouve à s'incarner dans un patrimoine architectural. Nicolas Sarkozy aimait évoquer, en reprenant le mot du moine Raoul Glaber à l'orée du deuxième millénaire, le "blanc-manteau des églises", dont a fait mémoire aussi la fameuse affiche électorale de François Mitterrand en 1981, qui le représentait devant un paysage d'où s'échappait un clocher nivernais. Ces édifices ont certes perdu une part substantielle des pratiquants qui les fréquentaient ; ils reçoivent désormais plus de visiteurs qu'hier dans une itinérance dont l'anthropologue des pèlerinages, Victor Turner, a souvent rappelé qu'elle mêle halte touristique, moment spirituel et quête identitaire.
L'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019 est l'indication de cette association, en France, de l'histoire religieuse et de l'identité nationale. Mais les religions portent aussi un patrimoine intellectuel. Alors que s'épuisent les grands récits - libéraux et socialistes - de la première modernité, leur parole apparaît, selon la formule du philosophe allemand Jürgen Habermas, comme une "source de motivation morale". Souvent, à travers le discours de leurs autorités, elles s'emploient à nourrir le débat démocratique de l'apport d'une réflexion assise sur les concepts, qu'elles enracinent dans la volonté divine, de "dignité humaine" et de "bien commun". Leurs propositions, déclinées différemment selon les mondes confessionnels, ne sont pas nécessairement suivies. Elles invitent du moins, sur les "questions embrouillées" relevant de la bioéthique, de l'écologie, de l'immigration, de l'économie, à dépasser le seul cadre des politiques de la puissance ou de l'intérêt.
Le capital militant des Églises n'a rien non plus de négligeable. Elles disposent de tout un tissu d'institutions. Le monde catholique en donne une forte illustration. Pour faire face à l'expansion de la modernité, à côté du quadrillage paroissial qui joue un rôle essentiel de socialisation, il a su mettre en place, entre 1850 et 1950, tout une galaxie d'écoles, d'associations de jeunesse (les patronages, les troupes scoutes), de syndicats, de cercles de réflexion comme les Semaines sociales, de mouvements d'apostolat autour de l'Action catholique, d'organisations caritatives comme le Secours catholique. Or, la plupart de ces structures sont demeurées, évidées cependant, le plus souvent, de leur intransigeance antimoderne. Les autres confessions disposent d'organisations assez identiques. On retiendra, dans le répertoire de la solidarité (qui n'est qu'un de leurs domaines d'intervention), le Fonds social Juif Unifié, l'Entraide protestante, le Secours islamique.
Ces structures sont-elles des structures vides, qui, selon la formule de Michel de Certeau, n'auraient que la "beauté du mort" ? Aucunement. Elles se trouvent soutenues par tout un univers d'adhérents. Plusieurs études l'ont relevé : l'investissement religieux passe moins aujourd'hui par la pratique que par l'engagement. L'Entraide protestante rassemble 350 associations et fondations et plus de 15 000 bénévoles ; le Secours catholique 3 500 équipes locales et près de 60 000 bénévoles (données issues des rapports d'activité 2023). Il importe d'ajouter que cet engagement s'accompagne souvent d'activités interreligieuses, dont la mission est moins de faire converger les théologies que de créer du lien.
Les politiques de partenariat
Sur le plan national comme au plan local, les acteurs politiques considèrent nécessaire désormais de renforcer leurs interactions avec les institutions religieuses : il s'agit, affirment-ils, non point tant de répondre aux demandes de reconnaissance des groupes religieux que de se rendre plus efficaces, en usant des ressources - plus importantes qu'on ne le croit - des Églises, dans le gouvernement de la société. La politique de coopération fait fond sur un mouvement croisé : d'un côté, les Églises apportent leur soutien à l'État ; de l'autre, l'État accorde son aide aux Églises.
Soutien des Églises à l'État donc. Elles lui apportent d'abord leur assistance dans l'ordre pratique. L'institution en 2017 des "couloirs humanitaires" en vue d'accueillir les réfugiés du Proche-Orient, en fournit une illustration : c'est sur le fondement d'un protocole d'accord entre l'État et la communauté catholique Sant Egidio, à laquelle s'est associée la Fédération Protestante de France, qu'ils ont été créés. Les organismes caritatifs - le Secours catholique ou l'Entraide protestante notamment – sont associés aux pouvoirs publics, nationaux et locaux, par de multiples conventions qui déterminent, au-delà des secours de première urgence, des actions communes sur le terrain du logement, de l'éducation, de l'insertion des populations démunies. Le renforcement récent de la position des aumôniers dans les prisons correspond aussi à ce dessein d'intégration.
