Les matières premières critiques constituent la base industrielle pour une large gamme de biens et d’applications utilisés à la fois dans la vie quotidienne et dans les technologies modernes. Elles jouent un rôle de premier ordre dans le bon fonctionnement de l'économie européenne.
Quelle différence entre substance rare, stratégique ou critique ?
Un métal rare est, d'un point de vue géologique, un métal dont l'abondance moyenne et/ou la disponibilité (capacité à se concentrer en gisements) est faible dans la croûte terrestre (exemple : le cérium, la plus abondante des terres rares, constitue 0,006% de la croûte terrestre).
Un métal stratégique est un métal indispensable à la politique économique d'un État, à sa défense, à sa politique énergétique ou à celle d'un acteur industriel spécifique (les métaux nécessaires pour mener à bien la transition énergétique).
Un métal critique est un métal aux propriétés remarquables pouvant entraîner des effets industriels ou économiques négatifs liés à un approvisionnement difficile.
En 2011, la Commission européenne a établi la première liste des matières premières critiques (MRC) pour l’Union européenne (UE). Cette liste est mise à jour tous les trois ans au moins, pour tenir compte de l'évolution de la production, du marché et de la technologie.
Un outil pour l'élaboration des politiques européennes
La liste analyse l'attribution des matières aux utilisations finales en fonction des applications industrielles.
Pour évaluer le risque en matière d'approvisionnement, elle tient compte de plusieurs paramètres (la dépendance de l'UE à l'égard des importations, les restrictions à l'exportation applicables dans les pays tiers, les possibilités de substitution...) afin de déterminer la concentration de l'approvisionnement et la part de la demande qui est satisfaite au moyen de matières premières secondaires.
La Commission utilise la liste comme un outil d'orientation lorsqu'elle négocie des accords commerciaux ou cherche à éliminer les pratiques faussant les échanges commerciaux. Les États membres et les entreprises s'en servent comme un cadre européen de référence pour effectuer leurs propres évaluations de la criticité.
En 2023, la cinquième liste comprenant 34 MRC a été publiée (à l’annexe II de la proposition de règlement) sur la base de l’étude sur les matières premières critiques pour l’UE en 2023.
L’étude comprend :
- dix éléments lourds (HREE) et cinq éléments légers (LREE) de terres rares et cinq métaux du groupe de platine (PGM) ;
- quatre nouveaux matériaux : néon, krypton, xénon et boron ;
- le titane métal en plus du titane ;
- l’aluminium et la bauxite ont été fusionnés pour des raisons de cohérence ;
- le cuivre et le nickel n’atteignent pas les seuils du MRC mais sont inscrits sur la liste des matières premières critiques en tant que matériaux stratégiques en conformité avec la législation européenne sur les matières premières critiques.
En France, le Comité pour les métaux stratégiques (Comes) a été créé en 2011. Il regroupe entre autres des organismes de recherche français et des industries avec trois objectifs :
- sensibiliser les filières industrielles sur les risques d’approvisionnement en matières premières ;
- valoriser les ressources primaires (extraites) et secondaires (recyclées) du territoire ;
- engager une diplomatie des matières premières.
Le Comes a publié une matrice de criticité permettant d’identifier des métaux stratégiques pour la France, c’est-à-dire des métaux indispensables pour l’économie du pays, l’indépendance énergétique et la défense. Cette liste spécifique à la France inclut notamment l’argent, le chrome et le cuivre, qui ne sont pas identifiés comme critiques au niveau européen.
Produites par un nombre restreint d’entreprises ou de pays, appliquées dans des usages de haute technologie, peu ou pas substituables dans leurs utilisations ou encore difficilement collectées en vue de leur recyclage : telles sont les caractéristiques principales des matières premières critiques.
- En lien avec l’industrie : les matières premières non énergétiques sont liées à toutes les industries à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement.
- Technologie moderne : le progrès technologique dépendent de l’accès à un nombre croissant de matières premières.
