Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le projet de réforme de la décentralisation, les valeurs de cohérence et de proximité dans la réorganisation administrative et le rôle de l'expérimentation dans les transferts de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales, Port-Marly (Yvelines) le 24 janvier 2003.

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Circonstance : Réunion des Assises des libertés locales pour la région Ile-de-France, à Port-Marly (Yvelines) le 24 janvier 2003

Texte intégral

Messieurs les ministres,
messieurs les présidents,
mesdames et messieurs les parlementaires,
mesdames et messieurs,
Depuis un certain nombre d'années, la réflexion a fortement cheminé. Depuis les grandes lois de décentralisation, celles menées par P. Mauroy et G. Defferre, des étapes importantes ont été franchies. Et on a rédigé quand même beaucoup de rapports. Tout à l'heure, quelqu'un disait qu'on manquait un peu d'état des lieux. J'ai le sentiment que la commission Mauroy a été une belle circonstance pour faire l'état des lieux, sans compter les très nombreux rapports qui ont été menés par les Assemblées, le Parlement. Donc, je crois que nous avons, aujourd'hui, une matière qui nous permet d'éclairer la route et de commencer à proposer un certain nombre de choix. Dans ces débats, il y avait des consensus, des lignes qui dépassaient les clivages politiques traditionnels et c'est très important, parce que la réflexion sur la décentralisation, c'est au fond, la réflexion sur notre organisation de la République et cela dépasse les clivages partisans traditionnels.
On a vu au printemps dernier les faiblesses de notre République. L'exaspération d'un côté, l'abstention de l'autre, ne peuvent pas satisfaire les Républicains. Et on voit bien qu'à la fois on conteste le fonctionnement et, en même temps, on appelle les valeurs, et on veut qu'on parle de la France et de la République, qu'on parle de ce qui nous rassemble, de notre pacte républicain, mais que cela descende un peu sur le terrain, et que ça ne reste pas simplement au fronton de nos institutions. C'est cela la décentralisation : c'est le partage des valeurs au quotidien, sur le terrain, pour qu'il y ait une implication du citoyen dans les valeurs du pacte républicain. Et cela est très important. Je crois que cela nous concerne tous, et c'est un travail important qu'il nous faut mener, au nom de notre pays, pour faire vivre notre République.
Je remercie beaucoup N. Sarkozy et P. Devedjian d'avoir organisé l'ensemble de ces débats. Et je vous demande, les uns et les autres, de prolonger dans les communes, dans les départements, ces réflexions, d'aller au contact avec les citoyens pour qu'on puisse poursuivre la discussion. Il faut surmonter un certain nombre de complexités, évidemment. On voit bien que les citoyens ne comprennent pas grand chose à notre architecture administrative. Et donc, on a beaucoup de choses à faire. Si on veut que les valeurs de participation républicaine puissent exister, il faudra clarifier un peu tout cela, et alléger nos procédures, celles qui touchent le citoyen, mais aussi celles qui touchent les maires, et celles qui touchent l'ensemble de l'appareil administratif, parce qu'il y a un moment où la procédure remplace la responsabilité. Et on se cache derrière la procédure, quelquefois, ou c'est la procédure qui vous cache. Et finalement, la procédure est le moyen de déposséder l'acteur de la responsabilité. C'est un des points clés de la réforme constitutionnelle que nous avons voulu engager : c'est de définir le niveau pertinent où on peut exercer la responsabilité. On décide au niveau européen souvent des choses qui pourraient se décider localement, et on décide quelquefois localement des choses qui impliquent notre pacte républicain. Donc, il faut refaire une toilette des responsabilités pour qu'on décide au mieux pour le citoyen. Et le mieux pour le citoyen, c'est la cohérence et la proximité.
