Conférence de presse de M. Michel Barnier, ministre délégue aux affaires européennes, sur le dialogue national pour l'Europe, et sur les progrès de la négociation sur la réforme des institutions communautaires dans le cadre de la CIG, Paris le 12 février 1997.

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Circonstance : Bilan partiel des forums régionaux organisés dans le cadre du "Dialogue national pour l'Europe" à Paris le 12 février 1997

Texte intégral

Dans un premier temps, je voudrais vous dire un mot du Dialogue national pour l'Europe, qui est une opération originale. Ce n'est pas une opération habituelle de communication, c'est encore moins une opération de propagande.

Le Premier ministre avait annoncé que nous engagerions ce dialogue. Nous l'avons engagé le 15 octobre à Strasbourg, en présence d'ailleurs de Pierre Pflimlin, et nous nous sommes appuyés pour l'organiser, de manière décentralisée, sur les régions, sur les préfectures de région, mais aussi sur de nombreux partenaires, Association des Maires de France, Conseil régionaux, syndicats, associations diverses, tous ceux qui le veulent, de manière pluraliste.

Et au moment où je vous parle, nous avons identifié dans le cadre du dialogue le chiffre de 1 039 initiatives, débats ou réunions, dans toute la France ; 770 de ces réunions doivent être organisées dans les mois qui viennent ; 269 ont été organisées sous l'égide et dans le cadre des comités régionaux du Dialogue, qui ont été mis en place.

Naturellement, le nombre de ces réunions est variable selon les régions, mais le chiffre pour la France de ces moments de débats, de dialogue et d'explications sur l'Europe, pluralistes, se monte à 1 039. Je dis pluraliste parce que, par exemple, l'association Forum Alternative Européenne, qu'anime Charles Fiterman, a fait un débat qui a eu un certain écho il y a 15 jours à Paris. Et c'est une initiative qui se plaçait dans le cadre du Dialogue national et que nous avons soutenue.

Moi-même, j'ai participé et je participe tous les jeudis, depuis 15 semaines, et pour encore une bonne quinzaine de semaines, à ces forums qui sont un point fort du Dialogue dans chaque région. Le Dialogue ne se résume pas à ces forums, qui réunissent entre 500 et 2 000 personnes. Ceux d'entre vous qui ont pu y participer ont constaté que, pour moi ce n'est pas une surprise, les questions sont intelligentes, le besoin d'explication, d'écoute, d'expression, est considérable sur les questions européennes. Je ne constate pas de rejet, en France, de l'idée européenne. Mais je constate des doutes, des peurs, des idées auxquels doivent répondre ces explications et ce débat.

Dans chacun de ces forums, je suis accompagné en général d'un Commissaire européen, Français ou d'un autre pays, et de deux, voire trois ambassadeurs, en général un tandem d'un ambassadeur de l'Union européenne - la semaine dernière, c'était l'ambassadeur d'Allemagne qui était à Dijon avec moi - et d'un ambassadeur d'un pays candidat, de l'Europe centrale, orientale ou baltique.

Comment les choses vont-elles continuer ? J'anime ces forums chaque semaine jusqu'au moins d'avril, y compris dans les départements d'Outre-mer ; j'ai déjà animé ces forums en Guadeloupe et en Martinique et je vais aller en Guyane et en Réunion.

Je suis entouré de trois personnalités indépendantes qui m'aident à écouter, et qui seront les rapporteurs de ce Dialogue pour m'aider à en faire la synthèse. Il s'agit de M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des Maires de France, en charge du thème de sécurité, de Mme Christiane Lambert, présidente du Centre national des jeunes Agriculteurs de France, qui est en charge du thème de la prospérité et de l'emploi, et de M. Hubert Curien, ancien ministre de la Recherche, qui est en charge du thème de l'identité.

Nous travaillons ensemble et nous remettrons ensemble au président de la République, aux présidents du Parlement européen et de la Commission, ce rapport, qui ne sera pas complaisant, en quelque sorte, sur l'état de l'Europe en France.

