Les maires sont un des piliers de la démocratie en France. Très nombreux (35000), ils maillent le territoire de leur présence et de leur engagement, souvent intense et le plus souvent quasi-bénévole. Dans un contexte de défiance sans précédent des citoyens à l'égard du personnel politique, les maires incarnent une légitimité de proximité et sont la seule catégorie d'élu qui conserve une certaine confiance de la part des Français selon l'Observatoire de la démocratie de proximité - AMF-Cevipof/Sciences Po (Martial Foucault, "Le maire, figure de confiance dans une démocratie fragmentée", 2025).
Ce pôle de stabilité républicaine semble néanmoins vaciller. Depuis des années et, plus particulièrement depuis les élections municipales de 2020, des enquêtes universitaires et journalistiques soulignent la dégradation des conditions d'exercice de ce mandat. Les démissions des maires et la violence dont ils font l'objet défraient la chronique. La charge de maire est de plus en plus chronophage tandis que les moyens financiers des mairies se restreignent. Le spectre d'une crise des vocations semble se lever.
Les démissions des élus prête à des interprétations multiples qui amènent à beaucoup de prudence. Si la pénibilité de fonction de maire s'est accentuée, la fonction reste très convoitée et source de gratifications.
La question des démissions
Le nombre moyen de maires démissionnaires croît : il se situe actuellement par an entre 450 et 500, contre 200 à 250 lors du mandat précédent (2019-2020) et 150 environ pour le mandat 2008-2014. Selon une étude de novembre 2023 de l'Observatoire de la démocratie de proximité - AMF-Cevipof/SciencesPo, intitulé "Des maires engagés mais empêchés", quelque 1 300 maires et des dizaines de milliers de conseillers municipaux ont jeté l'éponge entre juin 2020 et juillet 2023, soit une augmentation de 30% du nombre de retraits par rapport au mandat précédent. Le nombre d'arrêts est "exceptionnellement élevé" selon Martial Foucault, le politiste qui a réalisé cette enquête pour le Cevipof. Depuis les élections municipales de 2020, "2 400 maires ont démissionné et 57 000 sièges de conseillers municipaux sont vacants", selon la ministre du partenariat avec les territoires, Catherine Vautrin (Quinault-Maupoil T., "Catherine Vautrin : 'Les élus locaux ne sont pas responsables de la situation budgétaire du pays' ", Le Figaro, 22 novembre 2024).
Les témoignages d'élus se multiplient. "Les maires les plus anciens disent qu'ils n'ont jamais vu un mandat aussi agité, confie ainsi en novembre 2024 Thomas Fromentin, président socialiste de la communauté d'agglomération Pays Foix-Varilhes (Ariège). Il y a des démissions comme jamais : 5 à 6 maires ont démissionné sur 42 communes dans ma communauté d'agglomération. Un abandon par épuisement." (Bordenent C., Floc'h B, "Avec la hausse des démissions de maires, la crainte d'un ‘crash démocratique'", 20 novembre 2024).
Il convient néanmoins de prendre ces chiffres avec beaucoup de précautions tant il est difficile de s'appuyer sur des données fiables et objectives. Les départs sont certes enregistrés en préfecture et sont agrégés et consolidés au ministère de l'intérieur. Mais, selon le politiste Martial Foucault, ce n'est pas systématique selon les départements. Le répertoire national des élus (RNE) est une base officielle, mais ces données sont incomplètes. Les associations départementales de maires ne suivent pas le sujet avec la même attention et précision.
Pour contourner ces difficultés, Martial Foucault a dépouillé la presse quotidienne régionale qui recense les démissions avec ses étudiants de Sciences Po Paris entre août 2020 et octobre 2023, appelant au besoin les mairies pour avoir davantage d'éléments. Son étude montre que les cessations de mandat ne sont pas des démissions toujours au sens d'un départ volontaire, certaines étant liées à des décès ou des maladies. Mais les informations sur les motifs des démissions sont néanmoins trop pauvres pour pouvoir isoler systématiquement les départs contraints ou involontaires.
Il faut donc prendre avec une certaine prudence les statistiques du RNE. La définition des motifs de démission qu'il classe a évolué : le nombre de motifs est passé de six à onze en 2021 selon Martial Foucault, ce qui rend complexes les comparaisons sur le temps long (Foucault M., "Les maires disent souffrir d'un manque de reconnaissance de la part de l'État", Le Monde, 20 novembre 2024). Le RNE établit que les communes changent de maire lorsque celui-ci démissionne, qu'il est condamné, qu'il décède ou s'il renonce du fait du cumul des mandats. Ces trois dernières catégories ne représentent guère que 15% du total. Les démissions sont donc très largement majoritaires. Elles correspondent cependant à une pluralité de situations et de contextes.