- Environnement : les matières premières critiques sont étroitement liées aux technologies "propres". À l'heure où l'UE vise la neutralité carbone, ces substances seront bientôt plus importantes que le pétrole et le gaz.
Une demande mondiale en forte progression
La demande mondiale continuera à croître sous l'effet des transitions écologique et numérique :
- les terres rares sont des éléments essentiels des aimants permanents utilisés dans les moteurs éoliens ;
- le lithium, le cobalt et le nickel sont utilisés dans la fabrication de batteries ;
- le silicium est employé dans les semi-conducteurs.
Les matières critiques sont des matières premières pour lesquelles un risque pèse sur la chaîne d’approvisionnement, soit parce que celle-ci est concentrée dans un très petit nombre de pays, soit parce que la stabilité politique des pays fournisseurs est limitée.
La Commission considère les matières premières comme critiques lorsqu’elles revêtent une importance économique cruciale mais qu’elles ne peuvent être produites de manière fiable dans l’UE, et qu’elles doivent donc être en grande partie importées.
La production (extraction et raffinage) des matières premières critiques est concentrée dans quelques pays.
Parmi les principaux producteurs de matières premières critiques se trouvent :
- la Chine avec 97% du magnésium, 86% des terres rares, 80% du bismuth, du gallium et du germanium ;
- l’Afrique du Sud qui couvre 71% des besoins de l’UE en métaux du groupe platine ;
- le République démocratique du Congo (RDC) avec 59% du tantale et 64% du cobalt ;
- les États-Unis (88% du béryllium) ;
- le Brésil (92% du niobium) ;
- le Chili (44% du lithium) ;
- la Turquie qui assure 98% de l'UE en borate ;
- la France avec 49% du hafnium (utilisé notamment dans les réacteurs nucléaires de sous-marins).
Le saviez-vous ?
Pour chaque matière première existe une chaîne de valeur : mines, transformation, composants et systèmes impliquent souvent différents pays, ce qui augmente les risques et les tensions d’approvisionnement.
Selon les données sur les matières premières critiques du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Chili domine dans le domaine de l’extraction du cuivre, mais la transformation du minerai utilisable par l’industrie est majoritairement effectuée en Chine. Le cobalt qui est extrait en RDC est transformé et vendu par la Chine.
Autre exemple. Les aimants permanents sont utilisés dans la plupart des moteurs des voitures électriques ou dans les génératrices d’éoliennes en mer. Ils contiennent des terres rares dont 100% utilisées dans le monde pour les aimants permanents sont transformées en Chine.
Le besoin en matières premières pour le marché européen est stratégique. Les États membres sont, à l'heure actuelle, dépendants à plus de 95% d'une production et d'une transformation qui s'effectuent hors de l’Union européenne.
Afin d'éviter les chaînes d’approvisionnement vulnérables, l'UE s'emploie à assurer à l’industrie européenne un approvisionnement sûr.
L'importance de la sécurité des approvisionnements des pays européens en matières premières non énergétiques et non agricoles n'a été reconnue que récemment, notamment du fait de la montée en puissance de nouveaux acteurs industriels mondiaux. De plus, la crise financière de 2008 et la volatilité des prix de certains métaux et minéraux ont renforcé cette attention. Enfin, le grand public a pu prendre conscience, avec l’éclatement de la crise des terres rares en 2011-2012 (à savoir l'embargo sur l'exportation des terres rares décrété par la Chine), de l’importance d’un approvisionnement sécurisé en matières premières.
C’est sur la base de ce constat que l’Union européenne a proposé dès 2008 une stratégie européenne des matières premières intitulée "Initiative Matières premières", une initiative réaffirmée en 2011. La Commission européenne a renforcé le plan d’action avec la création de la première liste européenne des matières premières critiques. Cette liste a permis d’orienter une partie des financements de la recherche européenne sur ces matières.
