Texte intégral
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés,
Le 19 juin 1997, devant l'Assemblée nationale, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait indiqué sa volonté de voir créée une autorité indépendante chargée de donner un avis sur la levée du secret de la défense nationale. Il avait notamment souligné que la mise en oeuvre de la loi de 1991 permettant le contrôle des interceptions de sécurité des télécommunications ne devait pas être compromise par une utilisation abusive du secret-défense.
Concrétisant la déclaration de politique générale du Premier ministre, le projet de loi instituant une Commission du secret de la défense nationale que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui, marque la volonté du Gouvernement d'inscrire l'action de l'Etat dans un cadre de droit modernisé. Il vise à empêcher que l'opposition du secret ne soit utilisée sans contrôle par le pouvoir exécutif pour limiter l'action de l'autorité judiciaire. Il doit permettre de mettre fin aux possibles détournements de la finalité du secret qui nuisent à la légitimité même de celui-ci.
1) MODERNISER L'ETAT DE DROIT
Le " secret-défense " est historiquement lié à la raison d'Etat. Aujourd'hui, le doute entoure encore parfois l'utilisation du secret-défense qui est perçue dans certains cas comme abusive par l'opinion publique. Cet usage ne peut être accepté car il est contraire au principe de la séparation des pouvoirs, lorsque le secret-défense permet au pouvoir exécutif de limiter l'action de l'autorité judiciaire. L'absence de contrôle comme les détournements de la finalité du secret font craindre en effet dans certaines circonstances à nos concitoyens que ne se manifeste l'arbitraire, laissant subsister une brèche dans l'Etat de droit et les fondements du pacte démocratique.
Pour remédier à cette situation, le Gouvernement a décidé de réformer le droit du secret de la défense nationale. En créant la Commission du secret de la défense nationale, le Gouvernement souhaite ainsi créer les conditions d'un équilibre renouvelé entre, d'une part, le respect des libertés individuelles et, d'autre part, la préservation de l'efficacité de nos moyens de sécurité intérieure et extérieure.
Le secret est en effet indispensable pour sauvegarder les intérêts fondamentaux de la Nation. Nul ne conteste que, face à des dangers multiples et pour assurer la sécurité interne et externe du pays, certaines actions, certains documents ou l'identité de certains agents, n'ont pas à être rendus publics. Cette protection de l'information laisse toutefois subsister le risque, dans ces domaines de souveraineté, d'atteintes à des intérêts individuels. Le projet de loi vise à conforter la légitimité de cette protection.
Je voudrais insister tout particulièrement sur cette volonté de transparence du pouvoir exécutif. Tant qu'il peut y avoir suspicion sur le détournement de moyens de souveraineté majeurs, on contribue à affaiblir l'esprit démocratique. Le secret-défense ne doit plus pouvoir être opposé, au nom des objectifs partisans d'un gouvernement ou des intérêts individuels qu'il entendrait protéger, sur des dossiers mettant gravement en jeu les libertés. Le Gouvernement a la volonté de mieux encadrer l'action de l'exécutif dans ce domaine. Il s'agit bien de mettre fin, comme l'a souhaité la plus haute juridiction administrative, à l'un des derniers angles morts de notre Etat de droit.
Le Conseil d'Etat avait en effet préconisé la création de la Commission du secret de la défense nationale, autorité administrative indépendante dans son rapport public de 1995, car comme le souligne ce rapport " le soupçon délétère qui a, dans plus d'un cas, entaché le recours à la notion de secret-défense, milite en faveur d'une innovation importante propre à attester et de la confiance de la République dans la légitimité des pratiques généralement suivies en la matière et de la détermination de ses choix démocratiques ". Dans son rapport d'activité pour 1996, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité avait partagé les préoccupations exprimées par le Conseil d'Etat.
La Commission que je vous propose de créer doit apporter la garantie publique aux justiciables et aux juges, et plus généralement aux citoyens, que le secret-défense est légitimement invoqué à bon escient dans l'intérêt de la Nation.
