Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, à RTL le 17 octobre 1999, sur le climat politique et l'actualité parlementaire, les échéances électorales en 2001 et 2002, le cumul des mandats et la représentation de la droite.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

Texte intégral

Olivier MAZEROLLE : Bonjour Monsieur BAYROU. Vous jugez urgent de rétablir la primauté du rôle du président de la République dans la vie politique française et pour cela vous vous êtes prononcés il y a quelques semaines dans le journal " Le Monde " pour l'inversion du calendrier électoral, vous souhaitez que les élections présidentielles soient organisées avant les élections législatives, faute de quoi, dites vous, la Vème république est dénaturée. Nous allons parler de vos projets ainsi que de l'état de la droite, qu'on entend pas beaucoup ces temps-ci, Anita HAUSSER et Patrick JARREAU participent à ce Grand Jury retransmis sur RTL et LCI, le MONDE publiera l'essentiel de vos propos dans son édition de demain. Mais avant d'en venir à vos projets, je vous propose de parler de la politique gouvernementale et de la gauche plurielle. Après la manifestation du parti communiste qui a eu lieu hier, Robert HUE affirme " plus rien ne sera comme avant ". Alors est-ce également votre avis, plus rien désormais ne sera comme avant pour le gouvernement ?
François BAYROU : Je crois que si l'on regarde la France en général, quelque chose est en train de bouger, je ne parle pas seulement de la manifestation du PC hier, on va y revenir dans une seconde, mais la manifestation des médecins aujourd'hui, des manifestations à l'intérieur de l'éducation nationale, bref un climat qui est, me semble-t-il pour le gouvernement beaucoup moins favorable qui ne l'a été. Et cela à juste titre, parce que beaucoup de français, des professions, j'en ai cité quelques unes, des entreprises, on parlera j'imagine des 35 heures, des français de gauche aussi se sentent trompés comme si le double langage du gouvernement, flattant chacun de ses interlocuteurs dans le sens du poil mais évidemment incapables de mettre la politique qui convient à chacun, comme si ce gouvernement du double langage était, enfin se heurtait désormais à une lucidité nouvelle des français.
Olivier MAZEROLLE : Mais où est le double langage ?
François BAYROU : Oh bien sur les, vous le savez bien, sur l'emploi. Par exemple, vous avez d'un côté des gens qui ont cru en votant pour le gouvernement JOSPIN ou en tout cas, pour la majorité, qu'ils allaient avoir la politique de gauche, la réglementation qu'ils attendent et puis ils s'aperçoivent ensuite, à propos de l'affaire MICHELIN, qu'il n'en ait rien, de même que des médecins ont cru de bonne foi aux sornettes qu'on leur racontait sur le fait que leurs revendications seraient prises en compte et puis ils s'aperçoivent que c'est tout le contraire qui est en jeu et donc je trouve que cet exercice d'équilibrisme, ce grand écart que le gouvernement est amené à faire entre le pied qui repose sur le tabouret le plus à gauche et le pied qui repose sur le tabouret STRAUSS-KAHN, mettons, les deux tabourets étant en train de s'écarter l'un de l'autre, ce grand écart devient dangereux et je trouve qu'il y a risque de, comment on dit en sport, claquage.
Anita HAUSSER : Mais vous aviez dit, au moment du discours de Strasbourg de Lionel JOSPIN, qu'il effaçait ces déclarations sur France 2, c'est-à-dire qu'il gauchisait son propos.
François BAYROU : Non, j'ai dit que le but du discours de Strasbourg c'était d'effacer ce qu'il avait dit sur France 2.
Anita HAUSSER : Mais quand vous dites il a les pieds sur deux tabourets, est-ce qu'il oscille ou est-ce qu'il est immobile ? Comment est-ce que vous définissez actuellement la politique de Lionel JOSPIN ?
François BAYROU : J'ai beaucoup de mal, parce que c'est une politique, que vous preniez le budget ou que vous preniez les comptes sociaux, ou que vous preniez, c'est une politique qui en tout cas refuse la transparence et on peut en parler sur les chiffres, on peut en parler sur les transferts de budget à budget, qu'est-ce que ça veut dire par exemple que de financer les 35 heures à partir de la sécu, ou à partir de la taxe pollution. Pour prendre ce seul exemple, une taxe pollution ça devrait servir à défendre l'environnement ou à protéger l'environnement, en tout cas c'est pour ça que c'est fait et s'en servir pour les 35 heures ça parait abracadabrant. Donc, oui, je trouve que c'est une politique qui manque de lisibilité mais je profite de la question que vous posiez à l'instant, pour tout de même montrer du doigt, pointer ce qu'est l'état actuel de la majorité aujourd'hui. Des partis membres de la majorité qui défilent avec une mise en cause de la politique de cette majorité ou de la politique gouvernementale. Qu'est-ce qu'on ne dirait pas ? Qu'est ce qu'on aurait pas dit si la majorité que nous formions UDF - RPR hier avait eu un de ses partis qui manifestent contre l'autre ? Qu'est-ce qu'on aurait pas écrit ? Quel cataclysme, quel apocalypse n'aurait on pas annoncé ? Et bien je trouve que tout ça est une situation un peu déstabilisé pour le gouvernement et c'est pour cela que je disais " il me semble qu'il y a quelque chose qui bouge ".
Patrick JARREAU : Alors parlons, si vous le voulez bien, des principaux dossiers gouvernementaux ou que le gouvernement a mis sur le bureau du Parlement et qui sont arrivés ou qui vont arrivés dans les prochains jours, les prochaines semaines, l'Assemblée a terminé, plus tôt que prévu semble-t-il, dans la nuit de vendredi à samedi, l'examen, première lecture, du projet de loi sur les 35 heures. Est-ce qu'à votre avis, cette seconde loi 35 heures, qui va fixer la durée légale du travail à 35 heures au 1er Janvier 2000, est-ce que cette loi elle va être appliquée ?
François BAYROU : Vous voulez dire ?
Patrick JARREAU : Est-ce que à partir du 1er Janvier 2000, effectivement, la durée légale du travail, la durée effective du travail sera de 35 heures, est-ce que les entreprises, selon vous, se conformeront à cette loi, est-ce que le gouvernement fera en sorte qu'elles se conforment à la loi ?
François BAYROU : D'abord ce n'est que pour une partie, à partir du 1er Janvier 2000, vous le savez ça n'est que pour une partie des salariés. Moi je ne sais pas exactement ce que sera le texte de la loi, je sais en revanche que la philosophie sur laquelle elle repose est fausse et nuisible et qu'il faut avoir le courage de le dire même si on est pas forcément populaire en le disant. Et que beaucoup de français, principalement ceux qui sont les plus engagés, créateurs d'entreprises ou à la tête de petites et moyennes entreprises, c'est-à-dire les français entre les mains de qui reposent la création d'emplois, parce que la deuxième loi c'est bien au véritable gisement d'emplois qu'elle s'adresse, c'est-à-dire aux plus petites des entreprises françaises. Ces français là, ils sont profondément inquiets, troublés et amers, parce qu'ils ont l'impression d'avoir entre les mains la boussole du bon sens élémentaire et puis d'être trompés, menés sur une mauvaise voie et ils n'entendent pas la protestation de l'opposition en particulier telle qu'elle devrait se faire entendre. C'est une constante, moi je rencontre très très souvent des petits groupes de français de la rue, comme ça, pour essayer de sentir ce qu'ils disent et veulent et ils disent tout le temps " on ne vous entend pas " et notamment sur ce sujet là. Ils ont eu l'impression que seul le MEDEF s'était exprimé,
Olivier MAZEROLLE : Mais qui ils ?
