Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le projet de loi sur la décentralisation et sur place du département au sein de la "République des proximités", Strasbourg le 31 octobre 2002.

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Circonstance : 4ème édition des Assises des conseillers généraux à Strasbourg (Bas-Rhin) du 29 au 31 octobre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale, cher Jean-Louis Debré,
Monsieur le Président de l'Assemblée des départements de France, cher Jean Puech,
Madame et Messieurs les Présidents de Conseil Généraux,
Mesdames et Messieurs les Conseillers Généraux,
Chers amis,
C'est un réel plaisir pour moi de vous retrouver ici, dans le cadre des Assises des Conseillers généraux de France, à un moment décisif et crucial de notre histoire territoriale.
En effet, et même si cette conjonction de calendrier ne nous a pas simplifié la vie, je vois dans la concomitance entre vos travaux et la discussion par le Sénat de la grande réforme constitutionnelle un signal fort, puisque nous vivons, si je puis dire " en direct ", un véritable aboutissement.
Oui, Mesdames et Messieurs les Conseillers généraux, le Président du Sénat est aujourd'hui un homme heureux. Heureux, car la réforme constitutionnelle que le Sénat adoptera dans les jours prochains constitue à l'évidence, au-delà de tel ou tel aspect technique, le socle d'une véritable révolution.
A cet égard, je tiens à saluer l'engagement personnel du Premier ministre dans la préparation de ce projet de loi constitutionnelle et sa volonté de faire admettre à des sérails réticents - j'y reviendrai - les principales attentes du Sénat, et de conférer ainsi à cette réforme toute sa portée historique.
C'est, en effet, la première fois que la dimension territoriale se trouve reconnue, consacrée et définie au sein même de notre Constitution. Ainsi, notre pays constituera un modèle original bien distinct des républiques " régionales " à l'italienne ou " communautaire " à l'espagnole, et plus encore " fédérales " à l'image de l'Allemagne.
Voici enfin érigée la " République territoriale ", version unitaire du fédéralisme, une République qui manifeste sa confiance envers la " France du terrain ".
Loin d'être une simple formule, cette expression résume une profonde rupture avec notre " tradition multiséculaire de centralisation ".
Aboutissement d'un processus auquel le Sénat a pris une part déterminante, cette réforme constitutionnelle est aussi, et surtout, un commencement, le point de départ d'une nouvelle ère, qui ouvre des possibilités considérables, celle de la République territoriale pour une France moderne, dynamique et solidaire.
C'est un vaste horizon qui s'ouvre aujourd'hui devant nous. Je m'en réjouis pour la République ! Je m'en réjouis pour la France !
Fondamentalement, cette réforme constitue un dépassement des conservatismes. Elle sonne le glas d'une culture étatiste, des réflexes centralisateurs et des pulsions jacobines.
Oui, cette culture est aujourd'hui révolue car elle a fait la preuve de son inefficacité, je dirais même de sa nocivité.
Le Président de la République l'a indiqué très clairement, dans son discours de Troyes, il y a quelques semaines : l'unité de la République n'est pas menacée par l'expression des libertés locales !
Cessons de brandir des peurs dépassées, cessons d'agiter l'épouvantail d'une République menacée par la reconnaissance de ses territoires, cessons d'opposer la mondialisation à la proximité.
Au contraire, la République des proximités, c'est une République revivifiée, revigorée et renforcée.
La refondation de la décentralisation constitue, en effet, d'une grande victoire sur les citadelles de la pensée unique et les gardiens défraîchis d'une conception archaïque de notre société, d'une société qui aurait peur de la diversité et qui, au fond, se méfierait de la liberté.
Alors, Mesdames et Messieurs, quelles que soient nos sensibilités, gardons-nous de donner des armes aux nostalgiques de l'étatisme et aux survivants du jacobinisme.
La décentralisation, surtout lorsqu'elle est assortie d'une consécration constitutionnelle de l'objectif de péréquation, n'est pas une menace pour l'égalité. L'égalité serait-elle, en effet, de ne jamais pouvoir accéder à des services mieux gérés, puisque gérés au plus près des besoins ?
L'égalité serait-elle l'égalité devant les limites actuelles des services publics nationaux ? Je ne le crois pas.
Le sens de l'intérêt général, la perception des réalités, la qualité croissante des services publics locaux, entraîneront, j'en fais le pari, une harmonisation à la hausse des prestations dont bénéficient nos concitoyens.
Oui, je le crois, cette rénovation des pouvoirs locaux sera bénéfique. Oui, je le crois, la démocratie locale relancée servira mieux l'égalité entre les Français que les défaillances ou les dysfonctionnements de notre système centralisé.
Il ne s'agit pas de défaire l'Etat, cet Etat qui a construit notre Nation. Bien au contraire, il s'agit de réinventer l'Etat, de le repenser, de le réorienter, de le recentrer, pour qu'il devienne enfin un Etat svelte et donc efficace, un Etat qui assume pleinement ses missions régaliennes et joue pleinement son rôle de partenaire des acteurs territoriaux.
Cette nouvelle décentralisation, cette République territoriale, c'est une République des proximités qui se construira pour le peuple, avec le peuple et par le peuple.
Je sais que cette question suscite quelques inquiétudes sur les abus que pourraient entraîner les nouvelles procédures de démocratie locale, de référendum et de demande d'inscription à l'ordre du jour d'une assemblée locale.
Mais n'oublions pas la terrible et humiliante leçon du 21 avril !
Il est urgent de revitaliser notre démocratie par l'instillation d'une dose de démocratie participative. N'abandonnons pas ce sujet aux contestataires de tous poils, dont la seule force réside dans la critique, la négativité et dont il est vain d'attendre des propositions constructives.