En somme, les acteurs religieux ont investi plusieurs champs de l'activité sociale (voir Xabier Itcaina, Médiations catholiques en Europe du Sud, Rennes, PUR, 2019) :
- le monde de l'enseignement : les écoles confessionnelles, catholiques le plus souvent, scolarisent près de 20% de la totalité des élèves du primaire et du secondaire ;
- le monde de l'entrepreneuriat où ils animent, en appui sur des associations, coopératives et mutuelles, de larges secteurs de l'économie sociale et solidaire ;
- celui de l'hospitalité voué à l'accueil des immigrés ;
- celui de la santé avec un réseau de cliniques et d'EPHAD ;
- celui de la solidarité enfin organisé autour d'actions de soutien aux personnes déshéritées, privées de travail, de logement ou, lorsqu'il s'agit des détenus, de liberté.
Mais les Églises participent aussi à l'activité réflexive de l'État. Leur participation à la délibération officielle existait déjà sous la IVe République lorsqu'il s'est agi d'aborder la question de la contractualisation des écoles privées. Elle s'est amplifiée depuis lors en s'ouvrant à des questions comme celles touchant à la bioéthique, où les forces religieuses démontrent une expertise spécifique. Le dialogue a même été institutionnalisé. C'est le cas notamment avec l'Instance Matignon, instituée en 2002, qui, tous les ans, voient les plus hautes autorités catholiques rencontrer le Premier ministre afin d'évoquer les dossiers partagés. On trouve des interfaces similaires au plan local, à Bordeaux avec la Conférence interreligieuse ou à Rennes avec le comité consultatif laïcité.
Qu'en est-il du soutien de l'État aux Églises ? Il peut prendre la forme d'une "politique symbolique" comme lorsque ses dirigeants prennent part – ce qui est une pratique très ordinaire - aux cérémonies religieuses et interreligieuses qu'elles organisent. Mais l'assistance est également financière. En dépit de l'article 2 de la loi de séparation qui les proscrit, les subventions au culte existent, progressivement renforcées depuis les années 1960. Il peut s'agir d'aides directes. Certaines concernent les activités sociales des Églises. On songe là notamment à l'enseignement privé sous contrat, très largement abondé depuis la loi Debré du 31 décembre 1959. D'autres concernent le registre cultuel lui-même. Les pouvoirs publics peuvent contribuer à la construction d'édifices religieux par des garanties d'emprunt ou, en appui sur la procédure des baux emphytéotiques administratifs, par des mises à disposition de terrains.
Les choses vont parfois plus loin. Des dotations, dont la légalité a été reconnue par le Conseil d'État en 2011, peuvent être attribuées aux maîtres d'ouvrage dès lors que l'opération présente une finalité mixte, associant, comme ce fut le cas avec la cathédrale catholique d'Évry ou avec les centres islamiques de Rennes, le cultuel et le culturel. Mais les aides peuvent également être indirectes. Elles prennent la forme, là, de déductions fiscales. La loi sur le mécénat du 23 juillet 1987 avait lancé le mouvement. Celle du 29 juillet 2019 l'a confirmé, qui accorde aux contribuables venus en soutien de l'organisme en charge du chantier de Notre-Dame de Paris des remises fiscales à hauteur de 75% de l'argent versé. On peut s'interroger sur la raison de ces dispositions en décalage avec le principe de séparation : elles trouvent leur origine sans aucun doute dans la quête mémorielle et identitaire qui caractérise notre moment historique.
Cette coopération ne fait pas signe évidemment vers un quelconque retour à l'hétéronomie (c'est-à-dire le fait qu'un être vive selon des règles qui lui sont imposées). Confronté à la difficulté d'assumer ses fonctions gestionnaires, l'État se cherche des partenaires. Il les trouve pour une part dans le champ des institutions religieuses. Il n'abdique nullement sa souveraineté pour autant. Attaché au grand récit de la modernité, il persiste à vouloir diriger les choses. Comme l'a bien montré la discussion autour de la loi du 24 août 2021 visant à conforter le respect des principes de la République, le gouvernement n'entend s'associer aux cultes que s'ils acceptent de s'intégrer dans l'ordre substantiel qu'il définit. À sa façon, la laïcité coopérative renoue avec l'inspiration gallicane : c'est encore, quoique dans un contexte nouveau, l'imaginaire de la "protection surveillée" qui la détermine.
