L'expression "industrie de défense" désigne l'ensemble des entreprises et des acteurs qui conçoivent, produisent et maintiennent les équipements militaires.
Plus spécifiquement, l'expression base industrielle et technologique de défense (BITD) regroupe l'ensemble des entreprises de défense d'un pays qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées. La BITD contribue à l'autonomie stratégique. En France, la Direction générale de l'armement (DGA) joue un rôle central dans le fonctionnement de cette base industrielle et technologique de défense qui repose sur :
- neuf grands groupes industriels (Airbus Defence and Space, Ariane Group, Arquus, Dassault Aviation, MBDA, Naval Group, Nexter, Safran, Thales) ;
- 4 000 petites et moyennes entreprises (PME), dont 1 000 stratégiques ;
- 210 000 emplois ;
- 30 milliards d'euros (Md€) de chiffre d'affaires (CA) par an.
Pour garantir son autonomie stratégique, l'Union européenne développe une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). C'est notamment l'objet de la communication de la Commission européenne du 5 mars 2024. La BITDE rassemble 12 grands groupes européens, parmi lesquels figurent des groupes français (rang mondial entre parenthèses) :
- BAE Systems (6e) ;
- Leonardo (13e) ;
- Airbus (14e) ;
- Thales (17e) ;
- Dassault Aviation (23e) ;
- Rolls-Royce (25e) ;
- Rheinmetall (28e) ;
- Naval Group (29e) ;
- MBDA (32e) ;
- Safran (34e) ;
- Saab (39e) ;
- KNDS (44e) ;
À l'échelle de l'Union européenne (UE), l'Agence européenne de défense (AED) est chargée de renforcer la BITDE et de créer un marché européen des équipements de défense compétitif à l'international.
La première stratégie industrielle de défense européenne (EDIS) a été présentée le 5 mars 2024 par la Commission européenne.
L'EDIS permet d'avoir une vision à long terme de ce que l'UE doit accomplir afin de parfaire la préparation de son industrie de défense. La mise en œuvre de cette stratégie passe par une proposition législative relative à l'établissement d'un programme européen pour l'industrie de la défense (EDIP), et un cadre de mesures permettant d'assurer la disponibilité et la fourniture des produits de défense. L'EDIP mobilisera le budget de l'UE à hauteur de 1,5 milliard d'euros afin de renforcer la compétitivité de la BITDE sur la période 2025-2027.
Les États membres doivent investir plus, mieux, ensemble, dans des équipements européens. Dans cet objectif, l'EDIS énonce un ensemble de mesures destinées à :
- permettre aux États membres d'exprimer leur demande de défense collective en s'appuyant sur des outils existants :
- plan de développement capacitaire (PDC) ;
- examen annuel coordonné en matière de défense (EACD) ;
- coopération structurée permanente (CSP) ;
- garantir la disponibilité de tous les produits de défense en améliorant la capacité de la BITDE à répondre aux besoins de l'UE et des États membres ;
- faire en sorte qu'UE comme États membres affectent les moyens budgétaires à l'adaptation de l'industrie de défense européenne au contexte géopolitique et sécuritaire dégradé ;
- intégrer la culture fondée sur la préparation de la défense dans les politiques ;
- renforcer les liens avec l'Ukraine en la faisant participer aux initiatives de l'UE en faveur de l'industrie de la défense et en renforçant les liens entre les industries de la défense ukrainienne et européenne ;
- collaborer avec l'OTAN, les partenaires stratégiques internationaux et l'Ukraine.
Les États membres devraient d'ici à 2030 :
- acquérir au moins 40% des équipements de défense de manière collaborative ;
- faire en sorte que la valeur des échanges commerciaux au sein de l'UE liés à la défense représente au moins 35% de la valeur du marché de la défense de l'UE ;
- augmenter régulièrement leurs achats d'équipements de défense au sein de l'UE pour qu'au moins 50% du budget qui y est consacré soit dépensé dans l'UE (60% à l'horizon 2035).
Un rapport de l'Assemblée nationale de mai 2024 examine les faiblesses structurelles de l'industrie de défense européenne, mises en évidence par le retour de la guerre en Europe.
L'industrie de défense de l'UE, essentiellement dimensionnée pour les temps de paix, contribue insuffisamment à l'autonomie stratégique européenne.
Les entreprises de défense européennes ont un déficit de taille critique notable lorsqu'on les compare aux industries des États-Unis. Sur le classement mondial des 100 plus grandes entreprises de défense, les cinq premières sont états-uniennes et représentent 30% du chiffre d'affaires total des sociétés de ce classement. Seuls quatre industriels européens figurent dans le "top 20" et la première est britannique, donc hors UE.