Cette création s'inscrit dans la poursuite de la modernisation de l'Etat de droit voulue par le Gouvernement.
Plusieurs réformes ont, au tournant des années quatre-vingts, développé les droits des usagers et élargi le champ de la transparence administrative : création de la CNIL et de la CADA en 1978, accès aux archives en 1979, amélioration des relations entre l'administration et les usagers et démocratisation des enquêtes publiques en 1983. Ces réformes n'avaient cependant pas concerné les fonctions les plus régaliennes de l'Etat. Celles-ci demeuraient à l'abri de tout contrôle.
Le projet de loi sur le secret-défense traduit la volonté gouvernementale de renforcer le contrôle de l'action publique dans les domaines régaliens. Un tel renforcement a déjà été initié par la loi du 10 juillet 1991 qui réglemente les écoutes téléphoniques. Le Gouvernement entend développer cette modernisation de l'Etat de droit, tant pour le secret-défense qu'avec la création d'une autorité indépendante en charge de la déontologie des organismes de sécurité qui sera examiné prochainement par le parlement.
Le projet de loi s'inscrit également dans le cadre de la politique gouvernementale à l'égard de l'autorité judiciaire. Le juge pourra désormais s'adresser à une autorité administrative indépendante lorsque le pouvoir exécutif lui opposera le secret de la défense nationale. Il sera ainsi mis un terme au colloque singulier qui voyait jusqu'à présent le pouvoir exécutif décider sans contrôle du cours de la justice.
II) LES DISPOSITIONS ESSENTIELLES DU PROJET DE LOI VISENT A GARANTIR L'INDEPENDANCE DE LA NOUVELLE COMMISSION
Le projet de loi propose d'instaurer une autorité administrative indépendante qui se pose en intermédiaire entre les juges et le pouvoir exécutif.
Certains se sont interrogés sur la nécessité d'un texte législatif pour mettre en place une telle réforme.
Une loi et non un décret est nécessaire pour instituer la commission du secret de la défense nationale pour trois raisons :
- Tout d'abord, une loi est nécessaire pour créer une autorité administrative indépendante. Certes, l'article 34 de la Constitution ne mentionne pas une telle matière car il n'existait pas d'autorités administratives indépendantes en 1958. Néanmoins, il existe de nombreux précédents qui confirment qu'il est du ressort de la loi de créer une telle autorité : la loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale informatique et libertés, la loi du 17 juillet 1978 créant la Commission d'accès aux documents administratifs, la loi du 21 juillet 1983 créant la Commission de sécurité des consommateurs, la loi du 10 juillet 1991 créant la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
- En second lieu, le caractère obligatoire de la consultation d'une autorité administrative indépendante constitue une garantie pour les citoyens. De ce fait elle relève de la loi en application de l'article 34 au titre des " garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ". Le Conseil Constitutionnel a ainsi jugé en 1992 que la consultation de la Commission des clauses abusives constituait une garantie essentielle relevant du domaine de la loi alors même que les avis rendus n'étaient que purement consultatifs. Tel est le cas de la Commission du secret de la défense nationale qui devra être obligatoirement consultée. Sa création constitue donc, une garantie de l'exercice des libertés publiques relevant de l'article 34 de la Constitution.
- Enfin, certaines des caractéristiques du projet relèvent, en tant que telles, de la loi. Il en va par exemple ainsi des articles 5 et 6 relatifs aux pouvoirs de la Commission. D'une part, le président de la Commission peut mener toutes les investigations utiles. D'autre part, les ministres, les autorités publiques, les agents publics ne peuvent s'opposer à l'action de la Commission pour quelque motif que ce soit. Ces dispositions exorbitantes du droit commun sont du niveau législatif.
Cette autorité sera systématiquement consultée lorsque l'administration sera saisie de la demande d'une juridiction française tendant à la communication d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises.