La proximité est une valeur et la cohérence en est une autre. Il y a un certain nombre de sujets qui ont besoin de cohérence. Il faut qu'il y ait à un moment quelqu'un qui assume la cohérence nationale, au-delà des égoïsmes et des individualismes. Et puis, il y a d'autres sujets qu'il faut traiter au plus près du terrain, dans la proximité. Il nous faut équilibrer les deux, la cohérence et la proximité, et c'est ce que nous avons voulu faire avec notre organisation constitutionnelle, en faisant en sorte que dans la République, on reconnaisse le principe de subsidiarité, c'est-à-dire que la proximité soit choisie quand elle est pertinente. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut, naturellement, mésestimer l'échelon de l'Etat et je crois que ce qui est très intéressant dans tout ce qui est en train de se passer, c'est que l'Etat lui-même - et je salue les préfets ici présents -, engage sa propre réflexion sur ses missions. Et on voit qu'il y a un certain nombre de missions qui doivent être renforcées, et que ce n'est pas en se dispersant que l'Etat est le plus fort, c'est en assumant clairement ses choix.
Pour les questions de sécurité, pour les questions de justice, pour les questions d'autorité républicaine, on a besoin de l'Etat. On a aussi besoin de l'Etat pour le pacte républicain, le vivre ensemble, la cohésion sociale et territoriale, la correction des inégalités. On a besoin de l'Etat évidemment. Mais on a besoin aussi des collectivités territoriales, parce que si l'Etat se disperse trop, à force de vouloir être partout, il finit par être insuffisamment efficace là où on l'attend. Et les Français le veulent, l'Etat, ils appellent l'Etat, mais ils appellent l'Etat là où nous voulons qu'il soit présent avec force, c'est-à-dire pour faire respecter et le pacte républicain et l'autorité républicaine.
L'autre jour, on a eu une belle communication en Conseil des ministres sur un sujet très difficile : c'est au sujet de la violence conjugale. J'ai appris une statistique qui m'a fait froid dans le dos : 10 % des hommes sont violents. Un grand nombre de femmes souffrent terriblement de la violence conjugale. Des associations s'engagent. Je suis allé rendre visite à une association formidable, où des jeunes femmes répondent au téléphone. Que des cas désespérés toute la journée. Des dizaines et des dizaines des coups de fil de désespoir. Malgré cette attention, ces femmes avaient une sorte de lumière intérieure, parce qu'elles faisaient un effort considérable mais en même temps, elles avaient une sorte de sérénité, parce qu'elles donnaient aux autres. Elles avaient cette sorte de beauté du don de soi. J'ai trouvé cela exemplaire. On se réunit, on se met autour de la table, et je leur dis alors : qu'est-ce que vous souhaitez pour l'avenir ? Elles me disent : monsieur le Premier ministre, on a peur de la décentralisation. On a peur que l'Etat ne soit plus là et que si l'Etat n'est plus là, qu'est-ce qu'on va devenir ? Je leur dis : " vous croyez que les élus locaux, vous croyez que les territoires, ils ne sont pas aussi motivés que vous dans la justice, dans l'équilibre de notre société, et qu'il n'y a que l'Etat pour être partout ? Au contraire, votre combat est tellement important qu'il faut qu'il soit partagé, et qu'on puisse le mener au niveau de la commune, au niveau du département, au niveau de la région ." "
Bien sûr que l'Etat est l'intérêt général. Mais l'Etat, la politique n'ont pas le monopole de l'intérêt général. En faisant croire quelquefois que c'est le monopole de l'intérêt général, on lance ainsi un appel à l'Etat, on demande à l'Etat d'intervenir partout, et l'Etat finit par avoir des difficultés majeures pour financer ses dépenses essentielles. En vingt ans, notre dette est passée de 20 à 60 % de notre PIB, et tous les ans, nous empruntons quand même 15 % depuis des dizaines d'années, pour boucler notre budget, car nous dépensons 15 % de plus que nous gagnons. C'est cela la France d'aujourd'hui. Il faut qu'on arrive à convaincre la société, qu'on n'a pas peur du partage de l'intérêt général et qu'on organise le travail de telle sorte que nous soyons les uns et les autres porteurs d'une part de l'intérêt, comme le maire. Le jour où il fait le mariage, il est officier d'état civil, il est l'Etat. Sur certaines délégations, le département, la région peuvent être l'Etat aussi, avec la norme de l'Etat en amont, le contrôle de l'Etat en aval, mais au milieu, des délégations clairement définies, pour qu'on puisse partager cette responsabilité. C'est, je crois, très important pour notre avenir aux uns et aux autres.
