Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur le bilan de l'activité parlementaire et de la Mission de Contrôle et d'Evaluation (MEC) en 1999 et sur la présentation des actes législatifs pour l'an 2000, Paris le 19 janvier 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des voeux à la presse, à l'Assemblée nationale le 19 janvier 2000

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, chers amis,

Me limitant pour l'essentiel au Parlement, je voudrais insister, en vous présentant mes voeux très chaleureux, sur une idée, qui est en même temps un souhait : nous avons besoin d'une démocratie parlementaire pleinement équilibrée.
Quelques mots d'abord, comme c'est la tradition, sur l'année passée. Les annales classeront, je le crois, 1999 plutôt parmi les bons crus parlementaires. La Mission d'Evaluation et de Contrôle (MEC), dont j'avais évoqué la création devant vous l'an dernier, a vu le jour. Coprésidée alors par la majorité et l'opposition, elle a montré son utilité, à condition bien sûr que le Gouvernement soit attentif à ses travaux. Elle reprendra son activité prochainement avec l'étude de plusieurs nouvelles politiques publiques dont la gestion financière des universités et le recouvrement de l'impôt. Nous trouverons là, avec l'aide précieuse de la Cour des comptes, matière à formuler des propositions pour une meilleure gestion des deniers publics et à donner, comme c'est notre rôle, dans le temps de l'action, certains avis et conseils au pouvoir exécutif. J'insiste sur la MEC parce que ce peut être, ce doit être une novation utile dans la réalité du contrôle parlementaire.

En 1999 les Commissions parlementaires d'enquête, par exemple celle sur les forces de sécurité en Corse, les missions parlementaires communes, notamment sur le Rwanda, ont participé également à l'exercice nécessaire de notre fonction. Ce faisant, et quelles que soient les critiques entendues, les députés remplissent leur rôle, informent l'opinion, traquent l'erreur ou la faute. Je veux souligner aussi le travail accompli par la délégation à l'Union européenne, malgré le fait que les textes lui sont transmis souvent très tard.

Sur le plan législatif, 1999 restera comme la première année de la parité, avec le vote de la loi constitutionnelle relative à l'égalité entre les hommes et les femmes et la création d'une délégation parlementaire à l'égalité des chances et aux droits des femmes. D'autres lois importantes ont été adoptées l'an dernier : notamment la seconde loi sur les 35 heures, le Pacte civil de solidarité, les textes sur la Couverture Maladie Universelle ou sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale. Au total, sur 92 textes de loi qui ont été promulgués en 1999, 17 sont directement issus de proposition d'origine parlementaire, ce qui est peu connu.
Pour faire face à cette charge de travail et développer nos travaux de contrôle, il fallait poursuivre la réforme de nos méthodes. En 1999, pour la première fois, évolution intéressante, la durée des débats en Commission a dépassé de plus de 60 heures celle des discussions en séance publique. Nous avons aussi expérimenté une nouvelle procédure de discussion budgétaire, qui a permis un débat assez approfondi en commission pour cinq budgets. Je remercie le Gouvernement de ses efforts en ce sens. Il reste cependant beaucoup d'améliorations à apporter pour libérer davantage la parole et améliorer notre contrôle notamment en matière budgétaire. Mon intention est d'avancer.
Un mot enfin pour rappeler que, outre notre désormais traditionnel Parlement national des enfants, un Parlement mondial des enfants s'est tenu en octobre dernier, sur une initiative commune de l'Assemblée nationale et de l'UNESCO. Il a été une réussite. Il s'inscrit dans le cadre de l'action internationale de notre Assemblée, qui est intense. Par-delà les barrières des langues et des cultures, les jeunes réunis ici ont abouti à l'adoption d'un Manifeste de la jeunesse pour le XXIe siècle. A chacun de le populariser. Je forme le voeu que la proposition de loi instituant le Défenseur National des Enfants soit rapidement et définitivement adoptée.