Nous avons également mobilisé 1 000 jeunes volontaires pour l'Europe dans le cadre de ce dialogue. Des jeunes qui s'engagent, qui acceptent de répercuter ce qu'ils ont appris mais aussi de nous faire remonter ce qu'ils entendent autour d'eux, ainsi que d'autres témoins. J'attache beaucoup de prix dans le cadre de ce dialogue à la coopération avec l'Education nationale. Si nous ne voulons pas faire de l'esbroufe ou un coup d'épée dans l'eau et si nous voulons au contraire inscrire dans la durée l'explication et le débat, il faut que l'Education nationale se mobilise. Ainsi, avec François Bayrou, nous distribuerons dans quelques semaines, pour tous les enseignants de CM2 en France un cahier de 32 fiches pédagogiques. Ce sera d'ailleurs le premier instrument d'enseignement civique sur l'Union européenne dans le système scolaire français. De février à avril, il y aura dans tous les collèges de France des interventions diverses, pluralistes, sur les questions européennes.

Depuis le mois de janvier jusqu'au mois de mars, nous avons lancé dans les classes de première, toutes les classes de première en France, un concours sur l'Europe du XXIème siècle. Je dois dire que dans toutes les régions où je me rends, les universités, les établissements d'enseignement supérieur, les grandes écoles, comme les établissements du second cycle sont très mobilisés et très intéressés.

Pour m'aider à faire cette synthèse du dialogue, je m'appuierai également et à côté de ces trois personnalités, sur la Fondation nationale des Sciences politiques, et notamment le centre d'études de la vie politique française qu'anime Pascal Perrineau. Donc, à travers une enquête nationale, l'écoute, la remontée de tout ce qui s'exprime, je m'appuierai sur ce centre pour faire une synthèse utile.

L'idée que j'ai est simple : au terme de ce Dialogue, nous ferons les assises nationales sur l'Europe le 9 mai, probablement au Zénith, toujours avec une invitation plus particulière aux jeunes mais pas seulement. A cette occasion ou quelques semaines plus tard, je souhaite que dans ce rapport, on fasse un constat objectif de l'Europe en France et que ce rapport soit utile aux partis politiques français, à tous les partis politiques, au moment où s'engagera la campagne législative.

Nous avons également ouvert un 3615 Europe, qui a reçu 9 000 appels en trois mois.

Si vous me donnez 8 minutes, je peux illustrer ce que je viens de vous dire par un petit film que nous diffusons d'ailleurs dans chacun de nos forums le jeudi et qui résume l'esprit, la manière dont les forums se déroulent.
Je pense que ce film décrit bien l'état d'esprit de ce que nous faisons et qui est encore une fois assez original. C'est une des leçons de ce qui s'est passé ou plutôt ne s'est pas passé lors du débat de Maastricht. J'avais comme député à l'époque, constaté la surprise des citoyens français recevant le traité lui-même, en leur demandant de se prononcer par oui ou par non. C'était pourtant l'un des premiers grands débats en France. Je ne trouve pas normal dans une démocratie comme la nôtre, que le débat sur des questions aussi majeures, aussi quotidiennes aussi, soit réservé à un moment solennel de référendum, ou lorsqu'il y a une crise ou une secousse. Il faut dans ce pays - je sais que le président de la République y tient puisqu'il a lui-même pris l'engagement de réconcilier les Français avec l'Europe et sur l'Europe -, il est nécessaire dans cette démocratie que l'on parle de l'Europe plus quotidiennement. Alors, ce Dialogue n'y suffira pas. J'en connais les limites, notamment dans le temps. Mais c'est une tentative. Je vous prie de croire que je ne regrette pas de passer autant de temps et d'énergie à animer ce débat avec tous ceux qui le veulent, et ils sont très divers, parce que je suis frappé par l'intelligence, la diversité des questions, le besoin d'explication, d'expression de nos compatriotes.

