Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, à RMC le 13 décembre 2002, sur les mesures de prévention et d'équipement contre les inondations, la marée noire sur les côtes espagnoles, l'application du plan Polmar sur le littoral atlantique français et les propositions pour une règlementation européenne des transports maritimes.

Prononcé le

Circonstance : Naufrage du pétrolier libérien "Prestige" au large des côtes espagnoles de Galice le 19 novembre 2002

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. L'Hérault et le Gard sont encore sous la pluie ?
- "C'est vraiment quelque chose de terrible pour les habitants. Je me suis d'ailleurs rendue dans la Gard avec le Premier ministre, au début de la semaine, pour présenter notre plan de prévention contre les inondations. Celui-ci sera bien entendu mis en route courant 2003, aussi bien sur la prévention que sur la construction d'ouvrages, principalement en amont de la crue, pour bien les prévenir. Mais le Vidourle a encore fait son effet meurtrier. Hier, une mère de famille est décédée. Il faut vraiment se battre pour que cela ne se reproduise plus."
Concernant le Vidourle, précisément, allez-vous construire en amont des barrages de rétention, pour essayer de réguler le cours de cette petite rivière ?
- "Absolument, nous allons procéder à des constructions d'ouvrages. Je veux avoir une approche respectueuse de l'environnement. Je vais privilégier non pas des constructions en aval, mais surtout des constructions en amont, des constructions douces comme des bassins de rétention. C'est une façon originale et propre à protéger Sommières des crues."
Vous vous êtes engagée à faire pression sur les assureurs. Où en êtes-vous ?
- "Effectivement, souvent on critique l'Etat : on dit que l'Etat est en retard, qu'il ne donne pas l'argent... Là, l'argent est là, il est à la préfecture. Et les assureurs tardent à faire les innombrables bilans qu'ils doivent faire, pour permettre aux gens de toucher leurs sous. Avec le ministre des Finances, responsable des assurances, nous avons bien entendu organisé des réunions de travail qui vont permettre aux assureurs d'aller plus vite, pour les sommer d'aller plus vite. Il est inadmissible que l'Etat fasse son travail et que le privé ne le fasse pas."
Concernant " Le Prestige ", A. Lipietz, député Vert européen, accuse J. Chirac d'être co-responsable du naufrage ?
- "Je laisse monsieur Lipietz à ses galéjades et je préfère agir. Je trouve vraiment pitoyable qu'un responsable politique, qui ambitionne la direction d'un parti, de se livrer à de pareilles pantalonnades. J. Chirac, avec le Premier ministre espagnol, au sommet franco-espagnol de Malaga, a fait des propositions extrêmement importantes. Ces propositions ont été reprises au Conseil des ministres aux Transports, je les ai moi-même abondées au Conseil des ministres de l'Environnement, lundi dans la nuit. Et ces dispositions ont été actées au Sommet de Copenhague. J. Chirac, avec l'ensemble de l'Union européenne, a fait des propositions très précises, qui vont permettre de tacler ces voyous des mers..."
Mais A. Lipietz dit que les mesures nécessaires pour éviter ce genre de catastrophes ont été proposées en mars 2000 par la Commission européenne, qu'elles ont été immédiatement votées par le Parlement européen et que ce sont les Etats, dans le cadre du Conseil européen, où siégeait J. Chirac, qui s'y sont opposés... Alors, A. Lipietz dit que J. Chirac et les autres responsables européens sont responsables...
- "Monsieur Lipietz se trompe. Nous menons une politique active contre la marée noire, d'abord bien sûr pour prévenir tout ce qui s'est passé - j'ai moi-même proposé des mesures extrêmement fortes à ce Conseil européen, pour augmenter les fonds d'indemnisation du Fipol, pour faire en sorte que soient également criminalisés les dégazages et les déballastages... Et bien entendu, nous nous préparons à une marée noire par des mesures extrêmement fortes."
Où en êtes-vous, quelles sont les dernières informations que vous avez ?
- "Les dernières informations sont hélas mauvaises pour nos amis espagnols : les vents sont en train de rabattre la majeure partie de la pollution actuelle sur les côtes espagnoles. Cela protège les côtes françaises, mais peut-on vraiment s'en réjouir ? Premier point inconnu : il y a des nappes de pétrole entre deux eaux et, par définition, on ne peut pas les détecter. Et puis le sous-marin Nautile de l'Ifremer a révélé que 125 tonnes de pétrole fuyaient chaque jour de la cargaison naufragée à 3.500 mètres de fond. Et bien entendu, que va devenir ce pétrole pendant les mois, voire les années qui viennent ? Nous ne pouvons pas le savoir. Donc, il y a une sorte d'immense grenade dégoupillée au fond de la mer, aux larges des côtes de Galice."