François BAYROU : Je ne sais pas, nous avons sûrement une part de responsabilité, peut-être en avez vous une aussi. Ils ont l'impression, c'est pas une mise en cause, je décris exactement ce qu'ils me disent.
Olivier MAZEROLLE : Mais en quoi cette loi sur les 35 heures est-elle aussi néfaste pour les entreprises ?
François BAYROU : Je vous répond dans une seconde. Ils ont l'impression qu'il y a une espèce d'indulgence des médias et des classes dirigeantes acquises au pouvoir sur ce sujet. Et il me semble que c'est pas bon que les français réagissent ainsi, surtout ceux qui ont la charge de la création d'emplois. Il faut donc dire haut et fort et simplement que cette loi nous parait mauvaise. Alors je vais essayer de dire pourquoi.
Anita HAUSSER : Pourquoi vous ne l'avez pas dit avant ?
François BAYROU : Si je l'ai dit ici, dix fois on le trouvera dans Le Monde, à cette table et à ce micro et je crois avec force mais on a pas été entendu et on a à s'en prendre qu'à soi-même. Alors je reviens, pourquoi cette loi est-elle mauvaise pour les entreprises ? Parce que cette loi représente directement ou indirectement une augmentation du coût du travail qui à terme se retournera contre l'emploi. Tout ce qu'on raconte sur le fait que ça ne coûtera pas plus cher, c'est du baratin. Et il faut démonter simplement, on annonce plusieurs dizaines de milliards, 60 ou 70 milliards pour financer les 35 heures. Ces 60 ou 70 milliards seront payer par les entreprises, alors soit directement parce que l'emploi, le SMIC par exemple coûtera plus cher, soit indirectement par l'impôt, impôt sur, la TGAP comme on dit ou bien impôt sur les sociétés, augmentation de l'impôt sur les bénéfices, pour les entreprises moyennes, mais seront payés par les entreprises au bout de la chaîne, c'est toujours le même qui paie. Et c'est toujours le même qui trinque c'est-à-dire l'emploi. On me racontait à l'instant même, c'est Pierre MEHAIGNERIE que j'avais au téléphone, il me disait : " j'ai dans ma circonscription une entreprise d'agroalimentaire, elle a été, voilà elle a cru aux promesses gouvernementales, elle a joué le jeu, elle est passée de 39 à 35 heures, une entreprise de 200 salariés, simplement dans la loi qui a été votée en effet la semaine dernière, on a ajouté au temps de travail des salariés le temps de l'habillage et du déshabillage ce qui fait que quand il y a des salles blanches comme on dit, des entreprises avec des règles d'hygiène extrêmement strictes, cette entreprise là, c'est pas 35 heures, en fait elle passera à 32 heures, il y a 4 heures de plus qui vont être défalquées du temps de travail pour passer dans les règles de la loi ".
Olivier MAZEROLLE : Comment se fait-il que les chefs d'entreprises français, dans tous les sondages, affichent un réel optimisme, croient à la croissance, en dépit de la perspective des 35 heures ?
François BAYROU : Ils constatent la croissance et ils s'inquiètent des 35 heures. Ils constatent que pour l'instant la situation de leurs entreprises, en particulier à cause des gains de compétitivité qui ont été faits c'est-à-dire de l'amélioration de la productivité, de la production, pour parler simplement qui ont été fait mais en même temps ils sont terriblement inquiets, les plus créateurs d'emplois, c'est-à-dire ceux qui pour lesquels la main d'oeuvre comptent le plus, ils savent que ça va se retourner contre eux.
Anita HAUSSER : Sans mettre en cause ce que vous dites, ce n'est pas exact, tous les sondages qui sont fait, sont fait sur le moral des entrepreneurs et le moral est au zénith et ils ne font pas état, ces sondages ne font pas états de cette inquiétude ?
François BAYROU : Et bien écoutez les sondeurs et moi nous ne rencontrons pas les mêmes. Je suis élu local dans les Pyrénées, c'est tous les jours que je travaille avec des chefs d'entreprises, petites et moyennes, et il ne se passe pas de jour sans qu'ils me disent " mais enfin pourquoi est-ce que personne ne dit rien, vous vous rendez pas compte ce que ça va faire chez nous ". La vérité est que si les 35 heures sont payées 39, ça veut dire que le coût du travail directement ou indirectement augmentera de plus de 11 % pour les entreprises. Voilà la réalité. Tout le reste, je le répète c'est baratin.
Patrick JARREAU :Alors vous disiez tout à l'heure que vous n'étiez pas entendu là-dessus ou que l'opposition ne s'était pas suffisamment faite entendre. Il y a quelques temps votre homologue de Démocratie Libérale, Alain MADELIN, a posé, enfin proposé quelque chose qui paraissait simple, c'était que l'opposition se mette d'accord pour dire ce qu'elle ferait si elle revenait au pouvoir, de la loi de 35 heures et on a pas clairement entendu la réponse. Alors est-ce qu'on peut au moins avoir la votre ? Est-ce que si l'opposition revenait au pouvoir, vous ramènerez la durée légale de travail à ?
François BAYROU : C'est très simple, Edouard BALLADUR a dit a peut près ce que je pense ? ? La première chose que nous ferons c'est regarder les résultats de la loi, nous parions, enfin nous disons à l'avance, notre crainte qu'ils soient mauvais et la deuxième chose c'est que nous donnerons la priorité à l'accord d'entreprises ou de branches sur la loi,
Patrick JARREAU : C'est-à-dire que vous ferez disparaître la notion de durée légale du travail?
François BAYROU : C'est-à-dire que nous mettrons en place un cadre plus souple, dans lequel si la loi a échoué, ce que nous croyons, la réalité du terrain reprenne le pas sur cette idée absurde, jacobine, rétrograde et réactionnaire qui consiste à décider à l'Assemblée Nationale, au nom de toutes les entreprises françaises, ce qui doit se passer chez elles, même quand les salariés sont d'accord avec l'entreprise. Vous savez que plusieurs accords de branches et cela je vous le dis clairement, si la loi a donné les résultats mauvais que nous indiquons nous ne l'accepterons plus.
Patrick JARREAU :Donc vous abrogerez la loi ?
François BAYROU : Dans ces termes où elle est, sans aucun doute.