Je sais aussi que cette idée, cette initiative intéresse d'autres pays qui l'observent avec attention. Plusieurs de mes collègues me l'ont dit. Je voudrais vous dire également quelques mots de la CIG. C'est le deuxième point de l'ordre du jour.

Nous sommes enfin entrés dans le vif du sujet. J'en donne acte à la présidence néerlandaise. Elle n'a pas hésité, comme nous le souhaitions nous-mêmes, dès la première séance de négociation du mois de janvier à Amsterdam, à mettre à l'ordre du jour les questions les plus difficiles qui avaient été un peu laissées de côté volontairement par les Irlandais. Ce sont les questions institutionnelles.

Quelle est notre approche maintenant de cette négociation ? Nous partons naturellement du texte irlandais, qui est la base de travail. Je redis que c'était un bon travail de synthèse, technique, objectif, qui traduisait un niveau assez moyen d'ambition au mois de décembre de la négociation.

Comme vous l'avez compris, le président français et le chancelier Kohl ont décidé de renforcer, comme il y en avait besoin, l'ambition politique de ce texte en proposant à leurs partenaires dans la lettre de Nuremberg, un certain nombre d'orientations. Je dois dire que maintenant, pour Klaus Kinkel, pour Werner Hoyer du côté allemand, pour Hervé de Charette ou pour moi du côté français, l'objectif est que le projet de traité auquel nous parviendrons, nous l'espérons à Amsterdam, soit le plus proche possible dans ses orientations, dans son contenu, de la lettre franco-allemande.

Ma feuille de route dans cette négociation, c'est cette lettre de Nuremberg, à partir de laquelle nous bâtissons, semaine après semaine, des amendements au projet irlandais. Nous travaillons pour que les choses soient précises. Nous travaillons sur le texte irlandais. Nous procédons par amendements que nous proposons à nos partenaires. Nous l'avons encore fait avant-hier en déposant sur la table de la négociation une dizaine d'amendements sur le troisième pilier.

Puisque je parle du troisième pilier, je peux peut-être insister un peu sur ce sujet. C'est un des grands enjeux de la négociation. Il concerne la sécurité et la liberté de circulation qui va avec. Nous avons proposé d'inscrire toutes les conditions inspirées de Schengen dans le traité, des choses comme le système d'information européen sur les étrangers, ou le système de consultation sur les visas, est de donner au Conseil cinq années pour les adopter à la majorité qualifiée. Nous avons également proposé de tirer les leçons des insuffisances que nous reconnaissons dans Schengen et en même temps de la préoccupation très forte de nos compatriotes partout en Europe en matière de sécurité, qui va plus loin que Schengen.

Nous demandons dans cet esprit au Conseil de définir en cinq ans, à la majorité qualifiée, un socle minimal d'harmonisation pour les délits et les peines concernant le terrorisme, la criminalité transnationale, la consommation et le trafic de drogue.

Voilà les deux conditions qui sont pour nous impératives. Si elles sont remplies, les frontières intérieures pourront être effectivement levées dans l'Union dans des conditions qui seront à ce moment là satisfaisantes pour la sécurité.

Vous le voyez : le socle commun d'harmonisation que nous proposons, qui est illustré par notre série d'amendement, ceux que j'ai déposés et ceux que nous déposerons dans les semaines qui viennent, c'est la création d'un acquis communautaire en matière de circulation des personnes et de sécurité des personnes. Un acquis communautaire qui devra être pris en compte dans les négociations d'adhésion des nouveaux candidats.