L' " espace local " est, en effet, le plus propice à la réimplication, au réinvestissement des citoyens dans le fonctionnement de notre démocratie. C'est le banc d'essai idéal pour expérimenter certains outils de démocratie participative.
A nous d'être plus forts que les contestataires, à nous élus démocratiques, de revendiquer fièrement notre aptitude à faire vivre cette démocratie en y associant mieux les citoyens.
Aux juristes le devoir de nous proposer les dispositifs permettant de prévenir les abus : contrôle des signatures, validation des demandes d'inscription à l'ordre du jour par une juridiction. La boîte à outils juridique ne manque pas d'instruments pour nous permettre d'envisager sereinement cette nouvelle frontière de notre démocratie.
Mais cette nouvelle ère de la décentralisation n'est-elle pas celle du " tout régional " ?
Quelle sera la place du département dans cette nouvelle architecture des pouvoirs ? J'entends, en effet, s'exprimer sur ces questions beaucoup d'interrogations, beaucoup de préoccupations, voire d'inquiétudes.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les conseillers généraux, à vous, qui êtes l'incarnation du remarquable maillage de proximité des départements de France, je l'affirme sans ambages : non, je ne suis pas inquiet.
Pas inquiet, tout d'abord, car le département se voit offrir, au même titre que les autres niveaux de collectivités territoriales, tous les espaces d'expression, tous les nouveaux instruments d'action, ainsi que tous les champs du possible dans le domaine de l'expérimentation.
Nous devons donc résister à la tentation de nous réfugier derrière une hypothétique " ligne Maginot ", sous prétexte que d'aucuns instruisent, ça et là, un procès du département ou contestent son utilité.
Certes, il existe, force est de le constater, des partisans de la suppression pure et simple du département considéré par ces " jusqu'au-boutistes " comme l'échelon de trop.
Certes, force est de reconnaître que d'autres, plus subtils, ont tenté d'organiser le dépérissement ou la mise en extinction du département en le laminant, par le haut, avec une montée en puissance de la région et par le bas, avec l'émergence des communautés d'agglomération et des pays.
Certes, force est de remarquer que certains préconisent une " évaporation douce " du département qui aurait vocation à devenir une simple circonscription de la région.
Mais il ne s'agit là, et je n'hésite pas à le dire, que d'un faux débat, d'un débat tronqué. D'abord parce que ce débat est dépassé. Qu'on le veuille ou non, le département a été confirmé dans son existence et conforté dans ses compétences par les lois Defferre.
Fils spirituel de la Révolution française, le département a su résister à l'épreuve du temps pour devenir, au fin des ans et des décennies, une instance irremplaçable de solidarité.
Débat dépassé, ce débat est aussi un débat stérile et même dangereux.
Dangereux car ce débat risque, s'il était érigé en préalable, de paralyser l'indispensable relance de la décentralisation.
Ne tombons pas dans ce piège...
En réalité, une réflexion sur nos structures territoriales devrait plutôt porter sur le nombre des régions et sur leur éventuel regroupement afin de leur conférer une taille critique européenne.
Par ailleurs, il me semble indispensable de redéfinir la place et le rôle du pays qui ne doit, en aucun cas, devenir une nouvelle collectivité territoriale.
Enfin, il est nécessaire de renforcer le couple de la proximité, c'est-à-dire la coopération entre le département et les communes ainsi que leurs instances de regroupement, en revenant sur les dispositions qui ont eu pour effet de court-circuiter l'échelon départemental. Je pense notamment au partenariat entre la région et les communautés d'agglomération par dessus la tête du département.
Quoi qu'il en soit ne cédons pas à la tentation mortifère du repli sur soi et adoptons, chers amis, une posture offensive.
Ne craignons pas d'ouvrir de nouveaux territoires d'intervention aux départements et de faire acte de candidature pour l'exercice de nouvelles compétences.
A nous de placer le département au coeur de la nouvelle décentralisation !
Cet état d'esprit, empreint de dynamisme et d'optimisme, sera d'autant mieux partagé que des garanties fiscales et financières seront consacrées dans la Constitution.
Il est certes difficile, surtout lorsqu'on est animé par une conception exigeante de la continuité de l'Etat, de lier les Gouvernements à venir. Mais il s'avère impossible de ne pas tenir compte des leçons du passé. En effet, les élus locaux ont été échaudés par les ruptures de contrat, les libertés prises avec les compensations financières et le démantèlement de la fiscalité locale.
Or l'acte II de la décentralisation ne pourra se jouer sans ou contre ses principaux acteurs que sont les élus locaux.
Dans ces conditions, la consécration dans la Constitution de garanties financières et fiscales appropriées s'apparente à une ardente obligation, car ces " rassurances " représentent les fondations et les fondements d'un nouveau contrat de confiance entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Enfin, il me semble indispensable de graver dans la Constitution le principe de l'interdiction faite à une collectivité territoriale d'exercer une tutelle sur une autre collectivité.
En effet, une telle inscription est nécessaire pour mieux circonscrire le contenu de la notion de chef de file.
Dépassement des conservatismes, réimplication des citoyens dans le débat démocratique, pérennité du département dans la nouvelle architecture des pouvoirs publics, tels sont les enjeux majeurs de l'ère nouvelle qui s'ouvre devant nous.
Je conclurai ce credo décentralisateur en vous redisant, à vous élus de terrain : ouvrez-vous, écoutez la société, comprenez-la, faites-la participer et, ainsi, ce qui peut encore apparaître aux yeux du grand public comme n'étant qu'une réforme un peu technique, prendra sa pleine dimension.
Celle d'un véritable projet de société au service d'une France plus libre, plus efficace et plus équitable, pour le progrès de notre démocratie et le bien-être de nos concitoyens.
(Source http://www.senat.fr, le 7 novembre 2002)