Patrick JARREAU : Est-ce que vous maintiendrez l'idée d'une durée légale du travail ou pas ?
François BAYROU : Oui, bien sur.
Olivier MAZEROLLE : Tout de même il y a, à l'occasion de cette loi sur les 35 heures, un certain nombre d'accords qui sont intervenus qui montrent qu'il y a une flexibilité, une annualisation qui ont permis à un certain nombre de chefs d'entreprises d'obtenir dans l'organisation du travail ce qu'ils souhaitaient depuis des années et qu'ils n'avaient jamais obtenu, y compris lorsque la droite était au pouvoir.
François BAYROU : Mais très bien. C'est exactement notre approche. Nous ne disons pas, nous, qu'il n'y a pas une piste dans l'aménagement du temps de travail ou dans le temps choisi. Nous pensons que cette piste existe. Nous pensons que la réalité d'une entreprise est toujours différente de la réalité d'une autre et qu'il y a un grand nombre d'entreprises qui gagneraient, qui gagnent à aménager le temps de travail dans une discussion ou dans une négociation avec leurs salariés. C'est la loi de Gilles de ROBIEN. C'est la loi que nous avons proposé, fait voter et fait adopter et qui en effet donne des résultats, qui sont des résultats bons. Mais ça ne peut se faire que par l'incitation et le respect du terrain. Le respect de la différence. C'est pas la même chose. Une entreprise de main-d'uvre et une entreprise qui, au contraire, pour qui la main-d'uvre compte peu dans le résultat ou dans le chiffre d'affaire, c'est pas la même chose l'agroalimentaire et le bâtiment. C'est pas la même chose d'être frontalier ou de ne pas l'être.
Olivier MAZEROLLE : Sur un plan plus ponctuel, en quoi l'amendement, ce qu'on a appelé l'amendement MICHELIN, vous parait-il choquant ? Est-il anormal qu'une entreprise qui fait des bénéfices ne touchent pas de subsides de l'état pour réaliser des plans sociaux c'est-à-dire en fait pour supprimer des emplois ?
François BAYROU : Les conditions exactes d'application de l'amendement, faudra voir mais j'ai dit déjà dans une intervention publique que ce qui était de bon sens nous étions prêts à l'examiner. Que il est vrai que quand une entreprise fait des bénéfices importants il parait choquant qu'elle fasse appel à la générosité de l'état pour assumer un certain nombre de décisions...
Olivier MAZEROLLE : Comment définiriez-vous le qualificatif important, par la loi, par décret ? Qu'est-ce que c'est que des bénéfices importants, à partir de combien ?
François BAYROU : Enfin les milliards de bénéfices de MICHELIN, ça a paru à tous les français assez conséquents.
Olivier MAZEROLLE : Oui bien sur mais enfin c'est très imprécis comme définition.
François BAYROU : On le définira ;
Olivier MAZEROLLE : Par la loi.
François BAYROU : Non, j'ai dit que le principe ne me choquait pas.
Patrick JARREAU : Les français ont été choqués par l'annonce de suppression d'emplois chez MICHELIN, entreprise qui fait des bénéfices, mais ils ont été choqués aussi d'apprendre que l'ancien président d'ELF, quittant ses fonctions, partait avec un montant considérable d'une part d'indemnités, 40 millions de francs, c'est le chiffre qui a été avancé et d'autre part de plus-values potentielles puisque il pourrait, s'il vendait les, s'il réalisait les stock-options dont il dispose sur son ancienne société, réaliser parait-il jusqu'à 160 millions de francs de bénéfices. Est-ce que ce type de rémunération des dirigeants d'entreprises, via ce qu'on appelle les stock-options vous parait devoir être réformer ?
François BAYROU : Alors je vous répondrai sur le cas JAFFRé avec prudence parce que, comme vous le savez j'ai une polémique importante avec lui au moment de l'annonce de ce qu'on a appelé le plan " performance " et je n'ai pas envie de prolonger cette polémique là. Ce qui est le plus choquant dans ce cas là comme dans un certain nombre d'autres, c'est que vous dites " parait-il, on avance que ", c'est-à-dire qu'on en sait rien. C'est-à-dire qu'il n'y a aucune transparence de ce mode de rémunération en France, enfin mode de rémunération pardon, répandu universellement, mais il est en France décidé et géré dans une opacité qui n'est pas acceptable.
Anita HAUSSER : Que suggérez-vous alors ?
François BAYROU : Moi je pense qu'il faut la transparence complète à l'égard des actionnaires, c'est-à-dire à l'égard des grands publics, de tout ce qui est rémunération sous quelque forme que ce soit, salaires, bonus, stock-options, plan d'option, comme on dit en France, il faut que ce soit transparent parce qu'il n'y a aucune raison que cette culture de la transparence pour la bonne vie des entreprises. Elle ne pénètre pas la culture en France.
Patrick JARREAU : Il y a la transparence et après il y a la taxation ?
François BAYROU : Parce que le jeu interne aux entreprises, il ne prend sa valeur, les actionnaires et les actionnaires salariés en particulier doivent avoir droit à ce genre d'informations dans l'équilibre nouveau que nous cherchons. Alors maintenant c'est la taxation des plus-values sur laquelle vous m'interrogez, c'est-à-dire les impôts qui pèsent sur ces plus-values,
Patrick JARREAU : Est-ce que ces stock-options, ces plus-values doivent être taxés comme un revenu ou bien est-ce qu'elles doivent avoir le statut particulier qu'elles ont eu jusqu'à présent ?
François BAYROU : Elles sont à quelque chose comme 40 % désormais, moi je trouve que la question ça n'est pas d'augmenter la fiscalité sur les stock-options c'est de baisser la fiscalité sur le travail. Pour réaliser l'équilibre et l'équité, c'est la fiscalité sur le travail qui doit se voir reconnaître, dont l'injustice doit être corrigée
Patrick JARREAU : Mais justement le caractère particulier des stock-options c'est qu'on sait pas si c'est un revenu du travail ou un revenu du capital, en l'occurrence, vous le qualifiez comment ?
François BAYROU : Oh, j'imagine que pour ceux qui le vivent c'est un complément de revenu de leur travail et de leur engagement. Mais troisièmement, il y a un troisième aspect donc je répète, un, la transparence est obligatoire, deux, pour la taxation l'anormal c'est pas la taxation des stock-options c'est la taxation du travail ordinaire en France, les impôts sur le travail en France, et troisièmement, il y a une piste dont vous savez que beaucoup de gens la creuse et que nous croyons intéressante à poursuivre, c'est l'idée que les stock-options, ces avantages sur le futur, ce pari, cette rémunération différée, ça ne devrait pas être réservée aux seuls cadres dirigeants, au petit sous-ensemble des cadres dirigeants mais que ça devrait être, dans une démarche de participation, étendue aux plus grands nombres de ? ? ?
Patrick JARREAU : Donc vous seriez prêt à ce moment là à rejoindre le parti socialiste, là-dessus, puisque François HOLLANDE, il y a une dizaine de jours s'est prononcé pour la généralisation des stock-options ?