En tous les cas, sur les côtes atlantiques en France, on est en état d'alerte ?
- "On est en état d'alerte : plan Polmar Mer, pour ramasser le maximum de pétrole avant qu'il n'atterrisse sur les côtes ; plan Polmar Terre, pour une protection prépositionnée, pour faire des états écologiques et permettre de déposer des dossiers d'indemnisation, des équipements pour protéger les bénévoles - c'est un produit très toxique..."
Justement, à propos de produit toxique : l'Erika, il y a trois ans...
- "Oui, cela a atterri sur nos côtes le 26 décembre 1999... C'est vraiment une journée noire..."
Le Fipol a décidé de consacrer 183 millions d'euros pour indemniser les victimes. Trois ans après, 53 millions seulement ont été versés !
- "Les retards rapportés par le Fipol sont absolument incroyables et inadmissibles. C'est la raison pour laquelle les Etats, et tout particulièrement la France, sont intervenus auprès de cette instance d'indemnisation, pour que les choses aillent plus vite. L'Etat est même allé plus loin, puisque nous avons accepté d'être créancier de second rang, c'est-à-dire de permettre aux créanciers privés de passer d'abord dans ce fonds d'indemnisation ; et nous ne déposerons nous-mêmes nos créances que lorsque tous les créanciers privés auront été indemnisés."
Concernant le nettoyage, il vaut mieux faire nettoyer par des entreprises qui ont des factures, plutôt que par des bénévoles ?
- "Vous avez tort. Il y a une solidarité qui s'exprime. Si les bénévoles veulent participer à ce travail de nettoyage, c'est important, il faut les protéger, parce que c'est un produit toxique, il faut les équiper. Il faut les encadrer bien entendu avec du personnel compétent, parce que de fausses manoeuvres de nettoyage peuvent avoir des conséquences écologiques regrettables et qu'il ne faut pas enchaîner un sinistre écologique par un autre sinistre écologique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais organisé dans ma région des stages de formation pour les personnels communaux, pour un nettoyage écologique et environnemental responsable des plages."
J'apprends à l'instant que l'alerte est levée dans l'Hérault !
- "Tant mieux ! Les pluies ont effectivement diminué à partir de 3h00 ce matin."
Un mot sur les bateaux à simple coque : faut-il carrément les interdire ?
- "Bien sûr, il faut les interdire."
Les routes de navigation doivent-elles être exclues des zones écologiquement sensibles ?
- "Absolument..."
Ce sont des mesures que vous envisagez ?
- "Elles font partie du paquet de négociations et la France est en pointe sur cette affaire."
Sur les OGM, l'Académie de médecine recommande la levée du moratoire européen. Elle dit que les avantages des OGM l'emportent sur les risques éventuels, risques qui seraient contrôlables. Faut-il lever ce moratoire ?
- "Je suis d'accord avec l'Académie de médecine et l'Académie des sciences, quand toutes les protections auront été prises sur les règles d'étiquetage et de traçabilité. Les citoyens qui ne veulent pas consommer d'OGM - c'est leur droit - méritent que l'étiquetage soit précis. C'est ce à quoi nous avons travaillé lundi soir : nous sommes arrivés à une réglementation. La France, là aussi, a été à la pointe de ceux qui étaient les plus "raides", si j'ose dire, sur cette affaire. Nous avons été aidés par le ministre Vert allemand, J. Trittin, dans lequel j'ai trouvé un allié extrêmement précieux, je dois dire contre un certain nombre de collègues européens et contre la Commission. Quand ces règles auront été mises en oeuvre, nous pourrons envisager une levée du moratoire, mais seulement quand ces règles auront été mises en oeuvre. Il nous faudra sans doute attendre l'année 2003 pour faire en sorte que les consommateurs soient complètement protégés."
On peut penser que le moratoire sera levé dans un an ?
- "Voilà, à peu près, il ne faut pas aller trop vite, les précautions doivent être prises."
Un mot sur ce qui s'est passé avec E. Guigou ?
- "Elle a été imprudente..."
Imprudente ? J'ai bien compris que vous n'en direz pas plus...
[...]
J. Chirac doit-il gracier J. Bové ?
- "Je ne poserai pas la question comme ça. J. Bové doit-il demander sa grâce à J. Chirac ? Pour l'instant, il refuse de la demander ; certains la demandent dans son entourage. Je constate que J. Bové n'a pas demandé sa grâce et cela a au moins une certaine gueule !"
C'est-à-dire que s'il la demandait directement à J. Chirac, cela serait bien ?
- "Peut-être..."
Et peut-être que J. Chirac dirait "oui" dans ces conditions ?
- "Peut-être, c'est son problème !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 décembre 2002)