Si nous nous tournons maintenant vers l'avenir, j'espère que l'an 2000 nous fera progresser vers l'objectif que je résumais en commençant : une démocratie parlementaire pleinement équilibrée. Certes, chacun est conscient que le contexte politique n'est pas le plus favorable au changement dans ce domaine. Pourtant l'évolution est nécessaire.
Une démocratie parlementaire pleinement équilibrée implique que les citoyens soient mieux associés à la préparation des lois. Sans remettre en cause le système représentatif qui fonde nos institutions, de nouvelles procédures légères pourraient être mises en place, par exemple l'ouverture d'un forum de discussion avec les citoyens sur notre site Internet avant l'examen des textes législatifs : nous allons approfondir cette proposition et à titre expérimental la mettre en oeuvre dans les semaines qui viennent. Une démocratie parlementaire renforcée implique aussi que la discussion des lois soit fondée sur des données incontestables. Je suis favorable à une refonte globale de l'ordonnance du 2 janvier 1959 sur laquelle travaille le Rapporteur général du Budget. Sans attendre celle-ci, il me paraîtrait utile, comme l'a proposé la Mission d'Evaluation et de contrôle de l'Assemblée, de faire en sorte dès cette année que les projets de loi de finances soient assortis d'un avis de la Cour des Comptes portant sur leur sincérité : nous éviterions ainsi des polémiques récurrentes dont nous voyons un exemple actuellement avec les controverses sur la fameuse " cagnotte " fiscale. Enfin, nous constatons tous que la complexité des normes ne fait pas bon ménage avec la démocratie. Nos lois, pour s'appliquer également à tous, gagneraient à être moins complexes et moins nombreuses. Nous devrions nous fixer comme objectif concret la réduction du nombre des lois et leur simplification. Je constate que les citoyens ont des idées de simplification. Je me propose donc d'ouvrir sur le site Web de la Présidence de l'Assemblée à partir du 1er février une rubrique " simplification " où nos concitoyens pourront librement et directement proposer leurs suggestions : j'en informerai les commissions et le Gouvernement.

Devant les spécialistes que vous êtes, il est inutile de rappeler que le Parlement est né de la nécessité de contrôler l'exécutif. Au nom là aussi d'une démocratie parlementaire pleinement équilibrée, la nécessité d'un meilleur contrôle s'impose. Des propositions avaient été faites l'an dernier pour que le contrôle parlementaire s'exerce sur des domaines qui aujourd'hui lui échappent largement encore : par exemple les interventions militaires ou le renseignement ; ce sont des sujets délicats, mais beaucoup, dont moi-même, souhaitent que nous puissions avancer : ce serait une utile modernisation de la vie publique. Le contrôle envers l'exécutif s'exerce, je l'indiquais, à travers plusieurs canaux, notamment les Commissions d'enquête. Nous continuerons à exercer par ce moyen notre contrôle en l'an 2000, très rapidement en ce qui concerne la commission d'enquête sur les catastrophes maritimes. L'Assemblée est là non seulement pour préparer les lois, pour les voter, mais pour assurer une évaluation concrète de leur application.
Un acte essentiel à cet égard est l'examen du budget. Il serait excellent que, pour la première fois, une " session budgétaire globale " puisse avoir lieu à l'automne 2000 : nous pourrions y examiner à la fois la loi de règlement 1999, une loi de finances rectificative 2000, le projet de loi de finances 2001 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2001. Cela donnerait plus de cohérence à notre examen. Plus généralement, l'année 2000, je l'évoquais il y a un instant, devrait nous permettre de réexaminer le bien fondé des dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959 : c'est nécessaire si on veut mieux contrôler les dépenses publiques. La Cour des comptes nous secondera très utilement dans cette tâche. L'autorité de l'Assemblée nationale devrait être également confortée par la réalisation sur deux ans d'un outil de simulation des politiques fiscales et sociales comparable à ceux qui existent au ministère des finances. Il est en effet indispensable de renforcer les moyens propres d'expertise de l'Assemblée.

Législateurs, contrôleurs, investis du pouvoir de voter la loi, nous sommes en effet chargés aussi, comme je le dis souvent, d'un véritable " service après vote " auprès de nos concitoyens. Plusieurs nouveaux moyens vont nous aider. Je pense d'abord à La Chaîne Parlementaire (LCP), qui doit commencer à émettre à partir du 1er mars 2000. Elle va progressivement enrichir notre expression démocratique, dans le respect du pluralisme. Elle ouvrira davantage notre institution - ouverture et impartialité sont pour moi deux mots-clés - aux débats de société et à l'interactivité. A l'exemple de ses homologues canadiennes ou américaines, LCP devra mettre les formes télévisuelles les plus variées et les plus modernes au service d'une exploration en profondeur du travail des parlementaires. Elle sera complémentaire de ce que vous faites et faites fort bien. J'ai depuis longtemps agi avec le Président du Sénat pour qu'il en soit ainsi. Je remercie toutes celles et tous ceux qui nous ont aidés, qui vont nous aider. Je lui souhaite bonne chance.

Dans le même esprit, les Nouvelles Technologies de l'Information (NTIC) poursuivront leur développement en l'an 2000. Avec plus de 5 000 visiteurs chaque jour fin 1999, soit une multiplication par dix en deux ans, et 1 700 000 pages consultées chaque mois, le site de l'Assemblée est l'un des plus fréquentés du web public. L'année 2000 nous permettra d'aller plus loin dans l'utilisation démocratique de ces nouvelles technologies. J'ai évoqué plus haut la possible ouverture de forums électroniques avant la discussion de textes de loi. Nous chercherons à "dématérialiser" progressivement ce qui peut l'être dans le travail parlementaire. Nous sensibiliserons davantage tous nos collègues à ces technologies, notamment avec l'idée cette année d'un séminaire parlementaire convivial et familial, de deux ou trois jours, consacré aux NTIC.