Il en va notamment ainsi pour les classifications en vigueur au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) dont seules ces organisations internationales peuvent, dans le cadre des traités qui les instituent, fixer la réglementation.
La Commission du secret de la défense nationale donnera un avis au Premier ministre ou au ministre ayant procédé à la classification. Ce rôle implique que la Commission comprenne des membres des plus hautes juridictions. Ceci est prévu par l'article 2 du projet de loi.
La présence de magistrats permettra d'assurer la prise en considération, dans la décision de la Commission, de l'intérêt de l'accomplissement des missions de la justice, de garantir la qualité juridique d'un travail mené par des professionnels du droit des différentes juridictions, judiciaire, administrative et financière et, enfin, permettra de donner un caractère indépendant aux avis de la Commission.
Pour des impératifs de cohérence avec la loi du 10 juillet 1991, il est proposé que le président de la Commission soit de droit le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La notion de secret de la défense nationale figure en effet parmi les critères essentiels pris en compte par la CNCIS. Sa nomination s'exercera donc dans le cadre des garanties figurant à l'article 13 de la loi du 10 juillet 1991.
Par ailleurs, le projet propose que la Commission comprenne deux personnalités qualifiées dans les domaines dont cette instance aura à connaître, choisies parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Ces personnalités seront désignées par le président de la République sur une liste de six noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes.
Le mandat des membres de la Commission sera de six ans et il ne sera pas renouvelable. Sauf le cas de démission, il ne pourra être mis fin à leurs fonctions qu'en cas d'empêchement constaté par la commission. Toutefois, afin d'assurer une continuité dans la jurisprudence de la commission, il serait peut être utile de décaler les dates de nomination des membres. Nous examinerons ce point au cours de l'examen des arti-cles.
S'agissant de sa saisine, lorsqu'une juridiction française, de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire sera amenée, à l'occasion d'une procédure engagée devant elle, à solliciter la communication d'informations classifiées, l'autorité administrative ayant procédé à la classification saisira la Commission sans délai. Cette demande devra être motivée. Ainsi, tout magistrat français, notamment un juge d'instruction, voulant avoir accès à des informations classifiées pourra saisir l'autorité administrative en motivant sa demande sur la base du dossier en cours d'instruction.
La question de la saisine de la Commission par les juridictions internationales ou à l'occasion de procédures engagées à l'étranger mérite d'être précisée.
Tout d'abord, la loi ne peut que limiter aux juridictions françaises la possibilité de saisine de la Commission. Il ne lui revient en effet pas de régir les modalités d'organisation des juridictions internationales. Celles-ci sont fixées par les traités multilatéraux institutifs de ces juridictions. Ces traités reconnaissent tous l'opposition du secret-défense mais ne renvoient jamais au droit national le soin d'évaluer les conditions et les suites de cette opposition. Il serait en effet impossible aux juridictions internationales d'avoir à appliquer le droit national de tous les Etats qui en sont membres. Surtout, l'action de ces juridictions ne peut varier en fonction de l'état du droit national. L'application d'une telle procédure entraînerait en effet une absence d'égalité entre citoyens de différents Etats soumis à ces juridictions.
Je précise que cette prise en compte du secret-défense et cette absence de renvoi au droit national figurent dans tous les statuts des juridictions internationales :
Il en est ainsi de :
- l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 qui autorise les restrictions à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations " qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles " ;
- l'article 223 du traité sur l'Union européenne dispose " qu'aucun Etat membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité " ;
- ou encore, l'article 49 du statut de la Cour internationale de la justice qui prévoit que " la Cour peut, même avant tout débat, demander aux agents de produire tout document et de fournir toutes explications. En cas de refus, elle en prend acte ".
De même, le projet de loi écarte volontairement le cas d'un juge français agissant pour un juge étranger dans le cadre d'une commission rogatoire internationale. L'exécution d'une commission rogatoire internationale ne constitue en effet pas une " procédure engagée " devant une juridiction française.