Avec cette proposition de socle et d'harmonisation dans le domaine criminel, je dis bien un socle, qui n'interdit à aucun Etat de faire plus ou d'être plus répressif ou plus rigoureux chez lui, nous faisons, me semble-t-il, une des propositions les plus importantes et les plus ambitieuses de la Conférence intergouvernementale. Celle-ci est le fruit d'un travail commun avec le Garde des Sceaux, Jacques Toubon, le ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Debré, et sous l'autorité naturellement du président de la République et du Premier ministre.
J'ajoute que ces propositions en matière de réforme du troisième pilier ou de création d'un nouveau troisième pilier dans les institutions européennes se sont largement inspirées des débats et des propositions de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne. Je vous invite à lire les travaux de la délégation que préside Robert Pandraud. Il a beaucoup travaillé sur ces questions de sécurité et de liberté de circulation, a émis des conclusions qui nous autorisent et nous encouragent à cette avancée en matière d'intégration progressive et conditionnelle, s'agissant de la liberté de circulation par rapport à la sécurité.

Je conclus cet exposé en évoquant la permanence du travail franco-allemand dans cette négociation. La conférence de presse commune d'Hervé de Charette et de Klaus Kinkel il y a quelques jours à Bruxelles, présentant le texte franco-allemand sur les coopérations renforcées, en est la preuve. J'ai moi-même pris la décision de me concerter systématiquement, avant chaque séance de négociation, avec mon homologue allemand et ami, Werner Hoyer. Et nos collaborateurs dans les deux ministères, comme au niveau de la Chancellerie et de la Présidence travaillent presque chaque semaine ensemble.

Je redis aussi que cette coopération franco-allemande est normale puisqu'il s'agit de mettre en oeuvre la lettre de Nuremberg. Elle n'est pas exclusive, et ne veut à aucun moment être arrogante. Nous nous efforçons également de multiplier les contacts bilatéraux avec l'ensemble des autres délégations.

Qu'est ce que je peux dire aujourd'hui de l'état des négociations qui ont encore au moins cinq mois de travail devant elles, cinq mois qui vont être bien nécessaires, qui ne seront pas de trop ? La vraie distinction aujourd'hui se situe entre les pays qui veulent faire de l'Europe une Union politiquement plus forte et plus légitime, avant l'élargissement et au moment où s'engage le XXIème siècle, ceux qui veulent une Europe puissance et pas seulement un supermarché, et les pays qui sont attachés au statu quo. Il me semble que ce clivage transcende des distinctions plus anciennes entre les grands pays et les petits Etats, entre fédéralistes et intergouvernementaux. Je sens plus le clivage que je viens de vous évoquer que ces deux clivages qui étaient plus traditionnels. C'est notamment le cas sur le troisième pilier.

J'ai dit tout à l'heure que les questions les plus difficiles restent et resteront jusqu'au bout les questions institutionnelles. Nous les considérons comme névralgiques pour la réussite de la Conférence, pour atteindre ce que la France souhaite, c'est à dire une vraie réforme de l'Union européenne.

Il ne peut pas y avoir d'élargissement, de réussite pour l'élargissement s'il n'y a pas préalablement une vraie réforme de l'Union. Cette vraie réforme se traduira, en particulier, sur les mécanismes qui assureront l'efficacité du fonctionnement de l'Union européenne quand cette Union aura vingt ou vingt-cinq membres. Je parle là de la question de la pondération, de l'autorité et de la force de la Commission. Je dirai simplement sur ces deux sujets difficiles que les choses avancent moins mal que nous pouvions le craindre. Je ne peux pas en dire plus car ce sont des questions extrêmement sensibles, et rien ne sera définitif avant Amsterdam sur ces questions institutionnelles. Je dis simplement qu'on avance, qu'on est sorti du blocage, de l'idéologie des uns et des autres, pour poser les vrais problèmes.

Si l'on vote plus souvent à la majorité qualifiée, comme la France le veut de manière très ouverte, il faut une majorité qualifiée plus légitime, et donc une autre pondération des voix. Nous sommes prêts à discuter de tous les systèmes de pondération qui iraient vers plus de justice. Si on veut que l'Union fonctionne quand nous serons vingt ou vingt-cinq, il faut une Commission qui ait une vraie autorité. Qu'est ce qu'une Commission forte, avec une vraie autorité ? C'est de notre point de vue, une Commission avec moins de membres, avec un président qui ait une autorité sur les membres, une Commission qui ait une responsabilité devant le Conseil.