Le calendrier législatif 2000 sera très rempli. Les lois sur la mise en oeuvre de la parité, sur l'habitat et l'urbanisme, sur les nouvelles régulations économiques ont, parmi d'autres, déjà été inscrites par le gouvernement au programme du premier semestre de notre assemblée. Il nous faut éviter que cet ordre du jour légitimement abondant ne devienne excessif. Si on légifère, trop on légifère mal. Puisqu'on va légiférer sur les élus, notamment sur le cumul des mandats, il conviendra qu'on n'oublie pas le statut des élus, condition nécessaire d'une modernisation vraiment démocratique de la vie politique. On me dira qu'en sens inverse nous n'aurons pas à siéger lundi prochain en Congrès. C'est effectivement ce que, Président du Congrès, j'ai appris. Beaucoup de commentaires seront faits par les uns et par les autres. En tout cas, le report sine die du Congrès montre la difficulté à réformer consensuellement quand approchent les élections. L'un des risques de tout cela, c'est notamment que les citoyens ne s'y " retrouvent " pas vraiment et que le fossé, unanimement regretté, entre électeurs et élus ne continue à se creuser.

J'ajouterai avant de terminer quelques mots sur un autre sujet tout à fait majeur de l'an 2000. La France va prendre au second semestre la présidence de l'Union européenne. Le débat sur l'avenir de l'Union, largement oublié lors des élections les institutions communes, de progresser dans les domaines les plus importants, je pense en particuliers européennes de l'année dernière, va et doit reprendre vigueur. J'espère qu'il permettra de réformer enfr à l'Europe de la défense et à l'Europe fiscale. Je souhaite que le Parlement français soit étroitement associé à ces débats européens, à commencer par les suites de la Conférence d'Helsinki dont les conclusions, très favorables à l'élargissement de l'Union et moins à la réforme en profondeur des institutions, inquiètent beaucoup de ceux qui, comme Jacques Delors ou comme moi-même, sont attachés à l'avenir de la construction de l'Europe. Un mécanisme de suivi particulier devra être mis en place pour aider le moment venu la présidence française. Des discussions parlementaires devront être programmés non seulement au mois de juin, pour que le Parlement puisse dire ses priorités, puis en décembre pour tirer les premières conclusions de la présidence française, mais d'une façon plus large. Cela viendra en complément de l'activité internationale de cette maison (à la fois accueil de responsables d'autres pays et déplacements de notre part à l'étranger) qui est et sera intense.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Vous pouvez le constater, beaucoup de travail en cette nouvelle année. D'autant plus que s'y ajoutera un élément supplémentaire. L'actualité vient de souligner l'état très critique et à certains égards scandaleux dans lequel se trouve une grande prison à Paris. Je pense utile que, en liaison notamment avec les spécialistes de la Commission des Lois, soit créée dans les prochains jours une Commission d'enquête à l'Assemblée nationale sur les maisons d'arrêt et sur les propositions qui devraient être faites. Si mes collègues en décident ainsi, j'en assurerai moi-même la Présidence, comme je l'avais fait, au cours des années précédentes, pour deux autres domaines très différents qui je crois, eux aussi, ont marqué : les droits des enfants et le contrôle des dépenses publiques.

Par rapport à tout ce travail qui nous attend, j'ai lu ou entendu ici et là des hypothèses me concernant, très flatteuses d'ailleurs, sur plusieurs fonctions municipales, nationales, européennes ou internationales. J'en suis honoré mais, tout en remerciant beaucoup les auteurs de ces hypothèses, je crains de les décevoir : j'entends me consacrer en effet aux tâches que je viens d'indiquer.

La conjoncture économique est favorable, à la fois à cause d'une évolution internationale générale et - il faut le souligner - du succès de l'action de Lionel Jospin. La question politique qui nous est posée est de savoir si nous saurons mettre à profit cette réussite économique pour en faire profiter tous les Français, pour alléger durablement les impôts et les charges et pour engager ou terminer des réformes de fond indispensables, par exemple sur la sécurité des retraites, la modernisation du fonctionnement de l'Etat, la formation des peu formés. Je souhaite qu'il en soit ainsi, je le crois et j'y travaillerai.

J'en reviens, pour terminer, au projet d'une démocratie parlementaire pleinement équilibrée. Celle-ci implique parmi ses conditions une presse parlementaire nombreuse et vivante. La presse de conviction est l'intelligence de la démocratie. Mes voeux très chaleureux aux journalistes sont donc non seulement des pensées personnelles amicales vers chacune et chacun de vous, mais l'expression d'un souhait de vitalité démocratique dont j'espère que l'an 2000 portera la marque.

(source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 janvier 2000)