Je voudrais aussi insister sur les deux grandes phases. D'abord le débat institutionnel et constitutionnel qui donnera lieu dans les semaines prochaines, à un Congrès qui réunira l'Assemblée nationale et le Sénat pour voter la réforme de la Constitution, avec un certain nombre de principes nouveaux dans notre Constitution, et notamment, la possibilité de faire des expérimentations. Nous allons opérer trois formes de transfert. Et les premiers transferts seront disponibles dès le 1er janvier 2004. Des transferts purs et simples, je dirais comme ceux qu'on a connus avec les lois Defferre-Mauroy : transferts de compétences et transferts de financements, et d'ailleurs, le financement et la péréquation seront dans la Constitution.
Il y a la délégation de compétences, ce dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire que, pour un sujet précis, on confie à une collectivité publique, une délégation de compétence encadrée par l'Etat sous contrôle de l'Etat, mais sans doublement de l'Etat. Et puis, il y a les expérimentations. Là encore, n'ayons pas peur de l'expérimentation. Dans notre pays, sous prétexte que les sujets sont compliqués, on n'engage pas les réformes, et on reporte et on reporte. Pourquoi les sujets sont compliqués ? Parce que très souvent, on a peur de la réforme. Et dans notre pays, quand on a peur de la réforme, on se bloque, on s'enferme les uns dans les idéologies, les autres dans les blocages individualistes ou égoïstes et on bloque le système.
On a vu par exemple, pour la réforme du ferroviaire - le transport ferroviaire régional - tout le monde était inquiet. Moi-même. J'étais président des présidents de région à l'époque, et Dieu sait si j'étais inquiet sur le financement et sur la manière dont cela allait marcher. Et, puis, il y a eu cette réforme expérimentale. Et puis, il y a eu des discussions, et la CGT d'en bas a convaincu la CGT d'en haut, et puis les usagers d'en bas ont convaincu les usagers d'en haut ; et puis le terrain a fait son travail et a corrigé les dispositifs, et puis d'un seul coup, cette réforme n'a plus fait peur, parce que les gens concernés sont devenus acteurs de la réforme - toujours cette idée de participation à la réforme qui, en fait, enlève la peur ; c'est cela l'expérimentation. J'entendais le représentant syndicaliste tout à l'heure ; je l'écoutais avec attention sur les personnels de l'Education nationale. Je crois, en effet, que les personnels de l'Education nationale sont très inquiets. Je crois qu'il faut faire un certain nombre de réformes dans l'Education nationale. Mais il ne faut pas les faire du jour au lendemain, comme cela, par un coup de baguette magique. 1,3 millions de personnes, c'est beaucoup trop complexe, c'est beaucoup trop humain pour décider du jour au lendemain quelle est la bonne réforme. En revanche, qu'avec les personnels, on puisse faire deux, trois expérimentations, pour qu'on définisse le rôle des uns et des autres, et que surtout, les syndicats, les partenaires soient dans le comité de pilotage de la réforme, et on trouvera le bon chemin de la réforme, parce qu'on le trouvera par l'expérimentation, finalement par le pragmatisme. Il ne faut pas se dire que l'expérimentation est un désordre. L'expérimentation sera limitée. L'expérimentation c'est ce qui se passe dans la vie ; ce sont ces étapes où on essaye d'apprivoiser la réalité. Il y a un certain nombre de sujets dont on sait très bien qu'on n'a aucune chance de faire des réformes, du jour au lendemain, en passant par un transfert de compétences. La société française se bloquera, et si la société française se bloque, les réformes sont repoussées à plus tard et à force de repousser les réformes à plus tard, on voit les murs qui sont devant nous, parce que globalement, nos finances publiques n'arrivent pas à faire face à l'ensemble de la charge de la collectivité territoriale, parce que nous n'avons pas une organisation de notre responsabilité républicaine suffisamment claire et suffisamment efficace.
Comment pouvons-nous essayer de répartir les compétences ? Avec trois niveaux ; le transfert systématique là où ce sera simple ; le transfert par délégation et l'expérimentation, quand on est sur des sujets complexes. L'expérimentation pouvant se faire à plusieurs niveaux, au niveau de la région ou au niveau du département, par exemple.