Le 16 mars 2023, la Commission européenne a publié une communication sur les matières premières critiques : un ensemble de mesures pour garantir l'accès de l'UE à "un approvisionnement sûr, diversifié, abordable et durable en matières premières critiques".
La proposition introduit des objectifs d’autosuffisance de l’UE tout au long de la chaîne de valeur.
Les objectifs 2030 proposés par la Commission sont :
- 10% de la consommation de l'UE extraite dans l’UE ;
- 15% de la consommation annuelle de l’UE pour chaque matière première stratégique en provenance du recyclage ;
- 40% de la consommation annuelle de l’Union pour chaque matière première stratégique raffinée sur le territoire de l’UE ;
- au maximum 65% de la consommation annuelle de l’UE de chaque matière première critique à tout stade de transformation en provenance d’un même pays tiers.
Chaque État membre doit adopter et mettre en œuvre des mesures permettant :
- d'intensifier les efforts pour récupérer les matières premières critiques contenues dans les déchets, notamment miniers ;
- d'augmenter la proportion de matières premières critiques recyclées dans l’industrie manufacturière ;
- d'améliorer la recyclabilité des aimants permanents en terres rares dans des produits et technologies spécifiques sur le marché de l’UE ;
- d'imposer aux vendeurs de matières premières critiques qu’ils fournissent des informations sur l’empreinte environnementale ;
- de reconnaître des systèmes de certification afin d’accroître la durabilité des matières premières critiques mises sur le marché de l’UE.
Une nouvelle génération d'exploration minière et une diplomatie européenne des matières premières critiques
L'Union européenne est consciente de la nécessité de disposer de nouvelles mines pour renforcer l'ensemble de la chaîne de valeur des matières premières critiques. Elle s'appuie cependant toujours sur des données datant des années 1960, 1970 et 1980 qui ne répondent pas aux besoins des industries modernes. Il est donc nécessaire de réaliser un inventaire minier.
L'Union européenne dispose d'un sol capable de réduire la dépendance européenne. Des sites d'exploitation sont identifiés en Suède, en Finlande ou au Portugal. Il existe cependant de nombreux obstacles à leur réalisation.
La Commission se tourne à présent vers les guides internationaux pour définir la "viabilité" d’une exploitation minière en Europe. La Classification-cadre des Nations unies pour les ressources (CCNU) sert de base pour développer des projets miniers.
La Commission travaille également sur plusieurs accords avec des pays tiers. L'accord en cours de finalisation avec le Kazakhstan comprend un partenariat stratégique sur "les matières premières critiques, les batteries et l’hydrogène renouvelable". Elle lancera les discussions avec le Groenland, et des négociations sont en cours avec la Norvège. Enfin, un partenariat stratégique a été conclu avec l’Ukraine en 2021, que cette dernière n’a pu respecter en raison de la guerre déclenchée par la Russie en février 2022.
La France est un pays importateur de produits semi-finis et finis. L’enjeu est non seulement de sécuriser les chaînes d’approvisionnement des métaux stratégiques que l’on retrouve dans ces produits mais aussi de maîtriser, à terme, les filières technologiques associées. Cela passe, par exemple, par la prise de parts dans des mines, la création de stocks stratégiques ou le développement du recyclage, mais aussi par une relocalisation des industries de la transformation.
Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) est le service national dédié aux sous-sols et à ses ressources. Début 2022, il a publié un atlas de cartes des substances minières répertoriées dans le sous-sol de la France métropolitaine. Il synthétise les ressources historiques estimées, les productions passées ainsi que le contexte géologique associé aux gîtes et gisements métropolitains de 24 substances : tungstène, antimoine, zirconium, cobalt, hafnium, vanadium, niobium, chrome, lithium, béryllium, cuivre, étain, tellure, scandium, molybdène, titane, indium, sélénium, tantale, nickel, germanium, gallium, argent et or.
Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie est un important producteur mondial de nickel. Les grands fonds marins de la Polynésie française sont également riches en manganèse, platine et cobalt.