Les démissions sont volontaires, par exemple quand le maire a pris l'engagement de passer la main à mi-mandat. Elles sont subies quand des tensions au sein du conseil municipal poussent le maire vers la sortie de mandat. L'élection de 2020 a eu lieu en pleine crise sanitaire et la prise de fonction a été chaotique dans les équipes municipales pendant les six premiers mois où la phase d'apprentissage collectif a été entravé par le confinement. Il arrive aussi que certains conseillers municipaux démissionnent, et que le maire, perdant sa majorité, soit contraint à la démission. Quelle est la part des démissions liées à l'épuisement, au surmenage ou à l'incapacité à faire face aux charges du mandat dont de nombreux maires font état ?
Certains maires n'hésitent pas à parler de la "la systémique maltraitance des maires" comme Emmanuelle Rasseneur, maire de Gourlizon dans le Finistère, 937 habitants (Keltz B. "‘Je suis épuisée. Il était temps que je pense à moi et me protège", "en Bretagne, l'amertume des maires démissionnaires", Le Monde, 9 octobre 2024). La vague de démissions alimente la thématique de la "fatigue républicaine" ou "blues des maires, récurrente depuis 2014 (Kerrouche E., "Le blues des maires et des conseillers municipaux", Fondation Jean Jaurès, 2018).
Que dit la législation au sujet du statut des élus locaux ?
La question du statut des élus locaux est devenue un véritable sujet à partir des années 1980 :
- la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions annonce un futur statut de l'élu : "Des lois détermineront (…) le mode d'élection et le statut des élus" (article 1er) ;
- la loi du 3 février 1992 accorde de nouveaux droits à travers principalement quatre axes : amélioration du régime d'autorisations d'absence liées aux mandats locaux pour favoriser l'accès des salariés des secteurs public et privé ; reconnaissance du droit des élus à la formation ; revalorisation du montant des indemnités de fonction pour les élus municipaux et fixation de plafonds en cas de cumul de mandats ; droit à la retraite des élus ;
- les lois du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, une Charte de l'élu local avec des principes déontologiques est établie ;
- la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, clarifie et facilite les conditions d'exercice du mandat de maire et accroît les droits des élus (droit de formation, prise en charge des frais de garde d'enfants…) ;
- la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux entend mieux les protéger et mieux les accompagner en tant que victimes.
Présentée comme inquiétante, elle a justifié le lancement de réflexions devant nourrir des réformes. La ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, s'est ainsi exprimée en faveur d'un travail sur "un statut de l'élu en partenariat avec l'AMF pour résoudre tous les irritants" au 105ème Congrès des maires de France, fin novembre 2023.
Les parlementaires se sont également ressaisi de la question, dans les deux hémicycles : le 22 octobre 2025, le Sénat a adopté, avec modifications et à l'unanimité, la proposition de loi en deuxième lecture qui prévoit d'améliorer les indemnités de fonction et les conditions d’exercice des mandats, de favoriser l'engagement local et faciliter la reconversion des élus. Elle crée également un statut de l'élu local. L'Assemblée nationale examine à son tour le texte en deuxième lecture au mois de décembre 2025.
L'augmentation des démissions des maires nourrit la crainte d'une crise des vocations et d'une pénurie de candidats aux élections municipales de 2026, menace que brandit l'association des maires de France. En septembre, le président de l'Association des petites villes de France, le maire (PS) de Barentin (Seine-Maritime), Christophe Bouillon, met en garde : "Si nous n'y prenons garde, le risque est grand, vraiment très grand, qu'une panne des maires entraîne un crash démocratique et même un black-out territorial" (Bordenet C. et Floc'h op. cit.).
Il faut néanmoins raison garder. La proportion d'édiles démissionnaires reste faible (elle est proche de 1,3% du total des maires). Depuis plus de dix ans, on brandit le risque d'une crise de l'engagement local… qui ne se vérifie pas lors des élections. On a enregistré une baisse, assez légère des candidats entre 2014 et 2020 (de 926 000 à 902 000 en 2020). Mais, dans le même temps, le nombre de communes a baissé de 36 700 à 35 000. Seules 106 communes n'ont pas trouvé de candidats aux municipales de 2020. Les responsabilités locales continuent à être attractives. Comme le soutient Martial Foucault, aucun autre pays au monde n'est capable de rassembler 900 000 candidats aux municipales pour 47 millions d'électeurs.