J'ai évoqué les questions institutionnelles. Naturellement les coopérations renforcées en font partie, mais vous avez eu souvent l'occasion d'en entendre parler. Je le redis à propos de ces coopérations renforcées : personne n'empêchera qu'elles existent. Elles existent déjà en dehors du traité. Elles existent même dans le traité - l'Union économique et monétaire en est une. Il faut croire, il faut être sûr que dans une Europe élargie, avec vingt ou vingt-cinq membres, ces coopérations renforcées se multiplieront.

Alors la question que nous posons, Français et Allemands, c'est : voulez-vous que ces coopérations renforcées aient lieu dans l'Union ou en dehors de l'Union ? Voulez-vous être sûrs qu'elles soient proposées dans l'Union ou prenez-vous le risque qu'elles se développent de plus en plus en dehors de l'Union ?
Je dirai enfin un mot de la PESC : nous considérons toujours, même si ce n'est plus l'avis de certaines autres délégations, que ce sujet est urgent. Il faut que nous nous donnions les moyens institutionnels de développer un concept commun à quinze sur la politique étrangère et la sécurité, sans ligne d'action stratégique, sans priorité. Qu'attendre, qu'espérer de l'influence européenne dans le monde et même qu'attendre, qu'espérer de l'influence européenne sur le continent européen ?

Les priorités naturelles de cette politique étrangère commune - je n'ai pas parlé de politique étrangère unique - c'est à dire les grands sujets où nous devrions avoir entre nous une politique étrangère commune, ne sont pas si difficiles à déterminer : les relations avec la Russie, les relations avec les Balkans, les relations avec la Turquie, tout ou partie de la Méditerranée. La France tient beaucoup à une avancée forte sur ce deuxième pilier pour la crédibilité, la force politique de l'Union européenne au XXIème siècle.

Nous tenons toujours à ce que le Conseil européen, qui est le lieu de la légitimité politique le plus élevé, soit le lieu où l'on choisisse les sujets d'action commune, où l'on fixe la ligne et où l'on confie la mission de mettre en oeuvre ces actions communes à une personnalité politique, Monsieur ou Madame PESC, sous le contrôle et en liaison avec les ministres des Affaires étrangères.

Nous tenons beaucoup à la création d'une vraie cellule de planification diplomatique, qu'il y ait enfin dans l'Union un lieu de cohérence diplomatique qui réunirait les diplomates qualifiés des différents Etats membres, ceux des représentants de la Commission et ceux de l'UEO naturellement.

Vous le voyez, nous abordons ces cinq mois qui viennent avec détermination, avec le souci d'aboutir à une vraie réforme à Amsterdam. Naturellement la France signera à Amsterdam si ce sommet des chefs d'Etat et de gouvernement aboutit à une vraie réforme, si le résultat est satisfaisant. C'est pour nous le plus important, qu'il y ait une vraie réforme pour permettre et réussir l'élargissement.

Q - Quelle est la position de la Grande-Bretagne sur les coopérations renforcées ?

R - La Grande-Bretagne est intéressée par l'idée de coopérations renforcées, mais elle y met une condition qui n'est pas acceptable pour nous, celle de l'unanimité pour les engager. Si on mettait en oeuvre une coopération renforcée en la soumettant à la règle de l'unanimité, alors par définition, ce ne serait plus une coopération renforcée. Nous souhaitons convaincre les Anglais qu'il n'y a pas d'arrière-pensées dans cette idée franco-allemande, que c'est une idée qui devrait pouvoir les intéresser, qui doit pouvoir les intéresser. Je ne désespère pas qu'on trouve une solution pour cette souplesse là. Je n'aime pas le mot de flexibilité parce que le mot de flexibilité signifierait dans l'Union un approfondissement des règles et du travail en commun. Le mot de coopération renforcée est bien meilleur. Il signifie qu'on est tous autour de la table, que quelques uns proposent de faire quelque chose qui est conforme à l'esprit du Traité, naturellement, à l'idée de la construction européenne, que personne n'est empêché, que personne n'est interdit d'entrer dans cette action commune, renforcée, et que tout le monde est invité à la rejoindre à un moment ou un autre. Nous espérons convaincre les Britanniques, sur ce sujet comme sur
quelques autres d'ailleurs.