La région, je crois qu'elle doit être confortée dans son rôle d'orientation de programmation. C'est vraiment l'échelon de cohérence. La région est partenaire de l'Etat dans le rôle de cohérence. Il y a sur les territoires régionaux, une cohérence à assumer. J'ai entendu tout à l'heure, et c'est vrai, que la région Ile-de-France, est la plus riche. Mais à l'intérieur, il y a beaucoup d'inégalités. Et donc, ce n'est pas parce qu'elle est riche qu'il n'y a pas de difficultés sociales, c'est-à-dire qu'on a besoin de la cohésion à l'intérieur de l'Ile-de-France, comme à l'intérieur de toutes les régions. Et quand on parle de péréquation nationale, on peut parler de péréquation d'ailleurs dans la région, comme on peut parler de péréquation dans le département, comme d'ailleurs on peut parler de péréquation dans la ville, parce qu'au fond, on voit bien que cette valeur-là se décline.
Mais je terminerai sur ce sujet, parce que je crois qu'au-delà de votre mission régionale, votre région a aussi une mission nationale et européenne qu'elle doit assumer dans l'intérêt du pays, et pas seulement dans l'intérêt des Franciliens. La région doit rester globalement dans une administration de mission, de stratégie, qu'elle ne doit pas gonfler ses effectifs, qu'on ne doit pas avoir des bureaucraties qui s'empilent, parce qu'on aura du mal à gérer l'ensemble. Et on voit bien que les départements qui ont aujourd'hui des équipes pour gérer la proximité, qui sont souvent des équipes et compétentes et nombreuses, il faut éviter de doublonner les équipes. C'est, je crois, très très important.
Il y a un certain nombre de priorités qui, pour la région, doivent s'affirmer très clairement. D'abord, tout ce qui est le public des jeunes adultes. On est souvent dans les responsabilités qui touchent au département, et au-delà de 16 ans, dans des responsabilités qui touchent plutôt à la région. C'est une vision approximative, mais qui montre bien notre système scolaire : les problèmes de la petite enfance d'un côté, les problèmes de la formation professionnelle de l'autre. Je pense aussi à des formations paramédicales qu'il faut renforcer, des formations sportives, associatives, un certain nombre de formations artistiques qu'il nous faut développer et pour lesquelles tout ce public de jeunes adultes, à partir du lycée, doit pouvoir se sentir très impliqué, la région ayant un rôle important. Nous sommes, sur ce sujet-là, par rapport à beaucoup de pays européens, très en retard, et on ne peut pas envisager la formation professionnelle sans le faire avec les bassins d'emplois. La formation professionnelle au plus près du bassin d'emplois, c'est aussi une façon de pouvoir traiter une partie des problèmes des déplacements. Ce qui est donc très important, c'est de renforcer ce pôle jeunes adultes de la région et donc de rassembler toutes les compétences autour de ce public.
Deuxièmement, tout ce qui concerne le développement économique. Le développement économique est lié à la vie professionnelle et la région est le lieu où doivent être concentrés les outils d'intervention. C'est comme cela partout en Europe. Quand je vois encore des décisions qui remontent dans l'appareil de l'Etat pour installer un petit commerce ici, une petite intervention économique dans une entreprise par là ! Il faut une vision claire au niveau d'une région pour que la région assume ce dispositif et qu'elle puisse assumer aussi ce qui est l'aménagement du territoire global.