Un mandat de plus en plus difficile à exercer
Il n'en demeure pas moins que les démissions augmentent et que ce phénomène appelle analyse. Comment l'expliquer et comment la condition de maire évolue-t-elle ?
Ce que disent les maires
Dans l'enquête précitée de l'AMF et du Cevipof, une question a été posée aux maires sur cet enjeu : "À partir de votre expérience de maire : quelles sont les raisons qui peuvent expliquer le phénomène de démission ?" Les enquêtés mettent en avant :
- les exigences trop fortes des citoyens (14%) ;
- la complexité des relations avec les services de l'État (12%) ;
- la conciliation du mandat avec la vie personnelle (12%) et avec la vie professionnelle (10%) ;
- les raisons de santé (6%).
Notons d'abord que les démissions sont variables selon les communes. Elles concernent pour moitié environ les communes de moins de 500 habitants. Dans les autres pays de l'Union européenne, il y a moins de communes, elles sont plus grandes et ont davantage de moyens. Mais surtout c'est dans ces territoires ruraux que les maires sont les plus âgés, donc les plus confrontés à la maladie ou au décès. C'est un point essentiel : la progression des démissions est parallèle au mouvement de vieillissement des maires (Guéranger D., "Interpréter le 'blues des maires' ", Métropolitiques, 17 février 2020). 55% d'entre eux ayant 60 ans ou plus en 2020, contre 50% en 2014, selon l'AMF.
D'autres facteurs sont en jeu. Les maires évoquent une dégradation du rapport à la population. Une partie des citoyens sont jugés par les maires plus "exigeants", "individualistes", "utilitaristes" et "agressifs". Les élus pointent une montée de l'incivisme chez des citoyens qui les dénigrent de plus en plus via les réseaux sociaux tout particulièrement. La proximité et l'accessibilité physique des maires, parfois seul recours des habitants (le médecin, l'instituteur, le curé ne sont plus aussi présents) les rend vulnérables et sujets aux attentes les plus diverses des citoyens et à leurs récriminations (Lefebvre R., 2020).
"Vous êtes maire jour et nuit" disent les édiles. À "portée d'engueulade", selon la formule consacrée, ils sont désormais à la portée d'agressions physiques, objets d'une violence "de proximité" (Lefebvre R., "Faut-il mieux indemniser les maires ?", Libération, 18 juillet 2023). Certaines agressions ont été spectaculaires et fortement médiatisées, comme celle Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique) ou de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne). Les violences à l'endroit des élus progressent même s'il est difficile d'établir un lien de cause à effet précis sur les démissions. L'AMF établit sur les deux années 2022-2024 "une augmentation cumulée de plus de 50% des faits de violence contre les élus locaux" (Floc'h B., "Malaise des maires : les signaux d'alerte se multiplient", Le Monde, le 8 novembre 2024). Il est probable qu'elles sont aussi plus déclarées que par le passé.
Pour faire face aux exigences des habitants, les élus ont de moins en moins de moyens. Le pouvoir décisionnel s'est déplacé dans les arènes intercommunales où les petits maires ont un poids faible. Les marges de manœuvre financières des communes se sont restreintes (avec l'inflation, l'augmentation des coûts de l'énergie, la réduction des dotations de l'État même si cette dernière est objet de controverses politiques). Les élus pointent aussi les relations très compliquées avec les services locaux de l'État et le poids des normes qui entravent l'action publique mais aussi accroissent sa technicité juridique alors que les maires ne sont pas toujours formés ou ne disposent pas toujours, notamment dans les petites communes, de services administratifs étoffés pour y faire face. Le président de l'AMF David Lisnard incrimine "la recentralisation juridico-administrative" opérée par l'État comme "première source" de "découragement" des maires. Une recentralisation des finances dans la décentralisation s'est opérée (les maires n'ont plus guère de capacité à lever l'impôt).
