Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le rôle du sénat pour représenter les collectivités locale, le projet de réforme des finances locales et sur les relations entre l'Etat et les collectivités locales dans le cadre des contrats de plan, Rouen le 15 octobre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 68ème congrès de l'Assemblée des présidents de Conseils généraux (APCG) à Rouen les 14 et 15 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs
C'est avec émotion, mais aussi avec une grande fierté, que j'ai le plaisir d'intervenir aujourd'hui devant vous en tant que Président du Sénat.
Comme je l'ai annoncé dans ma première allocution devant le Sénat, j'aurai, dans l'exercice de la charge qui vient de m'être confiée, la volonté de défendre et de promouvoir le rôle du Sénat, dont, vous le savez, je me fais une certaine idée.
Le Sénat doit, pour donner tout son sens au bicamérisme - dont personne ne conteste, en apparence, le principe -, développer sa spécificité, faire entendre sa différence et, tout particulièrement, redécouvrir, au-delà de son rôle d'assemblée parlementaire à part entière, sa vocation profonde de représentant des collectivités locales.
Je me suis donc assigné pour objectif de reconquérir le terrain perdu et de faire, enfin, de la Haute Assemblée, le " veilleur " de la décentralisation et plus encore la maison des collectivités locales, de toutes les collectivités locales, aussi bien celles de métropole que celles de l'outre-mer, dont on sait l'atout qu'elles représentent pour notre pays.
Dans cette perspective, je veillerai à ce que le Sénat soit encore plus à l'écoute des élus locaux, car notre institution ne jouera pleinement son rôle que si elle se ressource auprès des élus locaux qui sont les gestionnaires de l'avenir et les préservateurs du tissu social. La réflexion sur ces problèmes ne doit pas être engagée à la périphérie de notre Haute Assemblée.
J'ai aussi l'ambition de développer une information, spécifique et concrète, destinée aux élus locaux.
Je tiens ensuite à ce que le Sénat devienne le " gardien vigilant " de la décentralisation.
A cette fin, il me semble souhaitable, pour permettre au Sénat de remplir pleinement sa mission constitutionnelle, de créer une structure permanente de suivi de la décentralisation qui travaillerait en partenariat avec les associations d'élus locaux, au premier rang desquelles figure l'Assemblée des présidents de conseils généraux.
Cette démarche commune, je dirai même cette addition des forces, sera d'autant plus nécessaire, qu'à horizon, se dessinent un certain nombre de menaces, que vous relevez dans votre mémorandum, tant pour l'institution départementale que pour l'autonomie fiscale des collectivités locales.
A cet égard, le Sénat doit, tout d'abord, s'alarmer de la réelle restriction de l'autonomie fiscale des collectivités locales que comportent les projets fiscaux du Gouvernement, qu'il s'agisse de la taxe professionnelle ou des droits de mutation à titre onéreux.
Si ces réformes sont conduites à leur terme, c'est, en effet, plus d'un cinquième du pouvoir fiscal direct des collectivités locales qui va disparaître.
Une telle perspective, est inquiétante. C'est pourquoi, en tant que gardien de la décentralisation, le Sénat se doit de réagir à ces projets. Car si l'objectif du Gouvernement semble louable, il s'est, en revanche, clairement trompé d'instrument.
S'agissant de l'objectif, et pour ceux qui en douteraient, je le dis tout net, je suis et je reste un farouche partisan de l'allégement des charges pesant sur les entreprises.
Je ne peux donc que me féliciter de voir le Gouvernement revenir à la raison dans ce domaine, après l'indigeste potion fiscale infligée aux entreprises, l'automne dernier, à l'occasion du texte dit MUFF (mesures urgentes fiscales et financières) et du budget.
S'agissant de l'instrument utilisé pour cet allégement des charges, il m'apparaît cependant que cette soudaine sollicitude doit être doublement relativisée. D'une part, parce qu'elle porte une sévère atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités locales. D'autre part, il y a tout lieu de douter du réel impact de cette réforme, en particulier sur l'emploi. [Ce doute est d'ailleurs partagé par de nombreux élus de tous bords].
Au total, je dirai donc de celle-ci qu'elle constitue un trompe-l'oeil.
La réforme est dangereuse, car, en se proposant de mettre en extinction sur 5 ans la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle, ce Gouvernement ou un autre pourrait en effet très bien engager, sans le vouloir, un processus de suppression totale de cet impôt qui, au terme de cette réforme, deviendra un impôt discriminatoire sur l'investissement.
Trompe-l'oeil, car, d'une part, cette réforme de la taxe professionnelle n'est pas le meilleur moyen de favoriser l'emploi et que, d'autre part, l'allégement annoncé en juillet s'est accompagné, en septembre, subrepticement, de mesures de hausse des composantes nationales de la taxe professionnelle.
Tout d'abord, si l'objectif est d'alléger les charges pesant sur les salaires pour encourager l'emploi, j'indique que le Gouvernement aurait dû, plutôt que de se montrer si généreux avec l'argent des autres - c'est à dire celui des collectivités locales -, engager une politique plus volontariste d'abaissement du coût du travail peu qualifié, par un allégement significatif des charges sociales supportées par les employeurs. Une telle solution constituerait une réponse, bien plus efficace, au problème dramatique du chômage.
C'est tout le sens de la proposition de loi que j'ai présentée tendant à alléger les charges sociales sur les bas salaires et qui a été adoptée par le Sénat, en juin dernier. Cette démarche est d'ailleurs soutenue par mon homologue, le Président Laurent FABIUS.