Un point très important sur ces sujets-là, c'est ce qui touche à l'éducation et à la santé, où des ouvertures sont possibles. Evidemment, là, nous sommes dans le domaine de l'expérimentation ; ce sont de très grands chantiers qu'on ne veut pas engager nationalement. Je pense qu'il y a des perspectives qui sont importantes pour nous, par expérimentation, avec la volonté et des acteurs syndicaux et socioprofessionnels et des acteurs territoriaux, là où les gens voudront avancer ensemble, qu'on puisse faire des expérimentations et de faire en sorte que l'on puisse, sur des sujets qui intéressent tellement les Français, faire en sorte que le pacte républicain existe, que la règle nationale existe. Je ne souhaite pas qu'une iniquité se développe en France ; je ne souhaite pas que l'on ait à Nantes ou à Lyon des diplômes qui aient des valeurs différentes ; je ne souhaite pas que nous ayons des systèmes de santé pour les riches et des systèmes pour les pauvres mais on voit bien qu'en gérant au plus près du terrain, on arrive a avoir une efficacité qui est aussi une justice. Parce qu'il y a un moment où l'inefficacité constitue une injustice ; on le voit dans un certain nombre de territoires aujourd'hui, où on voit que l'inégalité dans l'éducation existe ainsi que l'inégalité dans la santé. Il nous faut donc corriger cela.
Je pense que l'espace régional doit être cet espace d'expérimentation. J'ajoute - mais cela ne nous concerne pas directement -, qu'on peut aussi discuter de la taille des collectivités territoriales. Le référendum prévu dans la Constitution nous permettra de pouvoir discuter de l'espace territorial en faisant appel à la population. Il ne s'agit pas de dessiner, dans un bureau parisien, la carte de France. Mais ceux qui veulent que l'on discute de leur espace territorial, pourront le faire. Il y a dans toute la France une certaine diversité qui n'est pas forcément d'une évidence européenne tout à fait justifiée. Même si - et je le dis à tous ceux qui aujourd'hui pourraient être inquiets, et je veux sur ce point rassurer monsieur Pasqua, car je sais que c'est une question qui le préoccupe - nous ne sommes pas favorables à l'Europe des régions. Pourquoi cela ? Parce que le choix a été fait en 1992, avec le Traité de Maastricht, de passer à une Europe des Etats nations, à une fédération des Etats nations. Donc l'espace de subsidiarité européen, c'est l'Etat. Et la région n'est pas, comme en Espagne, une nation, c'est un échelon de l'Etat. Pour être plus efficace, pour être au plus prêt du terrain. Ce n'est pas pour avoir une prétention européenne, c'est au contraire pour donner à notre Etat-nation plus d'efficacité, car notre Etat-nation, il va falloir qu'il s'occupe de beaucoup de sujets supranationaux et qu'il ait des échelons "infra" qui viennent relayer un certain nombre d'initiatives.
Le département est le lieu de la proximité ; je ne crois pas qu'au fond, la région soit un espace de proximité. Et la région - tout dépend comment elle est gérée d'ailleurs - la région, c'est E. Faure, le président de Franche-Comté qui le disait - peut être une centralisation. Et donc, pour un certain nombre de gens, vu de Grenoble, transférer des pouvoirs de Paris à Lyon, ce n'est pas toujours un progrès. C'est pour cela que j'insiste bien sur le rôle de cohérence de la région et le rôle de proximité du département qui, lui, est au plus près du territoire, du citoyen. C'est pour cela qu'il y a un certain nombre de politiques de solidarité qui sont importantes à développer. Je pense aux politiques du handicap, du RMI, du RMA, à tout ce qui doit être politique de proximité - je pense aux équipements de proximité, je pense à un certain nombre de politiques... Nous avons parlé tout à l'heure de la politique du logement et je pense qu'elle doit y trouver son organisation ; le débat est ouvert.
Je pense que le département peut être le lieu de la cohérence du logement et qu'il peut déléguer des compétences, suivant les circonstances, à des collectivités territoriales, notamment aux agglomérations, de manière à ce que cela se fasse au niveau du terrain, que la décentralisation aille jusqu'au bout, même s'il faut qu'il y ait un espace de cohérence et un espace de stratégie pour éviter des disparités.
Les choses doivent pouvoir se faire. Je suis d'accord pour que nous avancions sur les routes, avec les départements. Mais sur ce sujet, je pense qu'il est très important de pouvoir prendre des initiatives et c'est une avancée que nous pourrons proposer dans les textes législatifs du printemps prochain.
Tout ceci est à discuter, tout ceci doit faire partie des conclusions des débats que nous aurons avec les Assises qui se tiendront le 28 février à Rouen et ensuite le débat au Parlement.