Au-delà de ces difficultés, l'analyse d'Anne-Cécile Douillet et Aurore Granaro sur les maires démissionnaires dans quatre départements, Nord, Aisne, Jura, Côte d'Or, apportent des éléments de connaissance plus qualitatifs. Cette étude (publiée dans Horizons publics, numéro 41, septembre-octobre 2024) mobilise les données du répertoire national des élus (RNE, 30 novembre 2023), les informations disponibles dans la presse locale, mais aussi une vingtaine d'entretiens avec des maires démissionnaires de ces départements entre avril et juin 2024. Elle amène à prendre du recul par rapport aux discours des élus. Les chercheuses insistent sur l'attachement à la fonction, le rôle important des dissensions au sein de l'équipe municipale et les difficultés liées à des problématiques de succession. L'enquête confirme que les démissions de maire ont souvent lieu dans des petites voire très petites communes.
Il en ressort que les chiffres avancés par les médias ou associations d'élus sont parfois gonflés par les décès, qui restent une cause importante de cessation de mandat. En regardant de près, décès et démissions apparaissent autant comme les effets de la difficulté du mandat que de l'attachement à la fonction. Les charges de la fonction pèsent effectivement sur certains maires, qui démissionnent du fait de la difficulté à concilier le mandat de maire avec l'activité professionnelle et/ou la vie familiale, mais elles agissent surtout sur les maires âgés ayant enchaîné plusieurs mandats, qui finissent par ressentir une certaine fatigue et lassitude. Enfin, si les démissions sont fréquentes au cours du premier mandat, il apparait que c'est très largement du fait de conflits internes au conseil municipal, qui apparaissent comme la principale cause de démission dans les quatre départements étudiés.
Le mandat de maire : entre mal-être et attachement à la fonction
Ces difficultés nourrissent un sentiment de mal-être. Le mandat de maire est ambivalent. Il est très exigeant et d'ordre sacrificiel (ce qui n'est pas nouveau) et cette pénibilité s'accentue. Il est source cependant aussi d'épanouissement personnel et de gratifications symboliques importantes.
Le mandat de maire est chronophage (Lefebvre R., "Saisir le métier politique par les agendas", Temporalités, numéro 36, 2022). Il est en cela difficilement conciliable avec une activité professionnelle qui est pourtant souvent indispensable tant il est mal indemnisé (de ce point de vue la retraite est doublement propice à l'exercice des mandats tant en termes de disponibilité temporelle que de moyens matériels). Inversement, le mandat est très difficile à exercer pour des jeunes. On ne recense que 3% de maires de moins de 40 ans, ce qui renvoie à la difficulté de concilier son mandat avec sa profession (Lacroix I., Lardeux L, Jeunes et déjà maires, Septentrion, 16 mars 2022). Le temps de travail déclaré est en moyenne de 32 heures par semaine (AMF, enquête de novembre 2023) alors que 40,1% des édiles assurent exercer une activité en parallèle. La plupart bénéficient d'une "facilité horaire", mais pour 62,2% d'entre eux, cela ne suffit pas.
Un projet de recherche en cours (ELUSAN) financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) porte sur les élus et la santé, à la croisée de la sociologie du travail et de la sociologie politique. Il est coordonné par Didier Demazière, directeur de recherche CNRS rattaché au Centre de sociologie des organisations (CSO) à Sciences Po. Leur travail démontre que le mandat impose des horaires atypiques (tous les maires disent travailler au moins occasionnellement le soir après 20 heures, le samedi matin et après-midi, ainsi que le dimanche matin). Être maire implique un manque de disponibilité pour les proches (qui s'en plaignent souvent ou parfois, selon 90% des maires). Il est usant pour la santé (38% des maires sont tout à fait d'accord et 45% sont plutôt d'accord) et s'accompagne parfois ou souvent de troubles du sommeil (87%), coups de fatigue (91%) et moments de lassitude (86%). Il n'est guère étonnant dans ces conditions que 44,6% aient déjà pensé à arrêter ou à démissionner.
On dispose d'une autre enquête convergente menée par l'université de Montpellier en lien avec l'Association des maires ruraux de France en 2024 (Étude de l'Observatoire AMAROK menée par O. Torres et M. LE Moal de l'Université de Montpellier, intitulée : "Du risque de burnout au bien-être, des maires français : sortir de l'ignorance", 2024) qui montre que 31,4% des édiles français éprouvent un épuisement dans l'exercice de leur mandat (3,48% confiant même un épuisement sévère).