De nombreux industriels européens de défense interviennent sur les mêmes segments et se retrouvent en situation de concurrence frontale sur les marchés non domestiques.
Du fait de cette fragmentation de l'offre, une duplication de nombreux systèmes d'armement peut s'observer en Europe, qui comptait 178 types d'équipements militaires contre 30 pour les États-Unis en 2017. Les coopérations industrielles européennes dans le secteur de la défense, dominé par les enjeux de souveraineté nationale, sont très difficiles. En 2022, seulement 18% des dépenses d'investissement des États membres ont été effectuées en coopération.
L'hétérogénéité des industries de défense tient à la taille des différentes BITD nationales, mais aussi au lien entre les industries de défense et le modèle national de l'armée. La France a fait dans les années 1950 le choix d'une industrie de défense autonome afin d'équiper son modèle d'armée complet. Inversement, l'Allemagne a privilégié une logique de marché et donc une ouverture plus importante aux importations.
La Commission européenne a identifié plusieurs raisons aux déficits européens d'investissement dans la défense. La crise financière de 2008 a eu un impact majeur mais, surtout, entre 2007 et 2016, près de 60% du budget d'équipements de défense des États membres a été consacré à des importations en provenance de pays tiers.
En conséquence, les chaînes de production européennes ont pâti, notamment, de sous-investissement et de la promotion d'un modèle basé sur les flux tendus et l'optimisation des stocks. Ces capacités de production ont donc été réduites, et de nombreuses chaînes de production stoppées du fait de l'absence de commandes.
Au même titre que l'industrie civile, l'industrie de défense européenne est fortement dépendante des approvisionnements stratégiques à l'égard de pays tiers. Selon une étude de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem), "l'UE dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs pour un groupe de 27 matières premières qu'elle a identifiées et qualifiées de critiques". Par exemple, les matières et composants nécessaires à la production d'un drone militaire viennent de Chine à 78%.
Bien que la guerre en Ukraine ait eu entre autres conséquences une augmentation des dépenses de défense des pays de l'UE, cela a peu profité à la BITDE selon le rapport de l'Assemblée nationale. Le conflit a plutôt révélé et amplifié les carences de l'industrie européenne de défense et la dépendance aux pays tiers.
Les achats de produits de défense aux États-Unis par les États membres s'inscrivent dans une recherche de partenariat stratégique global, mais aussi dans une recherche d'interopérabilité avec les armées des États-Unis.
Les États-Unis ont mis en place un mécanisme très attractif, les foreign military sales (FMS). Les FMS constituent des accords de gouvernement à gouvernement, conclus en dehors de tout appel d'offres. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2023, les FMS "permettent à l'État fédéral américain de devenir l'unique interlocuteur de l'État client auquel il se substitue dans la relation avec les industriels fournisseurs. Elles concernent la quasi-totalité des exportations d’armes américaines".
Sur les dix pays européens ayant commandé des avions de chasse entre 2019 et 2023 :
- huit ont choisi des avions produits par les États-Unis (F-16 ou F-35) ;
- deux ont choisi des Rafale, produits par la France.
| Clients | Commandes | Version A | Version B |
|---|---|---|---|
| Royaume-Uni | 74 | 0 | 74 |
| Pays-Bas | 52 | 52 | 0 |
| Italie | 90 | 60 | 30 |
| Norvège | 52 | 52 | 0 |
| Danemark | 27 | 27 | 0 |
| Belgique | 34 | 34 | 0 |
| Pologne | 32 | 32 | 0 |
| Allemagne | 35 | 35 | 0 |
| Finlande | 64 | 64 | 0 |
| Suisse | 36 | 36 | 0 |
| Grèce | 40 | 40 | 0 |
| République tchèque | 24 | 24 | 0 |
| Roumanie | 32 | 32 | 0 |
| Total | 560 | 456 | 104 |
(Source : Assemblée nationale.)
Les achats de F-35 sont pourtant préjudiciables pour l'autonomie stratégique européenne :
- en raison des montants significatifs pour les budgets de défense européens (10 Md€ pour l'Allemagne, 8,6 Md€ pour la Grèce) ;
- car ils créent des dépendances pour plusieurs décennies.
Les États-Unis connaissent des difficultés pour répondre à l'augmentation de commandes consécutive à la guerre en Ukraine et voient comme une solution la sous-traitance aux industries européennes. Le danger pour la BITDE serait que la sous-traitance de produits états-uniens devienne "l'horizon ultime des industriels européens".
Si la guerre en Ukraine a révélé nombre de faiblesses de l'industrie de défense européenne, elle a aussi mis en lumière quelques forces et permis la mise en place de mécanismes. Dans le cadre du "plan munitions", au titre du soutien à l'Ukraine et de la facilité européenne pour la paix (FEP), la Commission a établi une cartographie des capacités de production en munitions des industries de défense européennes. Ainsi, l'Europe a une capacité de production agrégée supérieure à celle des États-Unis : 500 000 obus de 155 mm par an contre 250 000 à 300 000.