François BAYROU : Quand le parti socialiste dit qu'il fait jour à midi, je ne suis pas obligé de dire le contraire.
Olivier MAZEROLLE : Alors le parti socialiste, au plutôt le gouvernement a-t-il dit qu'il faisait jour à midi en permettant la fusion Aérospatiale-Matra-DASA, c'est-à-dire la création d'un grand ensemble aéronautique et spatiale européen ?
François BAYROU : C'est pas moi qui ai consacré ma vie à l'idée européenne qui vais dire le
contraire. C'est évidemment, tout le monde voit bien que dès qu'il s'agit d'obtenir, c'est vrai en économie pour les entreprises et ce sera vrai en politique aussi, dès qu'il s'agit d'obtenir la taille critique pour pouvoir se faire entendre à la surface de la planète c'est l'Europe qui est la seule réponse et donc je me réjouis de cette bonne nouvelle et en plus, au passage, ben c'est un petit signe que peut-être l'entente franco-allemande est en train de reprendre la place qu'elle n'aurait jamais du perdre.
Olivier MAZEROLLE : Mais ça montre que lorsque l'état est très présent dans une entreprise cela n'empêche pas des accords internationaux et des alliances contrairement à ce que l'on a beaucoup dit à une époque ?
François BAYROU : Oui c'est vrai je l'ai dit moi-même, je voudrais savoir ce qu'est exactement la réalité des accords parce que vous avez peut-être lu la déclaration, je la cite de mémoire, des dirigeants allemands sur ce sujet. Ils ont dit, j'ouvre les guillemets, " la grenouille que nous avons du avaler était en fait beaucoup plus petite que ce que nous craignons " et je ferme les guillemets. Alors je ne sais pas moi quelle est la réalité de la grenouille.
Olivier MAZEROLLE : Mais Monsieur STRAUSS-KAHN affirme que l'état ne se désengagera pas de cette entreprise.
François BAYROU : Et bien, acceptons en l'augure.
Olivier MAZEROLLE : Vous le souhaitez vous qu'il y reste ?
François BAYROU : Moi je pense qu'il n'est pas mauvais que dans des industries de cet ordre, l'armement c'est une industrie sensible, l'état ne s'en désintéresse pas.
Olivier MAZEROLLE : Alors, attendez là, parce que ça fait un petit moment qu'on parle comme ça, et puis vous semblez pas être très différent dans vos propos de ce que pourrait dire le PS ou le gouvernement, à part les 35 heures...
François BAYROU : Est-ce que vous m'avez entendu sur les 35 heures. Si vous m'avez entendu sur les 35 heures, interrogez moi sur le mode de gestion de la réforme ou de la société française aujourd'hui, interrogez moi sur la méthode de gouvernement, interrogez moi sur les arrières pensées que je crois discerner dans ce que le gouvernement fait, je serai extrêmement content de vous répondre.
Olivier MAZEROLLE : Alors le PACS, le cumul des mandats et la réforme de la justice ?
François BAYROU : Le PACS, je suis en désaccord avec le PACS.
Olivier MAZEROLLE : Vous étiez d'accord avec Madame BOUTIN qui parlait au nom de l'UDF ?
François BAYROU : En tout cas j'ai voté contre le PACS et je sais que les propos de Madame BOUTIN ont été sur plusieurs points déformés et c'est pas honnête. Qu'elle y ait mis de la passion et que cette passion ait quelque fois pu choquer un certain nombre de gens...
Patrick JARREAU : Y compris chez vous si j'ai bien compris ? Y compris les jeunes de votre mouvement ?
François BAYROU : Oui, bien sur. Attendez l'UDF c'est une formation politique majeure. Elle comprend donc tous les, toutes les grandes sensibilités, des sensibilités plus évolutionnistes qui veulent changer les choses, des sensibilités qui au contraire, notamment sur les problèmes moraux, disent nous avons besoin de repères et mon rôle, à moi, c'est de faire en sorte que ces deux grandes sensibilités travaillent ensemble et non pas se jettent des anathèmes l'une sur l'autre. Quand je n'y arrive pas, il y a des anathèmes, mais ceci vous le retrouverai au RPR, vous le retrouverez au PS, j'imagine dans d'autres grandes familles politiques en France.
Patrick JARREAU : Mais vous, vous vous sentez plus proche des positions de Christine BOUTIN ou plus proche des positions des jeunes de l'UDF ?
François BAYROU : Ben c'est d'autant plus facile pour vous que je l'ai écrit dans vos colonnes et dans une interview que vous avez faite vous-mêmes, moi, ma sensibilité à moi elle est de demander des repères, les plus proches de celle qui demande des repères. Je ne crois pas,
Patrick JARREAU : Donc de Christine BOUTIN ?
François BAYROU : Disons, ne personnalisons pas.
Patrick JARREAU : C'est votre porte-parole, j'y peux rien.
François BAYROU : Elle a été notre porte-parole et il y en a d'autres et chacun a son ton et sa forme. Ma sensibilité à moi c'est que je crois que le siècle qui vient c'est un siècle qui va exprimer sa faim de repère, son besoin d'avoir un certain nombre de choses à quoi croire et notamment la stabilité d'un certain nombre de liens. Je ne crois pas du tout que la modernité se soit de tout mettre sur le même plan. Il y a un besoin de reconnaissance des gens qui vivent l'homosexualité. C'est évident. Est-ce que le PACS est la bonne réponse, pour ma part je ne le crois pas.
Anita HAUSSER : Est-ce que vous allez co-signer la proposition de loi de François LEOTARD qui veut protéger les individus qui choisissent leur sexualité qu'ils désirent contre les insultes, je le cite là ?
François BAYROU : Protéger les individus contre les insultes, c'est le devoir des pouvoirs publics et de la loi. Alors je vais la lire mais à priori je suis pour cette idée.
Olivier MAZEROLLE : Alors la réforme de la justice, qu'est-ce qui empêche aujourd'hui que les sénateurs et les députés soient convoqués par le Président de la République pour voter la réforme, non pas la voter d'ailleurs, du Conseil Supérieur de la Magistrature ?
François BAYROU : Ecoutez, excusez moi je peux tout faire mais pas vous dire à la place du Président de la République ce qu'il n'a pas exprimé lui-même et je fais confiance au Président de la République sur ce sujet. S'il ne le fait pas j'imagine qu'il a des raisons et j'ai suffisamment de respect pour lui pour ne pas mettre en doute ses raisons.
Patrick JARREAU : Alors est-ce que sur le fond quand même puisque le texte concernant le lien entre le gouvernement et le parquet va venir la semaine prochaine devant le Sénat, est-ce que vous, vous êtes favorable à l'autonomie plus grande du Parquet ?