Q - Dans la distinction que vous avez faite entre les deux groupes de pays dans la négociation, est-ce qu'il y a une évolution de certains pays d'un groupe à l'autre ?

R - Je vais être très franc avec vous. J'ai pris l'engagement au début de la négociation de ne pas faire de commentaires détaillés sur les positions des uns et des autres. Nous nous en tenons à cette règle. Mais je dirais que sur la ligne d'une ambition politique pour l'Union européenne et des outils qui doivent porter cette ambition, le nombre s'accroît. La négociation progresse.

C'est la première fois que j'ai l'honneur d'être le négociateur de base. On m'a même dit l'autre jour que c'était la première fois depuis Maurice Faure et le traité de Rome en 1957, qu'un ministre négociait à la base. Au-dessus de moi, naturellement, il y a le ministre des Affaires étrangères et, très au-dessus, le président de la République et le Premier ministre. D'ailleurs, je le dis en passant, M. Juppé s'intéresse personnellement à cette négociation puisqu'il préside lui-même pratiquement tous les dix jours un comité interministériel sur la CIG, pour arrêter et arbitrer les positions françaises.

C'est aussi un signal que nous ayons placé la négociation du côté français sur un plan très politique. J'observe le nombre de pays qui partagent cette ambition politique, et ceux qui se disent : "au fond, à quinze, on pourrait très bien vivre comme cela, tant bien que mal". L'autre jour, le négociateur finlandais nous a interpellés en nous disant : "on oublie autour de cette table que c'est l'Europe de vingt-cinq membres que nous préparons". Il n'y aura pas d'autres occasions de réformer les institutions européennes. Il n'y en aura pas. On va probablement, dans les vingt ans qui viennent, faire des ajustements institutionnels, mais il n'y aura plus un tel levier, plus jamais une telle occasion de faire une vraie réforme, difficile, qui exige du temps. Plus jamais. Par rapport à ce levier que constitue l'élargissement à une dizaine de pays nouveaux. Donc, si on ne saisit pas cette occasion maintenant, comme l'a dit M. Santer, il n'y aura pas une deuxième chance. C'est pourquoi nous tenons beaucoup à ces réformes institutionnelles. C'est aussi pourquoi je disais - c'est la première fois que je participe à une négociation européenne comme cela aussi directement - qu'il faut du temps. Nous n'avons pas perdu de temps même si parfois, vous avez le sentiment que cela traîne, que cela dure. Ces questions sont tellement complexes. Elles sont tellement nombreuses, juridiquement, très sophistiquées, et quelquefois politiquement si sensibles ou explosives, qu'il faut du temps pour qu'on mette sur la table une idée ou un problème. Au fond, chacun s'exprime, se respecte, écoute. Je dis cela non pour plaider mais pour expliquer.

Q - Sur le pacte de stabilité monétaire, est-ce que vous avez un peu avancé, parce que l'autre jour ? Le chancelier Kohl a insisté sur la nécessité d'un autre pouvoir politique que celui des chefs d'Etat et sur les problèmes de charte sociale et d'harmonisation des législations. Est-ce que vous avancez ?

R - La première question que vous évoquez n'est pas dans la Conférence intergouvernementale. Pas du tout. Nous avons très clairement adopté une position commune qui consiste à ne pas évoquer directement ou indirectement les questions de la monnaie unique dans la Conférence intergouvernementale, quelles qu'aient été les tentations. J'ai entendu le chancelier l'autre jour. La France souhaite, - le président de la République l'a dit -, qu'on parle de pacte de stabilité et de croissance et qu'on étudie de manière positive cette demande qui nous paraît légitime d'un conseil de stabilité et de croissance, d'un lieu où les ministres des Finances puissent réfléchir ensemble, coordonner, se concerter sur la politique économique et le cas échéant, saisir le Conseil européen de telle ou telle orientation.