Il est utile de rappeler qu'une commission rogatoire internationale en matière pénale est un mandat donné par l'autorité judiciaire d'un Etat à une autorité judiciaire d'un autre Etat afin qu'elle procède, en ses lieux et place, à un ou plusieurs actes d'instruction spécifiés dans le mandat. Ainsi, dans l'hypothèse où un juge français exécute une commission rogatoire internationale adressée par un juge étranger, la " procédure " demeure " engagée " devant ce dernier et non devant le juge français. Celui-ci est seulement requis pour exécuter un mandat précis comme l'audition de témoins ou la communication de pièces.
L'inapplication du nouveau dispositif sur le secret-défense aux commissions rogatoires internationales est donc la seule orientation possible car :
- d'une part, le régime juridique des commissions rogatoires internationales est fixé par des conventions d'entraide pénale internationale, par exemple par la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. Ce sont ces conventions et non le droit national qui déterminent les règles d'exécution des commissions rogatoires ;
- d'autre part, l'application du droit national conduirait comme dans le cas des conventions internationales évoquées précédemment à une absence de réciprocité et donc d'égalité de traitement.
Concernant les délais, des garanties sont apportées car il est précisé que la Commission doit être saisie sans délai par le Gouvernement et elle doit émettre un avis dans les deux mois qui suivent sa saisine. Toute possibilité de manoeuvres dilatoires visant à reculer le prononcé de cet avis est donc éliminée.
La Commission devra prendre en considération tant les missions du service public de la justice que les exi-gences du respect des engagements internationaux de la France et la nécessité de préserver les capacités de défense ainsi que la sécurité des personnels.
Le président de la Commission disposera de pouvoirs importants et sera autorisé à mener toutes investiga-tions utiles. Les autres membres seront autorisés à connaître toute information classifiée dans le cadre de leur mission. De ce fait, ils seront tenus de respecter le secret en ce qui concerne les actes ou renseigne-ments dont ils auront connaissance à raison de leurs fonctions.
Dans un souci de parfaite transparence, les ministres, autorités et agents publics ne pourront s'opposer à l'action de la Commission pour quelque motif que ce soit et devront prendre toute mesure utile pour faciliter son action.
Le sens de l'avis de la Commission pourra se traduire dans trois sens : favorable ; partiellement favorable afin de protéger certains éléments d'information très sensibles ou non indispensables à la bonne information de la justice ; ou défavorable à la communication des informations. Il sera rendu public par la Commission. L'autorité ayant saisi la Commission du secret de la défense nationale ne sera pas liée par l'avis de cette instance et conservera donc un pouvoir propre d'appréciation.
Au terme de cette procédure, il reviendra au pouvoir exécutif de se prononcer. Cette responsabilité politique demeure plus que jamais. Dans le délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de la Commission, l'autorité administrative devra donc notifier sa décision à la juridiction ayant formulé la demande de communication du document classifié.
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Mesdames, Messieurs les Députés,
Au delà de cette réforme, j'entends compléter l'action engagée afin d'utiliser dans sa juste mesure la notion de secret en redéfinissant les critères de classification qui relèvent, comme vous le savez, du règlement. C'est en effet un décret du 12 mai 1981 qui définit actuellement les normes de classement assurant la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la défense nationale. L'évolution des outils de communication, la large diffusion des informations scientifiques et techniques doivent nous conduire à revoir ces normes. Par ailleurs, il est nécessaire de classifier moins pour classifier mieux. Par routine, les classifications sont trop largement utilisées. Il convient donc à la fois de revoir les textes et de faire évoluer les pratiques.
Au total, la réforme ainsi engagée permettra de renforcer la légitimité de l'action publique en l'inscrivant dans un Etat de droit modernisé. En cela, elle s'inscrit dans la politique gouvernementale de recherche d'un équilibre renouvelé des institutions républicaines qu'appellent de leurs voeux les Français.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)
Le 19 juin 1997, devant l'Assemblée nationale, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait indiqué sa volonté de voir créée une autorité indépendante chargée de donner un avis sur la levée du secret de la défense nationale. Il avait notamment souligné que la mise en oeuvre de la loi de 1991 permettant le contrôle des interceptions de sécurité des télécommunications ne devait pas être compromise par une utilisation abusive du secret-défense.