Si j'affirme que cet allégement de la taxe professionnelle relève, en partie, du trompe-l'oeil, c'est aussi parce que le Gouvernement veut procéder au relèvement concomitant des taux de la taxe professionnelle perçue, directement par lui au titre de la cotisation minimum ou par le fonds de péréquation au titre de la cotisation de péréquation. En outre, il supprime sur deux ans l'allégement de taxe professionnelle qu'apportait aux entreprises la réduction pour embauche et investissement.
Est-ce un hasard du calendrier si ces mesures ont été annoncées en septembre ? En tout cas, les résultats de l'enquête de satisfaction, mentionnée par le ministre de l'économie et des finances dans la dernière livraison de la Gazette des communes pour défendre cette réforme, datent, ce qui est un peu fâcheux, du 27 juillet ... Il faudrait donc procéder, à nouveau, à cette enquête.
Au total, je relève que le Gouvernement porte une sérieuse atteinte à l'autonomie fiscale des collectivités locales pour un allégement qui sera, somme toute, modeste et dont les effets sur l'emploi, quoiqu'on en dise, risquent de ne pas être au rendez-vous.
Cette réduction directe du pouvoir fiscal des collectivités locales suscite d'autant plus d'interrogations que la compensation des pertes de recettes que celles-ci subiront doit au bout de 5 ans être intégrée au sein de la DGF.
Que restera-t-il, alors, du droit à compensation individuel de chacune des collectivités ? A l'évidence, il eut été préférable de procéder à cette réforme par voie d'un dégrèvement qui, seul, garantit la préservation du niveau des ressources.
Enfin, j'en viens au nouveau contrat de solidarité et de croissance que le Gouvernement se propose, au terme, reconnaissons-le, d'un certain nombre de séances d'information ouvertes aux associations d'élus locaux, " d'octroyer " aux collectivités locales.
Je note tout d'abord le caractère homéopathique de la prise en compte de la croissance.
Disons-le tout net : le Gouvernement se montre bien " chiche " en ne nous accordant, au bout de trois ans, qu'une participation aux fruits de la croissance limitée au tiers de celle-ci.
Si le Gouvernement veut réellement mobiliser la capacité d'investissement des collectivités locales, dont je rappelle qu'il constitue un moteur essentiel de la croissance, je l'invite à relever plus rapidement et plus fortement la part de la progression de la richesse nationale retenue pour le calcul de l'évolution des dotations financières versées par l'Etat aux collectivités locales.
Je ne doute pas que le Gouvernement, dans le contexte de fragilisation des perspectives de croissance que connaît notre économie, saura entendre ce message.
Le devoir de vigilance auquel je m'astreindrai m'amène, au-delà de ces éléments d'actualité, à exercer un regard prospectif, auquel m'invite d'ailleurs le mémorandum dont notre Assemblée des présidents de conseils généraux a débattu hier. A cet égard, je tiens à saluer l'importance du travail effectué pour aborder, avec une vision large et ambitieuse, les grands problèmes auxquels se trouvent confrontées nos assemblées départementales.
Je souhaiterai, pour ma part, revenir plus particulièrement sur deux aspects de la réflexion globale présentée dans ce mémorandum, à savoir, d'une part, la participation des conseils généraux à la construction européenne et, d'autre part, la place du département au sein du paysage institutionnel français.
Sur le premier point, je relève dans la légitime revendication des conseils généraux d'être plus étroitement associés à la définition des positions que la France est amenée à défendre au niveau européen, une synergie potentielle avec ma volonté de voir le Sénat créer une antenne permanente à Bruxelles.
Sur le second point, je ne peux que m'associer aux interrogations qui sont les vôtres au sujet du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire déposé par Mme Dominique VOYNET.
Nous retrouvons ici les menaces que j'évoquais au début de mon intervention, dans la mesure où l'institution départementale et son ressort territorial se trouvent pris en tenaille entre une région en voie d'affirmation et une marée montante des diverses formes d'action ou de structures intercommunales. Je salue à cet égard, qu'à l'occasion de ce congrès vous ayez choisi d'aborder ce sujet de face et je souhaite que les débats de cette matinée et de cet après-midi puissent contribuer à clarifier notre réflexion dans ce domaine. Je serai, soyez-en assurés, particulièrement attentif à vos conclusions dans ce domaine. A cet égard, je veillerai à ce que le Sénat se saisisse en amont de l'ensemble de ces sujets, lors d'un grand débat consacré aux collectivités locales. Le débat pré-budgétaire, prévu devant la Haute Assemblée le mardi 3 novembre prochain, pourrait fournir l'occasion d'engager la première étape de cette réflexion.
Qu'il me soit cependant permis d'insister sur un point : comment pourrait-on admettre, alors même que les départements sont des investisseurs majeurs, que ces derniers soient exclus du droit de tisser des relations contractuelles avec l'Etat dans le cadre des contrats de plan, au moment où ce droit serait reconnu aux territoires qui s'organisent en " pays " ou en agglomérations ?
Ce serait oublier bien vite, pour reprendre les termes de votre mémorandum, que le conseil général est " la seule collectivité locale qui ait une mission générale de solidarités territoriale et humaine et qui exerce en fait et en droit une fonction de péréquation ".
Vous l'avez compris, j'aurai, dès aujourd'hui, avec vous, à me montrer particulièrement vigilant pour que, par nos actions et notre travail commun, nous puissions affronter les différents défis auxquels, tant les assemblées départementales, que le Sénat vont être confrontés, mais toujours avec un esprit constructif et dans le cadre d'un dialogue franc, rude et loyal.
(source http://www.senat.fr, le 18 février 2002)