Le dispositif EDIRPA, doté de 310 millions d'euros (M€), incite les États membres à acquérir conjointement des équipements militaires en en subventionnant une partie.
Si une défense européenne repose sur une industrie de défense, cette industrie de défense est indissociable, en amont, de recherche et développement (R&D) en matière de défense.
Le Fonds européen de la défense (FED) a été mis en place en 2021, avec pour objectif de soutenir la recherche et développement de la BITDE. Chaque projet doit être mené par un consortium composé d'au moins trois entités de trois États membres différents.
Le budget du FED, selon le rapport de l'Assemblée nationale, est sur la période 2021-2027 de 7,9 Md€ courants ainsi répartis :
- un tiers pour les projets de recherche (2,6 Md€) ;
- deux tiers pour les projets de développement (5,3 Md€).
La part de la contribution de l'UE se fait ainsi sur les projets, jusqu'à :
- 100% des coûts éligibles pour la recherche ;
- 80% des coûts liés aux essais, à la qualification et à la certification d'un produit ou d'une technologie de défense ;
- 20% des coûts pour le prototypage d'un système.
Les entités éligibles au FED doivent répondre à des conditions strictes :
- les destinataires du financement et les sous-traitants doivent être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion dans l'UE ou un pays associé (Norvège, Islande ou Liechtenstein) ;
- les infrastructures, ressources et biens employés dans le projet R&D doivent être situés dans l'UE ou un pays associé, sauf s'il n'y a pas de solutions de substitution facilement disponibles. Ils ne doivent pas être contrôlés par un pays tiers non associé, sauf dérogation accordée par les États membres de l'UE.
Les financements sont octroyés à la suite d'appels à propositions concurrentiels, mais peuvent dans certains cas se faire par attribution directe.
S'il est encore trop tôt pour déterminer le succès du FED, le rapport de l'Assemblée nationale met en évidence certaines lacunes :
- la France est la première bénéficiaire du FED. Les grands maîtres d'œuvre français sont présents dans quelque 80 projets. Ils en coordonnent près de 30, mais sont incités par les règles du FED à former des consortiums avec des PME étrangères, au détriment des PME françaises ;
- le FED pourrait renforcer la concurrence entre les entreprises de défense des États membres ;
- le FED procède par "saupoudrage de crédits". Les projets les mieux dotés bénéficient de subventions pouvant aller jusqu'à à 75 M€, ce qui est peu pour des projets R&D de défense ;
- le FED s'articule parfois mal avec des projets déjà engagés. Le Future Main Battle Tank (FMBT), lancé dans le cadre du FED pour 30 M€, fait peu de sens alors que le programme Main Ground Combat System (MGCS) a déjà mobilisé plusieurs dizaines de milliards d'euros.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a présenté le 6 mars 2025 le plan ReArm Europe, qui pourrait être doté de 800 Md€.
Ce plan vise à augmenter les dépenses de défense dans l'UE et aura donc un impact sur l'industrie de défense européenne. Parmi les mesures recommandées :
- une dérogation au pacte de stabilité et de croissance permettant aux États membres de dépenser davantage pour la défense sans risquer une procédure pour déficit excessif. Une dépense à hauteur de 1,5% du PIB en moyenne créerait une marge de manœuvre budgétaire de 650 Md€ sur quatre ans ;
- une facilité de prêt, garantie par le budget européen, permettant à chaque État membre d'accéder à 150 Md€ pour des investissements dans la défense. Les objectifs sont de diminuer les coûts, de renforcer la BITDE et d'accroître l'interopérabilité ;
- davantage de fonds vers des investissements en défense et des incitations à l'utilisation par les États membres des programmes de la politique de cohésion afin d'augmenter leurs dépenses en matière de défense ;
- la mobilisation de capitaux privés en accélérant la mise en place de l'Union de l'épargne et des investissements et le recours à la Banque européenne d'investissement.
Toutefois, ce plan repose en grande partie sur la capacité des États membres à augmenter leur déficit ou à accéder à un prêt garanti par le budget de l'UE. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un investissement de l'UE dans ses industries de défense ou sa défense, mais de facilités accordées aux États membres créant des marges de manœuvre budgétaires chiffrées.
Le rapport de l'Assemblée nationale rappelle que les dépenses combinées dans le domaine de la défense entre 1999 et 2021 ont augmenté de :
- 65,7% pour les États-Unis ;
- 292% pour la Russie ;
- 592% pour la Chine ;
- 19,7% pour l'UE.