Au regard de cet investissement intense, l'indemnité, fixée par la loi, peut paraître modeste : 1 042 euros brut par mois pour une commune de moins de 500 habitants, jusqu'à 5 925 euros au-delà de 200 000 habitants. La moitié des 35 000 communes du pays compte moins de 500 habitants, et 80% des maires ont une indemnité nettement inférieure au Smic horaire selon l'AMF. L'enquête du Cevipof (Novembre 2023) révèle que 35% des maires ont renoncé à une part de leur indemnité pour alléger les finances de leur commune, et 87% ne se font jamais rembourser leurs frais. Le sondage montre que la moitié des élus considèrent leur indemnité insuffisante et conseillent de la revaloriser pour favoriser l'engagement.
Le mandat génère pourtant beaucoup de gratifications qui expliquent l'attachement à la fonction. Être maire c'est accéder à une forte visibilité, à une notoriété qui peut se transformer avec le temps en notabilité. 62% des maires estiment avoir la reconnaissance de leurs habitants (enquête AMF, novembre 2023, c'est dix points de moins qu'en 2020, date de la précédente enquête). De nombreux motifs de satisfaction soutiennent l'implication locale.
Les maires expriment de manière très majoritaire le sentiment de faire quelque chose d'utile pour les citoyens et la démocratie, de faire ou d'apprendre des choses nouvelles, d'éprouver de la fierté pour le travail produit.
La science politique a de longue date identifié une conception du rôle de maire qui situe "le mandat dans le registre du dévouement et du don de soi et qui les renvoie à une représentation idéalisée de l'activité politique définie comme un honneur, une vocation, un sacrifice" pour reprendre les expressions du sociologue Didier Demazière. Ce dernier a bien montré que le mandat d'élu est "investi d'une valeur supérieure" et que cette norme sacrificielle légitime une disponibilité permanente qui "rend acceptable le rétrécissement de la vie familiale et personnelle ou l'exposition à des risques de santé" (Demazière D., "Le mandat de maire se situe dans le registre du dévouement et du don de soi", Le Monde, 2 décembre 2024).
97% des maires avancent qu'ils travaillent de manière excessive dans le cadre de leur mandat, dont 44% souvent. Mais une partie des élus se démarquent désormais de cette conception sacrificielle. Les maires sont plus nombreux que par le passé à affirmer vouloir mieux préserver leur vie familiale ou personnelle, tout particulièrement les femmes élues (21%), les maires de moins de 50 ans (18% de l'ensemble), ou celles et ceux qui ont des enfants au foyer (40%). Comme dans le monde salarial dans son ensemble, de plus en plus d'élus aspirent à un meilleur équilibre entre leur engagement civique et leur vie personnelle. Pour autant, il reste encore une majorité de maires qui perçoivent la charge mentale et les horaires atypiques comme des composantes normales de leurs mandats et qui en parlent peu de ce fait.
Il n'est pas nouveau que le mandat de maire soit générateur de sacrifices mais sa pénibilité augmente sans doute et les sacrifices qu'il implique sont moins acceptés par une part de la population. Ces phénomènes auront-ils des effets sur les prochaines élections municipales ? Une étude conduite par les politistes Martial Foucault et Eric Kerrouche, en avril 2025 (Lemaignen J., "En dépit des difficultés, de nombreux maires comptent se représenter en 2026", Le Monde, 8 avril 2025) établit que plus de quatre maires sur dix comptent se représenter. Elle souligne que la taille de la commune joue aussi fortement sur l'intention des maires de solliciter ou non un nouveau mandat, notamment en raison de la charge administrative et de l'isolement des élus. Ils sont 13% des maires de communes de plus de 9 000 habitants à avoir envie d'abandonner en 2026, contre 30% pour les villages de moins de 500 habitants.
Quelques mois plus tard, une autre enquête est réalisée, plus proche du scrutin, par les politistes Martial Foucault et Pierre-Henri Bono, pour le compte de l'Association des maires de France (AMF). 57,8% d'édiles se disent prêts à se représenter. Ils n'étaient que 49% à la même période, en 2019, avant le scrutin de 2020 (ces données sont représentatives de l'ensemble des communes de moins de 30 000 habitants, soit 99% de l'ensemble ; Floc'h B. "Municipales 2026 : malgré un mandat éprouvant, les maires déterminés à rempiler", Le Monde, 14 novembre 2025). Dans la décision d'arrêter, l'âge est de loin le facteur le plus décisif : 73% des maires de moins de 35 ans veulent se représenter, contre 30% seulement parmi les plus de 75 ans.
Le mandat de maire est exigeant (sans doute de plus en plus) mais il demeure convoité.