Concrétisant la déclaration de politique générale du Premier ministre, le projet de loi instituant une Commission du secret de la défense nationale que j'ai l'honneur de vous soumettre aujourd'hui, marque la volonté du Gouvernement d'inscrire l'action de l'Etat dans un cadre de droit modernisé. Il vise à empêcher que l'opposition du secret ne soit utilisée sans contrôle par le pouvoir exécutif pour limiter l'action de l'autorité judiciaire. Il doit permettre de mettre fin aux possibles détournements de la finalité du secret qui nuisent à la légitimité même de celui-ci.
1) MODERNISER L'ETAT DE DROIT
Le " secret-défense " est historiquement lié à la raison d'Etat. Aujourd'hui, le doute entoure encore parfois l'utilisation du secret-défense qui est perçue dans certains cas comme abusive par l'opinion publique. Cet usage ne peut être accepté car il est contraire au principe de la séparation des pouvoirs, lorsque le secret-défense permet au pouvoir exécutif de limiter l'action de l'autorité judiciaire. L'absence de contrôle comme les détournements de la finalité du secret font craindre en effet dans certaines circonstances à nos concitoyens que ne se manifeste l'arbitraire, laissant subsister une brèche dans l'Etat de droit et les fondements du pacte démocratique.
Pour remédier à cette situation, le Gouvernement a décidé de réformer le droit du secret de la défense nationale. En créant la Commission du secret de la défense nationale, le Gouvernement souhaite ainsi créer les conditions d'un équilibre renouvelé entre, d'une part, le respect des libertés individuelles et, d'autre part, la préservation de l'efficacité de nos moyens de sécurité intérieure et extérieure.
Le secret est en effet indispensable pour sauvegarder les intérêts fondamentaux de la Nation. Nul ne conteste que, face à des dangers multiples et pour assurer la sécurité interne et externe du pays, certaines actions, certains documents ou l'identité de certains agents, n'ont pas à être rendus publics. Cette protection de l'information laisse toutefois subsister le risque, dans ces domaines de souveraineté, d'atteintes à des intérêts individuels. Le projet de loi vise à conforter la légitimité de cette protection.
Je voudrais insister tout particulièrement sur cette volonté de transparence du pouvoir exécutif. Tant qu'il peut y avoir suspicion sur le détournement de moyens de souveraineté majeurs, on contribue à affaiblir l'esprit démocratique. Le secret-défense ne doit plus pouvoir être opposé, au nom des objectifs partisans d'un gouvernement ou des intérêts individuels qu'il entendrait protéger, sur des dossiers mettant gravement en jeu les libertés. Le Gouvernement a la volonté de mieux encadrer l'action de l'exécutif dans ce domaine. Il s'agit bien de mettre fin, comme l'a souhaité la plus haute juridiction administrative, à l'un des derniers angles morts de notre Etat de droit.
Le Conseil d'Etat avait en effet préconisé la création de la Commission du secret de la défense nationale, autorité administrative indépendante dans son rapport public de 1995, car comme le souligne ce rapport " le soupçon délétère qui a, dans plus d'un cas, entaché le recours à la notion de secret-défense, milite en faveur d'une innovation importante propre à attester et de la confiance de la République dans la légitimité des pratiques généralement suivies en la matière et de la détermination de ses choix démocratiques ". Dans son rapport d'activité pour 1996, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité avait partagé les préoccupations exprimées par le Conseil d'Etat.
La Commission que je vous propose de créer doit apporter la garantie publique aux justiciables et aux juges, et plus généralement aux citoyens, que le secret-défense est légitimement invoqué à bon escient dans l'intérêt de la Nation.