Je n'oublie pas le rôle de la commune et de l'intercommunalité dans l'ensemble de ce dispositif. Je vous signale que nous avons mis dans la Constitution, le rôle de chef de file, pour éviter d'avoir des systèmes bloqués et quelquefois de financements croisés impuissants. Il ne faut pas hésiter à mettre l'agglomération, la collectivité territoriale, chef de file d'un certain nombre de dossiers.
Voilà un certain nombre de propositions qui sont faites pour réaliser des économies, pour qu'il y ait plus de démocratie - notamment avec les référendums locaux -, plus de simplicité et que parallèlement, l'Etat, puisse naturellement assumer ses responsabilités.
Je dis aussi clairement aux fonctionnaires qu'ils auront la possibilité de participer à ces dispositifs en ayant le choix de leur statut. Il n'est pas question pour nous de les enfermer dans des dispositifs contraignants. Je leur donne quatre messages : premièrement, la fonction publique, quel que soit l'employeur, Etat ou collectivités, continuera de se fonder sur ces principes qui sont communs et l'Etat se porte garant de ce socle commun. Deuxièmement, l'Etat s'engage à aider la fonction publique territoriale pour améliorer son attractivité et sa qualité. Troisièmement, les fonctionnaires qui changeront de fonction publique pourront conserver, s'ils le souhaitent, leurs anciens éléments statutaires, et enfin, nous définirons les modalités de transfert de personnels avec une démarche de dialogue. Nous ferons en sorte que les moyens financiers puissent être dégagés. Nous avons des exemples européens qui sont très clairs et notamment, je pense au partage de la TIPP entre le national et les collectivités territoriales et notamment le régional.
La taxe sur le pétrole doit pouvoir être partagée avec ceux qui financent les déplacements et qui financent les politiques d'environnement. Il y a là un partage national qui doit être organisé ; un grand impôt, c'est un impôt productif et qui doit être là l'occasion de partager des responsabilités en partageant les finances. Nous devons avoir une vraie ambition en ce qui concerne les finances locales. Je compte sur les parlementaires qui sont ici présents et tous les autres, pour avancer sur ces questions et pouvoir proposer dans la suite de nos efforts de décentralisation, une réforme de la fiscalité. Notre pays doit sortir du débat entre l'Ile-de-France et les autres régions françaises. Nous sommes dans une situation où l'Europe est en train de devenir un espace politique majeur. Dans les semaines qui viennent, dans les mois qui viennent, d'ici 2004, l'Europe aura changé son périmètre, l'Europe aura changé sa géographie, l'Europe aura changé ses institutions. Un nouveau contexte européen sera placé devant nous. De nouvelles concurrences nous seront opposées, une nouvelle donne européenne viendra marquer notre vie nationale. Nous devons faire en sorte que notre pays, notre Etat-nation, notre République trouvent toute sa place dans ce nouvel espace. Et cette compétition qui vient de s'ouvrir est une compétition qui ne concerne pas que les Etats, qui concerne tous les espaces. C'est l'intérêt de la France que la région Ile-de-France soit attractive ; c'est l'intérêt de la France que Paris soit rayonnant ; c'est l'intérêt de notre pays que Lille s'ouvre sur son Nord, que Lyon s'ouvre sur son Est, que Strasbourg soit un point européen qui aille de l'autre côté de la frontière, que nos grandes métropoles rayonnent. La France devra être attractive de ses 100 visages. La France devra être attractive de l'ensemble de sa diversité, cohérente dans ses principes républicains, cohérente dans sa stratégie politique, cohérente dans son ambition nationale et européenne, mais diverse dans ses territoires, diverse dans ses responsabilités, diverse dans l'animation de sa vie quotidienne. C'est cela l'enjeu qui est devant nous : c'est d'être capable de penser global mais d'agir local, et de ne pas opposer les uns aux autres, et de faire en sorte que nous soyons à la hauteur de l'ambition de notre pays, comme le propose le président de la République, sur la scène européenne. Et nous ne pourrons être à la hauteur de cette ambition que si nos territoires peuvent assumer le contact avec les Françaises et les Français et la dynamique locale dont nous avons besoin.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 janvier 2003)