Suppléance, fonction d'alerte et expertise : la politique de solidarité des acteurs religieux
L'action "charitable" trouve son origine dans l'histoire longue de la société française. Le christianisme s'est, depuis ses origines, en suivant l'exemple et la parole de son fondateur, placé au service des pauvres. Sous l'Ancien Régime, l'appareil sanitaire et social relevait exclusivement de l'Église : l'aide aux indigents et aux vieillards était confié aux fabriques paroissiales ou aux confréries de pénitents ; le soutien aux malades à des congrégations hospitalières. Le XIXe siècle n'entraîne pas une transformation immédiate de ce modèle de la délégation. C'est avec la IIIe République, et de la politique tout à la fois laïque et solidariste qu'elle développe, que se mettent en place des dispositifs concurrents, et bientôt dominants, relevant des seuls pouvoirs publics. On aurait pu croire que cette montée en puissance de la providence étatique, amplifiée encore par le processus de sécularisation à la base, conduirait bientôt les forces religieuses à se replier, progressivement à se replier sur le seul domaine des observances rituelles. Il n'en a été rien.
La crise de la puissance politique a, au cours de ces dernières décennies, permis aux acteurs issus des mondes religieux de renforcer leur fonction de protection sociale. Cet investissement concerne tous les mondes religieux. Les protestants interviennent sur le terrain de la lutte contre la pauvreté par le truchement de la Fédération de l'Entraide Protestante qui compte aujourd'hui 360 associations et fondations adhérentes. Côté juif, la mission est confiée au Fonds social juif unifié. Son appel annuel en faveur de la Tsedaka lui apporte des subsides qui la conduisent à financer, chaque année, de nombreux programmes sociaux (151 en 2019) et d'aider de nombreuses familles (17 000 la même année). Il en va de même du côté des musulmans : les mosquées, 2500 en France, ont souvent leurs propres institutions d'assistance aux nécessiteux, qui jouent le rôle de "banque alimentaire".
Le catholicisme constitue bien sûr, sur ce marché de la "bienfaisance", l'institution dominante. Son action s'inscrit dans des structures diverses. Certaines, comme Habitat et Humanisme créée en 1985, spécialisée dans l'insertion par le logement, témoignent d'une origine catholique, sans être liées directement à l'institution ; d'autres maintiennent le lien d'appartenance. C'est le cas, par exemple, du Secours catholique, fondé en 1946 par l'abbé Rhodain.
L'exemple du Secours catholique
Le Secours catholique compte, en 2024, 72 délégations territoriales, 3 500 équipes locales, 2 400 lieux d'accueil, près de 60 000 bénévoles et 900 salariés. Ses recettes (142 millions d'euros) proviennent de dons et legs (80% environs), du produit aussi de ses activités propres et de reports de crédits, et de subventions publiques (8% environ).
Son interaction avec l'État, qui touche aussi d'autres associations comme la Fondation Abbé Pierre ou la Société Saint-Vincent-de-Paul, s'exprime de trois manières.
D'abord, le Secours exerce une fonction de suppléance. La puissance publique, souvent sur le fondement de conventions, l'engage à s'associer à ses propres missions en lui demandant de prendre en charge les populations en situation de vulnérabilité. Plus d'un million de personnes ont été reçues en 2023. Le travail de soutien se fait souvent en lien avec les centres départementaux ou communaux d'action sociale. Les modalités d'accompagnement ont évolué au cours de ces dernières années : aux côtés de la délivrance d'aides ponctuelles (logements, vêtements, aide alimentaire, microcrédits), l'association veille aujourd'hui à développer tout un travail d'inclusion selon une logique du projet personnel, par exemple en insérant les demandeurs dans des actions de formation mais aussi dans la gestion de ses divers organismes (cités, centres d'entraide, récupération de vêtements…).
Ensuite, le Secours catholique exerce une fonction d'alerte. Elle est visible au niveau national : ses dirigeants prennent souvent la parole pour mettre en évidence la dégradation des conditions de vie des plus pauvres. La même attitude se manifeste aussi au niveau local : le Secours catholique intervient auprès des administrations, avec d'autres associations religieuses ou séculières, pour signaler des situations sociales problématiques.
S'y adjoint une fonction d'expertise. Son rapport annuel sur l'état de la pauvreté, statistiquement très complet, nourri de tout une expérience d'accompagnement et ouvert aux thématiques saillantes du débat social (le développement durable par exemple), contribue à éclairer les ministères et les administrations locales sur les défaillances du modèle républicain et les moyens d'y remédier. L'observation de son dialogue avec la puissance publique nous confronte d'ailleurs à des transferts vers les services publics de ses modes de traitement de la pauvreté.
Cette interaction est d'autant plus développée que les cadres du Secours catholique sont généralement issus des catégories supérieures (souvent du secteur public), ce qui, à partir d'un partage de langages, facilite la porosité du politique et du religieux.