Cette création s'inscrit dans la poursuite de la modernisation de l'Etat de droit voulue par le Gouvernement.
Plusieurs réformes ont, au tournant des années quatre-vingts, développé les droits des usagers et élargi le champ de la transparence administrative : création de la CNIL et de la CADA en 1978, accès aux archives en 1979, amélioration des relations entre l'administration et les usagers et démocratisation des enquêtes publiques en 1983. Ces réformes n'avaient cependant pas concerné les fonctions les plus régaliennes de l'Etat. Celles-ci demeuraient à l'abri de tout contrôle.
Le projet de loi sur le secret-défense traduit la volonté gouvernementale de renforcer le contrôle de l'action publique dans les domaines régaliens. Un tel renforcement a déjà été initié par la loi du 10 juillet 1991 qui réglemente les écoutes téléphoniques. Le Gouvernement entend développer cette modernisation de l'Etat de droit, tant pour le secret-défense qu'avec la création d'une autorité indépendante en charge de la déontologie des organismes de sécurité qui sera examiné prochainement par le parlement.
Le projet de loi s'inscrit également dans le cadre de la politique gouvernementale à l'égard de l'autorité judiciaire. Le juge pourra désormais s'adresser à une autorité administrative indépendante lorsque le pouvoir exécutif lui opposera le secret de la défense nationale. Il sera ainsi mis un terme au colloque singulier qui voyait jusqu'à présent le pouvoir exécutif décider sans contrôle du cours de la justice.
II) LES DISPOSITIONS ESSENTIELLES DU PROJET DE LOI VISENT A GARANTIR L'INDEPENDANCE DE LA NOUVELLE COMMISSION
Le projet de loi propose d'instaurer une autorité administrative indépendante qui se pose en intermédiaire entre les juges et le pouvoir exécutif.
Certains se sont interrogés sur la nécessité d'un texte législatif pour mettre en place une telle réforme.
Une loi et non un décret est nécessaire pour instituer la commission du secret de la défense nationale pour trois raisons :
- Tout d'abord, une loi est nécessaire pour créer une autorité administrative indépendante. Certes, l'article 34 de la Constitution ne mentionne pas une telle matière car il n'existait pas d'autorités administratives indépendantes en 1958. Néanmoins, il existe de nombreux précédents qui confirment qu'il est du ressort de la loi de créer une telle autorité : la loi du 6 janvier 1978 créant la Commission nationale informatique et libertés, la loi du 17 juillet 1978 créant la Commission d'accès aux documents administratifs, la loi du 21 juillet 1983 créant la Commission de sécurité des consommateurs, la loi du 10 juillet 1991 créant la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
- En second lieu, le caractère obligatoire de la consultation d'une autorité administrative indépendante constitue une garantie pour les citoyens. De ce fait elle relève de la loi en application de l'article 34 au titre des " garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ". Le Conseil Constitutionnel a ainsi jugé en 1992 que la consultation de la Commission des clauses abusives constituait une garantie essentielle relevant du domaine de la loi alors même que les avis rendus n'étaient que purement consultatifs. Tel est le cas de la Commission du secret de la défense nationale qui devra être obligatoirement consultée. Sa création constitue donc, une garantie de l'exercice des libertés publiques relevant de l'article 34 de la Constitution.
- Enfin, certaines des caractéristiques du projet relèvent, en tant que telles, de la loi. Il en va par exemple ainsi des articles 5 et 6 relatifs aux pouvoirs de la Commission. D'une part, le président de la Commission peut mener toutes les investigations utiles. D'autre part, les ministres, les autorités publiques, les agents publics ne peuvent s'opposer à l'action de la Commission pour quelque motif que ce soit. Ces dispositions exorbitantes du droit commun sont du niveau législatif.
Cette autorité sera systématiquement consultée lorsque l'administration sera saisie de la demande d'une juridiction française tendant à la communication d'informations ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises.