François BAYROU : Je suis opposé à la rupture des liens entre les pouvoirs publics et le Parquet. Je pense que l'unité, il faudrait expliquer à ceux qui nous écoutent, le Parquet c'est le Procureur de la République, c'est-à-dire celui qui poursuit au nom de la société et pour que son pays ait son unité moi je pense nécessaire que il y ait une politique pénale affirmée et démocratiquement fondée. Et d'ailleurs les magistrats du parquet que je connais et avec qui j'en parle, ils demandent pas du tout la rupture des liens, peut-être y en a-t-il d'autres, ceux à qui j'en ai parlé ils demandent pas du tout la rupture du lien, ils demandent que les choses soient claires, c'est-à-dire comme ça avait été décidé par Pierre MEHAIGNERIE, garde des sceaux, que lorsqu'il y a une intervention individuelle sur une cause, sur une affaire particulière, sur une poursuite, ça soit écrit au dossier, c'est-à-dire que ça soit pas des influences mystérieuses et verbales.
Patrick JARREAU : C'est-à-dire que le principe de l'instruction individuel ne vous choque pas, vous, à partir du moment où elle est écrite ?
François BAYROU : Ecoutez, lorsque vous avez, je prend un exemple, un procureur déciderait de ne pas poursuivre un trafiquant de drogue, à Dunkerque, alors que ce trafiquant de drogue est poursuivi à PAU. Ben je trouve normal et indispensable qu'il y ait une autorité élue qui puisse se tourner vers le procureur pour dire " excusez moi là ça n'est pas la politique pénale que nous suivons et je vous prie de poursuivre ". Et je trouve normal et légitime qu'il puisse le faire, je trouve que cela doit être écrit parce que autrement on en viendra à interroger la légitimité du juge. Ca se disait en latin autrefois, il y avait un grand proverbe latin. On disait Qui gardera les gardes ? Qui jugera les juges ? Où est fondé leur légitimité ? Et je suis, pardon d'avoir citer du latin à votre antenne, c'est une grande antenne européenne, donc, et donc autrement si on ne sait pas répondre à la question de la légitimité ce qui se posera un jour c'est la question de l'élection des juges. Les juges sont indépendants dans les démocraties où on fait élire les juges. Et c'est pas je crois la République Française.
Olivier MAZEROLLE : Une question d'Anita HAUSSER sur le cumul des mandats.
Anita HAUSSER : Monsieur BAYROU, vous cumulez un certain nombre de mandats. Vous êtes parlementaire français, parlementaire européen et président du conseil général des Pyrénées Atlantiques.
Patrick JARREAU : Et Président de l'UDF...
François BAYROU : Ça n'est pas un mandat.
Anita HAUSSER : Ça n'est pas un mandat élu. Est-ce qu'à la lumière de ce que vous faites maintenant depuis quelques mois, votre position a évolué sur le cumul des mandats ? Est-ce que vous pensez qu'il faut abandonner un, deux mandats pour se consacrer à l'un ou l'autre ?
François BAYROU : Vous savez bien ma position a toujours été la même sur le sujet. Dans l'état actuel de ce qu'est la France et je reviendrai dans une seconde sur ce "dans l'état actuel". Mais autrement, je suis pour : un + un. Un mandat national ou européen et un mandat local. Ça c'est ma vision. Pourquoi ? Parce que la France est un pays qui est centralisé encore beaucoup trop aujourd'hui, ou les grandes décisions se prennent toujours à Paris au lieu de se prendre en province et tant qu'on n'aura pas changé cela, vous aurez des élus locaux à deux vitesses. Les élus locaux qui peuvent se faire entendre à Paris et ceux qui ne le peuvent pas. Parce qu'ils sont trop loin ou parce qu'ils n'ont pas l'habitude. Je vais prendre un exemple simple : on a un drame dans le département des Pyrénées Atlantiques, c'est qu'il n'y a pas d'autoroute entre Bordeaux et Pau. C'est le seul point de France où il n'y ait pas une autoroute. Où se prend la décision d'une autoroute entre Bordeaux et Pau ? Eh bien aussi inimaginable que cela paraisse, c'est à Paris que cela se prend.
Anita HAUSSER : Et pas à Bruxelles ?
François BAYROU : Non, c'est pas à Bruxelles, c'est pas à Bordeaux et pas à Pau. Ce n'est pas dans une capitale de région qui dirait : " pour vivre dans notre région et bien, il nous faut ces équipements là ". C'est à Paris que ça se prend. Et c'est parce que les élus locaux n'ont pas eu la force de se faire entendre à Paris dans le passé que cette décision n'a pas été prise. Et donc, pour ma part, dans l'état actuel de la France, je défends l'idée : un mandat local et un mandat national ou européen. Si ça évolue comme je le souhaite, c'est à dire si on arrive à des pouvoirs locaux puissants et constitués qui puissent exercer des responsabilités fortes sur place, à ce moment là, il es probable que ça évoluera vers le mandat unique. Mais pour l'instant, ça serait une injustice. Et je vais aller encore plus loin et prendre l'exemple européen. Parce qu'on discute souvent dans le cadre national. On accuse toujours les responsables européens d'être déracinés. D'être trop loin. D'être à Strasbourg ou à Bruxelles. De ne pas avoir la connaissance du terrain. Et bien moi, je défends l'idée que les responsables européens, devraient avoir un mandat local. Et que ce serait un gain des députés européens. Ce serait un gain pour l'Europe que voir se développer l'enracinement des députés européens.
Anita HAUSSER : Mais vous allez rester parlementaire français et parlementaire européen ?
François BAYROU : Non. Je n'abandonnerai en aucun cas mon mandat local. Je l'ai dit et je le répète.
Patrick JARREAU : Mais entre les deux mandats parlementaires, lequel choisirez-vous ?
François BAYROU : Et bien on va attendre la discussion de la loi qui vient la semaine prochaine et pour laquelle j'appelle à ce qu'on ne fasse pas deux poids et deux mesures entre les parlementaires français et les parlementaires européens. A mon sens, si on veut être juste et si on veut être moderne, il faut que les règles du cumul qui régissent les parlementaires européens et les parlementaires nationaux, soient les mêmes. Et vous savez qu'il y a des discussions qui sont un tout petit peu confuses sur ce sujet.
Patrick JARREAU : Mais quand vous allez à l'Assemblée de Strasbourg...
François BAYROU : Car j'y vais...
Patrick JARREAU : Car vous y allez, très bien. Donc, vous rencontrez des collègues allemands ou anglais ou italiens, comment est-ce que vous leur expliquez cette situation unique de responsable politique français. J'y reviens. Vous avez deux mandats parlementaires, un mandat local. Vous présidez un grand parti français et comment est-ce que vous expliquez ça ?
François BAYROU : Au siège à côté de moi, à Strasbourg. Pas au siège à côté, mais à deux sièges, il y a M. BERLUSCONI. Il est exactement dans la situation où nous sommes en France. Alors, c'est vrai qu'il y a une tradition anglo-saxonne qui n'est pas la même, mais parce que les pays ne sont pas les mêmes. L'Espagne est un pays très décentralisé. Certains disent même fédéral dans lequel des régions puissantes prennent leurs décisions, elles-mêmes et sur place. La France n'est pas dans ce cas là. Et donc, il est normal que tant que la situation n'évolue pas, on conserve la possibilité pour un élu local d'être parlementaire national ou européen. En tout cas, je le crois.