Il s'agit de quelque chose de différent qui rejoindra, lorsque les Quinze seront dans la monnaie unique, le Conseil Ecofin. Mais il s'agit d'un Conseil réunissant les ministres des Finances, peut-être aussi les ministres des Finances et du Travail. Cela ne ferait pas de mal de temps en temps, quand on décide au niveau européen, que l'on s'intéresse de près à ce que pensent les ministres du Travail sur les conséquences en terme d'emploi de ce qui est décidé ici ou là. Et puis le cas échéant, saisir le Conseil européen.

Encore une fois, personne ne remet en cause l'indépendance de la Banque de France, et personne ne remettra en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne. Pour en avoir beaucoup discuté avec des responsables de la Banque de France et même des gens qui seront dans la Banque centrale européenne, il m'a toujours été dit qu'on ne perdait rien de son indépendance, de son autorité, en discutant avec des politiques. Le président de la future Banque centrale européenne ne perdra rien de son indépendance, ni de son autorité à dialoguer avec les ministres. Nous pensons qu'il faut un lieu politique de concertation et d'impulsion.

Q - Sans une réforme de l'UE, est-ce que la France permettrait l'élargissement ?

R - Sans une vraie réforme ? Je vous ai dit très clairement que pour engager et réussir l'élargissement, la France souhaitait une vraie réforme de l'Union européenne. En vous disant cela, je ne fais qu'expliquer ou redire ce qu'a dit le président de la République lui-même, y compris à nos amis des pays d'Europe centrale, orientale ou baltique. Je le redirai ce soir, en le recevant ici pour un dîner officiel, au président Meri. Je l'ai dit en Roumanie au nouveau président Constantinescu il y a quinze jours. Jacques Chirac l'a dit en Hongrie, l'a dit à Varsovie dans son discours. Il a dit : "l'approfondissement politique de l'Union doit précéder l'élargissement".

Q - Mais en même temps, il donne une date.
R - Mais ce n'est pas incompatible. C'est un témoignage de son volontarisme. Cela ne vous surprendra pas. Les choses sont dans l'ordre. Si nous obtenons une vraie réforme en juin 1997, la Commission va produire en juillet un rapport extrêmement important sur les conditions de l'élargissement et la photographie qu'elle fait des pays candidats. On discutera à ce moment-là du processus d'élargissement, des étapes de cet élargissement. C'est clair que nous souhaitons que les pays les mieux préparés puissent adhérer le plus tôt possible, autour de l'an 2000.

Q - Est-ce que ce que vous avez évoqué tout à l'heure sur le fonctionnement des coopérations renforcées n'est pas déjà une façon d'envisager la possibilité de poursuivre la coopération si l'élargissement se fait dans des conditions où la réforme n'aurait pas été une vraie réforme ? Il y aurait élargissement et à partir de là des coopérations renforcées en dehors de l'Union. Mais je ne vois pas très bien comment cela fonctionne ?

R - Non, de toute façon, pour engager l'élargissement et pour le réussir, il faut une vraie réforme. La vraie réforme porte bien entendu sur les mécanismes du fonctionnement de l'Union pour être efficace à vingt-cinq. C'est à dire une Commission réduite et collégiale, avec une vraie autorité, un nouveau système de vote à la majorité qualifiée étendue, pondération des voix, et avec également, - j'ai oublié de le dire mais c'est une idée qui avance tout doucement -, la consultation des parlements nationaux, collectivement, sur la question de la subsidiarité et du troisième pilier en particulier. On ne peut pas obliger nos partenaires à accepter la méthode de la coopération renforcée. C'est un problème de philosophie un peu politique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2001)