Il en va notamment ainsi pour les classifications en vigueur au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) dont seules ces organisations internationales peuvent, dans le cadre des traités qui les instituent, fixer la réglementation.
La Commission du secret de la défense nationale donnera un avis au Premier ministre ou au ministre ayant procédé à la classification. Ce rôle implique que la Commission comprenne des membres des plus hautes juridictions. Ceci est prévu par l'article 2 du projet de loi.
La présence de magistrats permettra d'assurer la prise en considération, dans la décision de la Commission, de l'intérêt de l'accomplissement des missions de la justice, de garantir la qualité juridique d'un travail mené par des professionnels du droit des différentes juridictions, judiciaire, administrative et financière et, enfin, permettra de donner un caractère indépendant aux avis de la Commission.
Pour des impératifs de cohérence avec la loi du 10 juillet 1991, il est proposé que le président de la Commission soit de droit le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La notion de secret de la défense nationale figure en effet parmi les critères essentiels pris en compte par la CNCIS. Sa nomination s'exercera donc dans le cadre des garanties figurant à l'article 13 de la loi du 10 juillet 1991.
Par ailleurs, le projet propose que la Commission comprenne deux personnalités qualifiées dans les domaines dont cette instance aura à connaître, choisies parmi les membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Ces personnalités seront désignées par le président de la République sur une liste de six noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes.
Le mandat des membres de la Commission sera de six ans et il ne sera pas renouvelable. Sauf le cas de démission, il ne pourra être mis fin à leurs fonctions qu'en cas d'empêchement constaté par la commission. Toutefois, afin d'assurer une continuité dans la jurisprudence de la commission, il serait peut être utile de décaler les dates de nomination des membres. Nous examinerons ce point au cours de l'examen des arti-cles.
S'agissant de sa saisine, lorsqu'une juridiction française, de l'ordre administratif ou de l'ordre judiciaire sera amenée, à l'occasion d'une procédure engagée devant elle, à solliciter la communication d'informations classifiées, l'autorité administrative ayant procédé à la classification saisira la Commission sans délai. Cette demande devra être motivée. Ainsi, tout magistrat français, notamment un juge d'instruction, voulant avoir accès à des informations classifiées pourra saisir l'autorité administrative en motivant sa demande sur la base du dossier en cours d'instruction.
La question de la saisine de la Commission par les juridictions internationales ou à l'occasion de procédures engagées à l'étranger mérite d'être précisée.
Tout d'abord, la loi ne peut que limiter aux juridictions françaises la possibilité de saisine de la Commission. Il ne lui revient en effet pas de régir les modalités d'organisation des juridictions internationales. Celles-ci sont fixées par les traités multilatéraux institutifs de ces juridictions. Ces traités reconnaissent tous l'opposition du secret-défense mais ne renvoient jamais au droit national le soin d'évaluer les conditions et les suites de cette opposition. Il serait en effet impossible aux juridictions internationales d'avoir à appliquer le droit national de tous les Etats qui en sont membres. Surtout, l'action de ces juridictions ne peut varier en fonction de l'état du droit national. L'application d'une telle procédure entraînerait en effet une absence d'égalité entre citoyens de différents Etats soumis à ces juridictions.
Je précise que cette prise en compte du secret-défense et cette absence de renvoi au droit national figurent dans tous les statuts des juridictions internationales :
Il en est ainsi de :
- l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 qui autorise les restrictions à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations " qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles " ;
- l'article 223 du traité sur l'Union européenne dispose " qu'aucun Etat membre n'est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité " ;
- ou encore, l'article 49 du statut de la Cour internationale de la justice qui prévoit que " la Cour peut, même avant tout débat, demander aux agents de produire tout document et de fournir toutes explications. En cas de refus, elle en prend acte ".
De même, le projet de loi écarte volontairement le cas d'un juge français agissant pour un juge étranger dans le cadre d'une commission rogatoire internationale. L'exécution d'une commission rogatoire internationale ne constitue en effet pas une " procédure engagée " devant une juridiction française.