Olivier MAZEROLLE : Monsieur BAYROU, il y a une quinzaine de jours, Alain JUPPE a pris position sur l'immigration, en disant : " Il serait peut être temps, quand même, de passer aux choses sérieuses, de constater que l'immigration zéro, ça n'existe pas et que ce qui ne fonctionne pas en France, en revanche, c'est l'intégration ". Ça a suscité un tollé dans les rangs de l'opposition. Pour quelle raison ?
François BAYROU : Je vais vous dire ce que j'en pense moi, si vous voulez bien, plutôt que de commenter les déclarations des autres. J'approuve deux choses dans ce qu'Alain JUPPE a dit et j'en désapprouve une. J'approuve la modération du ton. Je trouve normal que les problèmes d'immigration soient traités avec équilibre et prudence et la passion qu'on a développée autour de ce sujet a été malsaine. Elle était souvent intéressée. Elle a été malsaine. Chaque fois qu'on le peut, il faut en effet en traiter avec cet équilibre là. Deuxièmement, j'approuve ce qu'il a dit sur l'intégration. Le vrai problème de la France, c'est que l'intégration est en panne ! Pas seulement d'ailleurs sur les problèmes d'immigration, mais sur les problèmes, sur la fracture comme disait Jacques CHIRAC ou le hiatus qui existe entre les milieux sociaux. En revanche, je suis en désaccord avec lui, lorsqu'il annonce comme inéluctable de nouvelles vagues d'immigration.
Patrick JARREAU : C'est à dire ?
François BAYROU : C'est à dire que je ne vois pas ce qui le justifie. Je pense il n'y a, aujourd'hui, pas de raisons objectives. La structure du travail ayant changé. Ce n'est plus le travail comme au 19ème siècle de penser qu'on va avoir besoin demain matin de nouvelles vagues d'immigration. D'ailleurs, je ne sais pas très bien ce que ça veut dire : " on a besoin d'immigration ".
Patrick JARREAU : Il a dit : " L'Europe aura besoin d'immigrer de nouveaux immigrés dans les années qui viennent ".
François BAYROU : Je ne le crois pas. Je ne le crois pas, pour deux raisons : la première, c'est que je ne considère pas le combat de la démographie comme un combat perdu. Nous avons un creux démographique. La France ne renouvelle pas les générations. Je pense que les pouvoirs publics qui ont une part de responsabilité et qu'une politique suivie pour que, les Français qui le souhaitent, qui le désirent, puissent à nouveau avoir des enfants, peut changer les choses. Et je pense, deuxièmement, que s'il y avait des déséquilibres, on pourra les régler à l'intérieur de la grande Europe qui se profile à l'horizon.
Olivier MAZEROLLE : Est-ce que la France accueille assez d'étudiants étrangers ?
François BAYROU : Si ce sont de véritables étudiants, on doit les accueillir, parce que ça participe au rayonnement de la France à travers le monde. Si c'est de l'immigration déguisée...
Anita HAUSSER : On doit, mais le fait-on ?
François BAYROU : Enfin, il y en a quand même pas mal. Il y en a plusieurs dizaines de milliers. Si c'est de l'immigration déguisée, il est normal que les pouvoirs publics demandent de faire la preuve.
Olivier MAZEROLLE : L'élection présidentielle aura lieu dans deux ans et demi, à peu près. Au printemps 2002. Vous-même en avez reparlé récemment donc, il y a un mois, en demandant que l'élection présidentielle soit organisée avant les élections législatives. Deux ans et demi avant, est-ce que vous croyez que c'est vraiment dans l'esprit de nos compatriotes et n'est-ce pas un peu tôt ?
François BAYROU : C'est très important ce que vous dites là. Parce que, prenons l'autre hypothèse. Si je disais : " parlons en dans un an ou un an et demi ". Vous me diriez à cette même place : " mais est-ce que vous ne croyez pas que c'est trop tard, un an avant l'élection présidentielle de changer les règles du jeu ". S'il m'a semblé important d'en parler et je l'ai fait en effet dans Le Monde, c'est qu'il me semble que notre démocratie et nos institutions marchent sur la tête. Il faut les remettre d'aplomb. Si l'on croit à la Vème république, c'est à dire si l'on pense que c'est le contrat entre un homme et un peuple qui doit orienter la politique du pays, si l'on veut rendre au président de la république la dignité et la capacité qui doivent être les siennes, alors il faut évidemment que l'élection présidentielle ait lieu avant l'élection législative. Beaucoup de Français ignorent ce dontnous parlons. Mais alors, disons le simplement. Au lieu d'élire, comme il est normal en Vème république, un président d'abord et les députés après, on s'apprête à élire les députés d'abord et le président un mois après. Autrement dit, le débat politique majeur, ça ne sera pas ce grand débat où devant un peuple, un homme, des hommes, femmes et hommes disent : " voilà, nous avons un projet. Je vous propose que nous examinions ce projet ensemble et le peuple tranche ". Ça sera une affaire de parti. Et je dis que les institutions de la Vème république, ça n'est pas cela. Les institutions de la Vème république, c'est que la vie nationale est orientée d'abord par l'élection présidentielle. Et c'est pourquoi, vous le savez, depuis longtemps, je suis de ceux qui défendent l'idée qu'il faut raccourcir le mandat présidentiel à cinq ans et organiser, dans la même période, présidentielle et législatives. Par exemple, que les élections législatives viennent un mois après les élections présidentielles.
Olivier MAZEROLLE : Mais là, vous démentez quelque chose qui semble, pour le moment, apprécié par les Français. Dans le fond, il constate ou il semble constater qu'avec un président de la république qui est d'une tendance politique et un premier ministre qui est d'une autre tendance, il y a un certain équilibre dans la vie politique, une certaine sérénité qui s'est instaurée et ça semble leur plaire. Ils redoutent, peut être, le vote majoritaire.
François BAYROU : C'est très bien. C'est une IVème république améliorée. Et si nous voulons, la Vème république, on a le droit de changer. Mais alors peut être les changements iront-ils encore plus loin. Les modes de scrutin. On a le droit de changer. Mais au moins, que le débat ait lieu. Et j'attends de voir quelqu'un qui serait un défenseur authentique de la Vème république prétendre qu'il est normal que les élections des députés aient lieu avant l'élection du président.
Anita HAUSSER : C'est ce que dit M. SEGUIN actuellement.
François BAYROU : Oui, ça m'a surpris. Parce que je croyais que Philippe SEGUIN était gaulliste affirmé et je n'ai pas le sentiment que cette position soit la position traditionnelle du gaullisme en France. Moi, je défends, pardon de le dire. Je n'appartiens pas au RPR. Je suis même engagé depuis le premier jour de mon engagement dans l'autre famille de l'opposition. Pour autant, je me sens redevable à la Vème république. La Vème république a mis un terme à une période nuisible pour la France, dans laquelle beaucoup de Français avaient le sentiment d'un affaiblissement continu des institutions démocratiques, des pouvoirs et des partis. Et c'est pourquoi je défends cette idée. Que les grands changements, en France, doivent avoir pour base, le contrat de confiance directe entre un homme novateur ou qui voit les choses autrement et un peuple. Et c'est pourquoi il me semble qu'il est naturel et normal, puisque l'élection présidentielle est la clef de voûte de la Vème république, qu'elle intervienne en premier.
Anita HAUSSER : ça on vous a compris.
François BAYROU : et que l'Assemblée Nationale soit élue par référence au président de la république et pas le contraire.
Anita HAUSSER : Mais comment y arriver ?
François BAYROU : Oh, c'est très simple !
Anita HAUSSER : Vous avez la recette ?
François BAYROU : Oui, très bien. Il n'y a aucune difficulté. On dépose une proposition de loi organique, on l'a fait voter dans les mêmes termes par les deux assemblées, pour dire que lorsqu'elles interviennent dans la même période, les élections législatives ont lieu un mois après l'élection présidentielle.
Patrick JARREAU : Vous en avez parlé avec Jacques CHIRAC de cette idée ?
François BAYROU : Pour l'instant, non. Mais j'ai lu qu'il s'interrogeait lui-même sur ce sujet.
Olivier MAZEROLLE : Charles PASQUA annonce que son mouvement, le RPF, sera présent dans la campagne présidentielle. Il y a aura un candidat RPR. Pensez-vous que chaque famille de l'opposition doit être représentée ou ait le droit d'être représentée dans cette compétition ?
François BAYROU : Olivier MAZEROLLE, voulez-vous me citer un seul grand parti politique en France qui n'a pas de candidat à l'élection présidentielle?
Olivier MAZEROLLE : Quand bien même le président sortant se représenterait ?
François BAYROU : Attendez. Est-ce que vous pouvez m'en citer une ?
Olivier MAZEROLLE : Il y en a une. L'UDF, à une certaine époque, n'a pas eu de candidat.
François BAYROU : Voilà. Une fois. Sur les 20 ou 25 dernières années, pouvez-vous me citer un parti qui n'ait pas eu de candidat à l'élection présidentielle ? Aucun. Un seul : Si, il faudrait remonter au PC en 65, peut être pour trouver. Et donc, la logique et la raison et le normal, c'est qu'un grand parti est un grand projet. Et un grand projet, ça se défend à l'élection présidentielle qui est l'élection majeure en France. A présent, c'est dans deux ans. Naturellement, les circonstances peuvent amener à prendre une décision contraire. Ça nous est déjà arrivé, puisqu'en 95, vous savez il y avait le choix entre deux candidats RPR et deux seuls.
Olivier MAZEROLLE : L'UDF pourrait être absente deux fois de suite ?
François BAYROU : Edouard BALLADUR et Jacques CHIRAC. Alors, je dis que je n'exclus rien, je dis seulement que pour une formation politique, la logique, c'est qu'elle dise qu'elle est présente à une élection présidentielle.
Olivier MAZEROLLE : D'accord. Mais quand même, quand le président sortant appartient non pas exactement à la même famille, mais enfin tout de même est issu de l'opposition, du même camp politique, est-il normal que d'autres, appartenant à ce même camp, se présentent contre lui ?
François BAYROU : Ca dépend si, au moment voulu, on considère que c'est le même projet ou que l'on a un projet différent. S'il y a une différence dans les projets, ça se défend dans l'élection présidentielle. Et je dis cela en dehors de toute considération de personne, de toute considération de rapport de force. Je dis cela simplement parce que ça paraît la logique.
Olivier MAZEROLLE : Donc, il n'y a pas de tabou ?
François BAYROU : Il n'y a pas de tabou sur ce sujet. Sur ce sujet, pas plus que sur les autres.
Olivier MAZEROLLE : Est-ce que vous vous préparez vous-même. Enfin, on entend parler de l'UDF, comme ça : " BAYROU, il veut y aller ". D'autres disent : " non, il ne faut qu'il y aille ".
Patrick JARREAU : Tout président de parti a vocation à être candidat à l'élection présidentielle. De même que tout parti a vocation à présenter un candidat.
François BAYROU : Oui, mais je ne pose pas ce problème et je le poserai pas en terme de personne, pour l'instant.
Olivier MAZEROLLE : Là, ça n'est pas l'heure ?
François BAYROU : Non, ça n'est pas le moment venu.
Anita HAUSSER : ça sera quand ?
François BAYROU : Je ne sais pas. C'est dans deux ans et demi. Vous voyez à peu près la date utile.
Patrick JARREAU : Avant les élections législatives et présidentielle ou présidentielle et législatives, comme vous voudrez, il y a les élections municipales. Comment est-ce que l'opposition... D'abord,est-ce que l'opposition, collectivement et nationalement doit se poser le problème de la situation à Paris ou est-ce qu'elle doit considérer que c'est un problème local qui concerne uniquement ses organisations locales ?
François BAYROU : L'opposition doit se poser le problème de la situation à Paris. Et ça n'est pas une affaire uniquement locale. De même que l'opposition doit se poser le problème de la situation à Lyon, à Marseille, dans toutes les grandes villes du pays.
Olivier MAZEROLLE : Et ça n'est pas une affaire purement RPR, Paris, non plus ?
François BAYROU : Non, c'est une affaire qui intéresse l'ensemble des Parisiens d'un côté, l'ensemble de l'opposition de l'autre. Vous sentez bien qu'il y a une situation troublée et cette situation de trouble, elle intéresse l'ensemble de l'opposition, donc l'UDF autant que le RPR.
Anita HAUSSER : Vous qui avez...
François BAYROU : Je ne suis pas candidat à Paris, si c'est ça la question.
Anita HAUSSER : Pas du tout. Vous qui avez préconisé et vous y êtes partiellement arrivé à rééquilibrer les forces au sein de l'opposition, est-ce que les municipales ne seraient pas après tout, l'occasion de compter ses forces avec des primaires généralisées.
François BAYROU : Je ne considère pas les élections municipales, comme des élections politiques au premier chef. Jamais je n'ai pensé cela. J'ai même pensé exactement le contraire. Je pense que les élections locales doivent tenir compte de projets locaux et pas des étiquettes partisanes. Je pense qu'il va y avoir un très grand besoin d'une réflexion sur la ville. Je pense que la vie dans les grandes villes, c'est d'une certaine manière le pendant et l'exact symétrique de la crise qu'on connaît dans le monde rural. C'est deux mondes, la ville et la ruralité sont identiquement en crise. Et je pense que les élections municipales doivent être une manière de répondre à cela. Alors, Jean-Louis BORLOT qui est là est chargé avec le maire de Nancy, André ROSSINOT, de conduire une réflexion sur ce qu'est la ville pour nous. Qu'est-ce que ça va être, qu'une ville plus humaine ? Nous, nous voulons apporter des réponses concrètes. Alors, ça vous fait sourire, parce que je sais bien qu'il n'y a que la politique qui vous intéresse. C'est normal. C'est votre métier. Mais je vous assure que beaucoup de ceux qui nous écoutent, les conditions de vie, de transport, d'espaces, de sécurité, ces conditions de vie, c'est beaucoup plus important que l'étiquette des gens qu'on va leur proposer au vote.