Il est utile de rappeler qu'une commission rogatoire internationale en matière pénale est un mandat donné par l'autorité judiciaire d'un Etat à une autorité judiciaire d'un autre Etat afin qu'elle procède, en ses lieux et place, à un ou plusieurs actes d'instruction spécifiés dans le mandat. Ainsi, dans l'hypothèse où un juge français exécute une commission rogatoire internationale adressée par un juge étranger, la " procédure " demeure " engagée " devant ce dernier et non devant le juge français. Celui-ci est seulement requis pour exécuter un mandat précis comme l'audition de témoins ou la communication de pièces.
L'inapplication du nouveau dispositif sur le secret-défense aux commissions rogatoires internationales est donc la seule orientation possible car :
- d'une part, le régime juridique des commissions rogatoires internationales est fixé par des conventions d'entraide pénale internationale, par exemple par la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959. Ce sont ces conventions et non le droit national qui déterminent les règles d'exécution des commissions rogatoires ;
- d'autre part, l'application du droit national conduirait comme dans le cas des conventions internationales évoquées précédemment à une absence de réciprocité et donc d'égalité de traitement.
Concernant les délais, des garanties sont apportées car il est précisé que la Commission doit être saisie sans délai par le Gouvernement et elle doit émettre un avis dans les deux mois qui suivent sa saisine. Toute possibilité de manoeuvres dilatoires visant à reculer le prononcé de cet avis est donc éliminée.
La Commission devra prendre en considération tant les missions du service public de la justice que les exi-gences du respect des engagements internationaux de la France et la nécessité de préserver les capacités de défense ainsi que la sécurité des personnels.
Le président de la Commission disposera de pouvoirs importants et sera autorisé à mener toutes investiga-tions utiles. Les autres membres seront autorisés à connaître toute information classifiée dans le cadre de leur mission. De ce fait, ils seront tenus de respecter le secret en ce qui concerne les actes ou renseigne-ments dont ils auront connaissance à raison de leurs fonctions.
Dans un souci de parfaite transparence, les ministres, autorités et agents publics ne pourront s'opposer à l'action de la Commission pour quelque motif que ce soit et devront prendre toute mesure utile pour faciliter son action.
Le sens de l'avis de la Commission pourra se traduire dans trois sens : favorable ; partiellement favorable afin de protéger certains éléments d'information très sensibles ou non indispensables à la bonne information de la justice ; ou défavorable à la communication des informations. Il sera rendu public par la Commission. L'autorité ayant saisi la Commission du secret de la défense nationale ne sera pas liée par l'avis de cette instance et conservera donc un pouvoir propre d'appréciation.
Au terme de cette procédure, il reviendra au pouvoir exécutif de se prononcer. Cette responsabilité politique demeure plus que jamais. Dans le délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de la Commission, l'autorité administrative devra donc notifier sa décision à la juridiction ayant formulé la demande de communication du document classifié.
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Mesdames, Messieurs les Députés,
Au delà de cette réforme, j'entends compléter l'action engagée afin d'utiliser dans sa juste mesure la notion de secret en redéfinissant les critères de classification qui relèvent, comme vous le savez, du règlement. C'est en effet un décret du 12 mai 1981 qui définit actuellement les normes de classement assurant la protection des renseignements, objets, documents ou procédés intéressant la défense nationale. L'évolution des outils de communication, la large diffusion des informations scientifiques et techniques doivent nous conduire à revoir ces normes. Par ailleurs, il est nécessaire de classifier moins pour classifier mieux. Par routine, les classifications sont trop largement utilisées. Il convient donc à la fois de revoir les textes et de faire évoluer les pratiques.
Au total, la réforme ainsi engagée permettra de renforcer la légitimité de l'action publique en l'inscrivant dans un Etat de droit modernisé. En cela, elle s'inscrit dans la politique gouvernementale de recherche d'un équilibre renouvelé des institutions républicaines qu'appellent de leurs voeux les Français.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)