Olivier MAZEROLLE : Enfin, il existe quand même un rapport de pouvoir au sein de l'opposition, M. BAYROU, quand même. On ne veut pas être angélique, trop. Alors, il se trouve que le hasard fait que le RPR détient Paris. L'UDF détient Lyon et Démocratie Libérale détient Marseille. On va rester dans le statu quo en ce qui concerne les candidats en tout cas.
François BAYROU : Je souhaite qu'on fasse attention à ne pas compromettre ce qui serait un désespoir pour les électeurs français, le travail en commun que nous devons conduire ou en tout cas coordonné que nous devons conduire sur les grandes villes. Voilà, je n'en sais pas plus, parce que je n'en ai jamais discuté avec personne. Il n'y a pas pour l'instant de président du RPR.
Anita HAUSSER : Vous n'en parlez pas beaucoup de toute façon.
François BAYROU : Mais il n'y a pas de président du RPR, vous le savez bien. Parce qu'on ne sait même pas qui va être élu, donc...
Olivier MAZEROLLE : Ça vous inquiète ça ?
François BAYROU : Comment, inquiète ? Non, j'y vois de l'espoir. J'espère que de cette élection sortira une structure de l'opposition plus équilibrée.
Patrick JARREAU : Quand même sur Paris, si vous pouvez être un peu plus précis, est-ce que vous pensez qu'il faut qu'arrive une personnalité de l'opposition comme chef de file de l'opposition à Paris, qui est majoritaire, qui en tout cas est en position de majorité sortante à l'Hôtel de Ville, est-ce que cette personnalité doit appartenir au même parti que celui qui détient l'Hôtel de Ville actuellement, c'est à dire le RPR ?
François BAYROU : Est-ce que vous ne trouvez pas qu'à l'heure actuelle, sur Paris, il y a beaucoup trop de gens qui parlent et pas assez qui réfléchissent.
Patrick JARREAU : On ne vous a pas beaucoup entendu. Alors ?
François BAYROU : Eh bien, je n'ai pas l'intention de passer de la catégorie de ceux qui réfléchissent à la catégorie de ceux qui parlent, surtout si c'est pour parler à tort à travers.
Patrick JARREAU : Donc, ceux qui réfléchissent se taisent et ceux qui parlent, parlent sans réfléchir.
François BAYROU : C'est souvent le cas.
Patrick JARREAU : On ne va pas beaucoup avancer.
François BAYROU : Vous aurez observé que c'est souvent le cas et que souvent, en effet, ceux qui réfléchissent, ont plus tendance à se taire que ceux qui parlent à tort et à travers.
Olivier MAZEROLLE : Bien, alors revenons en quelques instant à la manifestation du parti communiste qui a été placée, dit Robert HUE, " sous le signe de la création en quelque sorte d'un mouvement de résistance contre la mondialisation ". C'est mondialisation, on en parle. Toutes les relations internationales, l'exception culturelle, les agriculteurs français qui protestent par rapport au buf aux hormones américain. Alors, y a-t-il là une pression louable, utile, pour le gouvernement français dans ce mouvement de résistance contre la mondialisation ?
François BAYROU : Vous me permettrez de distinguer l'affaire du PC que je considère comme cocasse.
Olivier MAZEROLLE : Pourquoi ?
François BAYROU : Empruntons cet adjectif à M. BARRE. Parce qu'ils sont membres du gouvernement et ils manifestent contre l'orientation majeure, finalement, du gouvernement auquel ils appartiennent. Je leur laisse donc à gérer cette affaire. J'indique, je l'ai déjà dit, que c'est le grand écart qui s'élargit avec tous les risques de déchirure musculaire qui vont avec. Bon. Mais, deuxièmement, je distingue cela du sujet que vous avez dit et je crois qu'il y a en effet une inquiétude que l'on sous estime dans les milieux dirigeants. Dans les élites médiatiques ou économiques ou politiques...
Anita HAUSSER : Parisiennes ?
François BAYROU : Parisiennes, aussi, oui. On sous estime cela. Il y a une espèce d'inquiétude profonde sur, qu'est-ce que c'est que la société française ou européenne. Et est-ce que vraiment l'horizon vers lequel nous allons, c'est l'Amérique, ni plus, ni moins ? Et l'Amérique avec ses habitudes alimentaires, avec ses médias, avec ses films de télévision, avec sa langue, avec tout ce qui va avec. Et beaucoup de Français qui ne sont pas d'extrême gauche ou d'extrême droite, beaucoup de Français parmi lesquels, si vous permettez, je me compterai. Ils rêvent d'autres choses et en face de l'American way of life, ils rêvent de voir naître un modèle européen ou de voir affirmer un modèle européen. Parce que ce modèle, il existe, mais personne ne le défend. Tout se passe comme si on avait pas de projet de société original. Et moi je souhaite qu'on s'interroge sur ce modèle de vie ou de société que nous aimons, qui est l'Europe, qui est caractérisé par sa diversité, qui est caractérisé par le mariage harmonieux entre l'enracinement et la modernité. Il y a une émission de télévision qui s'appelle : " des racines et des ailes ". Hein ? Et bien, il y a quelque chose de cela dans le projet européen. La reconnaissance des racines et l'idée que l'horizon est plus large, mais que nous allons y aller avec ce que nous sommes. Autrement dit, l'expression est de Jean-Louis BORLOO encore : " le village et la planète ". Et ça c'est l'Europe. Et aujourd'hui, en effet, cette Europe là, elle manque de défenseurs. Ce qui est drôle, en revanche, peut être pour finir avec cette idée, c'est qu'on ne peut pas être ou ne devrait pas pouvoir être défenseur de ce modèle de société là et anti-européen. Or, si vous faites le compte, vous vous apercevez que ceux qui prétendent le plus fort vouloir défendre ce modèle de vie là, ils combattent la seule arme qui soit à notre portée, pour que la société européenne ou son modèle puisse exister. L'Europe est notre seule arme pour défendre notre projet de société en face de l'Amérique ou des autres puissants de la planète ou des puissances financières internationales. Il est temps de s'en rendre compte. Donc, de faire naître une véritable vie politique européenne et de poser ce genre de problème à l'endroit où ils devront trouver une réponse.
Olivier MAZEROLLE : Merci Monsieur BAYROU. C'était votre grand jury. Bonne soirée à tous.
(source http://www.udf.org, le 20 octobre 1999)